Fiche d’analyse Atelier : Séminaire de réflexion sur le projet de Protocole au Pacte des DESC.

, janvier 2006

Insuffisance du droit international et nécessité de l’adoption d’un protocole facultatif

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Au terme du séminaire de Nantes, il me semble que trois points essentiels sont à retenir.

L’existence de solutions diverses

Tout d’abord il est apparu qu’il existe une diversité de solutions que l’on trouve à la fois dans le système de la Common law (par exemple celui du Canada) et dans le système romano-germanique.

Cela est intéressant dans la mesure où dans les pays du système romano-germanique, certains Etats sont de tradition moniste.

  • Les Etats ayant ratifié le PIDESC ont trois types d’obligations

La doctrine met trois types d’obligations à la charge des Etats [ayant ratifié le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels] :

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    • L’obligation de les respecter ;

    • L’obligation de les protéger ;

    • L’obligation de les promouvoir. (1)

C’est dire toute l’importance du problème de l’application, au niveau interne, du droit international des droits de l’Homme.

  • L’application d’un traité au niveau interne dépend de la nature du système juridique de l’Etat

Selon la doctrine dominante, c’est la nature de l’ordonnancement juridique d’un Etat qui détermine l’application, au niveau interne, d’un traité international relatif aux droits de l’Homme. Lorsqu’un Etat ratifie un traité, les dispositions de celui-ci ne sont pas automatiquement intégrées dans l’ordre juridique interne. L’intégration ou la non intégration du traité dépend de la nature du système juridique.

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    • Le système "moniste"

Dans le système dit « moniste », la ratification du traité par l’Etat emporte intégration des dispositions du traité dans la législation nationale. Le traité devient donc applicable. En cas de contradiction entre les deux normes, la loi interne doit être modifiée afin d’être en conformité avec le droit international. L’expérience française a montré par exemple que le juge français n’était pas toujours enclin à cela et une longue résistance a précédé cette primauté du droit international sur le droit domestique.

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    • Le système "dualiste"

En revanche, dans le système qualifié de « dualiste », le droit international et le droit interne sont deux systèmes distincts. Il apparaît alors que dans un tel système, le traité doit, avant d’être applicable, être incorporé à la législation nationale sous forme de texte de loi.

Le Sénégal [par exemple] appartient à la tradition moniste. En effet, les instruments internationaux des droits de l’Homme font partie intégrante du droit positif sénégalais et les obligations internationales ont prépondérance sur les lois nationales. Tous les instruments internationaux auxquels le Sénégal est partie, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (2), peuvent être invoqués devant les instances judiciaires et les tribunaux, qui les appliquent au même titre que la loi nationale (3).

Cela étant, au-delà de la diversité des solutions constatées lors du séminaire, il ne s’agit pas de s’arrêter à la constatation que le système de common law est plus inquisitoire et que le système romano germanique est plutôt accusatoire, mais qu’en adoptant le protocole facultatif, on pourrait arriver à un même objectif qui est la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels, non pas au sens d’une sanction obligatoire mais au sens de leur effectivité en droit interne.

Le non respect par certains Etats des obligations qui leur incombent de par la ratification même des traités

  • Le risque pour les DESC d’être vidés de leur sens par l’ordonnancement juridique national

Il existe, surtout parmi les Etats du sud, des pays qui s’inscrivent dans la revendication de l’héritage romano-germanique mais reste que, bien qu’ils ratifient souvent la plupart des traités internationaux, ils s’abritent derrière des difficultés d’ordre économique ou financier pour ne pas remplir les obligations qui leur incombent de par la ratification même des traités.

Le principe fondamental qui gouverne l’application, au niveau interne, d’un traité international relatif aux droits de l’Homme, repose sur le postulat selon lequel « les Etats (lorsqu’il sont parties à un traité international), sont réputés se soumettre à un ordonnancement juridique dans lequel ils assument, pour le bien commun, diverses obligations non pas par rapport à d’autres Etats, mais vis-à-vis de tous les individus placés sous leur juridiction » (4).

Cet avis n’est pas largement partagé, notamment dans les pays pauvres où certains Etats assumant, dans leur législation et leur pratique, une bonne appréhension des obligations étatiques de respect, de protection des droits de l’Homme, n’en formulent pas moins des critiques sur le principe même de l’universalité des normes (5) édictées dans ce domaine. Il en résulte une situation grosse d’incertitude juridique : en effet, si les normes définies par le droit international, notamment en matière de protection des droits économiques, sociaux et culturels, sont vidées de leur sens par l’ordonnancement juridique national, toutes voies de réparation ou de recours appropriés, susceptibles de rendre les pouvoirs publics comptables de leurs actes face aux individus ou groupes lésés, deviennent inopérantes.

  • L’exemple sénégalais en matière de sécurité sociale

    • Un régime de protection sociale plus théorique qu’effectif

Au Sénégal, on assiste à un tel état de fait en matière de sécurité sociale. La sécurité sociale doit être distinguée de la protection sociale qui, en plus des branches que couvre la sécurité sociale, embrasse bien d’autres domaines tels que l’insécurité, la pauvreté, la faim, l’approche genre ? relativement à l’accès des femmes à la sécurité sociale. Si le droit sénégalais de la sécurité sociale s’inspire de l’ensemble des dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles destinées à combattre le chômage ou à protéger l’individu contre les risques sociaux, il n’en reste pas moins que la sécurité sociale souffre d’un régime de protection plus théorique qu’effectif et d’une justiciabilité très limitée.

Ainsi, malgré la consécration du droit à la sécurité sociale par la Constitution, le droit sénégalais offre une couverture insuffisante tant pour les personnes que pour les prestations. C’est que le système se caractérise par l’exclusion de la quasi totalité de la population et par une discrimination sexiste. L’efficience d’un système de sécurité sociale réside non seulement dans le nombre de personnes protégées mais aussi dans les risques sociaux couverts, ainsi que les niveaux et modalités de protection. Sous ce rapport il est permis de noter que le système sénégalais de sécurité sociale est peu efficient : en effet, la couverture sociale ne concerne qu’une infime partie de la population à savoir les fonctionnaires, les salariés et leurs familles, ce qui ne représente que 14% de la couverture sociale et 5% des actifs (6). De plus, non seulement le nombre de prestations reste très limité, mais le secteur informel (7) n’est pas couvert. Or, ce secteur occupe une frange importante de la population active : non seulement de nombreux artisans y sont dénombrés, mais les femmes ont massivement investi ce secteur. […Ces constats font] ressortir très nettement de graves distorsions entre les objectifs de l’OIT en matière de sécurité sociale (8) auxquels le Sénégal a souscrit et la pratique sur le terrain.

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    • Des discriminations sociales importantes en matière de sécurité sociale

[Malgré des dispositions constitutionnelles et législatives en ce sens,]les discriminations sexistes existent et elles condamnent un grand nombre de femmes à l’exclusion et à la marginalisation. […] Il est par exemple estimé que seulement 20% des femmes sont salariées. En matière de sécurité sociale, les discriminations sociales trouvent leur origine dans la notion de puissance paternelle. En raison de celle-ci, les femmes mariées sont obligées de recourir à l’homme avant d’accéder aux prestations et services offerts par certaines institutions.[…]

Certes, l’accès des femmes et des hommes aux mêmes droits et aux mêmes chances est consacré par la convention n° 158 (1981) de l’OIT, relative aux travailleurs ayant des responsabilités familiales mais, dans la pratique, le respect d’un standard minimum est très peu observé. D’ailleurs, la commission des experts de l’OIT n’a pas manqué, par ses recommandations, d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur les insuffisances du droit sénégalais de la sécurité sociale, et sur les améliorations à y apporter en vue de se conformer aux normes de droit international. […]Il apparaît à l’analyse que la justiciabilité du droit à la sécurité sociale reste, dans ce conteste très limitée.

  • Les limites de la justiciabilité du droit à la sécurité sociale tiennent :

    • D’une part, au problème posé par la conservation des droits acquis ;

    • D’autre part, à la garantie des prestations.

[…] Certaines conventions reconnaissent le principe du droit à un recours effectif sans toutefois préciser les voies de recours qui doivent être offertes. Il résulte de l’interprétation faite de l’art.70 de la convention de l’OIT que le droit d’appel porte sur une décision revêtue du caractère de l’autorité de la chose jugée. En outre, le concept de recours implique qu’il soit statué par une autorité indépendante de l’autorité administrative qui a rendu la décision en premier ressort. Le simple droit de solliciter un réexamen par cette autorité ne suffit pas à constituer une procédure de recours. Au sens des conventions n° 128 et 168 de l’OIT des procédures doivent être prévues pour permettre à l’auteur d’une réclamation de se faire représenter ou assister d’une personne qualifiée de son choix ou par un délégué d’une organisation représentative des personnes protégées. Toutefois, ces conventions ne précisent aucune procédure permettant de régler de façon appropriée par les tribunaux, les droits en cause. La seule procédure adoptée jusqu’ici est celle du BIT, tendant à formuler des demandes directes aux Etats membres pour qu’ils garantissent les prestations. Il y a là incontestablement des limites [et celles-ci] soulèvent à tout le moins la problématique de la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels.

  • Les avantages de l’adoption d’un protocole facultatif

    • Un complément important du système juridique interne

Les possibilités de recours, au niveau interne, étant limitées, l’existence d’un mécanisme d’appel sur le plan international ne pourrait qu’encourager la justice nationale à être plus effective dans ce domaine. Certes, l’existence d’une procédure d’examen de plaintes émanant de particuliers constitue un bon moyen de renforcer le pouvoir des intéressés, de même que la conscience qu’ils ont de leurs droits, et d’encourager les Etats parties à s’acquitter de leurs obligations. C’est aux Etats parties en effet qu’il appartient au premier chef de garantir, notamment par le biais d’un pouvoir judiciaire indépendant, le respect du droit international ainsi que l’application des lois et règlements nationaux pertinents. Mais l’adoption d’un protocole facultatif peut constituer un complément important.

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    • La possibilité pour les auteurs de communications de s’adresser au Comité

De plus, et cela est important, l’adoption d’un protocole facultatif comblerait un vide dans la mesure où les auteurs de communications pourraient s’adresser au Comité pour faire aboutir leurs revendications ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il y aurait donc un organe subsidiaire qui pourrait aider à porter les communications de personnes lésées. Elles pourraient également bénéficier de l’aide d’ONG, via les recours collectifs, ce qui constituerait un bouleversement important dans l’ordre juridique.

Le contrôle de l’état d’application du Pacte serait renforcé par le mécanisme mis en place par le protocole facultatif.

En effet, celui-ci, après adoption, s’imposera, ne serait-ce que moralement. A travers l’examen des violations alléguées par les porteurs de communications, le Comité pourra contrôler l’applicabilité du Pacte. Le Comité devra apprécier les éléments fournis par les Etats mais cette appréciation devra se faire non pas in abstracto mais in concreto ce qui permet de vérifier la volonté et la bonne foi de l’Etat en cause.

Il est important de garder à l’esprit la considération qu’il y a un standard minimum de valeurs qui s’appliquent universellement, communément appelé « soft law ». Si ce minimum n’est pas respecté on s’écarte du respect des obligations contractées au titre du PIDESC. Ainsi, le respect du droit à la vie est consacré par de nombreux instruments internationaux qui définissent le minimum standard, et aucune justification ne peut justifier sa violation.

Il est donc facile, lorsque l’engagement est sincère, d’arriver à une situation où ce standard minimum est respecté. Ce serait au Comité de définir ce minimum de règles à respecter lorsqu’un Etat souscrit au Pacte, car si on laisse aux Etats la définition de ce minimum, le risque de disparités est grand qui viderait de son sens le contenu même du Pacte. Pour ce faire, le Comité pourrait s’inspirer du travail réalisé par l’UNESCO relativement à la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’Homme. Ce travail tient compte à la fois des tendances anglo-saxonne, romano-germanique mais également des tendances issues de pays du Sud et surtout de pays asiatiques où le droit à la vie justement n’a pas la même connotation qu’ailleurs. Ce travail démontre que l’on n’est pas démuni de solutions même pour des sujets très sensibles.

Le minimum de valeurs est donc à établir par le Comité et en-deçà de ce minimum, les Etats devraient être condamnés.

Pour ces trois raisons, il est donc nécessaire que le protocole facultatif voie le jour

Sans lui, le droit reste théorique, dès lors que les violations des droits de l’Homme, notamment les droits économiques, sociaux et culturels demeureraient suspendus à la réunion de conditions.

Le séminaire de Nantes a donc permis tout d’abord de dégager un diagnostic, celui de l’insuffisance du droit international, notamment en ce qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels si le protocole facultatif ne voyait pas le jour.

Il a ensuite mis en exergue les difficultés actuelles, pour les auteurs éventuels de communications, à faire aboutir leurs demandes.

Enfin, il a mis en lumière des avancées possibles et des solutions qui permettraient indéniablement de faire avancer le droit.

Notes

1. Henry Shue, The protection of Social and Economic Rights : A comparartive Study, note 21, p.10. Position défendue du reste par les experts des Nations Unies. Voir par exemple A.Eide,« Realization of social and Economic Rights and Minimum Threshold Approach » (1989), 10 Human Rights L.J.35, p.37.

2. Ratifié par le Sénégal le 13 février 1978

3. Mamadou Badji, « Protection et justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels : l’exemple du droit sénégalais de la sécurité sociale », Séminaire d’experts de haut niveau sur les droits économiques, sociaux et culturels, Nantes du 5 au 7 septembre 2005.

4. Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Avis consultatif, OC-2/82, « Effet des Réserves émises sur l’entrée en vigueur de la Convention américaine des droits de l’Homme (art.74 et 75) », Séries A, No.2, paragraphe 29.

5. L’universalité des normes repose sur le postulat qu’elles sont applicables à des Etats dont le niveau de développement, autant que les techniques juridiques, diffèrent considérablement de l’un à l’autre, la méthode consistant à élaborer des normes avec suffisamment de souplesse pour qu’elles puissent être adaptées aux pays les plus divers.

6. Selon World Bank Developpement Indicators 2003, la population active totale s’élevait à 4 millions en 1998, les femmes représentaient 43% de la population active totale comparativement à 42 % en 1980.

7. Il s’agit au sens du Bureau International du Travail, du secteur non stucturé, constitué de petites unités de production et de distribution de biens et services implantés dans les zones urbaines ; ces unités appartiennent à des travailleurs indépendants qui emploient parfois une main d’œuvre familiale, voire quelques salariés ou apprentis.

8. Aux termes des art.2 et 3 de la constitution de l’OIT, il appartient à chaque Etat de décider des modalités particulières par lesquelles il garantira le droit à la sécurité sociale dans sa législation nationale. Même s’il lui est reconnu le droit de « se réserver des dérogations temporaires l’Etat partie doit traduire en positif dans la législation nationale, les obligations qui sont mises à sa charge par son adhésion au traité international ».