Astrid Fossier, Paris, June 2003
Les dissidents chinois et la fédération pour la démocratie en Chine, de véritables acteurs de paix ?
« Sans une Chine démocratique, il ne peut y avoir de séparation. Mais le jour où elle sera démocratique, alors il n’y aura plus besoin d’indépendance ».
Depuis 1989 et les événements de la place Tian An Men, le nombre de dissidents chinois prenant position en faveur du Tibet ne cesse d’augmenter. Cependant, ce n’est pas pour leur prise de position contre le gouvernement chinois qu’on peut les considérer comme des acteurs de la paix tibétaine, mais plutôt pour les alternatives qu’ils proposent au régime chinois actuel.
Tout d’abord, il est nécessaire de bien distinguer les différents courants de pensée au sein du mouvement dissident hors de Chine :
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Effectivement certains des personnages les plus en vue de la dissidence, tels que Wei Jinsheng, estiment que les revendications chinoises à l’encontre du Tibet n’ont absolument aucun fondement historique ;
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Tandis que d’autres, tels que Yan Jiaqi, considèrent le Tibet comme appartenant au territoire chinois. Nous allons tenter de bien comprendre cette différence et de voir en quoi la lutte des uns et des autres est bénéfique pour la construction de la paix au Tibet.
I. Wei Jinsheng, pour des négociations avec le Dalaï Lama.
Wei Jinsheng est sans aucun doute le plus célèbre des dissidents chinois. Né en 1950 dans une famille de hauts cadres pékinois, il fait ses premiers pas de militant dès 1966 dans une organisation de gardes rouges, le Comité d’action allié (Liandong), qui s’oppose au prises de position du Groupe de la Révolution Culturelle. Un an plus tard, il est arrêté et emprisonné pour être allé à l’encontre des directives du gouvernement. Sorti de prison, il part se réfugier dans le village dont est originaire sa famille, dans la province de l’Anhui. Ce n’est qu’en Décembre 1978 qu’il réapparaît sur le devant de la scène, lorsqu’il placarde sur les murs de Pékin un manifeste aujourd’hui célèbre intitulé « La cinquième modernisation ». Dans ce manifeste adressé à Deng Xiaoping, instigateur de la politique des Quatre modernisations, Wei Jinsheng propose l’instauration de la Cinquième modernisation, sans laquelle aucune autre ne peut être réalisée : la démocratie. Dans le même temps, il publie un revue anti-marxiste appelée « Enquêtes » (Tansuo). Il sera arrêté et emprisonné le 29 Mars 1979, pour une durée de quinze ans, au motif de trahison et d’activité contre-révolutionnaire. En 1993, Wei Jinsheng est libéré, six mois avant la fin de sa peine. Cette libération intervient alors que la Chine cherche à se concilier les faveurs du Comité Olympique par rapport à sa candidature pour les Jeux de l’an 2000. Mais en avril 1994, il est de nouveau arrêté. Ce n’est qu’en décembre 1995 que son procès à lieu, qui le condamne à quatorze ans de réclusion. Ce n’est que sous la pression du gouvernement américain qu’il sera libéré, en 1997. Depuis, il s’est installé aux Etats-Unis.
Sa position en faveur du Tibet est claire : le Tibet n’est pas une province chinoise. C’est ce qu’il écrit noir sur blanc dans une lettre datée d’octobre 1992 qu’il adresse à Deng Xiaoping : le statut du Tibet était particulier. Ni souverain ni indépendant, il n’était pas non plus une colonie. Il ne gérait pas la totalité de ses affaires mais elles n’étaient pas non plus traitées par les deux Ambans appointés par l’empereur de Chine. Le fait est que le Tibet jouissait d’une réelle autonomie dans la gestion de ses affaires domestiques tout en faisant partie de la cour des Qin pour ce qui était de ses affaires étrangères. C’est à cause de cet arrangement particulier que beaucoup de chinois et d’étrangers ignorant des faits considèrent que le Tibet était une province de l’empire chinois.
Wei Jinsheng propose dans cette lettre ouverte à Deng Xiaoping toute une série de mesures qui pourraient mener à une amélioration des relations entre les deux pays :
« Les trois tâches les plus urgentes sont les suivantes :
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Premièrement, la haine mutuelle et la discrimination entre les Han et les Tibétains doit être éliminée, et tout particulièrement les idées fausses que se font les Han à l’égard des Tibétains. Après quarante ans de propagande, les cadres aux Tibet (mais ailleurs également) ont des attitudes discriminantes profondément ancrées en eux, ce qui, en échange, augmente la haine des Tibétains à l’égard des Chinois (…).
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Deuxièmement, le gouvernement devrait accélérer le développement économique du Tibet et favoriser les relations économiques entre les provinces de la Chine de l’intérieur et le Tibet (…).
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Troisièmement, le gouvernement chinois devrait se débarrasser de cette vieille tradition politique de garder en otage les leaders religieux Tibétain. Les Tibétains, qu’ils soient religieux ou non, ne supportent pas cette politique. Elle ne peut d’ailleurs que difficilement démonter votre respect pour les droits de l’homme. Le gouvernement chinois devrait venir à bout de cette mentalité de « Grand empire chinois » et s’asseoir avec le Dalaï Lama à la table des négociations ».
II. Yan Jiaqi, pour une république fédérale de Chine
Yan Jiaqi, aujourd’hui leader de la fédération pour la démocratie en Chine, était auparavant directeur de l’Institut de sciences politiques de l’Académie des sciences sociales de Chine. Mais suite à ses prises de positions contre le régime, il fut obligé de quitter la Chine en 1989. Il vit aujourd’hui à Paris.
Yan Jiaqi a élaboré sa théorie d’une fédération démocratique de Chine dès juillet 1989, soit un mois après le massacre de la place Tian An Men. Selon lui il est absolument nécessaire que la Chine devienne une fédération démocratique dans laquelle chacun des Etats jouirait d’une autonomie préservée. Il y aurait au sein de cette fédération deux types de républiques :
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Les républiques « libres » telles que le Tibet, le Xinjiang, Hong Kong, Macao, Taiwan et la Mongolie intérieure ;
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Les républiques « proches », soit le reste de la Chine.
Le système de défense, de fiscalité ainsi que le système judiciaire de ces républiques « libres » différerait de celui du reste de la fédération. En Janvier 1994, une proposition de constitution pour la République Fédérale de Chine a été adoptée. Ces trente articles ne reconnaissent pas le droit des peuples de Taiwan, Hong Kong, Macao, du Tibet, de la Mongolie intérieure et le Xinjiang a disposer d’eux-mêmes, mais il leur garantit une autonomie maximale. Cette vision de Yan Jiaqi s’est incarnée en une Fédération pour la Démocratie en Chine (FDC) dont il est le président. Le dialogue s’est vite instauré entre la fédération et le gouvernement tibétain en exil, dès octobre 1989. La Fédération considère que la religion et la culture tibétaine sont trop différentes de la culture chinoise pour ne pas être particulièrement protégées. C’est pourquoi il est nécessaire, selon Yan Jiaqi, de doter le Tibet de sa propre constitution. Cette prise de position est un des résultats du dialogue entrepris entre les Tibétains et les dissidents de la FDC. Une autre illustration du travail effectué par la Fédération et le gouvernement en exil concerne le statut qu’aurait le Tibet dans une République fédérale de Chine : « Article 39 : l’Etat autonome du Tibet est une aire protégée, au sein de laquelle tout test d’armes chimiques, biologiques ou nucléaire sera interdit. L’Etat autonome du Tibet sera indépendant en matière financière et ne sera soumis à aucune taxe fédérale. L’Etat autonome du Tibet aura le droit d’instaurer sa propre cour de justice. Le statut de l’Etat autonome du Tibet sera révisé 25 ans après la promulgation de cette constitution. Cette révision se fera sous la forme d’un référendum des citoyens (…) ».
Ainsi, bien que Yan Jiaqi estime que le Tibet fait partie de la Chine, il affirme toutefois que celui-ci a le droit à une forte autonomie. Il appuie sa réflexion sur l’idée que si la Chine se démocratise, le Tibet n’aura plus besoin de demander l’indépendance. Alors est-ce l’instauration de la démocratie en Chine qui serait la clé de la paix au Tibet ?
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