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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, juillet 2009

Les enjeux de la reconstruction : identifier et favoriser les facteurs de paix. Agir ensemble autour d’un projet social de paix

Le défi est de concilier les différents acteurs, domaines et échelles de la reconstruction pour mettre en place une structure sociale qui pérennise la paix. La reconstruction doit être portée par un projet de société.

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Introduction : le concept de reconstruction

Qu’évoque-t-on lorsque l’on parle de reconstruction ?

Dans sa définition, le terme « reconstruction » se réfère à l’action de reconstruire qui peut à la fois signifier « rétablir dans son état originel » et « imaginer quelque chose autrement » (Le Petit Larousse illustré). Il est en tous les cas communément lié au temps d’après le conflit. Cela semble logique ; le conflit évoque la destruction quand le post-conflit s’attèle à reconstruire. Cette notion paraît alors prendre sa place dans le schéma urgence / post-urgence-réhabilitation / développement. Cette configuration rapprocherait la période de post-urgence / réhabilitation de la notion de reconstruction. Il y aurait comme une phase intermédiaire, sur un schéma linéaire, entre le conflit et le développement qui aurait pour fonction de stabiliser la situation après une crise. Cette théorie pourrait avoir puisé ses fondements dans les cas de la France et de l’Allemagne post seconde guerre mondiale. Dans, et entre, ces deux pays, la paix semble s’être installée profondément après une période de transition qui a permis la reconstruction. Cette période de reconstruction se caractérise par des plans internationaux de soutien, type plan Marshall, et une économie qui redémarre dès 1950. Il semble alors que les experts occidentaux en sciences politiques aient modélisé les concepts de conflits et post-conflits, ainsi que celui de la paix dont leur partie du monde à bénéficier depuis, pour pouvoir analyser les « autres crises ».

« Or, l’existence d’une phase intermédiaire entre l’urgence et le développement ne s’observe dans les faits que dans un nombre limité de cas. » (GRÜNEWALD,François, au nom du Groupe Urgence, Réhabilitation, Développement, Contribution, Assise de la coopération et de la solidarité, CICR, Contribution. 1997). L’analyse des crises met à jour que les conflits se caractérisent plus souvent par leur chronicité fréquente, leur latence (multiplication des conflits gelés) et par la réversibilité de la plupart des situations où la paix semblait en voie de consolidation. Couramment la phase de post-conflit succède à la phase de conflit mais ne dure pas suffisamment pour déboucher sur la fameuse période de développement. Et le territoire bascule à nouveau dans le conflit. Fréquemment aussi on observe des situations d’installation de crises durables de basse intensité. Ces situations d’alternance Conflit/Post-conflit ou de maintien de petits conflits démentent donc les recettes « toutes-prêtes » de reconstruction fructueuse. Le monde a ainsi cru au « miracle » libanais, pays dont le redémarrage économique n’a fait illusion qu’un temps et qui connaît depuis les accords de Taef une permanence de crises d’intensité variable ne permettant pas de dire qu’il goûte à la paix.

Ainsi, si la fin des combats est nécessaire à la paix, celle-ci n’est pas systématiquement effective. La fin d’un conflit passe souvent par le constat d’un rapport de force dissymétrique où le plus faible se reconnaît temporairement vaincu. Cependant rien ne garantit qu’il ne s’agisse pas là d’un interlude pour reprendre des forces et donc reprendre les combats.

L’achèvement des combats peut relever aussi d’un renversement d’alliances. Il est question alors d’un rapprochement stratégique dicté par des considérations géopolitiques et qui n’implique pas une convergence ni un effort de compréhension réciproque. Ainsi ce n’est pas parce que le président de la Fédération de Russie met à disposition des Etats-Unis d’Amérique ses bases aériennes suite aux attentats du 11 septembre que la guerre froide est dépassée.

L’arrêt des violences peut encore donner lieu à une coexistence pacifique, qui n’est pourtant pas une paix à proprement parlé. Elle se caractérise cette fois par l’équilibre des forces mais les deux partenaires restent intimement convaincus du bien fondé de leurs positions et ne désespèrent pas que cette coexistence tourne en définitive à la défaite de l’autre. L’entente cordiale, statu quo qui ne permet cependant pas de dépasser les animosités entre les anciens belligérants, participe d’une logique identique mais à un degré moindre de rancœur.

Enfin, la fin des agressions physiques peut déplacer la nature du conflit, pour le situer sur une guerre d’un autre genre, par exemple économique. C’est ainsi que le sous-commandant Marcos de l’armée zapatiste de libération nationale, en 1997, annonçait que la « quatrième guerre mondiale » était en cours et de nature économique et financière.

La paix est ainsi difficile à définir, ce qui rend les facteurs de paix extrêmement peu identifiables. Or tout l’enjeu de la reconstruction est de mettre en œuvre des actions qui favorise l’épanouissement de ces facteurs.

Il paraît essentiel dans un premier temps d’appréhender la complexité de cette période.

Nous tenterons de repérer par ce biais qui est en capacité d’intervenir pour reconstruire la paix, de quelle manière et à quelle échelle cette construction peut-elle avoir lieu ?

Nous pourrons ensuite aborder la question du « quand » commence-t-on à reconstruire ? Faut–il attendre l’établissement de la paix pour aborder la reconstruction ? Ou justement est-ce que ce sont les initiatives visant à « bâtir à nouveau » qui permettent l’installation d’une paix ?

Enfin munis de ces différents éléments gageons que nous pourrons identifier quels facteurs semblent primordiaux à favoriser pour l’avènement de la paix.

I. Acteurs et échelles: l’illusion centrifuge

La reconstruction s’apparente donc à un temps de remise en état. Cette définition reste cependant incomplète tant que l’on ne sait pas dire de quoi et par qui.

Une grande diversité d’acteurs apparaît déjà au travers des titres des fiches analysées. On y trouve en effet dans le désordre la Banque Mondiale, le CCFD, l’intervention américaine ou la contribution française, des « acteurs à vocation multiple », l’aide internationale ou encore la société Renault.

On remarque dans ce premier relevé d’acteurs que seuls apparaissent clairement dans les titres des articles des acteurs dits « extérieurs » dont il est aisé de faire une typologie :

  • Les institutions internationales ;

  • La communauté internationale (autres Etats que ceux belligérants) ;

  • Les organisations non gouvernementales ;

  • Les multinationales.

La nature, très différentes, de ces intervenants est frappante et on note la présence des multinationales aux côtés d’Etats ou d’Institutions. On peut ainsi déjà présupposer de l’importance accordée au domaine économique dans le processus de reconstruction, d’autant plus que l’unique institution citée dans les titres des fiches sélectionnées pour cette analyse est la Banque Mondiale.

Cette omniprésence d’acteurs externes au conflit laisse sous-entendre qu’un soutien extérieur est incontournable pour qu’un pays, une région se rétablisse. Ainsi, selon Christophe Garda, « la reconstruction qui suit une crise et la réhabilitation sociale et économique sont des entreprises complexes qu’un pays peut rarement mener seul. L’aide extérieure lui est alors une chose précieuse dans la mesure où elle permet un retour à la normale plus rapide et plus complet. » (Garda, Christophe, « Les missions d’assistance internationale à la reconstruction : l’exemple de l’intervention américaine », Fiches Irénées, Paris, 2002.) Il est toutefois difficile de savoir si l’intervention extérieure est une obligation ou pas, celle-ci étant quasi-systématique.

Il est imaginable que cet interventionnisme d’acteurs extérieurs au conflit émane de la mise en place d’une Société des Nations et de la normalisation des notions de droit et de devoir d’ingérence. Le droit d’ingérence est la reconnaissance du droit des États de violer la souveraineté nationale d’un autre État, en cas de violation massive des droits de la personne. Le devoir d’ingérence, quant à lui, est conçu comme plus contraignant. Il désigne l’obligation morale faite à un État de fournir son assistance en cas d’urgence humanitaire. Ni le droit, ni le devoir d’ingérence n’ont d’existence dans le droit humanitaire international. L’ingérence elle-même n’est pas un concept juridique défini. Au sens commun, il signifie intervenir, sans y être invité, dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État (Définition tirée du site <operationspaix.net>, article Droit et devoir d’ingérence.). Le droit d’ingérence s’inscrit dans un cadre plus large de la redéfinition d’un ordre mondial idéalement régi par des principes de démocratie, d’État de droit et de respect de la personne humaine. Il tend à une moralisation des relations internationales. C’est sans doute dans cette logique que les Etats et les institutions internationales font référence indirectement au droit international pour prendre part à l’effort de reconstruction, après avoir participé à la résolution du conflit (voire parfois au conflit lui-même). Christophe Garda parle lui de « responsabilité sociale » à laquelle les Etats, les organisations non gouvernementales et le secteur privé seraient renvoyés par la mondialisation (Garda, Christophe, Le Défi d’actions communes en faveur de la paix, menées par des acteurs à vocations distinctes, fiches Irénées, Paris, 2002).

Les parties extérieures au conflit évoquent souvent donc un devoir de solidarité, l’opinion publique soutenant l’intervention de ses représentants pour combattre des concepts terrifiants pour le monde postmoderne que ceux de « mort » et de « guerre ». Il y a comme une urgence à effacer les conséquences des conflits pour que ne soit plus visible cette réalité morbide. C’est donc muent par des intentions « humanitaires » et « solidaires » que les Etats et autres institutions prennent part à la reconstruction, pour soutenir des populations, des pays qui n’ont que trop souffert. Pourtant, il n’y a pas d’acte « gratuit » et l’on est forcé de s’interroger sur les intérêts et les motivations de ces acteurs à intervenir. Ceux-ci ne sont pas à considérer de façon monolithique. On ne peut, sur cette question, traiter sur le même niveau les ONG et les Etats ou institutions internationales. Cependant, force est de reconnaître que les Etats sont à considérer tout particulièrement. Ils sont décideurs :

  • Soit parce que ce sont eux qui votent les résolutions des institutions internationales, les budgets alloués aux ONG via les institutions et les interventions ;

  • Soit parce qu’en tant qu’Etat ils mènent un politique d’affaires étrangères, qui comprend entre autre une dotation aux ONG.

Et rares sont les ONG qui ont une marge de manœuvre financière suffisamment importante pour leur donner un large champ d’action en terme de reconstruction. Ainsi ce sont principalement les intérêts à intervenir d’Etats ou de la communauté internationale qu’il est intéressant de prendre en compte.

On peut imaginer qu’un Etat proche au niveau régional ait intérêt à intervenir dans la reconstruction pour stabiliser politiquement la zone. Les conflits peuvent se propager rapidement et perturber la stabilité des pays limitrophes, soit que les belligérants y trouvent refuge, soit du fait de mouvement de populations et de troubles économiques. Soutenir l’effort de reconstruction signifie donc se protéger soi-même en essayant de renforcer et d’accélérer la transformation du conflit. Des Etats ayant des intérêts économiques dans la zone peuvent aussi souhaiter soutenir sa reconstruction pour préserver leurs investissements. Toutefois, il faut aussi prendre en compte que la reconstruction représente en elle-même un intérêt financier. Ainsi, « les Américains ont été les premiers à comprendre que la guerre militaire a des prolongements économiques, que la reconstruction ouvre des marchés et des débouchés qu’il faut savoir saisir ou conquérir. » (Garda, Christophe, L’implication de Renault V.I en Bosnie : les enjeux économiques de la reconstruction, Fiche Irénées.). C’est ainsi que l’on voit apparaître le secteur marchand international, et donc les multinationales dans la reconstruction. Les Etats soutiennent les efforts de reconstruction et invitent aussi leurs entreprises à prendre part à cette action. L’idée de rentabilisation de l’aide extérieure est l’une des causes des interventions civilo-militaire, l’armée servant de relais sur le terrain entre l’entreprise et la nation, ainsi que l’explique Christophe Garda dans son analyse de l’implication de Renault V.I. en Bosnie. Quelle légitimité peut donc être accordée à l’intervention des Etats face à des objectifs intéressés ?

On peut reconnaître à ces superstructures leur capacité à mener des actions de grande ampleur et à mobiliser des ressources. Seuls des Etats ou des organisations rassemblant plusieurs états peuvent parvenir à réunir suffisamment de moyen pour intervenir au niveau de l’ensemble d’un pays, voire d’une région. A ce titre, « la coordination de l’aide internationale est essentielle pour la bonne réalisation d’un projet d’une telle ampleur. La Banque Mondiale va, à cet effet, jouer un rôle important de mobilisation des ressources extérieures et de coordination des différentes contributions » (Croidieu Florence, LA Banque Mondiale en République Démocratique du Congo (2002), soutien à un projet de réhabilitation multisectoriel, fiche Irénées, 2001). Cette capacité à mobiliser est illustrée aussi par les conférences internationales pour la reconstruction, du type Paris I, II et III concernant le Liban, qui réunissent les Etats afin qu’ils s’engagent à donner des fonds pour « reconstruire ».

Se pose tout de même la question de la démesure des interventions concernées par ces moyens mobilisés. Est-il bien raisonnable d’imaginer pouvoir rebâtir une nation en intervenant à des niveaux qui ne permettent quasiment pas de prendre en considération la spécificité du contexte et la volonté du peuple ?

De plus, l’importance des fonds versés par l’aide internationale contraste avec l’état des pays ayant subis des conflits ainsi qu’avec l’omniprésence de la pauvreté et de la précarité des populations et de l’Etat. L’aide internationale est ainsi à l’origine de graves déséquilibres, à l’exemple de la situation de la Bosnie Herzégovine que relate Karine Gatelier dans son article : « l’arrivée de fonds internationaux a créé une bulle de l’impôt sur le revenu permettant au gouvernement bosnien d’augmenter ses budgets […] Les déséquilibres entre Sarajevo et les campagnes sont éloquents. » (Gatelier, Karine, La reconstruction du secteur économique en Bosnie-Herzégovine, Fiche Irénées, Grenoble).

II. La médiation à la paix

L’intervention d’un ou plusieurs éléments extérieurs au conflit dans le processus de reconstruction évoque un parallélisme avec la démarche de médiation à la paix. En effet, il est rarissime voire improbable que l’arrêt des combats entre belligérants advienne sans médiation à la paix : l’intervention d’une tierce partie est systématisée pour aboutir à un accord de paix. Dans les années 90, nous informe l’ambassadeur Thomas Greminger dans son exposé lors de la retraite sur la médiation de la Francophonie organisée à Genève en 2007 (1), deux fois plus de conflits ont été résolus par une médiation que par une victoire militaire, avec pour conséquence l’instauration d’une paix plus durable. Et l’une des raisons du succès de la médiation, selon ce diplomate, est qu’elle est très largement ressentie comme acceptable par les parties au conflit. Cela résulte du fait que la médiation consiste pour la tierce partie à soutenir les négociations entre les parties à un conflit et à les aider à transformer celui-ci. A l’exemple de la Communauté de San Egidio, réputée entre autre pour le rôle de médiation politique qu’elle a tenu au Mozambique, il semble que les médiations qui réussissent soient celles qui soutiennent les différents camps et sans imposer de résolutions. Cette capacité à se mettre à l’écoute des parties expliquent sans doute l’intervention de plus en plus courante et appréciée de la société civile dans ce domaine. Les leçons que l’on tire de la médiation à la paix semblent transposables au champ de la reconstruction, avec une intervention fréquente de la société civile via les ONG entre autre ; et une vigilance à conserver en matière de non substitution par les Etats et Institutions internationales vis-à-vis des acteurs nationaux.

Ceux-ci apparaissent souvent comme secondaire dans leur rôle dans la reconstruction. Si l’on reprend l’exercice d’identification des acteurs présents dans les titres des articles d’Irénées couverts par cette analyse, on retrouve des notions comme « nationale », « secteur » ; des noms de pays (Cambodge, Haïti, Bosnie…) qui font référence aux Etats ou aux domaines qui les constituent mais toujours en filigrane. Il ressort de cette lecture une impression de passivité de ces acteurs. Ainsi les Balkans reçoivent la contribution française, le Timor Orientale ou la République Démocratique du Congo reçoivent le soutien de la Banque Mondiale. On s’étonne que ces interventions qui visent à soutenir dans leur reconstruction les Etats endommagés par le conflit ne les placent finalement pas en acteur principal et proactif.

Il existe bien une dichotomie concernant le soutien apporté par les acteurs extérieurs aux Etats en reconstruction. C’est ce dilemme que retrace Claske Dijkema dans le regard qu’elle porte sur l’aide internationale en Afghanistan. « D’un côté les donateurs internationaux affirment que les gouvernements doivent être renforcés et qu’ils doivent prendre leurs responsabilités face à la population. D’un autre côté, leurs actions perturbent l’exercice du pouvoir […] en subventionnant une politique de reconstruction qui ne coïncide pas avec les priorités du gouvernement. » (« Aide internationale en Afghanistan comme un obstacle à l’émergence d’un Etat souverain »).

En effet, l’Etat soutenu est souvent considéré comme fautif ou trop fragile. Tout d’abord, soit il a pris part au conflit, soit il n’a pas été en mesure de l’empêcher. Ensuite, la situation de désorganisation dans lequel se trouve l’Etat laisse penser aux tierces parties que les administrations manquent de ressources humaines, qu’elles sont très largement corrompues et politisées et qu’ il est donc préférable qu’elles gardent le contrôle de la gestion de l’aide. Ce positionnement empêche le renforcement de l’Etat concerné, ainsi que toute autre démarche de soutien par d’autres structures. Celles-ci, si elles interviennent auprès d’un ministère, se retrouvent en fait à collaborer avec des acteurs extérieurs ayant pris le contrôle des organes politiques. Cette situation est illustrée dans l’article de Claske Dijkema par le témoignage d’un volontaire de l’ONG Médecins du Monde en Afghanistan. L’organisation de solidarité a ainsi refusé le partenariat avec le ministère de la santé afghan. Celui-ci propose un plan établi sur trois ans par la Banque Mondiale axé sur la contractualisation des acteurs privés sans aucune perspective de reprise en main ultérieure par les Afghans.

Ce plan établit donc les ONG comme sous-traitantes d’institutions internationales, ce qui leur garantit une facilité de traçabilité des fonds et des résultats satisfaisants. Cependant, cette démarche ne permet absolument pas de renforcer la crédibilité de l’Etat ni le fonctionnement des infrastructures nationales. Finalement Médecins du Monde, organisation suffisamment solide pour ne pas aliéner son indépendance, a fait le choix d’orienter son soutien vers des régions afghanes n’étant pas concernées par la convention proposée par le Ministère de la Santé. Médecins du Monde préserve ainsi son autonomie mais coopèrent-elle mieux à la légitimation de l’Etat Afghan ?

Cet exemple permet d’affirmer qu’il est essentiel de penser « processus de soutien » aux stratégies de survie des personnes et au renforcement des acteurs lors de la mise en place de plan de reconstruction. Les acteurs internationaux ont tendance à se substituer à ces capacités locales ce qui leur permet certes dans un premier temps d’intervenir rapidement, mais les laissera souvent affaiblies par la suite. Alors qu’un appui structurant aux émanations de la société civile et/ou de l’état leur permettra de gérer la crise présente, d’en sortir et, peut-être, d’éviter la prochaine… (Tiré de l’intervention du Groupe URD lors de l’Assise de la coopération et de la solidarité, CICR, Contribution. 1997.).Cependant, il est difficile de trouver un point de vue critique sur la reconstruction de dirigeants de pays concerné et ainsi de se faire une idée de la capacité d’Etats en sortie de crise à diriger leur reconstruction ; sans doute est-ce prendre le risque de passer à côté de subsides conséquent que de critiquer les actions de la communauté internationale à ce sujet.

En reprenant une dernière fois notre exercice d’analyse des titres des fiches Irénées concernées par cette étude, l’évidente absence de terme faisant référence aux populations est flagrante. Ainsi la population, principale victime du conflit ne serait pas actrice de la reconstruction. Elle en serait une bénéficiaire à la rigueur, si l’on considère qu’elle apparaît indirectement derrière les notions de micro-crédit ou de développement local. En fait face à la destruction d’un Etat, l’attention est souvent porté sur une échelle d’intervention communément plus macro que micro. Les résultats d’une intervention consistant à reconstruire des bâtiments sont visibles et rapides, contrairement à ceux d’un projet de micro-finance. De plus les principaux bailleurs de la reconstruction, les Etats et les organisations internationales résonnent en terme d’intervention globale, sur des équilibres internationaux, nationaux voir régionaux. Il est très rare qu’ils interviennent au niveau local. Cela explique que seul l’article sur l’Afrique du Sud évoque la notion de développement local.

L’analyse de Matthieu Ollignon sur le projet de micro finance au Liban fait aussi référence à un échelon d’intervention très circonscrit. En expliquant les conséquences de la « Guerre et après guerre », il met en évidence l’importance de la prise de favoriser la reconstruction de l’échelon local. En effet, les périodes de conflit et de post conflit « ont entrainé trois mouvements : une paupérisation généralisée, une exclusion du système bancaire, économique et politique et un sentiment d’impuissance, qui va en augmentant au lieu de décroitre avec la fin de la guerre, combiné à une perte de confiance généralisée dans les institutions et le système social ». Ces trois mouvements laissent envisager une précarisation de la situation de la population. Or ce sont dans parmi les tranches les plus pauvres, les plus désespérés de la population que se recrutent les combattants. Lorsque la situation n’est plus supportable, ne permet plus d’envisager un avenir, il n’y a alors plus rien à perdre à partir au combat, il y a même souvent au moins à gagner de quoi subsister. Ne pas prendre en considération la situation de la population, voire laisser les déséquilibres se creuser entre une minorité bénéficiant des bienfaits de la reconstruction et une majorité pour laquelle le quotidien s’aggrave favorise une reprise du conflit et non son apaisement.

Le système du microcrédit est intéressant en sortie de crise. D’une part, parce qu’il permet sous certaines conditions de sortir de la grande pauvreté. D’autre part, et surtout, parce qu’il se fonde sur le lien social. Il s’agit d’un système « dur » car il mise sur la pression sociale pour que les emprunteurs remboursent leur prêt. Toutefois, il cherche à inverser l’utilisation de la pression sociale par rapport à la logique de conflit. La volonté de la micro-finance est de tabler sur la pression sociale pour la rendre « utile », « positive ». L’idée est de retisser des liens, brisés par le conflit et que la population trouve un intérêt à collaborer.

Cette réflexion met en évidence que quelle que soit l’intervention de reconstruction au niveau macro, elle ne pourra se mettre en place sans l’adhésion de la population. Alors que les conflits peuvent éclore sans que la population les soutienne, il ne peut advenir de paix sans une population convaincue par la nécessité de l’arrêt des combats et l’intérêt de vivre ensemble en bonne entente. Aussi est-ce un tort de ne considérer la population uniquement dans le rôle de bénéficiaire indirect des actions de paix entreprises alors qu’elle en est en réalité l’actrice principale.

Cette dimension est à ce point essentielle que les projets à dimension locales souhaitant intervenir dans le cadre de la reconstruction, donc principalement ceux menés par des ONG, ne font plus l’impasse sur l’aspect « liens sociaux ». Le Secours Catholique, depuis son intervention en Bosnie, se pose la question du rôle des projets qu’elle mène dans la construction de la paix ; cette étude a débouché sur l’établissement d’une grille de critères de paix applicable à tous projet intervenant au cours de processus de reconstruction. Cette grille comporte un nombre de critères importants relatifs à la promotion du vivre ensemble. L’idée est de systématiser l’emploi de cette grille lors de l’établissement de projet et de leur suivi afin de maintenir une vigilance accrue sur l’implication des « projets de reconstruction » dans le renforcement des facteurs de paix. Et le CCFD de rejoindre l’analyse du Secours Catholique en affirmant, dans l’article de Christophe Garda relatif à son intervention au Cambodge, qu’une des clefs de la réussite de la construction de la paix est que « les populations locales soient en première ligne de ces projets, jamais mises à l’écart de leur propre développement. »

On observe donc que généralement, en fonction des niveaux d’intervention, ce ne sont pas les mêmes acteurs qui interviennent et que souvent ce sont des parties externes au conflit qui dirigent la reconstruction du pays. Et il semble qu’aucun acteur de la reconstruction ne parvient à intervenir à tous les niveaux ; chacun jouant un rôle spécifique et pouvant être complémentaire. Aussi est-on amené à penser que « la mise en œuvre de la paix suppose désormais un décloisonnement entre des acteurs tendant jusqu’ici à agir de manière individuelle » (Garda, Christophe, La Contribution française à la construction de la paix dans les Balkans : les enjeux sanitaires de la reconstruction de la paix, Fiche Irénées, Paris, 2002). Par exemple, à Sutterheim, en Afrique du Sud, au moment de la transition d’un régime d’Apartheid à celui de démocratie, une association s’est mise en place entre la société civile, le gouvernement local et le secteur privé qui a pour objet commun de promouvoir le développement local de la ville. Toujours dans cette optique d’évolution des rapports entre les acteurs de la reconstruction, Christophe Garda nous dit que « le Comité International de la Croix Rouge […] se pose la question de l’intérêt du dialogue avec le secteur privé » (Garda, Christophe, Le Défi d’actions communes en faveur de la paix, menées par des acteurs à vocations distinctes, Fiche Irénées, Paris, 2002). Il apparaît même que la Banque Mondiale cherche à généraliser la dimension participative de ses projets, prévoyant la collaboration avec les ONG dans les projets de réhabilitation, qu’elle planifie tout de même entièrement avant.

III. Les temps de la reconstruction

La reconstruction d’un Etat implique un faisceau d’acteurs, visant tous le même objectif : celui de parvenir à instaurer une paix durable. Cette notion de durabilité s’inscrit donc dans le temps et dans la nécessité de s’investir sur du long terme. On peut toutefois identifier des besoins à différents termes. L’exemple des projets de la Banque Mondiale illustrent parfaitement ces dimensions. En effet, immédiatement après l’arrêt des combats, se pose l’urgence de besoins élémentaires : par exemple, les soins de première nécessité doivent être donnés aux populations et exigent que les systèmes d’intervention mis en place pendant la période de conflit soient maintenus voire renforcés. Pourtant déjà il faut anticiper sur la remise en fonctionnement d’infrastructures plus lourdes, celles qui permettront au pays de se développer à plus long terme. Il faut donc tout à la fois fournir des médecins et des soins tout de suite, et prévoir la formation de nouveaux médecins, construire des hôpitaux, des infrastructures de transport, un organe régulateur et dirigeant… Ainsi l’intervention de l’institution au Timor Oriental se construit effectivement selon deux objectifs : « Restaurer l’accès aux services de santé de base » et « Poser les fondations pour le développement de politiques de santé et d’un système médical », explique Florence Croidieu. Il faut cependant garder les contraintes de cette période à l’esprit, puisque « malgré le besoin urgent d’un système de santé adéquat […], la restructuration doit être calibrée en fonction des capacités du pays à cette période » (Croidieu Florence, La Banque Mondiale au Timor Oriental (2000-2003) : soutien à un projet de réhabilitation du secteur médical, Fiche Irénées, Paris, 2002.).

« La guerre n’épargne rien », ainsi que Christophe Garda l’annonce en introduction de son article relatant la contribution française à la construction de la paix dans les Balkans. Les mots « conflit » et « guerre » génèrent mentalement des images lunaires, apocalyptiques. Les dégâts frappant en premier lieu sont ceux que nous pouvons percevoir visuellement : les débris d’une ville, comme des images ayant fait le tour du monde médiatique : Beyrouth, Sarajevo, Grosnie, … et au milieu de ces villes dévastées, des êtres humains bien souvent hagards d’être encore debout lorsqu’autour d’eux la plupart des corps sont sans vie. Autre image véhiculée par la guerre, les longues processions de réfugiés ballotés d’une région à une autre, et les camps mis en place par les ONG et institutions internationales, à vocation temporaire et pourtant dont on peine à croire qu’ils vont jamais disparaître. Partout la fin des combats fait planer le silence des morts et la douleur des mutilés et des rescapés. Il paraît de ce fait essentiel de démarrer cette période d’après violence par un état des lieux des ravages causés et des forces sur lesquelles s’appuyer pour rebâtir.

Concernant les dégâts, ils semblent possibles de les classer selon deux catégories :

  • Les dégâts matériels :

On entend par « dégâts matériels », ceux qui concernent l’aspect tangible, les nécessités de la vie quotidienne, les moyens d’existence. Par extension, ils se rattachent à l’aspect financier, économique des dégradations. Il y a bien entendu les dégâts visibles, en terme de destruction et de détérioration des infrastructures (bâtiments, systèmes de transports, d’acheminement d’énergie). Ils comprennent aussi et surtout plus globalement l’ensemble de l’économie d’un pays. Ainsi le bilan rapide concernant le système de santé en Bosnie après le conflit fait état de «bâtiments détruits, installations et infrastructures endommagés, matériels hors d’usage ; personnels tués, blessés ou réfugiés […] tant du point de vue matériel qu’humain, le secteur de la santé n’avait plus les moyens de fonctionner correctement (Garda Christophe, La Contribution française à la construction de la paix dans les Balkans : les enjeux sanitaires de la reconstruction de la paix, Fiches Irénées, Paris, 2002.).

Ces bilans sont des temps essentiels pour préparer la reconstruction. Ils sont souvent menés par des acteurs extérieurs, des experts dans chaque secteur de l’économie concernée. Ainsi c’est une « mission ponctuelle du SAMU français [qui] a été envoyée sur place afin de dresser un bilan de la situation et d’aider la Bosnie à dégager de nouvelle perspectives sanitaires » (Garda, Christophe, La Contribution française à la construction de la paix dans les Balkans : les enjeux de la reconstruction de la paix, Fiche Irénées, Paris 2002). L’étude menée en 2000 sur le secteur de la santé en début d’intervention par la Banque Mondiale au Timor Oriental montrait quant à elle que seuls 23 % des équipements médicaux n’avaient pas été endommagés et 20 à 30 médecins seulement sur les 160 travaillant dans le pays avant les hostilités, étaient toujours au Timor. C’est à partir de ces données que le projet de réhabilitation du secteur médical de la Banque Mondiale a été construit.

Dans la plupart des pays post conflit, il s’agit d’envisager une réhabilitation multisectorielle.

Secteur par secteur, le bilan semble faisable. Les conséquences des conflits sont souvent « colossales » tant sur l’économie du pays (indicateurs macro-économiques, agriculture, industrie,…) ses infrastructures (transports, électricité, eau) et services (éducation, santé, administration).

La grande difficulté de l’après-guerre est d’arriver à appréhender une économie ayant émergée du conflit. Avec pour caractéristiques d’être parallèle et souterraine, celle-ci est devenue le véritable modèle économique d’après-guerre dont les structures sont difficiles à appréhender. Ce véritable marché noir ne répond à aucune régulation, ce qui le rend quasi-incontrôlable. Si l’existence d’une économie souterraine est antérieure au début du conflit, ce sont « les proportions prises qui sont caractéristiques d’une situation d’après-guerre » (Ollagon, Matthieu, Après-guerres, désagrégation économique et sociale : les exemples du Liban et de l’Ex Yougoslavie, Fiche Irénées). Conséquence et cause de l’effondrement de l’économie, l’anéantissement des classes moyennes est symptomatique des conflits. Et la fin du conflit, loin de permettre à ces classes de se reformer, accentue la précarisation de leurs sources de revenu. Comme en Bosnie, la reconstruction bénéficie généralement à une minorité tandis que la grande majorité de la population est empêchée de thésauriser et donc de se projeter dans un avenir à un peu plus long terme que celui de la survie quotidienne. C’est alors que bien souvent les anciennes solidarités, principalement confessionnelles, rejaillissent et peuvent pousser à la relance du conflit.

  • Les dégâts immatériels

Comme l’illustre à nouveau l’analyse de Matthieu Ollagnon relative aux après-guerres du Liban et de l’ex-Yougoslavie, « l’une des conséquences les plus lourdes du conflit est la désagrégation des tissus sociaux et économiques traditionnels d’avant guerre ». La désagrégation signifie un émiettement progressif. L’auteur la définit comme « un processus social, symbolique et économique qui brise peu à peu les liens psychiques, économiques et sociaux, qui font une société » et il explique que « quand, une société fonctionne sur une quantité d’interactions, grandes et petites, mais aussi un système de représentation cohérent, la désagrégation détruit des pans entiers de cette cohérence, et donc, interrompt les flux et les processus sociaux d’avant guerre. » Le conflit brise ainsi les liens qui font une société ; c’est ce que l’auteur appelle les « conséquences immatérielles de la guerre ».

Cependant, la société de l’après conflit est encore complexifiée puisque s’y « télescopent [certes] des systèmes mis en place durant le conflit [mais aussi] des logiques nouvelles » (Ollagnon, Matthieu, Après-guerres, désagrégation économique et sociale : les exemples du Liban et de l’Ex-Yougoslavie.) ainsi que des réminiscences de « l’avant guerre ». Après le conflit, la désagrégation finalement touche à la fois les tissus sociaux d’avant la guerre mais aussi ceux qui ont pu se mettre en place pendant le conflit. La violence avait déraciné les « mondes sociaux » d’avant guerre (ruraux, urbains, employés ou cadres) et le retour à la paix modifient ceux qui avaient pu émerger durant le conflit. Les réfugiés ont recréé des réseaux dans l’exode, qui se désagrègent à nouveau avec les mouvements de populations générés par la fin des combats. Il semble alors que l’avenir de la paix dépende de la manière dont est prise en charge la réorganisation de ces différents systèmes en un tout (Selon l’analyse de Matthieu Ollagnon concernant les « Après-guerres, désagrégation économique et sociale : les exemples du Liban et de l’ex Yougoslavie », Fiche Irénées.). Quelle reconversion proposée par exemple à ces hommes combattants, démobilisés par la fin des combats, se retrouvant sans revenus après avoir vécu d’exactions et de violences pendant le conflit ?

Il ressort très vivement de ces portraits de société d’après guerre leur dimension « incontrôlable ». Karine Gatelier le met elle aussi en évidence lorsqu’elle décrypte les enjeux de la formation de l’armée nationale afghane (Gatelier Karine, Enjeux de la formation de l’armée nationale afghane, Fiche Irénées, Grenoble). Selon elle, la création des divisions de l’armée de transition afghane « était un outil politique pour permettre à l’Etat de les faire passer sous son influence mais en réalité elles sont restées sous le contrôle des chefs de guerres locaux ». Or l’Etat afghan n’a les moyens ni de les payer, ni de les entrainer, ni d’indemniser leur démobilisation ou de proposer un autre emploi. L’Etat ne peut qu’espérer une démobilisation spontanée de ces hommes qui « ne savent rien faire d’autre que la guerre ». Dans ces conditions d’insécurité on comprend qu’il soit extrêmement difficile de convaincre la population d’un désarmement. L’auteur pose la question clairement dans son article : « Comment récupérer les armes auprès des populations alors que les Afghans ont maintenant une identité de combattants tellement ancrée et tant que l’insécurité généralisée continue de régner » ?

L’Etat doit alors manier ces factions armées, symboles d’une société morcelée, avec précaution jusqu’à la mise en place d’un sentiment plus fort d’appartenance. « La raison d’être de l’armée de transition est qu’elle sert de réceptacle pour les forces militaires qui ne peuvent être démobilisées immédiatement », avec pour objectif de laisser place par la suite à une armée « nationale » forte, à terme politiquement neutre. Cet objectif n’est atteignable que sur du long terme. Un travail de fond est à mener pour que la volonté des dirigeants de mettre en place un sentiment d’appartenance « supérieur » à celui des intérêts des factions puisse s’imposer et produire des résultats. Toujours dans le cas de la formation d’une armée nationale afghane, il faudra par exemple « éduquer les troupes à une attitude plus civique avec les populations civiles afin de garantir le caractère multiethnique de l’armée ». Cet objectif passe par l’élimination des milices privées, impossible à court terme, nécessitant du coup d’accepter une cohabitation avec l’armée de transition puis l’armée nationale pendant au moins un temps. La réhabilitation d’un sentiment national semble étroitement liée à celui de sécurité. Pour adhérer à nouveau à un ordre national, il faut que celui-ci soit en mesure de supplanter les autres systèmes de « protection » en vigueur, c’est-à-dire que le pouvoir national dépasse ou regroupe ceux des chefs locaux.

Nous identifions alors un nouveau point commun entre la reconstruction et la médiation dans le fait que ni l’une ni l’autre de ce que l’on pourrait considérer comme des périodes d’immédiat après conflit n’ont de durée déterminée. En effet, « les processus de paix s’allongent et se complexifient, ce qui demande aux tierces parties impliquées de prévoir sur le long terme leur investissement en temps, de coordonner leur action, et d’avoir une claire conscience des nombreux points à aborder à chaque phase du processus ». Les acteurs de la reconstruction ne peuvent pas s’engager uniquement sur l’immédiat après guerre mais sont dans l’obligation de prévoir des projets les impliquant sur une longue durée, prenant en compte le temps de l’après conflit ainsi que celui de la stabilisation. La reconstruction est en réalité un chantier à moyen voire long terme qui démarre dans le post-conflit et se poursuit dans le développement.

Cette notion de temps fait prendre conscience que le projet de reconstruction doit être en germe dés le début des négociations de paix et restent, même lorsque la stabilité semble bien rétablie, en perpétuelle construction. En amont, la paix s’imagine dans la tête de tous pendant le conflit. Tous les jours chacun espère la fin des combats, un retour au calme. La paix s’anticipe donc bien avant la phase de post combat. Et c’est parce qu’elle se fonde sur ces espoirs intimes qu’elle peut émerger. Toutefois émergence n’est pas permanence et la Paix ne peut jamais être considérée comme acquise. Son maintien demande une vigilance constante, afin que la société reste cimenter ; pour cela l’Etat doit demeurer suffisamment fort pour s’assurer que les inégalités ne grandissent pas au point que la précarité relance le conflit. Il n’est pas rare de voir, dans des sociétés au sein desquelles on pense la paix acquise, le sentiment de précarité grandissant engendrer des évènements violents qui peuvent inquiéter voire faire basculer une stabilité que personne n’aurait questionnait : les émeutes dans les banlieues françaises en 2005 en sont une illustration.

Conclusion : Reconstruire ? Un projet de société

La complexité des relations dans la société post conflit peut expliquer que l’attention des acteurs de la reconstruction semble se focaliser sur son aspect économique, et principalement matériel. Il est en effet plus gratifiant de rebâtir des infrastructures, projet dont le résultat est visible, plutôt que de se lancer dans un incertain travail de tissage de conscience nationale.

Pourtant il semble que la clé d’un retour pérenne à la paix passe bien par la remise en cohérence d’une société. L’objectif n’est pas uniquement de remettre sur pied des bâtiments, des ministères, des secteurs économiques, des services mais bien de rebâtir une Société, une Nation. Tout ou presque a été détruit et en particulier les liens sociaux qui ont subit plusieurs destructions. Il faut donc prendre en considération un besoin de sens, de direction. C’est en fait bien au-delà d’une remise en service fonctionnelle que se situe l’objectif de la reconstruction. Il s’agit de réinventer à partir de l’ensemble des dimensions et des temps concernés un véritable projet social de paix.

L’intervention du CCFD au Cambodge, même si elle n’est pas d’ampleur nationale se fonde sur ce principe que « la paix est une construction dont les éléments relèvent à la fois du politique, de l’économique, du social, du symbolique, du psychologique » (Garda Christophe, Le Programme alimentaire, sanitaire et éducatif du CCFD pour aider à la reconstruction de la paix au Cambodge, Fiche Irénées, Paris 2002.) mettant en avant qu’il y a comme un air de défi à vouloir « rebâtir la paix dans une société où le lien social a été rompu ». L’exemple du projet en Afrique du Sud illustre aussi cette nécessité de projet sociétal commun, puisque l’objectif sous tendu par la collaboration de l’ensemble des acteurs en présence est de « passer d’une société divisée par l’apartheid à un régime démocratique. »

Sans doute est-ce fort de ce constat de l’obligation de remettre un sens commun sur les liens sociaux brisés que presque toutes les sociétés post-conflit cherchent la « réconciliation » . Celle-ci, nous dit René Remond lors d’un colloque sur la Paix, se caractérise par « la volonté de mettre fin une fois pour toute à ce qui a pu dresser des peuples l’un contre l’autre. Elle tend à être définitive. Elle doit aussi être réciproque et symétrique. La réconciliation est donc un dialogue qui comporte de ce fait un aspect contractuel. Elle suppose enfin une relative unanimité. Elle ne peut être le fait des seuls responsables, gouvernements et diplomates, il faut une acceptation par les peuples au moins dans leur majorité. » (REMOND René, La Réconciliation : Exposé historique et éclaircissement conceptuel, in Fin des conflits et réconciliation : conditions pour une paix durable, Les Cahiers de la paix, n°10, Acte du colloque du Centre Mondial de la paix, Verdun, 2004, p.50).

La réconciliation a pour objectif un retour à l’harmonie ou un rapprochement entre les peuples, sans toutefois imposer un modèle de relation interethnique. Elle s’inscrit dans un processus de reconnaissance, débouche généralement sur des mesures de réparation et aboutit idéalement à des réformes nécessaires. Néanmoins, le sens de ces réformes n’est pas imposé par l’idéal de réconciliation. Si son principe fondamental d’harmonie ou de rapprochement écarte la possibilité d’une ségrégation ou d’une marginalisation de la minorité, la réconciliation tolère son assimilation, son intégration, et dans certaines limites, sa séparation. La réconciliation ne porte pas en elle un projet de société précis, pas plus qu’elle n’impose les modalités du ‘vivre ensemble’, ou de la cohabitation entre les peuples. Il suffit de voir l’éventail de sociétés qui firent d’elle une politique nationale pour en être convaincu – la réconciliation est un idéal suffisamment large pour être invoqué à des fins très différentes. En Afrique du Sud par exemple, la réconciliation nationale servit à accompagner la transition démocratique du pays après la chute du régime de l’apartheid, à canaliser les tensions raciales, à mettre fin à la ségrégation sociale et à éviter la guerre civile. En Nouvelle-Zélande, la réconciliation servit la construction d’une société postcoloniale qui reconnaîtrait la spécificité du statut et des droits autochtones, pour plus de justice, de cohésion sociale et de légitimité nationale. Au Canada enfin, la réconciliation servit la redécouverte des droits des populations autochtones et la révision en profondeur du contrat social, sur la base d’une autonomisation des autochtones et d’un partenariat repensé. (D’après la thèse de doctorat en étude anglophone de Ludivine Royer, L’Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles, Université Paris-Sorbonne, Paris IV Ecole de doctorat IV – civilisation, cultures, littératures et sociétés, octobre 2007.).

La paix ne peut à la lumière d’un concept aussi fort être considérée autrement que comme un projet de société à part entière. Elle nécessite l’élaboration puis la partage de sentiment de sécurité, de confiance et la fédération des énergies et des acteurs autour d’un projet commun de société. Aussi, la période de reconstruction doit-elle tendre à renforcer le rôle de l’état le plus représentatif possible, comme le positionnement de MDM en Afghanistan souhaite l’encourager. La période de réhabilitation devrait, en amont presque de la période du bilan, démarrer des assises nationales permettant de construire ensemble un « projet de paix », un « projet sociétal facteur de paix », demandant la collaboration de l’ensemble des acteurs, du plus local au plus international. En effet, comme cela est réaffirmé en introduction du Cahier de la Paix n°10, « il ne peut y avoir de paix durable si la paix n’est pas vécu comme une coopération durable »( Cahier de la Paix n°10,op. cit., p.14).

Reste à savoir sur quel modèle de société s’entendre. Les fiches qui présentent ce type de réflexion sont peut nombreuses et concernent principalement la Bosnie et le Sutterheim ; dans les deux régions, les modèles de société choisis sont économiques et capitalistes. Cela prouve à quel point cette question de l’élaboration d’un projet de société est encore négligé dans la réflexion lié à l’après-conflit ; en effet, l’auteur annonce déjà, concernant les choix du Sutterheim que « très vite, les limites du développement basé sur la privatisation se font sentir ». Toutefois la force de ce projet, qui a tout de même permis d’effectuer une transition vers la paix, réside dans la convergence des leaders, associée à leurs fortes personnalités et la motivation de la société civile.

La prédominance du domaine économique persiste encore dans les projets de reconstruction. Cependant la remise en question du modèle capitaliste par la crise actuelle va peut être permettre de réfléchir différemment au « vivre ensemble ». D’ors et déjà, on note de grandes avancées en terme de collaboration entre acteurs et de consultations des populations. La responsabilisation sociale croissante de l’ensemble des acteurs est un élément de plus pour conclure, avec Umberto Eco qu’ « il ne nous reste plus qu’à travailler, jour après jour, pour des paix locales, en rétablissant des situations transitoires de paix chaque fois qu’un état de guerre dévient insoutenable, dans l’immense périphérie des guerres anciennes qui sont en train d’ensanglanter à nouveau la planète. Si les grandes paix ont toujours été le résultat de victoires militaires, les paix locales peuvent naitre de la cessation provisoire d’un état de belligérance ». (ECO Umberto, Définitions à propos de paix et de guerre, Imaginer la paix, Académie Universelle des cultures, 2003, Grasset, p.39).

Notes

  • (1) : Ambassadeur Thomas Greminger, Chef de la Division politique IV (Sécurité humaine) Département fédéral des affaires étrangères (Suisse), Médiation et facilitation dans les processus de paix actuels : l’importance vitale de l’engagement, de la coordination et du contexte, Retraite sur la médiation de la Francophonie, Genève, 15-17 février 2007.

  • Pour tenter de comprendre la période de reconstruction, l’analyse s’est basée sur l’ensemble des situations et initiatives présentées dans les fiches d’expérience suivantes :

    • De Matthieu Ollagnon :

      • « Après-guerres, désagrégation économique et sociale : les exemples du Liban et de l’Ex-Yougoslavie ».

      • « La Microfinance au service de la paix ? Des exemples du Liban ».

    • De Karine Gatelier :

      • « La Reconstruction du secteur économique en Bosnie-Herzégovine ».

      • « Enjeux de la formation de l’armée nationale afghane (ANA) ».

    • De Florence Croidieu :

      • « La Banque mondiale au Timor Orientale (2000-2003) : soutien à un projet de réhabilitation du secteur médical ».

      • « La Banque Mondiale en République Démocratique du Congé (2002), soutien à un projet de réhabilitation multisectoriel ».

    • De Christophe Garda :

      • « La Contribution française à la construction de la paix dans les Balkans : les enjeux de la reconstruction de la paix ».

      • « Le Programme alimentaire, sanitaire et éducatif du CCFD pour aider à la reconstruction de la paix au Cambodge ».

      • « Les missions d’assistance internationale à la reconstruction : l’exemple de l’intervention américaine à Haïti ».

      • “Le Défi d’actions communes en faveur de la paix, menées par des acteurs à vocations distinctes”.

      • « L’implication de Renaud V.I en Bosnie : les enjeux économique de la reconstruction ».

    • De Claske Dijkema :

      • « L’aide internationale en Afghanistan : obstacle à l’émergence d’un Etat souverain ».

      • « L’expérience de Sutterheim, un espoir de développement local (Afrique du Sud) ».

    • Et Modus Operandi :

      • « Under the shadow of Calmness lies Hidden the Lion : the Difficult Post-Conlict reconstruction in Chechnya ».