Fiche de document Dossier : Le Tigre et l’Euphrate, conflictualités et initiatives de paix.

, Paris, septembre 2007

La nouvelle économie de catastrophe

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Réf. : Naomi Klein, « Disaster economy. The new economy of catastrophe », Harper’s Magazine, volume 315, n° 1889, Octobre 2007, p. 47- 58.

Langues : anglais

Lors d’un séjour à Bagdad, j’ai visité le quartier à majorité chiite de Khadamiya. J’ai visité cette zone parce qu’un collègue journaliste irakien m’avait informée qu’elle avait été inondée la nuit précédente. Ces inondations sont en fait routinière dans cette partie de la capitale irakienne. Quand j’y suis arrivée, les rues étaient recouvertes par une nappe de liquide bleu-verdâtre qui moussait et bouillonnait des canalisations d’eau usée sous un asphalte fatigué. Une famille m’invita à voir ce que ces inondations à répétition avaient fait de leur maison, jadis charmante et chaude. Les murs étaient recouverts de mousse et craquelés. Les livres, les photographies, le sofa étaient enrobés dans une sorte de mousse faisant penser à des algues. Dehors, un jardin entouré par un mur était devenu un marécage fétide. D’un palmier mort, une balançoire d’enfant remuait tristement. Le propriétaire Yassine y cultivait auparavant des tomates. Pour lui, les coupables de cet état de chose étaient légion. Il y avait Saddam, qui dilapidait l’argent du pétrole en achats d’armes, pour la guerre contre l’Iran, plutôt que de le dépenser en infrastructures. Puis, il y a eu la Deuxième Guerre du Golfe au cours de laquelle les missiles américains ont détruit la centrale électrique proche et condamné à l’inaction la station de traitement des eaux usées. Vinrent ensuite les années de sanction imposées par les Nations Unies qui empêchèrent les ouvriers de faire les réparations indispensables sur le réseau d’égouts. Ce fut par la suite le tour de l’invasion américaine de 2003 qui emporta ce qui restait du réseau électrique. Plus récemment encore, ce sont les entreprises américaines chargées de mettre fin à cette gabégie et qui se révélèrent incapables de corriger la situation.

Plus loin dans la rue, une pompe montée sur un camion essayait de vider les canalisations. Yassine expliqua que les habitants du quartier, ainsi que la mosquée, s’étaient cotisés pour payer cette vidange – coûteuse et temporaire - des égouts. Je devais constater que bien d’autres quartiers recouraient à ce type d’entreprises de vidange de leurs égouts.

Plus tard dans la journée, je me suis rendue à la fameuse Zone Verte de Bagdad. Ici aussi, le défi qui consiste à vivre sans infrastructures publiques fonctionnelles était traité en faisant appel à l’entreprise privée. Mais, ici, les solutions résolvaient efficacement le problème. La Zone avait son propre réseau d’égouts et toutes les commodités, le tout protégé par des murs de cinq mètres d’épaisseur. Elle avait l’allure d’un bateau de croisière de carnaval mouillant au milieu d’un océan de désespoir et de violence qui n’était rien d’autre que la Zone Rouge que formait le reste de l’Irak.

Commentaire

Ce texte n’est qu’un petit extrait d’un long article que la journaliste consacre à ce qu’elle appelle « le capitalisme du désastre ».

Cet extrait montre comment les hostilités et les conflits torturent les populations et les menacent au plus profond d’eux-mêmes. Ils montrent aussi l’extrême importance, pour ces mêmes populations, des services d’eau et d’assainissement qui ont un si grand impact sur leur santé, leur alimentation voire – comme dans ce cas extrême - leurs biens meubles et immeubles. Il prouve ensuite que les problèmes de gouvernance de ces services sont au cœur des préoccupations et de la vie des populations et qu’ils commandent, in fine, la guerre et la paix. La capitale irakienne est traversée, ne l’oublions pas, par un fleuve mythique et majestueux : le Tigre qui a permis l’éclosion, sur ces rives, de magnifiques civilisations, de jardins suspendus , et de réalisations grandioses. Grâce à une gouvernance avisée en fin de compte.

Cet article montre enfin que ces services relèvent d’abord de l’Etat et que leur absence est un signe irréfutable de la mort ou de l’agonie de ce dernier.