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, Paris, January 2004

Le dialogue inter-religieux en Chine

Bien que la Constitution chinoise garantisse la liberté de croyance religieuse, le peuple tibétain pratique aujourd’hui sa foi dans la crainte. Un dialogue ouvert sur les croyances de chacun et le respect des cultes de l’autre permettrait pourtant aux Chinois et aux Tibétains d’avancer ensemble sur le chemin de la paix.

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« La religion est l’opium du peuple ». Cette phrase de Marx connue de tous a marqué, sous d’autres termes, l’histoire de la Chine communiste. Pourtant toutes les religions sont représentées sur son territoire. On peut même dire que 80 % des Chinois sont « religieux », si l’on inclut les nombreux rites traditionnels pratiqués dans les campagnes chinoises. Pour ce qui est des religions monothéistes, les autorités chinoises dénombrent trois millions de catholiques, autant de protestants et dix millions de musulmans. Ces chiffres officiels sont, selon les représentants de chacune de ces religions, largement sous évalués.

Le bouddhisme, avec ses centaines de millions de croyants, est la religion la plus représentée en Chine, et ce notamment depuis l’intégration du Tibet au territoire chinois. Mais bouddhistes chinois et bouddhistes tibétains n’ont pas exactement les mêmes pratiques ni la même approche de la religion, et la liberté de culte n’est pas la même dans la région autonome du Tibet, dans les zones tibétaines rattachées à des provinces chinoises et dans les autres provinces.

I. Politique religieuse en Chine

Dès la première session plénière de la Conférence consultative du peuple chinois, en 1949, le Parti communiste chinois déclara la liberté de religion, liberté qui fut réaffirmée dans toutes les constitutions chinoises (1954, 1975, 1978, 1982). Cependant, si la position du gouvernement chinois vis-à-vis des religions et de la liberté de culte paraît libérale dans les textes, l’application est toute différente. Comme tout système d’essence totalitariste, le système politique chinois a toujours vu dans le contrôle des individus le moyen de se maintenir. Il est évident que la liberté de culte et de croyance ne pouvait pas échapper au contrôle du Parti. La liberté de religion est ainsi devenue la liberté d’avoir des activités religieuses considérées comme « normales » et approuvées par le Parti.

De la création de la république populaire de Chine à la première moitié des années cinquante, le gouvernement chinois mena une politique plus ou moins tolérante envers les croyants. Mais pour bénéficier de la clémence du Parti, ces croyants devaient évidemment être politiquement « propres ». Les croyants qui s’opposaient au Parti et les missionnaires étrangers étaient qualifiés d’appartenir aux « forces religieuses impérialistes ». Entre 1956 et 1965, la politique de répression envers les « droitiers réactionnaires » s’intensifia. Les croyants furent victimes des campagnes anti-droitiers, accusés d’être des « éléments arriérés » ; les moines et nonnes furent obligé de critiquer leur religion, de détruire les ouvrages religieux ainsi que nombre d’objets de culte. Mais c’est pendant la Révolution culturelle, période la plus destructrice de la Chine contemporaine, que le summum des persécutions contre toute forme de croyance et de pratiques religieuses fut atteint.

L’attitude des autorités chinoises envers les religions ne changea qu’avec la mort de Mao et la réintégration de Deng Xiaoping dans ses fonctions de vice-premier ministre et de vice-président du Parti lors du IIIe plénum du Xe Comité central du Parti communiste chinois, en juillet 1977. La directive idéologique de ce plénum fut : « Emanciper les esprits et chercher la vérité dans les faits ». Cette directive poussa les cadres du Parti a reconsidérer le passé et à reconnaître les erreurs qui avaient été commises dans certains domaines, et notamment dans le domaine de la vie religieuse.

L’article 36 de la Constitution de 1982 garantit la liberté de croyance religieuse, mais pas la libre pratique d’une religion : « Les citoyens de République populaire de Chine jouissent de la liberté de croyance religieuse. Aucun organe d’Etat, organisation publique ou individu ne peut pousser les citoyens à croire ou ne pas croire à quelque religion que ce soit ; ils ne peuvent pas non plus exercer une discrimination quelconque envers des citoyens qui croiraient, ou ne croiraient pas, dans une religion, quelle qu’elle soit. L’Etat protège les activités religieuses normales. Il est interdit à quiconque de s’engager, à travers une religion, dans des activités qui troubleraient l’ordre public, porteraient atteinte à la santé des citoyens ou auraient des interférences avec le système d’éducation national. Les corps religieux et les affaires religieuses ne doivent pas être sujettes à une domination étrangère ». La Constitution ne précise pas ce que peut être une pratique « anormale » de la religion. Cette imprécision laisse tout pouvoir aux autorités chinoises dans la qualification d’une conduite religieuse et donc dans l’autorisation ou la répression de cette conduite.

C’est le Bureau des affaires religieuses qui gère toute la sphère religieuse en Chine et qui définit ce qu’est une activité religieuse « normale ». Les membres de ce bureau sont tous non-croyants, pour éviter toute influence d’une religion ou d’une autre, mais leurs jugements des faits religieux sont en conséquence souvent mal informés voir totalement arbitraires. Huit associations nationales travaillent avec le Bureau des affaires religieuses, chacune représentant une religion officielle, comme par exemple l’Association des bouddhistes de Chine. Ces associations jouissent d’une certaine autonomie mais la présence de cadres du Parti dans leurs instances décisionnelles assure les autorités chinoises d’un respect entier de ses directives. Toute activité religieuse exercée en dehors du contrôle des associations religieuses et dans d’autres lieux de cultes que ceux officiellement reconnus est considérée comme illégale.

II. Situation religieuse au Tibet

La situation religieuse au Tibet a évolué au gré des politiques religieuses instaurées en République populaire de Chine. Dans l’Accord en dix-sept points signé entre le gouvernement chinois et des représentants du gouvernement tibétain à Pékin le 23 mai 1951, l’article sept déclare : « La politique générale de liberté de croyance religieuse, établie dans le programme commun de la Conférence consultative politique de la Chine populaire, sera observée. Les convictions religieuses, les coutumes et les usages du peuple tibétain seront respectés, ainsi que les monastères et les lamas. Les autorités centrales n’effectueront aucune modification dans les revenus des monastères ». Mais cette liberté de croyance religieuse n’eût de valeur que sur le papier.

Dès 1956 d’importantes persécutions de croyants eurent lieu sur les hauts plateaux, au rythme des campagnes anti-droitiers secouant la Chine. Puis à partir de 1966, la Révolution culturelle occasionna au Tibet des dommages irréparables :

  • Destructions de temples ;

  • Répression de toute forme de culte ;

  • Torture et exécution de lamas ;

  • Viols de nonnes etc.

De nombreux monastères furent restaurés après la Révolution culturelle, mais ces travaux furent entrepris avec des objectifs plus touristiques que religieux. Quant aux moines, ils devaient, pour intégrer les monastères, être approuvés par le Comité des affaires religieuses, qui allait plus tard devenir le Bureau des affaires religieuses. En 1994, le nombre de moines dans certains monastères fut même limité, les autorités chinoises craignant que ces lieux de culte ne deviennent le berceau d’un mouvement pro-indépendantiste. En janvier 1999, la répression s’intensifia, avec le lancement d’une campagne nationale pour répandre l’athéisme. Les pratiques religieuses furent restreintes, les lieux de culte et les foyers fouillés à la recherche de photos du Dalaï Lama et d’objets de cultes interdits tels que les peintures bouddhistes, les drapeaux à prière et les foyers à fumigations. Cette campagne a été renouvelée pour une durée de quatre ans lors d’une réunion tenue à Chengdu (capitale de la province du Sichuan), en avril 2000. Ce durcissement fait probablement suite à l’expansion de mouvements religieux qualifiés d’illégaux en Chine, comme notamment le Falungong.

III. Participation de la Chine au dialogue inter-religieux mondial : la Conférence mondiale sur les religions et la paix

La Conférence mondiale sur les religions et la paix (World Conference on Religion and Peace, WCRP) mobilise les différentes communautés religieuses pour mener un travail commun de prévention et de médiation dans les conflits violents et faire progresser le respect des droits de l’homme, le respect de la dignité humaine et les idéaux de paix à travers le monde. Les dirigeants de cette Conférence sont des leaders bouddhistes, chrétiens, hindous, juifs et musulmans.

En 1979, la République populaire de Chine accepta d’envoyer pour la première fois une délégation à la Conférence mondiale sur les religions et la paix. Ce n’était pourtant pas la première fois que les membres de la Conférence mondiale sur les religions et la paix invitaient des représentants des religions officielles chinoises à participer. La présence de la Chine dans cette instance mondiale était un challenge important pour les membres de la Conférence. Dès le printemps 1967, Herschel Halbert et Homer A.Jack avaient tenté de prendre contact avec les leaders religieux chinois. Mais l’isolement de la Chine et ses troubles politiques internes (Révolution culturelle) ne permirent pas aux représentants religieux Chinois de participer à la première assemblée de la Conférence (WCRP I). Pourtant, les membres dirigeants de la Conférence avaient accepté de ne pas recevoir le Dalaï Lama ni aucune délégation taiwanaise. Mais malgré ces concessions, et toujours en raison du climat politique en Chine intérieure, aucune délégation chinoise ne participa non plus à WCRP II, à Nairobi.

En 1979, l’atmosphère politique sembla changer en Chine et pour la première fois, la participation des leaders religieux Chinois à WCRP III parut envisageable. L’assemblée devait se tenir à Princeton (Etats-Unis) et malgré la visite du Dalaï Lama aux Etats-Unis à cette même période, une délégation chinoise se rendit à Princeton. Cette délégation était composée de trois bouddhistes, de trois protestants, de deux musulmans ainsi que de deux secrétaires. Parmi les membres éminents de cette délégation se trouvaient Zhao Puchu, directeur de l’Association bouddhiste de Chine, membre du Congrès national du peuple et chef de la délégation de Princeton ; et l’évêque Ding Guangxun, directeur du Centre d’études religieuses de Nankin, membre du Congrès national du peuple et représentant à Princeton des chrétiens de Chine. Les thèmes qui furent abordés par la délégation chinoise lors de cette conférence concernèrent les exactions khmers rouges au Vietnam, le dialogue inter-religieux en Chine ou encore la vision musulmane de la paix. A la fin de la Conférence, Zhao Puchu accepta de devenir un des présidents de l’organisation de la Conférence et la participation possible d’une délégation chinoise aux prochaines assemblées (WCRP IV et V) fut évoquée.

L’assemblée de Melbourne (WCRP V), en 1989, se déroula dans un contexte difficile pour les représentants chinois. Effectivement le régime chinois venait de réprimer dans le sang les mouvements étudiants sur la place Tian An Men et dans les grandes villes de Chine ; et le Dalaï Lama venait d’obtenir le prix Nobel de la paix. Il semblait donc alors que le thème du Tibet ne pourrait plus ne pas être abordé au sein de la Conférence. Et effectivement, à la deuxième session plénière de l’assemblée, un représentant du Dalaï Lama, le vénérable Achok Rimpoché, lut un message de Sa Sainteté, message non politique souhaitant le succès de la Conférence et la paix entre les peuples. Si ils n’engagèrent aucun dialogue avec le représentant du Dalaï Lama, les membres de la délégation chinoise ne quittèrent pas pour autant l’assemblée.

La Chine continue depuis lors de participer au dialogue inter-religieux mondial mené par la Conférence mondiale sur les religions et la paix. Bien qu’aucun dialogue n’ait jusqu’à ce jour été engagé avec des représentants du Dalaï Lama, on peut espérer que la continuité de l’engagement chinois dans cette Conférence permettra un jour un rapprochement entre les autorités chinoises et les représentants religieux de la communauté tibétaine en exil.

Notes

Je remercie le Dr John Taylor, représentant du conseil œcuménique des Eglises auprès de l’ONU, qui m’a aidé à comprendre l’importance du dialogue inter-religieux pour l’instauration de la paix dans le monde.