Fiche d’allocution Atelier : Dialogue entre militaires et société civile.

Kligenthal, Juin 2007

La signification et les perspectives de la relation franco-allemande.

Allocution de Monsieur l’Ancien Ministre André Bord.

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L’Alsace est le lieu où bat le cœur franco-allemand et avant tout celui de l’Europe. Je suis profondément honoré et heureux d’avoir été choisi pour venir vous faire part d’un « sentiment » sur la recherche, avec l’Asie centrale, d’éléments de coopération.

A la fin de la guerre, il y avait quatre Russes dans mon unité de corps français. Aujourd’hui, au travers de mes responsabilités, je suis en train de négocier avec Moscou au sujet de cette histoire de l’Alsace dont je vous dirai deux mots. Certains des jeunes de 1939 – 1940 – 1945 qui n’ont pas pu comme moi s’évader et rejoindre les maquis ainsi que le Général de Gaulle, ont été incorporés dans le Reich, faits prisonniers par les Russes puis internés dans un camp de prisonniers. A l’heure actuelle, je négocie au sujet d’une convention que l’on va bientôt signer. Le gouvernement soviétique va nous fournir des fiches individuelles d’Alsaciens français internés dans ce camp. Nous avons besoin de ces fiches d’Etat civil pour nos archives. Grâce au gouvernement allemand nous avons eu accès aux archives les plus importantes existant dans le monde. Ce sont les archives du « WAS » (organisme dépendant du gouvernement allemand, où se trouvent des millions de fiches d’Etat civil permettant de retrouver à tout moment des personnes disparues pendant la guerre).

Pourquoi une coopération franco-allemande est elle indispensable à la paix en Europe et dans le monde ?

A 18 ans, je me suis retrouvé à franchir les Vosges, car je ne voulais pas servir le régime Nazi, alors que mon père avait servi en 14-18 dans le Reich : il avait fait la guerre contre les Russes et quand l’Etat major allemand avait décidé de retirer progressivement les troupes allemandes de Russie pour aller seconder les troupes allemandes en France, mon père avait fini par réussir à s’évader. Il ne connaissait pas un mot de français. Si dans cette région, nous avions quelques réserves à l’égard du régime… et si nous rejetions fortement le national socialisme, nous n’étions pas pour autant, opposés au peuple allemand.

Pourquoi ? Car nous étions un certain nombre à penser que les alliés en 1918 avaient commis une grande erreur à l’égard de l’Allemagne. Une erreur qui, heureusement, n’a pas été reconduite en 1945 :

En 1918, en grande partie sous la pression du président américain Wilson, l’Allemagne a été écrasée et le peuple allemand, piétiné, au lieu d’essayer de permettre à l’Allemagne de s’engager dans une voie démocratique et de devenir un pays comme les autres.

En 1945 nous n’avons pas commis la même erreur, nous n’avons pas écrasé le peuple allemand : nous avons tout fait pour permettre à ce peuple de revivre. En pleine guerre, fin 1944, le Général de Gaulle, dans un discours à Londres, a demandé qu’il y ait une entente franco-allemande et la construction de l’Europe, pour éviter que les mêmes erreurs puissent être commises à l’avenir. Il y a là des raisons, des motifs évidents, pour que la paix revenue en Europe, les deux peuples tentent d’effacer le passé et de voir comment construire un avenir ensemble qui permettra aussi à l’Europe de se construire. En parlant de l’Europe je vais très à l’Est : je pense que la Russie doit être associée à ce que les Européens font ensemble. Cette Europe doit avoir avec l’Asie des relations pacifiques et une coopération économique et sociale de progrès. Cette Europe doit également tisser des liens plus intenses avec l’Afrique du Nord et l’Afrique en général. Je tiens à effacer tout malentendu : il ne s’agit aucunement de développer l’Europe contre les Etats-Unis qui sont nos amis. La voie de la coopération franco-allemande est toute trouvée au travers de ce préambule : deux côtés, une guerre, des millions de morts, un chômage massif, une mésentente à tout point de vue… Il fallait donc que des hommes responsables réfléchissent vite à ce problème. Et c’est ce qu’ont fait Adenauer, et de Gaulle qui se sont rencontrés pour décider de tirer un trait sur les relations désastreuses du passé entre les deux pays et d’essayer de s’entendre.

Comment ont-ils fait ? Ce n’était pas évident : le peuple allemand venait de subir l’occupation des alliés et était encore montré du doigt pour son appartenance à un moment donné à un Etat national socialiste. Même chose du côté français.

Il fallait que ces initiatives soient prises par des jeunes sortant de la guerre. Cela supposait une reconversion totale des esprits pour pouvoir dire « Oui, les Allemands sont nos amis, nous devons travailler ensemble pour la paix ».

C’est ainsi que progressivement le chancelier Adenauer et le Général de Gaulle (ainsi que les gouvernements qui leur ont succédé) ont œuvré en ce sens.

Le premier impératif était de partir du principe que Français et Allemands ne pouvaient devenir des amis qu’en apprenant à se connaître et en parlant la même langue : il fallait donc apprendre le français aux Allemands et l’allemand aux Français. Pour cela nos cultures devaient se rapprocher. C’est ainsi que, petit à petit, la culture de l’un a été enseigné chez l’autre et vice-versa, dans les écoles, les lycées, les universités…

Mais tout cela n’était pas suffisant ; la culture, en effet, ne donne pas à manger…

En parallèle, il fallait donc une autre politique. Français et Allemands savaient qu’ils représentaient dans le monde une certaine force économique. C’est ainsi qu’ils ont décidé d’unir leurs forces dans un certain nombre de domaines et de trouver des champs communs de coopération économique.

Un Exemple : en 1969, le Général de Gaulle m’a fait venir et m’a dit : « Il y a en Allemagne un ministre qui serait ouvert à la coopération franco-allemande. Allez le voir et voyez ce que nous pourrions faire ensemble. » Ce ministre considérait en effet que nous devions coopérer. Nous avions eu les mêmes problèmes en matière de reconversion des mines de charbon. Nous devions trouver des solutions identiques.

C’est ainsi que la France a confié à l’Allemagne la direction des ventes d’Airbus. Les Français étaient bons et performants dans les ateliers mais ne savaient pas vendre. A l’inverse, les Allemands étaient mauvais dans les ateliers mais savaient vendre.

Il y eut également une coopération dans le domaine aéronautique, qui a entraîné une coopération entre militaires.

Des efforts considérables ont été faits par ailleurs, en matière de coopération dans le domaine de la recherche. J’ai moi-même créé une coopération franco-allemande au niveau universitaire, entre deux académies. Tous les ans, les élèves de ces deux académies réalisent un stage chez le voisin, apprennent à connaître tous les éléments du domaine militaire.

Une école d’hélicoptère commune nommée « Tigre » a aussi été créée. Et dans le domaine des transmissions nous avons des unités du même type.

Un élément d’échec pour la France : l’aviation. Les Allemands sont encore aujourd’hui très fidèles aux produits américains…

Des progrès sont également à faire dans le domaine de la coopération humaine.

Toujours est-il qu’un grand nombre de manœuvres communes ont été réalisées qui ont permis aux Allemands et aux Français de se connaître, de mieux comprendre l’autre.

Ce sont les militaires qui ont le plus montré la voie de la coopération franco-allemande. A été créée par la suite la Brigade franco-allemande qui a donné naissance au Corps Européen (ou Eurocorps). J’ai moi-même contribué à la création de cette unité européenne.

Afin de connaître le sentiment de l’opinion publique nous avons réalisé un grand sondage sur ce que les populations pensaient. Le résultat est flagrant : à une très forte majorité, les populations souhaitent qu’une coopération plus intense se produise à l’intérieur de ce secteur géographique et que l’Europe se développe mieux et plus vite.

Un mot sur les derniers accords de Bruxelles. Le « non » français a créé un malaise incontestable. L’Europe à 6 était déjà difficile à gérer. Il est tout à fait normal qu’aujourd’hui l’on se retrouve face à des situations complexes. Et même si l’on aurait pu faire mieux à Bruxelles dans un certain nombre de domaines, il faut tenter d’aller encore plus vite pour éviter que l’opinion publique ne s’impatiente.

Il est indispensable de se parler, de se comprendre et d’œuvrer pour la construction d’une Europe pacifique tendant la main aux autres de manière à garantir la paix, signe de progrès économique, signe du progrès social. Nous devons bâtir une Europe humaine….

Conclusion :

J’ai travaillé sur ces questions avec tous les présidents de la République et tous les chanceliers depuis de Gaulle.

J’ai été pendant 13 ans, membre du gouvernement. Pendant de très nombreuses années j’ai été le coordinateur de la coopération franco-allemande. Aujourd’hui encore, je suis les activités du Ministère des Affaires étrangères et du Ministère de la Défense dans ce domaine.

Ce que la France et l’Allemagne ont fait à la sortie d’une guerre est exemplaire, et ce qu’ils ont été capables de réaliser ensemble au niveau européen est absolument extraordinaire. Nous pensons que d’autres peuples peuvent le faire s’ils ont la volonté d’avancer.

Il arrive qu’il y ait un désaccord au départ sur un sujet précis et que les discussions soient plus longues que prévu ; l’on ne parvient d’ailleurs pas toujours à un consensus. Mais cela est normal, à partir du moment où des deux côtés, des intérêts sont en jeu… C’est pour cette raison qu’il est en réalité plus facile pour les militaires de s’entendre que pour les civils.

La France et l’Allemagne travaillent depuis de nombreuses années à la construction d’une coopération forte et en profondeur. La même démarche doit être mise en œuvre avec l’Espagne, l’Italie et l’Afrique du Nord, afin de créer dans la zone méditerranéenne, les éléments de paix nécessaires.

A l’issue d’une guerre, les deux parties terminent les combats mais subissent la mésentente des idées entre les peuples. Comment surmonter cette mésentente ?

Nous avons subi une guerre dramatique et avec tout ce que cela peut comporter comme problèmes de survie, de vie même…

Que se passe-t-il dans la tête des gens ?

Ce sont les jeunes générations qui ont fait le pas de considérer les Allemands comme leurs amis. Les autorités politiques de l’époque ont lancé des messages et il y a eu un déclic de la part des jeunes, qui y ont été réceptifs.

Il est indispensable d’être francs, de dire la vérité pour ne pas se voiler la face et être davantage en mesure non seulement d’affronter la douleur du passé mais également d’envisager sereinement le présent et l’avenir.

Dans le cas précis de l’Allemagne et de la France il y a eu des jumelages entre villes, communautés, universités…. Tout cela a fini par permettre de créer des liens entre les peuples et a favorisé la réconciliation.

Notes

  • Auteur de la présentation : M. André Bord. Il a œuvré toute sa vie pour le rapprochement franco-allemand. Il a été Ministre des anciens combattants et Ministre de l’intérieur. Il est aujourd’hui, membre du Comité d’honneur du CIDAN.