Irenees
un site de ressources pour la paix

Irénées.net est un site de ressources documentaires destiné à favoriser l’échange de connaissances et de savoir faire au service de la construction d’un art de la paix.
Ce site est porté par l’association
Modus Operandi


En librairie

Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

Print

Paris, avril 2007

L’Union des Locataires de Maisons et d’Abonnés aux Régies d’Eau et d’Électricité : quand la mobilisation collective permet la médiation et l’accès aux services de base

Créée en 1986, l’Union des Locataires de Maisons et d’Abonnés à la Régie d’Eau et à la Société d’Électricité (ULOMARE) s’est donnée pour mission de combattre les injustices et les traitements discriminatoires dont les populations étaient victimes en matière d’accès aux services de base, dans l’Est de ce qui était encore à l’époque la République du Zaïre. Très rapidement, l’association va compter plusieurs milliers de membres, répartis dans les villes de Bukavu, Goma, Kamituga et Uvira. L’association va mettre sur pied des stratégies permettant à ses membres de rentrer dans leurs droits.

Mots clefs : | | | | | | | | | | | | | |

À Bukavu, l’ULOMARE, première organisation de défense des droits des consommateurs créée en RDC, lutte depuis 20 ans aux côtés des populations les plus démunies, en faveur de l’accès aux services essentiels. Porte-parole des habitants lésés par un réseau de distribution de mauvaise qualité et victime de mauvaise gestion, l’ULOMARE s’est imposée comme médiateur entre cette population et les sociétés chargées de lui fournir les services indispensables à des conditions de vie décentes. Les activités de médiation assurées par ULOMARE auprès des sociétés distributrices d’eau et d’électricité ont longtemps constitué une référence dans le pays : perçu comme un modèle d’action collective alliant mobilisation et médiation, le travail réalisé par l’ULOMARE a notamment consisté à susciter la création de syndicats de locataires et d’abonnés, à les sensibiliser sur leurs droits, puis à porter leurs revendications devant les instances concernées.

Désobéissance civile

En cas de surfacturations arbitraires des consommations d’eau ou d’électricité, les abonnés vont ainsi systématiser la collecte et la centralisation des factures incriminées. Remises à l’ULOMARE, elles vont reprendre le chemin de leurs sociétés émettrices sans être payées, mais accompagnées des doléances des habitants, mises en ordre par l’ULOMARE. Utilisée dans d’autres régions du Zaïre, cette technique de désobéissance civile appliquée aux droits économiques et sociaux va porter ses fruits. Face à la masse des impayés et à la mobilisation de la population, les sociétés mises en cause choisissent en règle générale de revoir leurs tarifs et optent pour la négociation avec l’interlocuteur que les populations ont choisi : ULOMARE. Cette dernière va ainsi peu à peu parfaire son rôle de médiateur officiel dans les conflits qui opposent les usagers les plus démunis et les sociétés nationales chargées de la fourniture des services de base.

L’appropriation concrète d’un droit

La pratique du dahulage (1) est une autre forme de mobilisation de la population promue par l’ULOMARE, en faveur de l’accès aux services de base. Organisée au sein de comités locaux d’électrification, la population est invitée à se raccorder clandestinement au réseau électrique. Formés aux techniques de base en matière d’électricité, informés des différents risques encourus, les habitants vont ainsi s’approprier, certes illégalement, mais en toute légitimité, un droit qui leur est refusé par la Société Nationale d’Électricité. Des quartiers entiers des villes de Bukavu, de Goma et d’Uvira, mais également plusieurs communautés rurales du Sud et du Nord-Kivu vont ainsi enfin disposer d’un accès à l’électricité. À partir de cette situation de fait illégale que représente le « dahulage », ULOMARE va chercher, à travers le plaidoyer et la mobilisation des habitants, à obtenir la régularisation de ces raccordements. Ainsi, les actions initiées par ULOMARE invitent la population à prendre conscience de ses droits et à initier des actions revendicatives et productrices de droits.

Le suivi des comités locaux et l’appui à des initiatives nouvelles

En raison de la faiblesse des moyens dont dispose aujourd’hui l’ULOMARE, l’appui qu’elle offre à la population est désormais avant tout méthodologique. Des animateurs bénévoles ne cessent de parcourir les différents quartiers où vivent de « dahuleurs » pour les informer de la méthode à suivre, des risques encourus et de l’importance du travail de sensibilisation qu’il faut réaliser auprès de la population afin qu’elle s’approprie pleinement cette pratique, renforçant ainsi sa dimension légitime.

En outre, de nouveaux comités d’électrification voient le jour fréquemment, et font appel aux membres de l’ULOMARE afin qu’ils les aident à s’organiser. Un des derniers-nés a été créé à Bukavu par un groupe de jeunes, inquiets de voir se développer l’insécurité dans leur quartier isolé de la ville, car situé en contrebas de la route principale, au fond d’un bras du lac Kivu. La nuit tombée, ce dernier devenait en effet la proie des délinquants en tout genre, profitant de l’obscurité totale dans laquelle étaient plongés ses habitants pour y commettre leurs forfaits et disparaître aussitôt sans crainte d’être retrouvés. Les jeunes ont décidé de s’attaquer à ce fléau et ont proposé aux habitants du quartier de se cotiser afin d’installer un éclairage public, et de raccorder au réseau « officiel » les habitations qui en étaient les plus proches. Depuis, malgré les coupures de courant et autres délestages qui affectent régulièrement les installations électriques – clandestines comme officielles -, la sécurité est peu à peu revenue dans le quartier, et ses habitants n’hésitent plus à sortir de chez eux après la tombée de la nuit.

Le conseil à d’autres initiatives locales de développement

Les techniques de mobilisation employées par l’ULOMARE dans son long combat en faveur de l’accès aux services de base intéressent également d’autres initiatives locales de développement, qui oeuvrent dans des domaines différents. C’est ainsi que l’ULOMARE a été sollicitée par l’Union pour l’Émancipation de la Femme Autochtone (UEFA) de Bukavu pour participer à la mise en place d’un noyau de femmes autochtones parajuristes ; de la même manière, l’organisation Dignité Pygmée fait aujourd’hui appel aux animateurs de l’ULOMARE pour former des promoteurs de droits.

Une action davantage tournée vers le plaidoyer et la résolution alternative des conflits

Soutenue par le Conseil Régional des ONG de Développement du Sud-Kivu (CRONGD-SK), l’ULOMARE poursuit aujourd’hui ses activités de plaidoyer en faveur de l’accès des populations les plus démunies aux services de base. En outre, en raison de l’expérience des animateurs de l’ULOMARE en matière de négociation, de conciliation et d’arbitrage entre les sociétés d’État et les abonnés, l’organisation est régulièrement sollicitée par les différents comités d’habitants désireux de se livrer à des activités de médiation au sein de leurs communautés.

Au cours de ses 20 années d’existence, l’ULOMARE a connu d’importants succès, malgré les difficultés rencontrées. En raison de la forte mobilisation populaire qu’elle a concouru à susciter, elle fut en effet accusée par le MPR, le parti-État du président Mobutu, de travailler à la création d’une formation politique d’opposition. Lors de la partition du pays survenue à la suite des guerres de 1996 et 1998, l’ULOMARE fut à nouveau considérée par les dirigeants rebelles du RCD comme une organisation subversive. Les nouveaux détenteurs de l’autorité dans la région voyaient en effet d’un très mauvais œil le fait qu’elle encourage les habitants à ne pas payer des factures qui constituaient une importante source d’enrichissement pour le pouvoir en place. Malgré ces difficultés, l’ULOMARE a remporté de nombreuses victoires. La plus significative est sans doute celle que l’on peut encore constater aujourd’hui : dans le plus isolé des quartiers de Bukavu, dans le plus reculé des villages alentour, la pratique du « dahulage » a fait des émules. Parvenant parfois, malgré la faiblesse des moyens et au prix des efforts soutenus de la communauté, à conduire le courant jusqu’à deux kilomètres au-delà de l’extrémité du réseau officiel, les comités d’électrification constituent aujourd’hui des noyaux de solidarité très solides. Face à une telle organisation et aux retombées positives du raccord au réseau électrique en termes d’activités économiques, d’hygiène et de sécurité, les agents de la Société Nationale d’Électricité hésitent de plus en plus à sanctionner les « coupables ». D’autant plus que lors de la Conférence Nationale Souveraine initiée en 1991, la déclaration de politique sectorielle rédigée par ULOMARE lui a permis d’arracher plusieurs droits jusque là restreints dans leur application par les sociétés de distribution d’eau et d’électricité.

Si l’Union des Locataires de Maisons et des Abonnés aux Régies d’Eau et d’Électricité a multiplié ses moyens d’action, c’est le rôle de médiation et de négociation entre les consommateurs et les sociétés chargées de la distribution des services de base qui retient ici notre attention. Il est nécessaire de se pencher plus attentivement sur le processus qui a permis aux dirigeants d’ULOMARE de s’imposer comme négociateurs auprès de ces entreprises publiques pour bien comprendre la logique qui sous-tend l’action de cette organisation depuis sa création. C’est en définitive en diffusant et en appuyant des pratiques illégales (le raccordement clandestin aux différents réseaux) que l’Union des Locataires est parvenue à imposer la légitimité de ses revendications, et, par conséquent, de son mandat de négociateur. L’ULOMARE n’est pas un médiateur neutre ; c’est uniquement en raison de sa forte implication aux côtés des habitants que le rapport de force entre ces derniers et les sociétés distributrices a pu changer, passant d’un déséquilibre total il y a vingt ans à une égalité – certes encore relative – aujourd’hui.

Notes :

(1) : Ce terme a été construit par l’ULOMARE à partir du verbe kudahula, signifiant en dialecte local mashi « prendre le feu chez le voisin ».

Sources :

  • Visites de terrain dans des quartiers dont les populations pratiquent le dahulage, Bukavu, 14.11.2006.

  • Entretien avec les membres de l’Union des Locataires de Maisons et d’Abonnés à la Régie d’Eau et d’Électricité, 13.11.2006.

Renseignements :

  • Association ULOMARE - Union des Locataires de Maisons et d’Abonnés à la Régie d’Eau et aux Sociétés d’Electricité

  • Adresse : c/o CRONGD Sud-Kivu, Bukavu (RDC)

  • Tél : +243 (0) 9 94 20 28 54

  • Courriel : nouvelanderson@yahoo.fr

  • Contact : M. Roger Anderson Kabungulu (Coordonnateur)

Site web