Fiche d’analyse

Thomas BOUDANT, Bambari, janvier 2013

Un point sur la rébellion en Centrafrique, vu depuis Bambari

Quel rôle joue le Tchad ?

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L’attaque simultanée des villes de Sam Ouandja, Ndélé et Ouadda par les rebelles coalisés sous le nom de Séléka (« alliance » en sango, la langue nationale) est intervenue le 10 décembre 2012. Face à la progression rapide de cette rébellion vers le centre de la République de Centrafrique (RCA), l’organisation humanitaire pour laquelle je travaille a décidé d’évacuer l’ensemble du personnel expatrié de la ville de Bambari à Bangui, la capitale de la RCA. La crainte de l’attaque de la ville de Bambari s’est concrétisée le 23 décembre lorsque les rebelles ont pris la ville après à peine deux heures de combat et le repli des forces armées centrafricaines (FACA). Depuis l’attaque, plus aucun contact avec la ville n’est possible, les rebelles ayant coupé l’ensemble des réseaux de télécommunication de la ville.

Le soutien de Déby soluble dans la surdité de Bozizé

L’événement annonciateur de cette offensive rebelle semble bien être le retrait des militaires tchadiens qui assuraient la sécurité de Bozizé, en novembre 2012. Depuis sa prise de pouvoir en 2003, par un coup d’état soutenu par le Tchad, environ 200 militaires tchadiens assuraient la protection du président. Ils étaient donc à Bangui, complètement intouchables et au-dessus des lois, leur comportement vis-à-vis de la population (viols, violences, vols, etc.) en avait fait la terreur de la population, leur départ signifiait donc une vulnérabilité de Bozizé car, comme on l’a vu, l’armée centrafricaine est incapable de sécuriser le pays. Il est intéressant de prendre un peu de recul et de réaliser qu’il s’agissait donc de militaires tchadiens (des étrangers musulmans) qui assuraient depuis 9 ans la sécurité du président centrafricain, dont la majorité de la population est chrétienne/animiste.

Ce retrait des éléments tchadiens reflète-t-il la lassitude de Déby ? Protecteur du régime centrafricain, le Tchad était déjà intervenu en 2007 à Birao lorsque la ville avait été prise par la rébellion de l’UFDR ainsi que l’année dernière afin de chasser le rebelles tchadiens Abdel Kadder Laddé (dit Babba Laddé) en envoyant des troupes terrestres et aériennes. Depuis Déby n’a cessé de rappeler à Bozizé l’importance de mettre en place un dialogue politique à la fois avec la rébellion et l’opposition démocratique, ce qui n’a jamais été fait. Un « lâchage » de Bozizé par Déby s’expliquerait donc par la crainte de voir la paix dans la sous-région menacée par l’attitude du président centrafricain. La pression exercée par la rébellion pourrait soit le faire changer d’attitude, soit amener un remplacement opportun.

Cette hypothèse pourrait selon moi être confirmée par le comportement des troupes tchadiennes envoyées dès le début de la crise: très lourdement armés et entraînés, les soldats tchadiens auraient pu sans problème mettre en déroute la rébellion, ou tout du moins bloquer leur progression. Dans les faits, les Tchadiens, qui se sont positionnés en force d’interposition et non d’attaque, n’ont pour l’instant pas tiré une seule fois sur les rebelles et n’ont cessé de se replier vers Bangui à chaque avancée de la rébellion.

Un combat inégal

Avant l’arrivée des renforts de la FOMAC et de la MICOPAX en interposition à Damara (73 km de Bangui, dernier verrou avant la capitale) tout le monde à Bangui s’attendait à la prise de la capitale par la rébellion. La mise en place de ce barrage à Damara a complètement changé la donne : beaucoup d’hommes et d’équipements sont positionnés sur place qui contrastent grandement avec l’armée centrafricaine, incompétente, sous-équipée, sous-motivée et sous-payée, il s’agit de militaires formés, équipés et avec un vrai pouvoir d’interposition. En effet, la progression très rapide de la rébellion n’est pas tant due à l’armement de celle-ci mais plutôt à l’incapacité des FACA à protéger les villes, résister et stopper l’avancée des rebelles. De fait, dans beaucoup de villes, il n’y a eu que peu de combats, les soldats centrafricains ont généralement fui avant l’arrivée des rebelles, attitude compréhensible étant donné que face aux rebelles ils n’avaient aucune chance vu le manque d’équipement. Ce sous-équipement de l’armée pourrait s’expliquer par la méfiance du chef de l’État quant à son armée, qui n’a jamais voulu lui donner les moyens nécessaires à la sécurisation du pays, par peur d’un coup d’État militaire. Dans la même logique lors de la fête du 1er décembre 2012 (indépendance) Bozizé à distribué nombre de grades militaires notamment ceux de généraux: la RCA se retrouve donc avec 27 généraux pour 3 000 soldats, une bonne façon d’assurer la quiétude des responsables militaires et s’assurer qu’ils ne se retourneront pas contre le pouvoir en place.

Soutien extérieur

Depuis le début les rebelles revendiquent le fait qu’il s’agit d’une crise « centrafricano-centrafricaine » et qu’ils ne sont appuyés par personne. Dans les faits, le contexte régional s’y prête bien, comme le montre la déclaration d’un membre de la rébellion :

Nous avons le soutien politique de proches d’Idriss Déby, mais cela ne veut pas dire qu’on a le soutien personnel du président Déby. Concernant Sassou Nguesso, cela fait longtemps qu’il ne s’entendait plus avec Bozizé. Il a joué un rôle important, notamment pour demander au président Déby de ne pas intervenir militairement contre la rébellion. Quant au Soudan, c’est très clair, il n’y a aucun élément soudanais dans notre mouvement. D’ailleurs vous savez très bien que les relations ne sont pas bonnes entre le Tchad et le Soudan, ce serait donc contradictoire.

Origine des armes

Des incertitudes planent sur l’origine de l’équipement de la rébellion. De fait le nord-est de la RCA est depuis des années une zone qui échappe au contrôle de l’Etat centrafricain et la situation géographique de la zone (frontière avec le Tchad et la région soudanaise du Darfour) a permis le développement de trafics en tous genres. Cette zone tri nationale échappe en effet au contrôle étatique, ce qui facilite l’approvisionnement en armes depuis le Soudan par exemple. Sans pouvoir l’affirmer, il est envisageable que l’origine des armes des rebelles, outre celles dont ils disposaient déjà auparavant et celles récupérées à l’armée centrafricaine, soit libyenne. En effet le renversement de Khadafi a entraîné la dispersion de l’armement libyen dans la région. Un transit illégal de cet armement, via le Soudan, est de fait une possibilité.

Cela ne nous dit cependant pas d’où provient l’argent nécessaire à l’achat de ces armes et au paiement des mercenaires tchadiens et soudanais (djandjaweeds) recrutés par les rebelles pour venir gonfler leurs rangs. L’argent issu des pillages est une source de financement, mais cela est-il suffisant ?

Bangui reste l’enjeu

Les rebelles avaient dès le début annoncé qu’ils ne souhaitaient pas prendre Bangui, ce qui peut s’expliquer par le fait que la rébellion dispose d’un commandement compétent et formé, avec des porte-paroles en France (Eric Massi) qui maîtrisent bien les rouages de la politique internationale et qui savent qu’en rentrant à Bangui cela risque entraîner des affrontements, des victimes civiles, des pillages et éventuellement des affrontements inter-ethniques et/ou religieux: de tels événements risqueraient de discréditer la coalition aux yeux de la communauté internationale (c’est aussi pour cela que le comportement des rebelles sur le terrain, mis à part les pillages, est plutôt correct: pas d’exactions sur la populations, apparemment pas de victimes civiles ou très peu).

Enfin, avant l’arrivée des renforts africains, les rebelles étaient en mesure de prendre facilement Bangui et de renverser le régime du président Bozizé, d’où cette déclaration des rebelles disant qu’ils ne souhaitaient pas mener « la bataille de Bangui » étant donné qu’ils contrôlent déjà tout le pays.

Ce discours a néanmoins changé dernièrement suite à la mauvaise volonté affichée du pouvoir de Bangui d’aller vers des négociations (attaques des positions rebelles par l’armée centrafricaine, notamment à Bambari), cela explique la progression des rebelles sur Sibut car ceux-ci avançaient systématiquement suite aux tentatives pour les déloger. Les multiples trêves annoncées par les rebelles et qui n’ont tenu que quelques heures en sont un exemple: les FACA ont continué d’attaquer les positions rebelles alors que des trêves étaient annoncées.

En dehors de la crainte de voir Bangui aux mains des rebelles, qui jusqu’ici n’ont apparemment pas fait preuve de violences sur les populations des villes conquises, l’élément le plus préoccupant est la réaction de Bozizé et des membres de son parti, aux abois, qui cherchent toutes les options possibles pour conserver le pouvoir. Il a appelé lors d’un discours sur la place centrale de Bangui à prendre les armes - « arcs, flèches, coupe coupes » - pour protéger Bangui, soulignant la présence de « traîtres » étrangers à Bangui et demandant aux jeunes d’aller les chercher dans les maisons pour les livrer à la police. Appeler à créer des milices, les armer, dans ce contexte de stigmatisation des étrangers et des musulmans centrafricains comme responsables de la crise pourrait entraîner des incidents sérieux dans un contexte où, déjà auparavant, des tensions entre musulmans et chrétiens existent : les gros commerces à Bangui sont essentiellement tenus par les musulmans, les chrétiens occupant plutôt des postes informels tels que la vente de petits objets dans la rue, thé, etc.).

Des distributions d’arcs, de flèches et de machettes ont été réalisées par le parti présidentiel, les comités d’auto-défense, composés par des jeunes, ont désormais établi des barrages un peu partout en ville, contrôlant les véhicules et passagers, si une personne ne parle pas sango, elle est aussitôt livrée à la police. Certaines informations font état d’incendie par des jeunes de maisons appartenant à des supposés « sympathisants/soutiens » de la rébellion car ils « ne voulaient plus d’eux dans le quartier ».

Les forces d’interposition et le nouveau rapport de force

Face à la situation très défavorable à Bozizé il y a encore deux semaines, celui-ci a accusé à tour de rôle « la main invisible des puissances étrangères » (implicitement la France et Etats-Unis), les traîtres de la nation, les musulmans, tout en sollicitant en même temps l’appui de la France. Les rebelles étaient clairement en position de force pour des négociations : Bozizé n’avait plus aucune marge de manœuvre pour négocier son maintien au pouvoir, en cas de désaccord les rebelles étaient en capacité de s’emparer rapidement de la capitale.

Néanmoins depuis la protection de Bangui par les troupes internationales et l’avertissement très clair du responsable militaire de la FOMAC - « si les rebelles arrivent à Damara on s’interposera, Damara est la ligne rouge à ne pas franchir » - les rebelles sont clairement moins en position de force. Bozizé donc repris de l’assurance car il revendique désormais publiquement le fait qu’il lui reste 3 ans de mandat et qu’il compte le terminer.

Des négociations difficiles et un avenir incertain

La médiation de la CEEAC (Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale) et l’interposition de la FOMAC ont permis de figer le conflit afin d’amener les protagonistes à la table des négociations. Celles-ci se sont déroulées à Libreville (Gabon) en janvier, suite à plusieurs reports.

En dépit du maintien du président Bozizé à son poste, les rebelles ont obtenus la nomination d’un premier ministre issu de l’opposition, Nicolas Tiangaye, et des ministères ont été attribués à la rébellion ainsi qu’à la société civile.

Ce gouvernement d’union nationale, dont les membres n’ont pas encore été désignés par le premier ministre, aura face à lui une tâche difficile : celle de sécuriser le territoire centrafricain et de remettre le pays sur la voie du développement.

Le principal risque étant un blocage politique dans les décisions, le pouvoir étant désormais partagé entre le parti présidentiel, les rebelles et la société civile. L’ensemble de ces acteurs devra faire preuve de bonne volonté et faire primer l’intérêt national sur les considérations ethniques, religieuses ou géographiques comme cela a souvent été le cas en RCA.

Notes