Fiche d’analyse

, , , Grenoble, janvier 2015

L’instabilité en République Démocratique du Congo : entre conflit ouvert, corruption et ingérence économique

Cette analyse s’appuie sur quatre entretiens menés avec  des réfugiés/demandeurs d’asile originaires de la République Démocratique du Congo. Elle est complétée par des informations provenant de sources institutionnelles, d’instituts de recherches, d’articles de presse et de reportages.

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Mise en contexte

La république Démocratique du Congo est un pays situé en Afrique centrale, dont l’immense territoire de près de 2,3 millions de km² regorge de nombreuses richesses et ressources naturelles (milliers d’hectares de terres arables et de forêt, potentiel hydraulique, hydrocarbures, minerais : cobalt, cuivre, zinc, argent, germanium, uranium, or, coltan, étain, diamants, etc.). Après une longue période sous domination coloniale belge, la RDC accède à l’indépendance en 1960 puis connaît une période quasi-dictatoriale sous Mobutu qui commence en 1965 et s’achève en 1997, avec le début de la première guerre du Congo dont les plaies ne sont pas encore refermées. Depuis lors, le pays a connu deux présidents, Laurent-Désiré Kabila et son fils Joseph Kabila, qui l’un comme l’autre n’ont pas encore été en mesure de mettre un terme à la guerre qui a déjà fait entre 4 et 8 millions de morts selon les estimations, et qui continue de ravager le territoire, et particulièrement sa population civile.

Histoire

En 1885, lors de la conférence de Berlin, le territoire du Congo devient la propriété personnelle du roi belge Léopold II. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que le Congo devient officiellement une colonie belge et que s’accélère l’exploitation des nombreuses ressources naturelles du territoire. Toutefois, à ce visage indéniablement négatif de la colonisation, s’ajoute le développement économique et social du pays qui l’a accompagné – avec notamment la construction d’infrastructures (routes, écoles, hôpitaux) – rendu possible grâce à une bonne gestion des richesses du pays par les colons belges. Cette nuance dans le regard que certains Congolais portent sur la colonisation de leur pays s’explique par les difficultés de gestion du pays qui ont surgi par la suite, avec l’indépendance.

On avait notre manière de procéder, notre culture, notre civilisation, on aurait pu évoluer à notre manière mais la colonisation nous a forcés, nous a brisés, nous a fait perdre nos valeurs et nos identités pour nous imposer une manière de faire les choses, mais sans qu’on ait les cadres suffisants pour faire cela.

En 1960, la République Démocratique du Congo  accède à l’indépendance, grâce notamment à l’action de Patrice Lumumba, un indépendantiste ayant étudié en occident. Il devient ensuite le Premier Ministre du Président Joseph Kasa-Vubu. Tous deux tentent de gérer le pays de manière autonome, mais les contestations de la part de la population se font sentir dans plusieurs régions et finissent par se constituer en rébellion armée menée par un leader : Joseph-Désiré Mobutu. Ce dernier commandite l’assassinat de Lumumba et accède au pouvoir en 1965 par la force. Pour la plupart des Congolais, Mobutu n’a pu devenir assez puissant pour accéder au pouvoir qu’avec l’aide de l’Occident qui, ne pouvant tirer profit de la gouvernance de Lumumba, a choisi de le remplacer à la tête du Congo par un personnage plus disposé à défendre leurs intérêts économiques.

Mobutu met alors en place un pouvoir dictatorial d’inspiration maoïste. Il renomme le pays Zaïre et prend lui-même le nom de Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Zabanga (qui signifie « Mobutu le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter »). Héritier d’une situation économique confortable, Mobutu peine pourtant à conserver la grandeur du Congo. Dans les années 1970, le pays est riche et développé, le franc congolais vaut deux dollars, l’école est gratuite et les sud-africains viennent même se faire soigner au Congo. Mais la transition entre l’administration coloniale bien huilée et la nouvelle élite parvenue de Mobutu ne s’opère pas. Après des années de colonisation marquées par l’oppression et la soumission de tout un peuple, le pays manque de personnes formées et compétentes pour tenir l’économie et l’administration. Mobutu lance pourtant sa politique de zaïrianisation qui vise à restaurer l’identité congolaise dans un élan d’union patriotique, à la fois en détruisant toutes les références au passé colonial – privant ainsi tout un peuple de son histoire, de sa mémoire, et de ses repères – et en rendant la gestion économique du pays aux Congolais et non plus aux étrangers. Mais faute de gens formés et compétents, cette politique est un désastre et fait fuir les investisseurs étrangers. L’économie congolaise sombre doucement, dilapidée par une élite corrompue qui ne vise que son propre intérêt malgré la volonté affichée par Mobutu de rendre le Zaïre aux Zaïrois.

La colonisation n’a pas du tout été positive, on ne peut pas en dire du bien, mais au-delà de tout c’est une histoire, un vécu. Or Mobutu a détruit tous  les monuments et lieux historiques de cette époque, il a voulu tirer un trait sur tout ce qui rappelait la colonisation. C’est un problème, car un peuple sans repères se perd comme on dit.

Le règne de Mobutu durera 32 ans, mais rapidement des contestations s’élèvent. En 1994, le génocide des tutsis par les hutus au Rwanda voisin déchire le pays et a des répercussions sur toute la région. Lorsque la situation s’inverse, près d’un million de hutus rwandais - dont certains complices de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pendant le génocide - se réfugient à l’est du Congo, dans la province du Kivu. Le gouvernement tutsi de Kagamé, soutenu et financé par les Américains et par l’Ouganda, lance des attaques contre les réfugiés hutus et appuie les mouvements d’opposition au régime de Mobutu au sein de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL).

En 1997 les  rebelles anti-Mobutu prennent rapidement le contrôle de la capitale Kinshasa, et installent leur leader Laurent-Désiré Kabila à la tête de la République Démocratique du Congo. Pour beaucoup, ce remaniement des cartes du pouvoir aurait de nouveau été perpétré par l’occident par l’intermédiaire du Rwanda de Kagamé, soupçonné d’avoir fourni une aide militaire au rebelle Kabila en échange d’accords sur l’exploitation des ressources naturelles congolaises.

Après deux ans passés au pouvoir, Laurent-Désiré Kabila prend ses distances vis-à-vis de Kagamé. Le désordre dans le pays s’aggrave, la RDC se transforme en un immense champ de bataille : à l’ouest le Gouvernement Kabila soutenu par l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie ; dans le reste du pays et particulièrement à l’est, des groupes armés avides de pouvoir et de richesses. Kabila-père meurt assassiné en 2001.

Son fils Joseph Kabila lui succède, mais malgré de nombreuses tentatives d’accords de paix, la guerre n’est toujours pas achevée et le pays reste à la merci des mouvements d’alliances entre factions rebelles dont les revendications et allégeances se font de plus en plus floues.

Le conflit à l’est : origines, réalités et persistances

Aux origines du conflit

Les forces en présence

Les combats à l’est opposent plusieurs milices rebelles aux Forces Armées de la RDC, l’armée officielle. Même pour les Congolais, il est parfois ardu de discerner les différents groupes et les nouvelles alliances du fait de leur extrême mouvance et de leur volatilité. Les alliances évoluent sans cesse tandis que de nouveaux groupes apparaissent constamment. Certains sont soutenus par le Rwanda, d’autres par l’Ouganda. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda sont l’un des groupes les plus actifs mais aussi les plus incontrôlables composé de réfugiés hutus rwandais. Le M23, quant à lui, est issu d’une scission d’un ancien groupe rebelle, le CNDP, qui avait obtenu des promesses de la part de Kabila qui ne les avait pas respectées. Les FARDC aidées de l’ONU auraient finalement réussi, fin 2013, à vaincre ces rebelles qui avaient réussi à s’emparer de plusieurs villes importantes de l’est du pays,  mais rien n’est encore assuré.

Les Rwandais

Pour la plupart des Congolais, l’élément déclencheur de ce conflit sans fin qui ravage l’est de la RDC a été l’exil des hutus rwandais. Si le degré de responsabilité des hutus n’est que difficilement vérifiable, il semble pourtant clair que le lien causal entre le génocide rwandais et le conflit congolais a engendré une image peu glorieuse des hutus, celle d’intrus sur le territoire congolais, qui ont émigré pour se protéger et ont été accueillis, mais qui revendiquent aujourd’hui abusivement les territoires où ils se sont installés. Pour la population congolaise, cette attitude n’est autre que le témoin du désir ancien du Rwanda d’annexer l’est du Congo, qui regorge de richesses autant que le Rwanda est pauvre en ressources. Cependant, il reste important de souligner qu’on ne peut pas parler de « haine du hutu ». Un quidam congolais n’a pas de mal à côtoyer un hutu, c’est la politique des élites qui dérange et qui engendre cette image de fauteurs de trouble, d’autant plus que les hutus sont peu nombreux, mais occupent des postes clés, ce qui génère de la frustration et des soupçons de favoritisme.

Les Congolais face à la guerre

La guerre à l’est

Aujourd’hui on peut dire que la RDC est divisée en deux parties : l’est et l’ouest. A l’est, le pays est ravagé par les combats impliquant une multitude de milices et les Forces armées de la RDC (FARDC), qui se livrent à une guérilla sans merci ponctuée de pillages – notamment des mines d’or, de coltan, et de minerais – mais aussi de nombreuses exactions sur les populations civiles. Les persécutions sont perpétrées à la fois par les rebelles et par les forces du gouvernement qui ne sont qu’une masse désunie et disparate très mal payée et d’aucun secours pour les civils. Les violences sont de plusieurs ordres : viols et violences sexuelles contre les femmes et les enfants,  torture, exécutions sommaires, pillages, pillonnage d’enfants ou encore enrôlements forcés d’enfants soldats et d’esclaves sexuels. Face à ce déchaînement de violences que rien ne semble pouvoir maîtriser, les populations sont démunies et n’ont d’autre choix que la fuite : le nombre de réfugiés et de déplacés ne faiblit pas depuis le début du conflit.

Le reste du pays

La partie ouest du pays est mieux maîtrisée par les forces du gouvernement et globalement à l’abri des combats. La guerre n’y est pas directe mais pourtant présente. La capitale est ponctuellement touchée par les combats mais continuellement sujette à un climat d’insécurité et d’instabilité. Pour l’ensemble des Congolais, la guerre est omniprésente : « l’Est est comme une partie du corps, quand tu as mal quelque part, la douleur est localisée, mais c’est tout le corps qui la ressent ; si tu as mal au genou tu ne peux pas marcher ». La guerre impacte tout le pays, mine la confiance dans les compatriotes et dans les dirigeants. Tant que la situation à l’est ne sera pas pacifiée durablement, le pays ne pourra pas fonctionner.

La persistance d’un conflit insolvable ?

La persistance de ce conflit et les difficultés à améliorer la situation malgré plusieurs tentatives d’accords de paix relèvent de plusieurs explications.

L’attrait des ressources

L’explication le plus souvent avancée par les Congolais est liée aux nombreuses ressources dont regorge le pays. Ces ressources font le malheur du pays car elles attirent les convoitises, à la fois des groupes armés et des investisseurs étrangers. Les groupes armés profitent de la faiblesse des forces gouvernementales et de leur lenteur de réaction pour prendre possession des mines par la force ; leur mode opératoire est souvent des plus simples : ils exterminent les villageois récalcitrants  et exploitent les plus dociles pour  extraire les minerais et autres ressources disponibles, les payent une misère puis revendent ces matières premières au plus offrant. C’est ainsi que les multinationales étrangères peuvent se fournir en matière première à bas prix mais payées de leur sang par les congolais. Pour eux, les richesses de leur pays sont littéralement pillées et volées par les multinationales étrangères et par les Rwandais, et l’injustice de cette situation n’a d’égal que leur impuissance et leur résignation.

Les dirigeants occidentaux organisent entre eux le pillage des ressources et des populations dans le seul but de s’enrichir car en Europe, ils n’ont plus de richesses, ils doivent les trouver ailleurs.

Une armée faible

Le conflit semble également insolvable pour beaucoup de Congolais du fait de la faiblesse des forces armées du gouvernement. Malgré plusieurs tentatives de restructuration de son armée et notamment l’intégration d’anciens combattants rebelles vaincus1, Kabila n’est à la tête que d’un groupe disparate d’hommes aux intérêts divergents, qui faute d’être payés n’hésitent parfois pas à se livrer aux mêmes exactions que les rebelles qu’ils combattent. La faiblesse de cette armée ne permet donc pas de répondre aux attaques rebelles de manière suffisamment sévère pour faire faiblir les combats. De plus, le « brassage » organisé par Kabila se résume bien souvent à l’intégration de rebelles aux FARDC en échange d’une somme d’argent ou de postes importants, un octroi de privilèges qui n’est pas pour rien dans l’apparition continue de nouveaux groupes armés, avides de pouvoir et d’élévation sociale.

La situation politique en RDC

La RDC est actuellement dirigée par son président Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001, élu en 2006 puis réélu en 2011. La constitution congolaise n’autorise que deux mandats consécutifs mais nombreux sont les Congolais réalistes quant au pouvoir de Kabila : il détient la majorité absolue à l’assemblée et modifier la constitution à son avantage serait et sera sûrement chose aisée pour lui. Toutefois la gestion de Kabila est plutôt contestée, notamment par les Congolais eux-mêmes qui déplorent la corruption de son gouvernement et le favoritisme systématique qu’il opère en faveur de son ethnie, mais également par la communauté internationale qui par l’intermédiaire de John Kerry a dissuadé Kabila de briguer un troisième mandat.

La présidence de Kabila est également entachée de fraude, ce qui n’est pas pour améliorer son image auprès des Congolais. En 2006, il a bénéficié d’un fort soutien populaire dans beaucoup de régions, notamment au Katanga et au Kivu, mais en 2011 ce soutien n’était que marginal. Pourtant sa victoire, si l’on en croit les résultats officiels, a été écrasante. Les Congolais sont conscients des fraudes, des bourrages d’urnes et de la malhonnêteté de ceux qui les gouvernent, mais le sentiment d’impuissance domine. Kabila dirige l’armée, la police, et n’hésite pas à s’en servir pour réprimer durement les voix contestataires qui osent murmurer leur indignation. Malgré le nombre de témoins (notamment des associations) qui ont pu constater la défaite dans les urnes de Kabila en 2011, nul ne semble en mesure de l’empêcher de se présenter à nouveau.

Face à cet autoritarisme, les partis d’opposition semblent bien impuissants. Même si le soutien populaire ne leur fait bien souvent pas défaut, ils sont souvent peu armés – au sens propre comme au figuré – pour faire face au parti au pouvoir. L’UDPS, principal parti d’opposition qui prône le nationalisme et le retour au pouvoir des « vrais » congolais souffre ces dernières années d’un manque de leadership, son leader Etienne Tshisekedi commençant à prendre de l’âge et à perdre de sa ferveur. En conséquence, personne ne semble pouvoir incarner et unifier suffisamment l’opposition pour que sa voix pèse sur la scène politique et que les revendications de milliers de Congolais qui la soutiennent soient enfin prises en considération. En outre, l’action des partis d’opposition est considérablement freinée par la répression orchestrée par la majorité au pouvoir. Malgré un pluralisme de façade, la plupart des manifestations et meetings politiques sont interdits, les arrestations et détentions arbitraires (accompagnées de tortures) de membres de l’opposition sont monnaie courante. Être actif politiquement constitue un réel danger pour les militants de l’opposition et pour leur entourage qui vivent dans une insécurité permanente.

L’opposition au régime de Kabila n’est pas que politique, elle prend parfois la forme de marches populaires qui rassemblent de nombreux citoyens congolais désireux d’exprimer leur mécontentement mais aussi d’interpeller la communauté internationale pour provoquer une réaction de sa part, comme une mise en application de ses principes de respect des droits de l’homme. Des associations cherchent également à mettre en place des groupes de parole, de réflexion et d’action pour organiser une résistance et faire bouger la situation, mais ces initiatives comme les marches populaires restent fortement muselées par le gouvernement et très risquées pour les participants. Pour autant, contrairement à d’autres pays comme la Côte d’Ivoire qui compte des artistes militants comme Alpha Blondy ou Tiken Jah Fakoly, le milieu de la musique, si importante en RDC, est moins militant que corrompu et acheté par le gouvernement, si bien qu’une des actions les plus importantes de la diaspora congolaise en France a été d’empêcher la tenue de leurs concerts en signe de réprobation.

La lutte politique et citoyenne contre la mal gestion du gouvernement est aussi rendue complexe et risquée par le peu de cas qui est fait de la liberté d’expression en RDC. Les seuls médias qui couvrent l’ensemble du territoire national sont ceux contrôlés par le gouvernement et personne n’est dupe quant à leur neutralité et à leur indépendance : leurs programmes vantent constamment les projets et grands travaux de Kabila (victoire contre une milice à l’est, construction d’infrastructures, etc.) mais n’évoquent jamais les défauts pourtant nombreux de sa politique. Il existe de petits médias indépendants mais leur durée de vie est souvent éphémère du fait des menaces, arrestations ou suspension des programmes qui pèsent sur les médias et journalistes qui osent « démoraliser les soldats ou la population », selon le prétexte officiel mentionné dans les directives du gouvernement.

Corruption et mal gestion : le Congo de Kabila

La corruption est l’un des principaux problèmes qui minent la RDC ; l’argent est systématiquement détourné par les hommes de pouvoir. Les gens qui dirigent sont intelligents et compétents mais n’ont pas de conscience ; une fois au pouvoir, ils perdent de vue l’intérêt général pour ne défendre que leurs intérêts personnels. Plusieurs études ou enquêtes de journalistes étrangers ont révélé les sommes exorbitantes que gagnaient les élites congolaises ; Kabila lui-même possède une fortune incommensurable et des maisons aux quatre coins du monde. L’instabilité politique liée à la guerre à l’est pousse les politiciens à assurer leurs propres arrières plutôt que celles des millions de Congolais qu’ils sont censés protéger.

En conséquence de la corruption et du détournement de fonds systématique, les milliards brassés par le gouvernement – entre les revenus de l’économie, les impôts, l’argent du trafic des ressources ou encore les aides internationales – ne profitent absolument pas aux congolais.

Le problème principal au Congo, c’est que les hommes au pouvoir ne pensent qu’à eux, à leur survie et à leur avenir, ils ne pensent pas à l’avenir des générations futures comme on le fait en occident, c’est pour cela qu’il n’y a pas d’investissements, de construction d’infrastructures et d’amélioration du quotidien de congolais, parce que personne ne voit plus loin que son propre avenir, en tout cas pas ceux qui dirigent le pays.

Kabila entreprend des travaux régulièrement, comme la construction de routes, d’infrastructures, des rénovations de quartiers, mais ces aménagements sont loin d’être suffisants pour les Congolais qui dénoncent – notamment à travers l’opposition – un pseudo développement de façade, qui se limite à la capitale, comme une vitrine de développement. Et en effet de nombreuses difficultés persistent : les services publics congolais sont quasiment inexistants, tous les soins médicaux sont payants et les hôpitaux publics souvent sous-équipés, l’école est payante à tous niveaux ce qui conduit à un taux d’analphabètes problématique chez les nouvelles générations, il n’existe aucun réseau de transport public, et l’électricité fait souvent défaut avec un fonctionnement par alternance entre les quartiers.

Le favoritisme est aussi un fléau car pour accéder aux postes importants, le réseau est plus efficace que le mérite ou les compétences. La corruption est aussi de mise pour ce qui est de  la vie politique : dès qu’un opposant à Kabila commence à se faire remarquer et exprime à haute voix des critiques vis-à-vis de la mauvaise gestion du pays, on achète son silence par des pots-de-vin et des promotions à des postes importants de l’administration. C’est pour cela que l’opposition n’a que peu d’influence, elle ne dure jamais très longtemps car pour ceux qui détiennent le pouvoir et les richesses, tout s’achète. Pour les congolais, ce qui semble faire défaut à la gouvernance congolaise c’est finalement une vision à long terme et un moyen de contrôle sur les dirigeants pour s’assurer que leur objectif principal reste le bien-être de tous.

Le Congo est un pays grand comme 4 fois la France, 80 fois la Belgique et potentiellement riche, mais les richesses sont mal redistribuées et l’économie n’est pas bien gérée.

L’ingérence étrangère : entre nécessité et fléau

L’implication d’acteurs étrangers en RDC est installée de longue date, mais elle est de plusieurs ordres.

Le premier type de présence étrangère en RDC sont les ONG ou organisations internationales en mission humanitaire, pour porter assistance aux victimes directes des combats, à l’est surtout donc. Cette aide extérieure est relativement bien accueillie car c’est une nécessité pour les nombreuses victimes des combats, au Kivu en particulier.

Mais les missions des organisations ne sont pas seulement humanitaires, la RDC est aussi le théâtre d’accueil de la plus grosse opération de maintien de la paix de l’ONU avec 20 000 casques bleus présents sur le terrain. Pourtant leur impact sur le conflit reste faible malgré leur présence depuis les premiers temps du début de la guerre, et les quelques cas recensés d’exactions à l’encontre des populations maltraitent encore plus leur crédibilité en matière d’assistance aux victimes et de protection des populations.

Le second visage de la présence étrangère en RDC est à la fois politique et économique, et indéniablement plus sombre. En effet, nombreuses sont désormais les preuves que la guerre en RDC profite aux multinationales occidentales qui n’hésitent pas à saisir cette opportunité. Car cette situation chaotique qui dure depuis maintenant plus de 15 ans permet aux multinationales d’avoir un accès privilégié aux ressources naturelles prodigieuses dont regorge le territoire congolais. L’extraction des ressources par des milices permet d’obtenir les matières premières à un prix défiant toute concurrence.

Le Congo est victime de lui-même : de par sa richesse, tout le monde veut venir y puiser quelque chose, tout le monde veut venir prendre sa part de gâteau.

Au vu de cette situation, nombreux sont les congolais à entrevoir un cynique  schéma occidental plus large : si cette situation de guerre est si prolifique pour les multinationales et pour l’économie occidentale, pourquoi ne pas l’entretenir ? C’est ainsi que beaucoup en viennent à penser que la guerre est entretenue volontairement par l’Occident dans le but de profiter des richesses congolaises. Cela expliquerait d’ailleurs le fait que l’Occident ferme les yeux face aux fraudes électorales, aux violations des droits de l’homme, à la mal gestion et à la corruption du régime de Kabila : ce dernier ne maîtrise pas son territoire et n’est pas en mesure de mettre fin à la guerre, or maintenir un maillon faible au pouvoir tout en armant les milices qui lui font face permet à l’Occident de maintenir la guerre, et de continuer à profiter de la situation.

Pourtant, ce qui surprend dans ce noir tableau de l’Occident est l’espoir que continuent de placer les Congolais dans les instances internationales. Car les Congolais sont convaincus que seules les puissances étrangères peuvent améliorer leur situation, c’est pour cela que leurs actions en faveur de la paix (marches et manifestations) sont toujours destinées à interpeller la communauté internationale dans l’espoir qu’elle interfère en leur faveur.

Quel avenir pour la RDC ?

Pour les congolais, la sortie de guerre ne peut se faire que par étapes et sur le long terme. La priorité est de mettre un terme aux conflits directs de l’est du pays. Mais pour qu’enfin la situation se calme, la solution serait que les autorités reprennent le contrôle effectif du territoire et parviennent à rétablir l’ordre et à le faire respecter durablement. Derrière cela, il y a l’idée de rendre le territoire aux Congolais, et de parvenir à se faire respecter à la fois par les voisins comme le Rwanda mais aussi l’Ouganda, mais également par les puissances occidentales pour en finir avec l’ingérence.

La priorité en RDC est de garantir la paix, pour cela, le pays a besoin d’un Etat fort et d’un leader nationaliste, qui contrôle l’intégralité de son territoire et qui maintienne l’ordre dans le pays.

Or la seule  solution pour à la fois stopper les conflits et parvenir à maintenir l’ordre et l’unité du territoire, serait que l’armée se renforce et se restructure. Les FARDC actuelles ne sont pas assez organisées et unies pour rétablir et maintenir l’ordre (les soldats sont à peine payés et fortement démobilisés). C’est donc un travail de fond et de longue haleine qu’il faut d’abord entreprendre.

Pour mener à bien cette restructuration, les Congolais ne font bien entendu pas confiance à Kabila qui a prouvé depuis longtemps déjà qu’il n’était pas en mesure d’apporter le changement nécessaire. La RDC a besoin d’un renouveau, qui pourrait se concrétiser par l’arrivée au pouvoir d’un homme  providentiel. Cet homme devrait agir par amour pour son pays et de manière désintéressée, pour le bien de ses compatriotes et non dans le but de servir ses intérêts ou ceux de ses proches ou de son ethnie. Pour l’heure, cet homme ne semble pas pouvoir venir des partis d’opposition qui sont affaiblis et dont les leaders s’essoufflent. Même s’il est primordial qu’un nouveau leader soit soutenu par la population, une position réaliste serait qu’il soit aussi en mesure de satisfaire l’Occident tout en se faisant respecter. Ça n’est qu’après avoir fait stopper les combats et redonné de l’espoir à un peuple congolais uni que la situation globale du pays pourra s’améliorer et qu’il sera possible de construire une paix totale et durable.

Si au départ on a tous le même objectif, la même conscience, et qu’on place les bonnes personnes avec un bon état d’esprit, je ne vois pas pourquoi nous aurions encore des ennuis. L’union fait la force, c’est comme cela que nous pourrons résister aux gens de l’extérieur qui veulent profiter de notre pays.

Un autre aspect important à prendre en considération et la possibilité de laisser la RDC évoluer dans sa propre voie. Le peuple congolais a besoin de retrouver sa fierté et son unité et c’est donc par ses propres moyens, en organisant des meetings, des concertations etc. qu’il doit décider de la manière dont vont se régler ses incohérences, et non en suivant aveuglément une voie dictée et imposée par autrui, pas forcément adaptée à la réalité du pays et à la mentalité de ses citoyens. C’est grâce au consensus, au dialogue et en gardant les gens positifs et animés de bonne foi qu’il sera possible de trouver la meilleure manière d’évoluer : les élections, la cooptation, le référendum ? L’important est de trouver ce qui est le plus adapté, et non pas d’appliquer coûte que coûte une forme de démocratie sous prétexte qu’elle fonctionne ailleurs.

Quand on commence à prêcher, à s’opposer aux manières de faire on dit : « ah vous pensez que vous allez changer les choses ? » les gens sont habitués, indifférents.

Pour un jour arriver à créer un climat favorable à ce genre de réflexions, il est pour l’heure important de mobiliser les opinions, que ce soit celle des Congolais ou celle du monde entier. La guerre en RDC a fait plus de 6 millions de morts, et pourtant personne n’en parle. Le plus important semble surtout de redonner confiance aux Congolais eux-mêmes. Un changement de mentalité doit s’opérer, pour que les congolais prennent conscience de l’importance de leur pays, de sa richesse et de sa puissance potentielle, qu’ils se mettent à agir pour le bien de leur pays et pour celui de leurs concitoyens et non seulement pour le leur, et qu’alors ils intériorisent que c’est à eux qu’il incombe de s’unir pour enfin être entendu  et respecter et mener leur pays dans la direction qu’ils souhaitent.

Nous sommes dans un monde de coopération internationale, le monde est devenu comme un petit village, on a donc intérêt à coopérer, mais de bonne manière et pour cela nous devons être forts crédibles et sérieux pour être respectés.

La RDC a le potentiel d’un état fort mais doit en prendre conscience pour s’affirmer et se faire respecter sur la scène internationale pour enfin entrer dans une ère de coopération et affirmer sa souveraineté aux yeux du monde.

Je ne suis pas d’accord avec les gens qui disent qu’on ne peut pas évoluer sans la communauté internationale et les étrangers, mais est-ce que la France vit de la communauté internationale ? non ils coopèrent. Nous devons prendre notre situation et notre destin en mains.

« L’Afrique à la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve au Congo. » Frantz Fanon

Notes

  • Analyse réalisée dans le cadre d’une étude complémentaire à l’Indice Passy-Dunant mis au point par l’association Modus Operandi, et en coopération avec l’association Accueil Demandeurs d’Asile, à Grenoble.

  • Lettrine : Image tirée de l’hebdomadaire d’actualités « Le Congolais » (www.lecongolais.cd/balkanisation-la-jeunesse-congolaise-face-a-son-destin/)

  • 1Opération que l’on a appelé le « brassage ».

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