Audrey Morot, Grenoble, France, March 2006
Emission RCF Isère avec Mauricio Garcia, Edwin Ortega et Xavier Robert
Un tour de France pour faire connaître les Communautés de Paix.
Keywords: | | | | | | | | | | | | | | | | | |
Ref.: Emission RCF Isère datée du 16 octobre 2000, Ce document est CD audio, Ce document est disponible à l’Ecole de la Paix
Languages: French
Présentation des invités :
-
Edwin Ortega est membre des Communautés de Paix dans la commune de Riosucio dans l’Uraba.
-
Mauricio Garcia est jésuite et politologue et coordonne les Communautés de Paix depuis le CINEP (Centre de Recherche et d’Education Populaire).
-
Xavier Robert est coopérant pour la Délégation Catholique pour la Coopération en lien avec le CCFD (Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement) et travaille avec les Communautés de paix et le CINEP.
L’interview est essentiellement menée avec Xavier Robert, Edwin Ortega s’exprime pour se présenter et pour conclure l’échange.
Xavier Robert est amené à donner une explication sur la « guerre » - terme utilisé par la journaliste – qui sévit en Colombie.
Selon lui, différents enjeux sont à la source d’une guerre dont les causes sont très profondes :
-
La délimitation et l’utilisation du territoire
-
La situation économique et les injustices sociales à l’intérieur du pays
-
La puissance des personnes au pouvoir
-
Le bipartisme de droite ne laissant aucune place à une politique de gauche
Puis, Xavier Robert évoque les chiffres d’un conflit très long et extrêmement violent : on dénombre en moyenne 30 000 morts par an en Colombie dont 10 % est due à la violence politique. A cette période, l’estimation porte à 120 000 le nombre de victimes du conflit.
Face à cette tragédie, un grand nombre de Colombiens veut la paix et de nombreuses expériences voient le jour à l’intérieur du pays. Les Communautés témoignent de ces initiatives. Elles représentent 8 000 paysans, chassés en février 1997 de leurs terres et qui s’organisent en quelques mois pour sauver leurs vies et élaborer un projet qui leur permettrait de revenir sur leurs terres.
Ce projet, basé sur la non-violence, veut différencier la population non combattante (la principale victime du conflit) de la population combattante. Au total, ce sont 45 villages dans une zone très enclavée avec des forêts à perte de vue et sur un territoire grand comme une fois et demi le territoire de l’Isère (le département de l’Isère ayant une superficie d’environ 7500 km²) qui s’organisent de manière non-violente face à la pression continuelle des acteurs armés présents dans la région (guérillas, paramilitaires et militaires).
Ce choix pour la non-violence a un prix, en 3 ans, 40 personnes responsables des Communautés de Paix ont été assassinées – soit par la guérilla, soit par les paramilitaires.
De l’avis de Xavier Robert, les Communautés de Paix constituent une épine dans le pied de la guerre car, au dicton colombien dit « Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi » , les Communautés de Paix répondent « je ne suis pas avec toi, mais je ne suis pas non plus contre toi » .
En se situant dans un conflit non plus armé mais social, elles souhaitent libérer de la violence les personnes qu’elles représentent mais aussi que le gouvernement remplisse ses devoirs envers cette population qu’il a abandonnée depuis des années.
Concernant l’impact des Communautés de Paix, elles sont à la fois une épine et une fierté pour le gouvernement. La politique gouvernementale n’est pas clairement en faveur de la paix même si, globalement, et par la présence d’internationaux sur place et à l’étranger, on assiste à une réelle volonté politique de faire connaître les Communautés de Paix (CdP) dans le pays. C’est aussi le rôle du CINEP par ses interventions sur place et par l’information qu’il diffuse sur les CdP.
Quant à l’impact de l’observateur étranger, Xavier Robert insiste sur la volonté de protéger les Communautés de Paix en étant présent continuellement dans la région et en exerçant une pression pour que l’Etat et les acteurs armés respectent une position neutre envers les CdP (malgré la prise de parti de ces CdP dans le conflit colombien).
Dans l’action quotidienne d’une Communauté de Paix, la volonté de survivre prédomine pour les cultivateurs et pêcheurs qui la composent. Le dialogue en est un moyen : Edwin Ortega a fait partie pendant longtemps d’une Commission de Dialogue Humanitaire. Ce dialogue tente de faire respecter le devoir de neutralité aux acteurs armés et le devoir qui incombe au gouvernement et aux administrations publiques envers les Communautés de Paix.
Mauricio Garcia, Edwin Ortega et Xavier Robert réalisaient un tour de France pour présenter les Communautés de Paix en France: à Lille, Mâcon, Agen, Grenoble puis à Paris. Le but étant de faire connaître cette expérience pour que ces gens ne soient pas oubliés, que des actions soient entreprises depuis l’étranger et qu’un regard international se pose sur la situation des Droits de l’Homme en Colombie. Il est important d’attirer l’attention sur la situation de la population civile prise entre les deux feux des acteurs armés et de se positionner en faveur de l’application d’Accords de Paix, tout en valorisant l’action de paysans depuis la base.
Trois ans se sont écoulés depuis la création des Communautés de Paix en 1997 : les efforts, les risques et les pertes humaines qui ont jalonné ce parcours s’accompagne également de résultats : par l’esprit de solidarité et la reconstruction communautaire engendrés. Sans les Communautés de Paix, toute perspective de retour aurait était impossible et les assassinats encore plus nombreux.
Selon Edwin Ortega, il existait d’autres options que celle des Communautés de Paix, mais elles n’auraient fait qu’augmenter la violence. L’idée des Communautés de Paix, c’est précisément la non-violence et selon lui, la meilleure solution.
Commentary
Le témoignage d’Edwin Ortega résonne de manière particulièrement douloureuse, puisqu’il a été assassiné peu de temps après son retour en Colombie en décembre 2000. Leader de la Communauté de Paix de Costa de Oro, et particulièrement actif au sein du Comité Jeunes, son engagement lui a valut d’être accusé de vouloir enrôler les jeunes pour l’intérêt des paramilitaires.
Le bilan des Communautés de Paix après trois d’expérience laisse apparaître un engagement fort de la population déplacée pour la résistance civile non-violente. Cette volonté née d’une conjoncture particulièrement violente va évoluer par la suite pour se cristalliser autour de la revendication des droits territoriaux et culturels que la Loi 70 concède à la population afro colombienne. L’Association des Conseils Communautaires et Organisations du Bas Atrato – ASCOBA-, créée en 2003 prendra donc le relais des Communautés de Paix pour donner une dimension ethnico-territoriale à la lutte des communautés afro colombiennes.