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Florence Croidieu, Paris, 2002

Une étude de l’Unité de Prévention et de Reconstruction Post-Conflit de la Banque mondiale sur l’évolution récente des guerres.

Comment répondre au décalage entre les problèmes posés par les conflits contemporains et les réponses qui leurs sont apportées ? Présentation des nouveaux défis de la construction de la paix.

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Ref.: « From reconstruction to reconciliation: the nature of war determines the nature of peace », Colletta N.J., Nezam T., Banque mondiale, 1999

Languages: English

Document type: 

N.J. Colleta, directeur de l’Unité de Prévention et de Reconstruction post-conflit de la Banque mondiale, en association avec T. Nezam, consultant de cette même unité, ont élaboré une analyse de l’évolution récente des guerres. Cette étude fut motivée par le constat d’un décalage entre les problèmes posés par les conflits contemporains et les réponses qui leurs sont apportées. Cette fiche se propose de reprendre les principaux éléments de leur analyse.

Traditionnellement, la guerre est perçue comme l’opposition d’Etats souverains au travers d’armées de métier. Les victimes sont principalement les soldats et la victoire militaire signale la fin des hostilités. La paix qui en résulte, matérialisée par un accord formel, permet à chacun des partis de se reconstruire et, avec le temps, de coexister pacifiquement avec son ancien ennemi.

Depuis la seconde moitié du XXème siècle, les conflits tourmentant le monde sont principalement des guerres civiles violentes ayant des impacts qui affectent aussi les pays voisins. Ils opposent des combattants très jeunes, peu ou pas formés à l’exercice militaire et qui sont souvent originaires du même pays. Les populations civiles sont de plus en plus visées : déplacées ou tuées. Le cessez-le-feu résulte généralement de l’épuisement des partis et d’une impasse militaire. Les accords de paix sont rarement totalement appliqués et la période post-conflit est investie par une violence latente laissant la majorité des pays concernés dans un état prolongé de mi-guerre, mi-paix. Dans de nombreux cas, la guerre continue par d’autres moyens, dans une atmosphère de méfiance et de refus de chacun des partis de vivre ensemble, même lorsque des milliards de dollars et des centaines de personnes travaillant au maintien de la paix sont envoyés sur place.

Quelles sont les caractéristiques de ces nouveaux conflits ?

I. L’exploitation des identités

Pendant la guerre froide, les idéologies des deux superpuissances et les conflits d’intérêts dissimulaient les dynamiques politiques et les formations identitaires. Avec la disparition de l’Union soviétique et la baisse de l’aide qui en découla, de nombreuses petites élites politiques se convertirent au commerce illicite de produits de grande valeur afin d’avoir des devises et de maintenir leur pouvoir. Des rivalités profondément ancrées furent réveillées par ces élites, grâce à la manipulation des identités locales (religieuses, ethniques, etc…). Il en résulta une privatisation de la violence et un nombre croissant de guerres localisées.

En 1995, 33 des 34 conflits armés en cours dans le monde étaient des guerres civiles. Seul le conflit à la frontière du Pérou et de l’Equateur impliquait deux pays distincts. Et bien que, depuis, d’autres conflits internationaux aient vu le jour, en particulier en Afrique, la prédominance de conflits dits identitaires reste la principale caractéristique de l’ère de l’après-guerre froide.

Ces nouvelles guerres impliquent qu’à la fin du conflit, les anciens adversaires (civils et militaires) vont devoir cohabiter de nouveau. La mise en œuvre de ce principe d’unité est rendue très difficile lorsque les meneurs de guerre ont exploité les différences ethniques, religieuses ou historiques pour déclencher le conflit ; et presque impossible lorsque des atrocités telles que des épurations ethniques ou des génocides ont eu lieu, laissant des traces physiquement visibles ou mentalement indélébiles.

II. Des destructions civiles

Une autre caractéristique de ces nouvelles guerres est la distinction entre le fait de cibler des infrastructures physiques et des combattants ennemis et le fait de cibler une identité ethnique et des populations civiles. Très souvent, les conflits sont compliqués par la difficulté à distinguer les combattants des non combattants du fait de la transformation de soldats en rebelles, de la formation de milices par des jeunes et de l’endoctrinement d’enfants. Les populations civiles sont réduites au rôle de pions dans une lutte où la peur et l’insécurité ont remplacé la confiance et l’espoir.

Colletta et Nezam estiment que, dans les guerres civiles, neuf victimes sur dix sont des civils, le plus souvent, déplacés ou réfugiés. En Afrique, 80 % des personnes déplacées sont des femmes et des enfants.

Des « citoyens ordinaires » s’organisent pour commettre des actes de violence et il en résulte un sentiment accru de peur, de suspicion et de méfiance généralisée. Les combattants sont moins professionnels parce qu’ils sont recrutés parmi les jeunes. La plupart reçoivent une arme mais rien d’autre, ce qui les conduit à terroriser les populations civiles dans le but de se procurer de la nourriture et d’autres biens matériels. D’autres groupes informels tels que les forces paramilitaires et les bandes privées collaborent avec les gouvernements pour que la guerre satisfassent les intérêts des élites, au détriment des populations.

Dans ces situations, l’effort de reconstruction doit prendre en considération tous ces groupes et les conséquences sociales et économiques de la violence. Chacun de ces groupes (anciens combattants, déplacés, orphelins…) requière un type différent d’intervention. La reconstruction n’est plus simplement le fait de récompenser les vétérans et de reconstruire les ponts et les routes. La reconstruction consiste désormais aussi à cicatriser les blessures psychologiques, à reconstruire le capital social et à créer des opportunités économiques.

III. Une militarisation accrue

Du fait de la manipulation des identités et de la division des communautés, on constate une militarisation grandissante de sociétés entières.

Du côté de la demande, de nombreux gouvernements ont besoin d’une grande armée bien équipée pour rester au pouvoir. Ils manquent généralement de légitimité politique du fait de leur incapacité à satisfaire les besoins vitaux de leur population. Mais la maintenance d’importantes armées détournent des fonds de l’éducation, de la santé ou de la création d’emplois, favorisant ainsi le mécontentement populaire. Les insurgés, avec le temps, acquièrent eux aussi des armes et recrutent du personnel.

Du côté de l’offre, de nombreux adversaires de la guerre froide n’ont plus besoin d’un secteur militaire puissant. De ce fait, une partie de leurs équipements et personnel devient disponible pour répondre à la demande sur le marché. Des forces économiques motivent la vente des arsenaux militaires et la disponibilité de mercenaires.

En conséquence, de nombreux pays se retrouvent armés jusqu’aux dents, avec une génération de jeunes ne connaissant rien d’autre que la violence et n’ayant aucune expérience dans la résolution pacifique des crises. Dans certains cas, ces logiques de guerre sont favorisées par le secteur privé qui a tout intérêt à la perpétuation du conflit et à la création d’une économie de guerre.

IV. Des Etats faibles

Les trafics d’armes internationaux tels que nous venons de les présenter à l’instant sont, en partie, liés à la réduction de la souveraineté de certains Etats, qui subissent la menace de la globalisation des marchés et de l’information.

Intérieurement, des chefs de guerre locaux occupent certaines régions ou d’importantes parties du pays, aidés par des financements extérieurs. Ils collaborent souvent avec un secteur privé à l’affût de profits et ont des comptes « offshore » pour faciliter leurs transactions financières. Il en résulte une accumulation des richesses et du pouvoir créant des mini-Etats au sein de l’Etat.

Extérieurement, du fait de la corruption galopante et de l’affaiblissement de certains Etats, de nombreux bailleurs font circuler leur aide au travers d’ONG, cherchant à pourvoir des services généralement administrés par les gouvernements, tels que l’éducation ou la santé. Les tribunaux de guerre et l’émergence de normes et de valeurs internationales (droit humanitaire, droits de l’homme) réduisent aussi la possibilité, pour les Etats, d’imposer leur volonté.

Cela implique que l’une des tâches majeure de la construction de la paix est de reconstruire les institutions étatiques qui produisent les lois et fournissent les services de base pour une population affectée par la guerre.

V. Des besoins nouveaux

Ces nouveaux types de conflits, du fait des caractéristiques que nous présentent N.J. Colleta et T. Nezam, imposent une redéfinition de la construction de la paix. Faire redémarrer l’économie, normaliser les arrangements financiers, reconstruire les infrastructures et fournir des services tels que l’éducation et la santé restent des activités primordiales, mais ces conflits demandent que l’accent soit mis sur les besoins des individus, en particulier sur leurs besoins sociaux et psychologiques.

Cela peut impliquer de proposer des formations socio-psychologiques et des opportunités d’emploi aux anciens combattants et autres personnes susceptibles de devenir violentes. Cela peut aussi impliquer de permettre aux anciens adversaires de vivre séparément (et d’être indemnisés pour leurs terres et biens) en dépit des idéaux de pluralisme démocratique. Cela implique, enfin, la poursuite des criminels de guerre. En résumé, une période de stabilité est nécessaire pour que les besoins essentiels soient satisfaits et que les communautés affectées par la guerre puissent recommencer à vivre normalement.

Commentary

Les analyses telles que celle-ci sont nombreuses, mais il est utile de s’y intéresser car elles développent souvent un regard critique sur la reconstruction post-conflit. Elles sont aussi intéressantes car elles induisent un regard spécifique sur la construction de la paix. En effet, les propos de N.J. Colleta et T. Nezam, personnalités travaillant à la Banque mondiale, sont sans aucun doute très différents de ceux qu’auraient des humanitaires ou des personnalités politiques à ce sujet. Malgré cette inévitable partialité, cette fiche nous permet de constater que l’Unité de Prévention et de Reconstruction Post-Conflit, dont font partie Nezam et Colletta, développe une lecture à la fois très humaine et compréhensive des conflits du XXIème siècle, prenant en considération un large panel des besoins qu’ils induisent.

Notes