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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Caracas, Venezuela, juillet 2003

Venezuela : l’élection d’Hugo Chavez en 1988, le défi d’articuler réformes sociales et démocratie.

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Dans les années 1980 et 1990, l’Amérique latine a tenté de mettre en place un ensemble de réformes sociales, politiques et économiques importantes, dans le sens de la démilitarisation des rapports sociaux, de la démocratisation du pouvoir et de la libéralisation de son économie, non sans difficultés et sans oppositions. Le Venezuela a connu les mêmes phénomènes à cette époque : c’est en 1989, que des changements commencent à être mis en œuvre, provoquant de la part de la population un refus des nouvelles orientations, notamment en matière économique, et une contestation active forte. À cette époque les prix du pétrole chutent de façon drastique. L’économie vénézuélienne s’effondre et la politique entre en crise, sans que la société n’ait les ressources matérielles et symboliques nécessaires pour inventer et mettre en œuvre des solutions efficaces et responsables.

En février 1989, les couches populaires et les classes moyennes décident de manifester publiquement leur désapprobation du système social, politique et économique, et de s’opposer frontalement aux réformes en cours. Une rébellion populaire de grande ampleur s’est déployée à Caracas. Elle a dynamité le nouveau gouvernement Pérez ainsi que la légitimité du système en vigueur : d’une part, les autorités politiques ont expérimenté l’opposition de la population qu’elles censaient représenter ; d’autre part, la population commençait à formuler des demandes dans le sens d’une réforme complète du système. Face à une situation sociale en effervescence, le Venezuela a connu en 1992 deux tentatives de coup d’État venant de groupes militaires, avec à la tête le général Hugo Chavez. Bien que celles-ci aient échoué, elles ont mis le gouvernement en crise tout en renforçant les aspirations réformatrices et contestataires. Le nouveau président Caldera a fait à la population de nombreuses promesses « contre le libéralisme, pour la justice sociale, contre la corruption politique ». Sous le gouvernement Caldera, la population avait le sentiment que ces promesses n’étaient pas tenues et que le gouvernement agissait dans le sens contraire.

Tout au long des années 1990, le Venezuela a vécu dans un climat d’agitation politique doublé par des crises économiques fortes dues, notamment à la dépendance de l’économie vénézuélienne face au prix international du pétrole : la forte diminution du prix du pétrole en 1998 a contribué à la crise économique qui, à son tour, se déclinait par l’aggravation de la crise politique.

Les partis politiques traditionnels n’ont pas su répondre aux attentes de la population. Ils ont cru pouvoir continuer à contrôler la situation par le biais du clientélisme tout en gérant l’État de façon patrimoniale. L’aggravation des conditions économiques de la majorité de la population et le sentiment d’être spolié des richesses nationales par une élite pétrolière corrompue ont empêché les partis politiques traditionnels qui se partageaient le pouvoir de continuer à être les agents de redistribution de la rente pétrolière.

Pour autant, s’il n’y avait pas d’alternatives, l’idée d’un changement fondamental et urgent du système s’était répandue auprès d’une classe moyenne en processus d’appauvrissement et d’une couche pauvre qui commençait à connaître des conditions de misère. La conviction que l’économie se dégradait sans aucune solution en vue, que les institutions politiques étaient rongées par la corruption, que les autorités politiques n’étaient plus capables de gouverner, qu’il fallait réformer le système d’élections afin d’établir une véritable représentativité de la société civile, que la majorité de la population vénézuélienne s’appauvrissait de plus en plus alors qu’elle vivait sur une mer de pétrole, que le Venezuela allait droit dans le mur… a favorisé fortement le souhait de voir venir un changement politique fort.

En 1998, la contestation montait, l’opposition s’organisait.

Il ne s’agissait pas d’une opposition aux autorités ni au parti au pouvoir, c’était une opposition au système. Le groupe qui avait tenté les coups d’État en 1992 avait connu deux grandes mutations : il s’était élargi de façon très importante et il avait opté pour la voie légale pour arriver au pouvoir. Un parti politique à été organisé et un mouvement s’est mis en marche. Son leader, le général Hugo Chavez, est devenu candidat à la présidence de la République. Ce mouvement-parti politique, appelé « Mouvement de la Ve République » (MVR) avait pour objectif de mettre en œuvre une « révolution ». Chavez, perçu comme un leader charismatique, a axé sa campagne sur des promesses concernant la lutte sans merci contre la corruption et en faveur de la justice sociale. Dans la lignée du messianisme politique latino-américain Chavez se présentait comme un véritable rédempteur du système social, politique et économique vénézuélien.

La campagne était fondée sur l’affirmation suivante : la situation de pauvreté dans laquelle vit la majorité de la population, alors que le pays est très riche en pétrole, ne peut s’expliquer que par la richesse d’une minorité : c’est parce que cette minorité s’est appropriée ce qui appartient à tous les Vénézuéliens que la pauvreté existe. Il est grand temps de renverser la situation pour arrêter cette spoliation et rendre à chaque vénézuélien ce qui lui revient.

Un tel but a provoqué l’enthousiasme et l’engagement d’une grande partie de la population vénézuélienne, notamment des plus démunis, ainsi que la méfiance d’une autre partie, notamment la plus riche. En effet, l’alliance entre la gauche et l’armée donnant naissance à des militaires révolutionnaires n’était pas nouvelle en Amérique latine. Chavez était très fortement soutenu par des groupes ayant participé aux mouvements de guérilla des années 1970 qui étaient restés dans une position idéologique, sans pouvoir vraiment s’incorporer aux procédures démocratiques.

La majorité de la population, ayant le sentiment d’être victime d’un système de corruption ancré au cœur des institutions et des élites politiques, a décidé de marquer un tournant profond en élisant Hugo Chavez à la présidence en décembre 1998. C’était le choix d’une réforme voulue tellement importante que le nouveau président Chavez l’a appelée « révolution ».

De 1999 à 2001, les prix du pétrole ont grimpé de façon très importante. Le nouveau président a pu commencer à mettre en œuvre de nouveaux programmes sociaux, la construction d’infrastructures, des augmentations importantes des salaires, etc. Pendant les deux premières années de son mandat le nouveau président avait plus de 80 % de la sympathie de la population.