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En librairie

Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Bruxelles, décembre 2004

Au-delà du spectaculaire, au-delà de l’aide humanitaire : le soutien des dynamiques locales de paix dans les zones de conflits

En montrant ou en étant surtout attentif à la violence des guerres, on en oublie ceux qui s’y opposent de l’intérieur. L’humanitaire, réduit à l’assistance d’urgence, prend ainsi le dessus, immodérément célébré alors qu’il s’agit d’une obligation, d’un minimum obligé. Une révolution culturelle s’impose pour compléter notre regard sur les acteurs des conflits et pour considérer à sa juste place l’aide humanitaire.

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Les images de la guerre cachent…

Si l’engagement du coté des victimes est nécessaire, la compréhension des conflits l’est aussi, tout comme le soutien des initiatives de construction de la paix , des mouvements démocratiques, des médias indépendants(1) … qui ont la force d’exister dans les zones de conflits.

Trop souvent les images mettent l’accent sur l’horreur d’une guerre, le lecteur ou le téléspectateur en serait avide… l’oreille est attirée par le bruit de l’arbre qui casse, elle n’entend pas le bruit de la forêt qui pousse(2).

Dans une très belle chronique du supplément TV du Monde(3), Daniel Schneiderman raconte l’histoire d’un baroudeur, grand reporteur, en mission pour nous donner les infos en direct d’un terrible conflit qui déchire un pays qui fait tant parler de lui. Caméra, micro, magnéto, liaison satellite… il a tout ce qu’il faut, il est le premier dans ce désert aride et sévère, on saura tout sur l’horreur des massacres… Mais surprise, quand il arrive, c’est le grand silence, pas de bombardement, pas de cri…, rien de ce qui aurait pu faire la Une. Juste une petite voix derrière lui, une petite fille, jolie comme une princesse, si tant est que les princesses soient jolies, qui lui demande « Que fais-tu là ?  » . Il lui renvoya la question en lui disant qu’il faisait son métier et que ce n‘était guère la place pour une petite fille que d’être là au beau milieu de la guerre. « Mais je suis la paix, la guerre est fini » lui rétorque –t-elle. Notre grand journaliste ne comprend pas. Il est perdu. Il est là pour filmer les combats, les souffrances et faire entendre les explosions, les mitraillages, les pleurs… « Mais pourquoi veux-tu filmer la guerre » demande la petite princesse interloquée par tant de désarroi. « Mais pour montrer toute l’importance de vivre en paix » répondit-il en se rendant compte dans son regard de toute la légèreté de sa réaction alors qu’il avait devant lui l’image peut être naïve mais si frêle et si exemplaire d’une paix à protéger.

…les dynamiques locales de paix

C’est cette tendance, cette pente qu’il est utile de remonter ou d’inverser, l’imaginaire de la guerre est très riche, ce que la paix évoque est très limité. Il est nécessaire de changer notre regard pour distinguer ce qui, dans le vacarme des guerres, est capable d’offrir des perspectives de paix, non pas de paix à tout prix, non pas au prix de lâcheté, mais capable d’offrir un processus qui s’attaque aux causes, qui sait dépasser les préjugés, qui s’attache à déconstruire les lieux communs, qui souhaite la justice tout en étant capable de réconciliation… Ces forces là existent, elles sont trop souvent négligées, oubliées, silencieuses à la radio, invisibles à la télévision. Pourtant ces initiatives de construction de la paix « existent en pagaille » témoigne Remy Ourdan(4) . Quelques journalistes ont fait ce choix, un réseau s’est crée dans cet esprit (reportersdespoirs.org) avec le soutien de Jean Claude Guillebaud ou de Dominique Wolton…

Même constat du coté des organisations de solidarité internationales

Dans le milieu des associations humanitaires, Béatrice Pouligny(5) fait le même constat : les ONG présentent trop souvent les populations vivant dans les zones de conflits comme victimes et non comme acteurs, pour des raisons faciles à comprendre et qui touchent au portefeuille. Là aussi, il est utile de renverser la tendance. Cela a été le cas lors du salon des initiatives de paix à Paris ou des rencontres peacedialogue de Barcelone en juin 2004, cela est aussi le cas de structures comme le site d’Irenees.net, Search for commun ground…

L’aide humanitaire, une obligation qui prend son sens…

Présenter les horreurs des conflits invite à y répondre non pas de manière politique ou juridique mais avec des moyens humanitaires. C’est aussi ce processus qu’il faut faire évoluer pour à la fois donner du sens à l’aide humanitaire, mais aussi et surtout pour répondre aux enjeux mêmes du conflit.

C’est pourquoi, l’engagement à long terme –le soutien des initiatives de construction de la paix menées par les habitants eux-mêmes vivant dans les zones de conflits- se doit d’accompagner l’action humanitaire d’urgence pour que celle si ait du sens. Cette dernière ne peut être une fin en soi, c’est le minimum exigé. C’est ce qui se devrait d’être apporté aux victimes. Elle est pourtant présentée comme don, générosité, action philanthropique alors qu’elle n’est qu’obligation. Obligation comme il existe l’obligation d’assistance à personne en danger(6) . Ce qui fait dire à ceux qui s’y engagent qu’ils n’ont « fait que leur devoir » . Obligation aujourd’hui sans contrainte, simple obligation morale d’assistance à personnes ou population en danger. Obligation qui devrait inviter à plus de modestie, tant elle est encore dans bien des cas à peine respectée.

…dans une recherche de paix juste et durable

Cet engagement à long terme - le soutien des dynamiques de paix- contribue à l’édification difficile et hasardeuse d’une société plus juste(7) . Il n’est possible qu’en s’attelant aux causes des injustices. Il s’inscrit alors dans des actions plus étendues comme les actions « altermondialistes » de la société civile ; actions qui dénoncent par exemple critiquent les silences complices, la real politique ou les silences frileux des responsables politiques des pays occidentaux,–comme c’est ou cela a été le cas à propos des crimes commis au Congo, au Darfour, en Birmanie, en Tchétchénie… mais aussi actions qui proposent à partir de ces constats des refontes juridiques, politiques, institutionnelles… des organisations et outils internationaux au service de la paix(8).

Notes

  • (1) : Paix, démocratie, droits de l’Homme… sont des concepts trop souvent instrumentalisés, liés à une histoire, un rapport de force. Sans chercher à éviter la ou les polémiques, ils sont à considérer comme un processus, comme une politique à mettre en œuvre, avec toutes les limites et les contradictions dues au fait qu’ils sont le produit d’une histoire

  • (2) : D’après un proverbe africain

  • (3) : Le Monde supplément TV 1er et 2 mars 98

  • (4) : Journaliste ayant couvert de nombreux conflits

  • (5) : L’humanitaire gouvernementale face à la guerre (publication CERI)

  • (6) : « Il existe dans notre droit pénal un délit grave, celui de non-assistance à personne en danger. Lorsqu’on est témoin d’une agression dans la rue, on ne peut pas impunément laisser le plus faible seul face au plus fort, tourner le dos et suivre son chemin. En droit international, la non-assistance aux peuples en danger n’est pas encore un délit. Mais c’est une faute morale et politique qui a déjà coûté trop de morts et trop de douleurs à trop de peuples abandonnés, où qu’il se trouvent sur la carte pour que nous acceptions, à notre tour, de la combattre. » Discours prononcé par Monsieur François Mitterrand, Président de la République française, devant le monument de la Révolution à Mexico, 20 octobre 1981

  • (7) : Voir l’approche de Miguel Bennassayag dans la conclusion de Utopie et Liberté où il précise que l’urgence n’a de sens que s’il s’inscrit dans un engagement pour un monde un peu plus juste, un peu plus libre

  • (8) : Voir par exemple le livre de Gal Jean Cot, la paix du Monde une utopie réaliste, Castells éditions ou l’initiative soutenue par Stéphane Hessel (Collégium international éthique, potilique et scientifique)