Fiche d’analyse

, France, septembre 2015

Dimension humanitaire de désarmement nucléaire et danger du nucléaire militaire en France

L’approche humanitaire est devenue centrale dans les discussions sur le désarmement nucléaire. La rareté de l’information en France semble être liée au culte du « secret défense » qui règne d’une manière générale sur le nucléaire militaire. Mais l’absence d‘information officielle ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’accidents nucléaires militaires.

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L’approche humanitaire est devenue centrale dans les discussions sur le désarmement nucléaire. Elle repose sur les risques de détonation d’une arme par un acte volontaire, accidentel ou malveillant. Des risques connus puisque de nombreux cas ont été répertoriés aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Russie. La rareté de l’information en France semble être liée au culte du « secret défense » qui règne d’une manière générale sur le nucléaire militaire. Mais l’absence d‘information officielle ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’accidents nucléaires militaires. Du reste, si les effets d’une détonation nucléaire sont largement partagés, cette approche est vivement critiquée par les diplomates et les think tank français. Une critique qui porte à la fois sur les arguments et sur la finalité qui vise à éliminer les armes nucléaires…

Introduction

La France livre depuis près de cinq années un combat diplomatique fort contre ce que l’on nomme « la dimension humanitaire » du désarmement nucléaire ou encore « l’approche humanitaire ». Pour Paris, cette approche vise uniquement à stigmatiser et ne peut pas s’inscrire dans la démarche d’un processus de désarmement nucléaire étape par étape. Son opposition est sans appel contre cette voie ouverte par différents États (Autriche, Mexique, Norvège…). La France reconnaît évidemment « les effets dévastateurs de l’usage d’armes nucléaires » et c’est pour cette raison qu’elle mentionne que sa dissuasion est purement défensive. Le problème, c’est que cette approche humanitaire porte aussi son regard sur deux autres risques qui sont également susceptibles de provoquer des conséquences désastreuses. Ce sont les cas d’une détonation d’une ou de plusieurs armes nucléaires de manière accidentelle ou malveillante. Ces deux cas sont totalement ignorés par la France.

Pourtant, les rapports des puissances nucléaires américaines, russes et britanniques démontrent que des centaines d’accidents techniques, des erreurs humaines et des manquements aux respects des normes de sécurité ont eu lieu depuis 1945. Les armes n’ont heureusement jamais détonné, en grande partie grâce au « facteur chance », comme le montre le rapport « To close to confort »1. Le risque ne peut donc être nié et a été démontré à différentes reprises lors des trois conférences intergouvernementales 2sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires. Si le degré de sécurité des ogives nucléaires françaises est optimal, on peut s’étonner du caractère virulent contre cette dimension humanitaire qui est réalisée par sa diplomatie mais aussi par les think tanks français. En réalité, on peut s’interroger sur le fait de savoir si ce refus de comprendre ce risque et d’entendre les craintes des États non nucléaires n’est pas lié à la manière dont la France a géré et caché d’une manière générale le sujet du risque nucléaire militaire. Si des informations complètes venaient en effet montrer que des évènements ont remis en cause la sécurité des ogives nucléaires, alors les chercheurs, la communauté politique et par effet domino sans doute les diplomates seraient dans l’obligation d’aborder d’une autre manière cette approche humanitaire.

1. L’approche humanitaire

L’horreur des explosions nucléaires sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki (6 et 9 août 1945), principalement relatées et étayées par les équipes du Comité international de la Croix-Rouge, fit naître une prise de conscience forte sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires.

Cette notion resta toujours présente dans le mouvement des ONG mais c’est avec le plan d’action du document final de la 8e Conférence d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) que les États s’en sont pleinement emparés : « La Conférence se dit vivement préoccupée par les conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire qu’aurait l’emploi d’armes nucléaires et réaffirme la nécessité pour tous les États de respecter en tout temps le droit international applicable, y compris le droit international humanitaire ».

Trois conférences intergouvernementales sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires se sont tenues (Oslo, Nayarit et Vienne) entre 2013 et 2014, dans l’objectif d’apporter des informations et des ressources aux États sur les dangers et les risques de détonation d’un dispositif nucléaire militaire que ce soit par accident, par malveillance ou par intention. Chaque fois, le nombre d’États présents augmenta passant de 127 à 146 et enfin à 156 États.

Troisième conférence intergouvernementale sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, Vienne, 8 décembre 2014 (source : ministère des Affaires étrangères autrichien)

Tous les États qui ont participé à ces conférences ne partagent pas l’objectif de l’élimination des armes nucléaires. Mais la raison de l’engagement d’un nombre croissant d’États résulte d’une prise de conscience de leur insécurité devant l’existence de milliers d’armes nucléaires à travers le monde. Les conclusions entendues, répétées et accentuées au cours des trois conférences confirmèrent ces craintes :

  • Les armes nucléaires sont uniques de par leur pouvoir destructeur et les souffrances horribles qu’elles provoquent. Leur utilisation, même à une échelle restreinte, aurait des conséquences catastrophiques et durables pour la santé humaine, l’environnement, le climat, la production alimentaire et le développement socio-économique.

  • Les impacts que ces armes ont sur la santé peuvent durer des décennies et affecter les enfants des rescapés par les dommages génétiques causés à leurs parents. Cette évidence a été confirmée lors de l’emploi et des essais d’armes nucléaires.

  • Il n’existe aucun moyen efficace permettant d’aider une grande partie des rescapés d’une explosion nucléaire, tout en protégeant convenablement ceux qui apportent une assistance, dans la plupart des pays ou au niveau international.

  • Les conséquences humanitaires de l’explosion d’armes nucléaires ne se limiteraient pas aux États où elle se produit, les autres États et leur population seraient également touchés. Ainsi, la persistance des armes nucléaires et l’éventuel risque de leur emploi intentionnel ou accidentel sont et doivent être une préoccupation pour le monde entier.

En parallèle de ces conférences non onusiennes, cette approche fut largement relayée dans la conférence du désarmement, les conférences préparatoires du TNP (2012, 2013, 2014) et les réunions de la première commission de l’ONU. Cela s’est traduit par des déclarations intitulées tour à tour « dimension humanitaire du désarmement nucléaire », « impact humanitaire des armes nucléaires », « conséquences humanitaires des armes nucléaires » prononcées par la Suisse, l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Autriche. Le nombre d’États endossant ces déclarations n’a cessé d’augmenter. Ainsi, seuls 16 États supportèrent en 2011 la déclaration de la Suisse3 et en 2015, ils sont 159 à contresigner la déclaration autrichienne.

1.1. La France et l’approche humanitaire

La France a toujours été extrêmement critique envers cette approche humanitaire, comme le montre l’annonce, le 16 janvier 2013, du ministère des Affaires étrangères, de sa non-participation à la conférence d’Oslo : « La France n’ira pas à Oslo car le problème actuel est celui de la prolifération. Une conférence sur le désarmement humanitaire est suicidaire pour le désarmement nucléaire, c’est une erreur mentale car elle va faire plaisir aux bonnes âmes et seulement embêter les diplomaties françaises et britanniques, car de toute façon les autorités de l’État ne bougeront pas. Ceux qui s’amuseront bien sont les Pakistanais, les Iraniens, les Chinois… Le risque aujourd’hui, c’est une bombe tactique pakistanaise. Sortir la prolifération du débat est une erreur de raisonnement. » L’ambassadeur à la conférence du désarmement, Simon-Michel, fixa la ligne diplomatique française au Sénat en janvier 20144 : « Cette approche humanitaire vise à stigmatiser les États dotés et n’est donc pas une approche pragmatique qui est tournée vers l’action. L’action s’entendant par la mise en place d’un processus de désarmement étape par étape. Cette approche ne mène nulle part. Elle risque au contraire de faire dévier le désarmement nucléaire de la feuille de route tracée par le plan d’action TNP de 2010. »

Il faut relever que dans toutes ses interventions, la France exclut totalement les risques de détonation accidentelle et malveillante d’une arme nucléaire de son arsenal et ne porte son attention que sur le risque d’usage volontaire. À ce titre, même si elle dit avoir conscience des conséquences d’une telle détonation, elle indique que sa doctrine nucléaire est basée sur le non-emploi. D’ailleurs, le Président de la république dans son discours sur la dissuasion (Istres, 19 février 2015) a pris soin de mentionner que « l’arme nucléaire n’a pas sa place dans le cadre d’une stratégie offensive, elle n’est conçue que dans une stratégie défensive » en raison de ses « effets dévastateurs » !

On notera que cette dernière expression est une autre manière de dire « conséquences humanitaires catastrophiques » ; un élément de langage qui appartient aux partisans de l’approche humanitaire.

1.2. L’approche humanitaire : un débat légitime ?

Outre le rejet de cette approche par l’État français, il faut noter qu’elle a été aussi totalement ignorée par les think tanks nationaux. Seule la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) via Bruno Tertrais5 (maître de recherche) très impliqué et proche des autorités diplomatiques, a publié6 sur ce thème, en soulignant la position officielle qui tend à décrédibiliser l’approche humanitaire. L’auteur remet ainsi en cause cette approche, car elle tend à « dépasser la logique traditionnelle, progressive, des traités, qu’il s’agisse de la mise en oeuvre du TNP, de l’entrée en vigueur du TICE, de la négociation d’un Traité d’interdiction de la production de matières fissiles à des fins explosives (TIPMF) ». C’est une évidence ! L’objectif est d’accélérer et de faire avancer le processus de désarmement nucléaire, aujourd’hui inscrit par les puissances nucléaires dans une politique dite d’étape par étape. Les partisans de l’approche humanitaire remettent en cause ce « temps long » au vu des différents risques de détonation. De plus, force est de constater que cette logique traditionnelle ne fonctionne pas, vu la non-avancée des travaux sur un TIPMF depuis bientôt vingt ans à la conférence du désarmement, l’absence de l’entrée en vigueur du TICE, l’absence du respect des 13 étapes du plan d’action de 2000 ou encore des différentes mesures du pilier désarmement du plan d’action de 2010.

Les arguments avancés sur les risques (hiver nucléaire) en cas de détonation nucléaire ne lui semblent être guère convaincants et seraient largement discutables. Ainsi, le scenario présenté lors de la conférence de Nayarit d’une guerre régionale nucléaire7 entre l’Inde et le Pakistan engendrant une famine mondiale, lui apparaît comme « particulièrement extrême et discutable » bien qu’il reconnaisse qu’il soit concevable ! Pourtant ce qui lui semble impossible est bien prévu par New Delhi et Islamabad. Ces deux États ont des arsenaux nucléaires et les renforcent dans le but de les utiliser si besoin contre l’autre. C’est d’ailleurs ce que vient d’exprimer l’actuel ministre de la Défense du Pakistan Khawaja Asif8, mais c’est aussi la pensée de Bruno Tertrais9 qui indique dans une récente tribune : « Le risque le plus fort est sans doute celui d’un emploi délibéré de l’arme nucléaire par le Pakistan. Le scénario n’est pas difficile à imaginer : un nouvel attentat terroriste en Inde du même type de celui de Mumbai (2008) ; la mobilisation des forces du pays par le gouvernement nationaliste de M. Modi ; une crise qui s’envenime et débouche sur une action militaire indienne sur le territoire pakistanais ; l’escalade des deux côtés… ».

Cependant, même en admettant que ce scenario soit « discutable », on peut s’interroger sur cette notion, car que cela recouvre-t-il exactement : le nombre de morts du scénario ? L’étendue de la famine ? Les conséquences globales ?

Il remet également en cause l’argumentation de « l’impossibilité de faire face à un évènement nucléaire majeur », malgré le fait que différents experts lors des trois conférences humanitaires aient démontré le contraire… Enfin, il s’étonne de voir que les humanitaires sont en « décalage avec les réalités stratégiques ». Ainsi, pourquoi s’appuient-ils sur des argumentaires juridiques classiques comme l’absence de distinction entre civils et combattants ou encore l’impossibilité d’appliquer le critère de proportionnalité à partir du moment où « les pays qui évoquent publiquement leurs principes de planification nucléaire (France, États-Unis, Royaume-Uni) ont fait savoir, depuis longtemps, que leur dissuasion ne visait plus les villes (et encore moins les populations) en tant que telles » ? Le problème devant cette argumentation qui reste politique, est qu’elle écarte la posture de six autres États nucléaires, ce que ne font pas les humanitaires !

Concernant les États-Unis et le Royaume-Uni, il est vrai que leur système de planification incorpore depuis 1973 la notion de ne pas viser délibérément des populations civiles. La France elle reste dans un certain flou. En janvier 2006, le président Chirac indiquait (discours de l’île Longue) que la France était « en mesure d’infliger des dommages de toute nature », sous-entendant que les villes et leur population pouvaient être visées. Jusqu’à ce jour, ce terme ne semble pas avoir été réutilisé, mais cela n’indique pas pour autant un refus de cette posture. Une clarification serait nécessaire. Le président Hollande a sans doute tenté d’apporter dans son discours d’Istres (19 février 2015) une réponse. Il a mentionné que seul « les centres de pouvoir, c’est-à-dire, sur ses centres névralgiques, politiques, économiques et militaires » seraient visés. Mais il apparaît évident que ces lieux se trouvent dans des zones urbaines, donc les populations sont toujours des cibles potentielles.

Malgré ces allégations politiques et la précision annoncée des systèmes d’armes nucléaires des trois États cités, la remarque d’un ancien général nous ramène au caractère terrifiant de cette arme : il ne faut « pas que l’on puisse imaginer des frappes nucléaires sans effets collatéraux sévères. D’ailleurs vouloir dissuader un adversaire en laissant croire que l’on ne fera de mal à personne est une absurdité ».10

L’approche humanitaire est donc clairement stigmatisée en France à la fois par l’État, mais aussi par le principal think tank travaillant sur ses questions stratégiques – la FRS.

2. Accidents nucléaires et secret militaire

L’approche humanitaire met en avant trois cas de risques qui peuvent enclencher une détonation d’une arme nucléaire. L’acte volontaire qui implique la décision d’un État contrairement à l’acte de malveillance qui émane d’une volonté externe aux responsables en charge des armes nucléaires (terrorisme).

Le troisième cas est l’accident11, qui peut être le résultat d’une faille de sécurité, de contrôle des armes ou encore d’une mauvaise décision qui entraînera une erreur aux conséquences potentiellement dramatiques. De nombreux cas ont été recensés pendant la Guerre froide, mais de récents évènements montrent que ce risque d’accident nucléaire reste toujours possible. Si l’on observe les cas connus dans les États dotés, on peut par exemple citer :

  • Des pertes de bombes lors de crashs ;

  • Des mauvaises communications d’ordre ;

  • Des accidents à bord de sous-marins nucléaire lanceur d’engins (SNLE) ;

  • Des failles importantes de sécurité sur des sites nucléaires ;

  • Des transports d’armes non autorisés.

Les accidents les plus graves ont entraîné la dissémination de matières fissiles sur des zones habitées (Palomares en 1966) ou quasi désertique (Thulé 1967) polluant l’environnement. À ce jour, il apparaît que le facteur chance fut la raison qui a permis d’éviter l’enclenchement de la détonation d’armes nucléaires, comme le montra l’accident de Goldsboro (24 janvier 1961) aux États-Unis.

Contrairement aux nombreuses informations disponibles sur les accidents qui se sont déroulés aux États-Unis, en Russie et au Royaume-Uni, l’opacité sur ce sujet en France a toujours été très grande. Il en est de même pour la Chine, l’Inde et le Pakistan. Il n’a jamais été reconnu officiellement en France le moindre accident concernant des armes nucléaires depuis la mise en oeuvre en 1964 des premières bombes nucléaires AN-21 sur la base aérienne de Mont-de-Marsan. Sans sous-estimer les nombreux systèmes de sécurité redondants (humains et techniques) qui entourent les armes nucléaires françaises, ce « zéro accident » est surprenant. Le nombre d’accident est évidemment plus élevé aux États-Unis et en Russie, États qui ont toujours disposé des plus grands arsenaux nucléaires. Mais les Britanniques qui possèdent un arsenal plus petit que la France, depuis le milieu des années 1980, ont aussi connu leur lot d’accidents12 après cette période.

Quelles sont les raisons de cette absence d’information sur des cas ou les armes nucléaires françaises auraient été exposées à un danger ? Le sceau du secret militaire ? À titre d’exemple, l’imposition du secret défense a été clairement la ligne adoptée par le ministère de la Défense qui annonça la collision en 2009 du SNLE Le Triomphant avec un conteneur… et non avec le sous-marin britannique HMS Vanguard.

Les systèmes de sécurité des ogives nucléaires françaises ont-ils toujours été sûrs, ou ont-ils donné lieu, comme ce fut le cas aux États-Unis, à des améliorations en raison de la découverte de failles de sécurité ?

Aujourd’hui en terme d’information, le ministère de la Défense a indiqué à plusieurs reprises que les ogives nucléaires actuellement en service (TNA, TN-75 et en cours d’installation les TNO) sont « qualifiées d’autosûres ».

Cela signifie « que l’engin proprement dit ne s’amorce pas de lui-même pendant le transport ou le stockage et que, dans tous les cas d’accidents possibles, il ne puisse y avoir de dégagement d’énergie nucléaire ». Elles ont été construites pour rendre impossible une détonation accidentelle. Cette volonté de mettre au point cette technologie est sans aucun doute due au besoin de répondre à des exigences maximales de sécurité. Par conséquent cela signifie-t-il que par le passé les ogives pouvaient s’amorcer lors d’un accident de transport ou de stockage ?

Le seul risque qui est reconnu officiellement, bien qu’il soit qualifié « de hautement improbable »[>(13)13] est de type pyro-radiologique : {« Seul subsiste, en cas d’accident lors d’une manipulation sur l’arme, un risque de dispersion dans un périmètre limité de particules radioactives susceptibles de provoquer une contamination des sols et des individus les ayant respirées ou absorbées. »14 Toutes les bases nucléaires procèdent à des exercices de types Airnuc15. Le scénario retenu est souvent très similaire à celui-ci : un avion s’écrase16 sur un hangar contenant le missile ASMP-A (missile air-sol moyenne portée amélioré), endommageant l’arme et libérant ces deux constituants radioactifs le plutonium et le tritium. La crainte de dispersion des matières radioactives à cause du feu est donc prise en compte.

3. Les accidents nucléaires militaires en France

Selon les informations disponibles dans la littérature ouverte et selon les témoignages établis par des personnes en contact direct avec l’arsenal nucléaire, il est possible de recenser :

  • Des déstabilisations politiques et militaires pour s’accaparer d’un dispositif nucléaire, obligeant la remise en cause de sécurités élémentaires ;

  • Une mission aérienne avec une arme nucléaire non autorisée ;

  • Une collision impensable entre SNLE ;

  • Un accident routier d’un convoi nucléaire démontrant de graves manquements sécuritaires sur le transport des armes nucléaires.

3.1 Le dispositif nucléaire R1

À peine quelques semaines avant le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie à l’indépendance (8 janvier 1961), la France a réalisé le 27 décembre 1960 son troisième essai nucléaire atmosphérique (Gerboise rouge). La période qui suit est alors des plus troubles sur le plan politique et militaire sur ce territoire.

De nombreux éléments et témoignages indiquent que cette situation a clairement mis en danger la possession par les autorités légales du dispositif nucléaire R117.

Les futurs généraux putschistes Jouhaud, Challe, Zeller et Salan savent en cette période d’avril 1961 qu’un quatrième essai nucléaire atmosphérique est en cours de préparation. Cet essai est crucial pour les scientifiques du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), les prochaines expériences aériennes n’étant prévues qu’à partir de 1966 sur le site du Pacifique. Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, la ville d’Alger tombe sous les mains des généraux putschistes. Ceux-ci peuvent alors compter sur le soutien de différents régiments de l’armée, soit plusieurs milliers d’hommes.

Il est évident qu’un climat de confusion et de précipitation extrêmement important régna sur la période du 21 au 25 avril, date supposée du test répondant au nom de code Gerboise verte18. La crainte est de voir l’engin R1 tomber entre les mains des généraux qui, au vu des témoignages19, avaient la volonté de s’en emparer :

  • Jean Viard, directeur de l’équipe technique du CEA, indiqua sa crainte que le dispositif puisse être utilisé par Alger comme une monnaie d’échange contre Paris.

  • Le général Challe téléphona au général Jean Thiry pour lui demander de ne pas ordonner la réalisation de ce test mais de « la garder pour eux ». Ce général était à la tête du Groupement opérationnel des expérimentations nucléaires (GOEN) et du Commandement interarmées des armes spéciales (CIAS), soit l’homme qui avait le pouvoir de donner l’ordre de tir du dispositif R1. Il semble que le général Thiry ait hésité sur le soutien à apporter ou non aux putschistes ; néanmoins il ne céda pas à cette pression.

  • Le général Mentré, commandant des forces françaises dans la région du Sahara avait pris le parti des putschistes. Par conséquent, les scientifiques du CEA avaient des doutes sur la loyauté des unités militaires sur place, certains ayant « plus ou moins ouvertement annoncé leur sympathie avec la rébellion ».

Ces craintes semblent être confirmées par des mesures qui ont abouti à des compromis pour le moins surprenant en termes de sécurité. Les responsables du CEA ont eu tellement d’incertitudes quant au loyalisme des militaires présents sur la zone de Reggane qu’ils décidèrent, contrairement à la pratique usuelle, de ne pas faire transporter le dispositif nucléaire par des hommes de troupes dans un camion militaire. L’engin R1 sera donc transporté dans une simple voiture 2CV, par l’ingénieur du CEA Pierre Thierry sur les 50 kilomètres qui séparaient la base du site de tir d’Hamoudia. Enfin, malgré les mauvaises conditions météorologiques, qui pouvaient remettre en cause les résultats scientifiques attendus, il fut décidé de déclencher précipitamment le tir le 25 avril 1961. Selon Yves Rocard : « On ne prit aucune précaution élémentaire de nature météorologique, ni simplement de nature à assurer le succès des mesures. Ceci pour débarrasser le site de toute bombe atomique et obtenir que la rébellion s’y intéresse moins. »

3.2 Une vraie mission de bombardement nucléaire

À la différence des États-Unis, comme de l’URSS pendant la Guerre froide, la France a toujours affirmé que ces forces aériennes stratégiques n’ont jamais volé en mission avec une bombe ou un missile nucléaire. Les seuls cas connus et autorisés d’une bombe nucléaire portée par un avion furent réalisés lors de trois essais nucléaires atmosphériques. L’objectif était de s’assurer du bon fonctionnement de l’arme et des procédures en mission opérationnelle :

  • Le 19 juillet 1966, opération Tamouré. Un Mirage IV porteur d’une bombe AN-22 à uranium 235 d’une puissance de 55 kilotonnes (version intermédiaire et améliorée de l’AN-11) larguera sa bombe au large de Fangataufa.

  • Le 28 août 1973, opération Tamara. Un Mirage III-E larguera une bombe AN-52 au Centre d’essais du Pacifique. Il faut noter que le processus de transmission du code ne fut pas respecté, le ministre Gallet n’ayant pas confiance dans le système radio. Le code fut ainsi remis au pilote avant le décollage. Il fallait donc avoir toute confiance dans la loyauté du pilote, le lieutenant-colonel Copel.

  • Le 25 juillet 1974, opération Maquis. Un Jaguar A, des forces aériennes tactiques, larguera au large de Mururoa une bombe AN-52.

Selon des révélations confirmées par le général Copel20, en 1966, l’équipage d’un Mirage IV basé à Orange – alors en alerte 24h/24 – a reçu l’ordre « Décollage de Guerre noire sur rouge » par le système de communication de téléaffichage. L’avion déjà équipé d’une arme nucléaire AN 22 d’une puissance de 55 KT décolla immédiatement. Une fois en vol, les autorités militaires se sont rendu compte de l’incroyable erreur du système d’affichage, provoquée par des orages. Le chasseur fut alors rappelé, mais la procédure à suivre dans un tel cas ne fut pas respectée. Ainsi, cette demande fut faite par le biais d’un simple message et non par un code spécial confirmant que le donneur d’ordre n’était pas une puissance ennemie. Devant l’absence du respect de cette règle de communication, l’équipage a poursuivi son itinéraire de vol.

Cependant, il prit conscience de la réalité de cet ordre du fait de la non-présence de son avion ravitailleur CF-135, alors qu’il se trouvait au-dessus des Alpes. La procédure de mise à feu de la bombe semble ne jamais avoir été enclenchée, excluant – normalement – une détonation en cas d’un éventuel crash lors de l’atterrissage. En effet, un avion qui décolle avec une arme atomique n’est pas censé revenir avec ! Les craintes des militaires ont donc porté sur la capacité du système d’accroche de l’arme nucléaire à résister aux chocs lors de l’atterrissage. En cas de non-résistance, le choc pouvait entraîner l’explosion des explosifs conventionnels et une forte dissémination des matières nucléaires sur la zone.

3.3 L’impensable collision sous-marine

Le 6 février 2009, une dépêche de l’AFP informe que « le sous-marin nucléaire lanceur d’engins le Triomphant a heurté un objet immergé »21 alors qu’il était en plongée en eau profonde. Le choc a abîmé le dôme, situé à l’avant qui protège le sonar. En réalité, ce qui était qualifié d’incident improbable, fut requalifié à la suite de révélations de la presse britannique22 d’un accident impensable : la collision entre deux sous-marins qui transportaient alors près de 150 ogives nucléaires réparties sur 28 missiles. Celle-ci se serait produite le 3 ou 4 février avec le sous-marin britannique HMS Vanguard. La sécurité des armes nucléaires a-t-elle pour autant été remise en cause ? Du côté des Britanniques, selon une réponse faite à un parlementaire, « à aucun moment la sécurité nucléaire n’a été compromise et le système d’arme stratégique est resté à tout moment à l’intérieur des limites tolérables ».

SNLE Le Triomphant dans sa base de l’île Longue (source : JM Collin)

Le terme « limites tolérables » montre donc que le système d’arme stratégique a été d’une manière ou d’une autre affectée par la collision. Aucune information ne fut révélée par la France sur les effets de ce choc sur son système d’arme nucléaire (M45 et ogive TN75). Selon les déclarations faites par un ancien responsable de la marine britannique au tabloïd The Sun : « les conséquences potentielles sont inimaginables. Il y aurait pu y avoir une explosion nucléaire et une fuite radioactive [provenant du réacteur nucléaire] aurait pu être possible. Pire, nous aurions pu perdre l’équipage et les missiles nucléaires. Cela aurait été un désastre national ».

Cet accident démontre pour la France que le mensonge peut-être une ligne de conduite à suivre pour cacher un événement qui concerne la force de dissuasion. Il était en effet impossible d’ignorer que la collision n’avait pas été faite avec un sous-marin et était le fait d’un conteneur… Par ailleurs, il apparaît que le danger de collision est bien plus important qu’il aurait pu être imaginé jusqu’à présent.

3.4 Accident de la route sur la base d’Istres

Les armes nucléaires en France sont transportées par des convois routiers entre le site de production et de maintenance de Valduc (Côte d’Or) et les différentes bases aériennes et la base sous-marine de l’île Longue. Ces transports ont lieu dans deux cas précis : le changement de type d’arme et des actions de vérification du fonctionnement de l’arme. Le secret étant de rigueur, aucune information n’a jamais été communiquée officiellement sur ces transports routiers et sur les risques liés.

Un cas23 a cependant fait l’objet d’une médiatisation particulière en 2011 en raison du procès à huis-clos au tribunal correctionnel de Marseille d’un militaire en charge du transport de munitions stratégiques. Le 9 Juin 2010 dans la base aérienne d’Istres où stationne un escadron des FAS avec ces missiles ASMP-A équipés de l’ogive nucléaire TNA (puissance 300 KT), circule un camion Scania de la catégorie dite véhicule spécial renforcé appartenant à l’escadron de transport de matériels spécialisés 91/52324.

Celui-ci se renverse à cause d’un excès de vitesse et d’une faute d’inattention du chauffeur. Bilan, les trois militaires à bord sont fortement blessés. Cet accident sera révélé au grand public plusieurs mois plus tard par la presse.

Le ministère de la Défense n’a jamais communiqué sur la présence ou l’absence d’armes nucléaires dans ce camion. Des médias ont indiqué que ce camion ne contenait pas d’armes nucléaires, en particulier le journaliste25 à l’origine de la révélation de cette affaire, mais sans dévoiler sa source. Le journaliste D. Merchet26, spécialisé sur ces questions, a interrogé le général Philippe Pontiès, porte-parole du ministère de la Défense sur cet accident mais à aucun moment le général n’a indiqué que ce camion ne transportait pas de chargement sensible ; cette assertion est faite par le journaliste. L’interrogation reste donc complète.

Selon les informations disponibles, ce camion est parti en fin de nuit de la base aérienne 702 d’Avord (près de Bourges) où se trouve un des dépôts « K » qui abrite les ogives TNA. Les raisons qui peuvent faire penser à la présence de TNA à bord de ce camion :

  • Si comme l’affirme le général Philippe Pontiès, il ne s’est agi que d’un « accident de la route classique mais qui implique un véhicule destiné au transport d’armes nucléaires », pourquoi avoir caché ce fait au grand public ?

  • À la suite de l’accident, un « plan de crise est activé sur la base. Des officiers de sécurité nucléaire et du renseignement militaire bouclent aussitôt la scène et encadrent les gendarmes de la base pour que leurs investigations ne laissent rien filtrer de top secret ». Si le camion était vide et qu’il s’agissait d’un « accident de la route classique » pourquoi une telle mesure ? Un plan de crise est une procédure lourde et complexe mise en œuvre uniquement dans le cas d’un événement extrêmement rare, dont les conséquences peuvent être nombreuses.

Par ailleurs, le transport routier des armes nucléaires réalisé par cet escadron semble avoir été confronté à de nombreux manquements sécuritaires au vu des révélations faites par la presse :

  • Entre Avord et Istres, le chauffeur a fait « une pointe à 105 km/h et 10 jours avant à 120 km/h ! Alors même qu’un dispositif bride le moteur à 80 km/h, que seul le chef de convoi peut désactiver en situation de crise ».

  • La formation du conducteur apparaît insuffisante. Une critique sévère de l’Autorité de sûreté nucléaire de défense indique que les chauffeurs n’ont pas reçu de « véritable formation adaptée à la conduite de cet ensemble routier en situation normale et dégradée », une absence qui « a induit des dérives dans le comportement de conduite des chauffeurs de l’escadron ».

  • La maintenance technique des camions semble faire défaut. De nombreux chauffeurs ont rapporté des défaillances des systèmes de freinage de leur camion : « la veille, j’avais fait actionner les freins à trois reprises et l’ensemble routier s’était mis en défaut d’air » a révélé un chauffeur. Un autre ajouta qu’il avait « failli avoir un accident à plusieurs reprises » lors d’un convoi à destination de Valduc. Un camion qui part d’Istres ne peut pas revenir vide sur Valduc….

4. La sécurité des installations nucléaires militaires en France

Les sites militaires font tous l’objet de différentes mesures sécuritaires plus ou moins grandes en fonction de leur importance stratégique. Les bases abritant des armes nucléaires ou étant un maillon essentiel du système de contrôle et de commandement sont sans aucun doute les sites les plus sécurisés. Pour autant de nombreuses bases nucléaires (Ghedi Torre en Italie, Kleine-Brogel en Belgique) ont fait l’objet de déficit de sécurité entraînant par exemple pour la base de Ramstein en Allemagne le retrait pur et simple des bombes nucléaires B61 entreposées par les États-Unis dans le cadre de l’OTAN. Ces bases peuvent faire l’objet « d’attaque » plus ou moins malintentionnées par des groupes antimilitaristes ou pire par des terroristes, tel Nizar Trabelsi qui avait ainsi pour projet une attaque suicide en 2001 sur la base aérienne de Kleine-Brogel ou encore deux terroristes arrêtés en juillet 201527, qui envisageaient une attaque contre la base italienne de Ghedi Torre.

En France, ces sites stratégiques ont aussi été – contrairement à l’imaginaire collectif de la sécurité parfaite – soumis depuis 1964 à de très nombreuses actions d’intrusions par des groupes antimilitaristes et des personnes qui n’ont pas encore été identifiées, donc de potentiels terroristes. Ces faits ont montré les failles – parfois béantes – des systèmes de sécurité des lieux stratégiques qui assurent la mise en œuvre de la force de dissuasion, en plus des négligences et du laxisme qui fut relevé par des enquêtes journalistiques.

Le premier acte connu d’intrusion au sein d’un bunker abritant un poste de commandement de la force nucléaire fut réalisé dans la nuit du 30 au 31 janvier 1971 par 12 militants du Groupe d’action et de résistance à la militarisation (GARM). Ils parviendront à s’introduire dans l’immense base souterraine de Lyon Mont Verdun. Jean-Pierre Lanvin, membre de cette opération, raconte qu’ils ont « atteint l’immense salle des générateurs électriques, la salle des écrans radars, l’électronique et la salle de commandement, qui commencent à recevoir leurs premiers équipements ». Le fait que cette base soit à cette période en construction, ne peut-être une excuse à cette intrusion. Une année plus tard, ce groupe décida de récidiver pour protester contre les armes nucléaires et montrer la facilité d’accès à cette base. Le 30 janvier 1972, munis de faux laissez-passer, six membres récidivent en se rendant dans le poste central de commandement, totalement équipé cette fois des différents ordinateurs et systèmes de transmissions utilisables pour communiquer les ordres de tirs nucléaires.

Mais les failles de la sécurité entourant les sites nucléaires militaires français ne sont pas uniquement le fait d’actes du passé comme on pourrait le supposer.

L’île Longue est le sanctuaire de la dissuasion. C’est dans cette base que sont abrités missiles, sous-marins et ogives nucléaires. Malgré les mesures de sécurité humaines et techniques nombreuses – qui ne sont pas à sous-estimer – il a été très clairement démontré que s’introduire sans autorisation dans cette base était loin d’être impossible. Un journaliste28 qui a mené cette enquête a ainsi montré qu’il était possible de falsifier des badges pour accéder au site, que les clôtures électriques étaient défaillantes, qu’il y avait une insuffisance de contrôle des camions réalisant des travaux sur le site (ce fut un des points noirs également souligné sur le site de la base nucléaire de Ramstein en Allemagne). La preuve de l’existence de ces défaillances fut sans aucun doute la demande expresse du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian de réaliser une « enquête approfondie sur la sécurité terrestre, maritime et aérienne ».

Malheureusement, si les failles révélées en juin 2013 ont sans doute été comblées, le site de l’île Longue a été une nouvelle fois « violé » en janvier 2015. Le ou les auteurs de ces actes n’ont pas encore été identifiés, ce qui laisse la porte ouverte à toutes les suspicions : plaisantins ou terroristes potentiels ? Sans aucune contrainte, comme le rapporte le journal Le Télégramme29, le site de l’île Longue a été survolé à plusieurs reprises les 26 et 27 janvier 2015, pendant plusieurs heures, prouvant que ces actions étaient bien préparées et que les drones utilisés disposaient d’une autonomie de vol. En effet, il ne pouvait pas s’agir « de drones d’enfants », pour reprendre la formule du ministre de la Défense30. Bien plus grave, « l’une de ces intrusions s’est bien produite alors qu’un sous-marin était en train de quitter la base et à proximité de celui-ci ». Tous les scénarios sont donc possibles face à l’absence de système anti-drone : du drone kamikaze au drone qui « larguerait » une quantité même petite d’explosif. Cela aurait forcément des conséquences sur la structure du SNLE. Les missiles et les ogives en seraient-ils pour autant atteints ? Doit-on redouter un effet domino sur un bâtiment qui contient : un réacteur nucléaire, des torpilles, des missiles chargés de propergols solides et des ogives nucléaires ?

Même si la structure du SNLE ressortirait indemne d’une telle attaque, il est évident que la sûreté et la crédibilité de la dissuasion seraient remises en cause. Face à cette menace, le ministre a annoncé que « des travaux ont été lancés pour trouver le moyen de neutraliser ces drones » démontrant une nouvelle fois le retard en termes de sécurité mis en place sur l’ensemble des sites nucléaires militaires. Remarquons par ailleurs que le Centre de transmissions de la marine nationale de Sainte-Assise a été, le 7 mars 2015, lui aussi survolé par un drone. Ce site est stratégique car il a la charge du relais des ordres gouvernementaux et des messages du commandant de la Force océanique stratégique (FOST) vers les SNLE en opération.

Malgré ces graves défaillances, il n’est pas à douter que les mesures de sécurité entourant à la fois les armes, les vecteurs et les systèmes de communications sont une priorité du ministère de la Défense. C’est d’ailleurs pour tester les sécurités techniques et humaines mises en place que des exercices officiels ont lieu de manière fréquente. Dans le plus grand secret, des commandos de l’armée vont ainsi tenter de contourner ces systèmes pour combler les éventuelles failles. À la marge, tout peut toujours être amélioré, renforcé. Malheureusement, les deux informations connues sur ces exercices d’intrusion, distants de 40 ans, montrent que ces commandos non seulement sont rentrés sur le site de l’île Longue mais aussi ont déposé une bombe… fictive.

En 197331, des nageurs de combat, en s’introduisant simultanément dans la base de l’île Longue, dans le port militaire de Brest et la base de Rosnay, ont virtuellement détruit un sous-marin et la chaîne de transmission nucléaire :

  • Dépôt d’une « charge factice contre la coque du sous-marin » situé dans le bassin n° 10 du port de Brest et « une deuxième charge factice déposée côté mer pour provoquer une brèche » dans la porte du bassin.

  • Dépôt de charges factices dans une zone au sein de l’île Longue où sont entreposées des pièces des submersibles.

  • Infiltration sur la base de Rosnay, centre de transmission, où « ils ont posé des mini-charges aux endroits les plus stratégiques notamment près des antennes à portée intercontinentales ».

En juin 2012, de manière plus subtile selon les informations disponibles, au moins deux hommes sont entrés sur la base munis d’un badge spécial – diffusé à un nombre de personnes très restreintes – permettant d’être dispensé de contrôle. Ils se sont rendus près d’un SNLE et ont déposé un faux engin explosif…

Conclusion

Le manque de transparence et le secret sont les deux autres « composantes » cachées de la dissuasion nucléaire française. Il est évident que si la population était pleinement consciente du danger de cet arsenal nucléaire, ce serait un élément supplémentaire qui viendrait renforcer le débat sur les armes nucléaires. La France a donc elle aussi connu son lot d’accidents entre 1964 et 2015. Sur les quatre accidents recensés et connus, trois ont clairement fait peser un danger important (dispositif R1, mission aérienne avec une bombe nucléaire, collision sous-marine). Le dernier, l’accident routier d’Istres, appelle à une clarification des faits et une transparence sur la réalité des risques des transports d’armes nucléaires sur les routes de France.

Face à l’approche humanitaire, la France et les think tanks du pays ont délibérément choisi l’approche critique ou celle de l’ignorance, alors même qu’il était prévisible que cette dynamique allait devenir de plus en plus grande, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’ONU. Le fait d’avoir rejeté en bloc cette approche – à la différence des États-Unis et des Britanniques qui étaient présents à Vienne, même si on pouvait y voir une certaine hypocrisie – est sans aucun doute une erreur. La France est ainsi devenue le symbole, pour de nombreuses diplomaties et pour la société civile, du conservatisme du club des puissances nucléaires. D’autre part elle a, malgré elle, suscité une demande d’informations et de connaissances sur les dangers nucléaires militaires en France.

Notes

1P. Lewis, H. Williams, B. Pelopidas, S. Aghlani, « Too Close for Comfort Cases of Near Nuclear Use and Options for Policy », Chatham House Report, avril 2014.

2Voir Collin Jean-Marie, Notes d’Analyse du GRIP, Bruxelles : « L’impact humanitaire des armes nucléaires: un nouveau forum du désarmement ? », 25 avril 2013 ; « Conférence de Nayarit sur l’impact humanitaire des armes nucléaires : un point de non-retour! », 5 mai 2014 ; « 3e conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, un nouveau cycle d’actions », 3 février 2015.

3First Session of the Preparatory Committee for the 2015 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, Joint Statement on the humanitarian dimension of nuclear disarmament.

4Conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, Sénat, 20 janvier 2014.

5Il fut membre des commissions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en 2007 et 2013.

6Tertrais Bruno, « La dimension humanitaire du désarmement nucléaire : un débat légitime ? » Note de la FRS, n° 11/2015, 1er juin 2015.

7Helfand Ira, « Nuclear Famine: Two Billion People at Risk? », IPPNW, novembre 2013.

8Zachary Keck, « Watch Out, India: Pakistan Is Ready to Use Nuclear Weapons », The National Interest, 8 juillet 2015.

9Tertrais Bruno, « Point de vue. La Bombe, soixante-dix ans après », Ouest France, 9 juillet 2015.

10Forget Michel, général de corps aérien, « L’évolution de la stratégie nucléaire française » in « Quel avenir pour la dissuasion nucléaire française ? », L’Harmattan, juin 2015.

11Schlosser Éric, « Command and Control Nuclear Weapons, the Damascus Accident, and the Illusion of Safety », Penguin Press, 2013.

12« Submariner: Trident is so broken it can’t even do the tests that prove it Works », Nuclear Information Service, 17 mai 2015.

13AIRNUC 2009 à Mont-de-Marsan, site de la Défense française.

14AIRNUC : Exercice de sécurité nucléaire à Saint-Dizier, site de la Défense française.

15Ibidem.

16Réunion annuelle de la commission d’information auprès de la base aérienne 113 à Saint-Dizier.

17On parle de dispositif explosif nucléaire et non de bombe nucléaire, car ce dispositif n’est pas dans un corps de bombe et contient des éléments supplémentaires nécessaires pour relever les données au cours de l’essai nucléaire.

18Barrillot Bruno, « Les essais nucléaires français 1996-2010 : conséquences sur l’environnement et la santé », CDRPC, 1996.

19Sokolski, Henry, Tertrais Bruno, « Nuclear weapons security crises : What does history teach ? », Strategic Studies Institute and U.S. Army War College Press, juillet 2013.

20Colloque « La dissuasion nucléaire française en débat » organisé par La Fondation pour la recherche stratégique, 8 juin 2015.

21Collin Jean-Marie, « Le mensonge de la grande muette sur le Triomphant », Multipol, 16 février 2009.

22« Unthinkable », The Sun, 16 février 2009 ; « British and French nuclear submarines collide in Atlantic », The Daily Mail, 16 février 2009.

23Relevons que le 11 octobre 1967, la presse de Champagne-Ardenne rapporta qu’un camion « transportant peut-être une arme atomique » eut un accident près de la base aérienne de Luxeuil et qu’il fut immédiatement entouré de commandos pour le protéger. Voir Derems Pierre-François, « Tous aux abris, le livre qui sauve », Édition Le dernier terrain vague, septembre 1982.

24La fonction de cet escadron est de transporter des armes nucléaires du site de production et de maintenance (Valduc) sur les bases d’Avord, d’Istres et de Saint-Dizier.

25Coquille David « L’incroyable histoire de l’accident secret du transport de missile nucléaire », La Marseillaise, 7 janvier 2012.

26Merchet Jean-Dominique, « Quand les convois nucléaires roulent trop vite… », Blog Secret-Défense, Marianne.

27Kristensen Hans, « US Nuclear Weapons Base In Italy Eyed By Alleged Terrorists », Federation of American Scientists, 22 juillet 2015.

28Chambonniere Hervé, « Île Longue. Les incroyables failles dans la sécurité », Le Télégramme, 11 juin 2013.

29Chambonniere Hervé, « Drone à l’île Longue. Les zones d’ombre », Le Télégramme, 29 janvier 2015.

30Interview du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian lors de l’émission du « Grand Rendez-vous » Europe 1/ Le Monde/ iTélé, 8 février 2015.

31Du Morne Vert Patrick, Mission oxygène, 1987.