Xavier Guigue, Bruxelles, June 2005
Bosnie Herzégovine, des gens de bien au temps du mal, 1992-1995
Des témoignages à l’état brut par ceux qui ont vécu la guerre dans leur chair en provenance de toutes les régions de Bosnie Herzégovine recueillis par Svetlana Broz, petite fille de Tito.
Ref.: Des gens de bien au temps du mal, Svetlana Broz, traduction Nicole Dizdarevic, Editions Lavauzelle
Languages: French
Document type:
Témoignage de gens de bien, ou de personnes qui ont dû leur salut à des gens de bien, ce recueil montre les qualités humaines d’un soldat, d’un voisin, d’un inconnu croisé dans l’horreur de la haine. Et ces qualités, comme leur contraire n’appartiennent à aucune ethnie.
L’ouvrage se veut être un hommage à ceux qui dans la discrétion ont dit non à la haine, parfois au péril de leur vie. Ceux-la qui ont sauvé des vies ont rarement le droit aux honneurs. Ce sont pourtant eux les vrais héros de la guerre.
Svetlana Broz est médecin. Elle a cherché à établir ce climat qui permet aux personnes rencontrées de se confier malgré la douleur et la peur qui continuaient de les tarauder.
Salih Delic raconte son village, où chacun invitait l’autre à célébrer leurs fêtes traditionnelles. C’était collectivement que la mosquée a été construite, tout comme l’église orthodoxe. Et la guerre malgré les ravages n’a pas brisé cette unité : aux yeux des nationalistes, les Serbes n’étaient pas de vrais Serbes et les Bosniaques pas de vrais Bosniaques puisqu’ils vivaient ensemble.
Zora Udovcic est à la recherche de son fils, il est de l’autre côté de la ligne de front. Personne ne veut l’amener. Il y a des contrôles armés partout. Pourtant un inconnu l’invite à monter dans sa voiture et se glisse entre les barrages. Il s’arrêtera discrètement laissant Zora traverser la frontière que lui ne pouvait pas franchir. Il a reçu pour simple récompense le bonheur de la savoir retrouver son fils.
Nura Mehmedbegovic habite à Grbavica, la zone sous contrôle des nationalistes serbes. Elle a une tumeur au cerveau et l’hôpital est de l’autre bord. Son Oncle a 80 ans, ancien Kiné, il connaît du monde et réussit à lui fournir un « permis ». Il met sa vie en jeu : si elle ne revient pas, c’est lui qui paiera. Soigné à l’hôpital, Nura aura vécu deux jours de « liberté » mais elle est revenu à Grbavica. Pas une seconde son oncle en avait douté.
Mile Plakovalic est chauffeur de Taxi. Il transporte des blessés, les amènent à l’hôpital, apporte de la nourriture ou des vêtements aux enfants ou aux vieillards. Son taxi est criblé de balles. Il ne demande rien, si, juste la destination.
La ville est occupée par des nationalistes croates. Dans l’immeuble, vivent Croates, Bosniaques et Serbes. Des pilleurs approchent pour chasser ou dénoncer les « ennemis » et vider leur appartement. Alors les locataires croates qui n’avaient rien à craindre s’installent devant l’entrée de l’immeuble, et pour longtemps avec tables, chaises et boissons. Ils ne laisseront entrer personne.
Ilija Covic est chauffeur, il approvisionne le camp où les Serbes sont détenus. Il n’accepte pas qu’ils aient été internés uniquement en raison de leur nationalité. Dés qu’il peut, il leur donne en douce du pain, des cigarettes ou de l’alcool. Il refuse de vendre au marché noir des denrées aussi essentiel que le sucre car il a honte de profiter de la misère des autres.
Anica Zecar habite dans un immeuble où reste un Bosniaque, un Croate, un Kosovar et deux Serbes. Elle a changé les noms sur les portes et quand elle voit une milice approchée, elle crie « Radovan, éteins sous la casserole » , c’est le signal pour se cacher.
Borka Maksimovic est serbe, elle ne supporte pas qu’on emprisonne et maltraite des innocents. Elle défie ceux qui l’accusent d’être traite à son peuple. Elle est témoin de violence à l’égard de civils. Elle dénonce les responsables au commissariat local qui ne réagit pas. Elle va alors jusqu’à Pale pour avertir leur supérieur qui n’est au courant de rien.
Zlatko Hrvic travaille à l’hôpital. Comme chaque matin, il s’apprête à partir quand une milice nationaliste croate s’interpose. Au même moment, son voisin sort, prend sa voiture, s’arrête devant Zlatko, lui demande où il va et lui ouvre la portière. Zlatko lui chuchote « Tu sais ce que tu fais ? Tu as des filles, tu pourrais avoir des ennuis » . La réponse est limpide : « je fais cela précisément à cause de mes filles. Nos enfants ont grandi ensemble. Si je ne t’aidais pas, je ne pourrais plus les regarder en face » . La voiture traverse la ville en silence. Zlatko a trouvé refuge pendant un mois à l’hôpital, tandis que son voisin cachait sa femme et sa fille.
2005 personnes ont été fait prisonniers. Sead Setic est la plus connue. Un colonel s’avance et demande qui est le chef. Sead se présente, comme médecin, humaniste et dénonce ces arrestations arbitraires. Le colonel semble l’approuver et lui dit « emmène les tiens et tire-toi de là » . Sead se retourne vers l’ensemble des prisonniers et dit « ils sont tous les miens, mon colonel »
Djido est mort dans une embuscade. A son enterrement, quelqu’un proclame qu’il est mort pour la patrie et qu’il sera vengé. Mais le père de Djido l’interrompt : « Je n’ai jamais appris à mon fils de se battre pour une grande Serbie. Je ne veux pas que l’on enterre mon fils comme un grand Serbe, mais comme un homme « grand » »
Rade Draskovic est un soldat de la Republika Srpska. Il occupe un appartement situé au-dessus de celui d’une vieille bosniaque. Il la protége contre les assauts de ses voisins, aveuglement nationalistes qui s’attaquent si facilement à une vieille femme. A la fin de la guerre, quand il a rendu l’appartement qu’il occupait, tout était intact alors que tout autour le pillage était la règle. Des paroles de son père lui reviennent en mémoire : souviens-toi, on ne récolte que ce que l’on sème.
Jole Musa est une personnalité de Mostar. Alors que les Bosniaques sont chassés des quartiers ouests de la ville, Mate Boban, le leader nationaliste croate lui demande d’en être le Maire. Jole répond si c’est pour la paix et non la guerre, si c’est au nom du peuple croate et du peuple bosniaque, alors il accepte et il est prêt à sortir dans les rues pour dire « c’est fini » . Mais si c’est pour faire la guerre, alors ils n’ont plus rien à se dire. Jole n’a pas été Maire, quand un jour il a vu passé devant chez lui des dizaines de personnes expulsées de chez eux, il en a installé une trentaine chez lui pour ensuite les conduire discrètement auprès de membres de leur famille.
Zora Savic vit à Zenica avec sa famille. Son mari est invalide. Elle cherche depuis deux ans à rejoindre le territoire serbe, mais les filières sont trop chères. Elle a la chance de retrouver un ami bosniaque qui travaille dans la police et lui fabrique des faux papiers. Ce dernier insiste. Il faut bien se souvenir de leur nouvelle identité sinon… Chacun s’exerce pendant plusieurs semaines jusqu’au jour où ils décident de partir. A un check-point, un policier demande les papiers à la mère de Zora. Celle-ci se trompe et lui tend ses vrais papiers d’identité. Après les avoir longtemps examinés, il lui chuchote « pas celle-là, donne-moi l’autre carte » et lui souhaite ensuite bon voyage.
Dragan Simic est combattant dans l’armée de Republika Srpska. Blessé gravement au combat, ces compagnons l’abandonnent. Trois soldats bosniaques approchent. Il s’attend au pire avec toutes les histoires de cruauté que l’on raconte à propos des bosniaques. Pourtant très vite, les soladats s’activent autour de lui pour examiner sa blessure et appeler les secours. Dragan sera soigné à l’hôpital de Tuzla. Aujourd’hui, il sait que plus aucune force, aucune idéologie ne pourra l’inciter à porter un fusil.
Commentary
Ces quelques extraits sont significatifs de la capacité d’agir même dans les pires moments à condition d’en avoir la détermination. Avoir le courage de dénoncer les violences, protéger les innocents, sauver les blessés quels qu’ils soient, porter assistance en dépassant les préjugés, refuser les stéréotypes… sont quelques unes des actions menées par ces justes.