Fiche de document Dossier : L’engagement actuel de la société civile pour la paix : ses réussites sur le terrain et ses défis pour l’élaboration d’une culture de paix. Présentation d’un ensemble de documents sur des initiatives de construction de paix par les relations entre économie et justice sociale.

, Paris, avril 2005

Une mère contre la dictature. Ouvrage de Hebe de Bonafini et Matilde Sanchez.

Ce livre est né des entrevues réalisées par l’auteur avec Hebe de Bonafini. Histoire de la vie et du combat de cette femme et surtout mère, présidente de la Ligne majoritaire du mouvement argentin de la Place de Mai.

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Réf. : Hebe de Bonafini, Matilde Sanchez, Descartes & Cie, Paris, 1999

Langues : français

Type de document : 

Le livre retrace l’histoire de la vie de Hebe de Bonafini depuis sa naissance, en 1928, dans le Dique, un quartier ouvrier s’étendant autour d’une raffinerie de pétrole, jusqu’à la mort de son mari, en septembre 1982.

Son enfance et sa jeunesse se déroulent dans un climat d’amour, de simplicité et de sereine routine («… nous éprouvions un certain plaisir à cette répétition tranquille de jours dont le rythme n’était rompu que par des projets simples et excitants »).

Son destin était déjà décidé par les traditions familiales : son frère eut le droit de continuer les études, tandis qu’elle fut obligée à suivre des cours de couture, broderie et tissage. Dans ce petit monde régi par ses propres lois et si éloigné de la capitale, dans cette société composée de parents, d’amis et de voisins, prisonnière du quotidien, on ne parlait pas de politique. Son éducation politique se fait par ses deux fils dans un merveilleux échange d’amour, ils lui apprennent à lire les livres et les journaux d’une façon critique et à ne pas voir la réalité comme une situation à laquelle se conformer passivement, mais comme une situation à changer. Ses fils « militaient » : l’un participait à un plan d’alphabétisation des adultes et aidait les prisonniers de la dictature, et l’autre travaillait au sein d’un syndicat.

Tout ce qui avait été sa vie jusqu’en 1977, change pour toujours quand Jorge, son fils aîné, est enlevé par les militaires. Hebe commence alors un infatigable pèlerinage dans les commissariats, les bureaux, les tribunaux pour avoir des nouvelles de son fils ; elle adresse aussi une lettre au président de la République Videla. Les deux premiers mois, elle est seule dans ses recherches infructueuses, lorsque, à la suite d’une rencontre avec une autre mère vivant la même situation, elle décide de rejoindre un groupe de femmes qui se réunissent à la Plaza de Mayo.

Son combat individuel devient ainsi collectif. Le mouvement s’organise progressivement, les mères se partagent les tâches, elles écrivent des lettres personnelles et collectives aux autorités, elles font publier dans les journaux des avis de disparition. Son engagement sans fin continue et se renforce aussi après l’enlèvement de son deuxième fils et les disparitions des quelques adhérents du mouvement, dont la fondatrice, Azucena Villaflor.

Le Mondial de football représente alors une occasion fondamentale pour le mouvement, car il lui permet de dénoncer devant les chaînes étrangères la dictature militaire et d’établir d’autres contacts avec l’extérieur. C’est ainsi que à partir de 1978, Hebe et des autres mères commencent à voyager à l’étranger pour rencontrer des personnalités politiques. Elles sont invitées à donner des conférences en Europe sur la situation des droits de l’homme en Argentine et elles reçoivent le prix de la paix des peuples.

Le livre se termine avec la transcription d’une poésie émouvante que son fils Raul lui a écrit pendant qu’il était prisonnier et qui lui est parvenue par le biais d’une fille qui a été libérée.

Commentaire

Il s’agit d’un récit qui parcourt les phases de la vie, de l’expérience tragique et de la lutte de cette extraordinaire femme, leader charismatique du mouvement des Mères de la Place de Mai.

C’est le témoignage d’une mère qui a transformé l’angoisse, la douleur extrême pour la perte de ses deux fils, en énergie, en intelligence et en force afin de continuer leur combat contre la dictature militaire. Elle s’est nourri de leurs pensées, de leur énergie et comme ils n’étaient plus là elle a pris leur place, elle a crié à leur place, en leur restituant la vie. « Parce qu’ils ne sont pas là, j’ai du prendre leur place, les revendiquer avec loyauté et leur restituer ne serait-ce qu’un morceau de vie ».

Il est surprenant de voir avec quel courage et dignité Hebe et sa famille ont affronté les disparitions forcées, ainsi que la force avec laquelle se battre.

Le livre offre en outre au lecteur un aperçu sur l’organisation et l’évolution du mouvement de la Place de Mai : les mères, qui étaient pour la plupart des femmes au foyer, instituent une communauté politique en s’engageant dans un combat contre la dictature sans jamais céder face à la répression, face aux menaces et aux contrôles du régime.

Mais d’où vient toute cette force et énergie ? De leurs fils mêmes, car après leur disparition forcée, elles ont ressenti le besoin de réagir par une activité frénétique pour continuer à vivre et à les faire vivre. Ayant perdu la raison même de leur existence, elles retrouvent la vie, en luttant pour leur enfants.

On y découvre aussi la solidarité entre les mères, elles se confortent les unes et les autres, ensemble elles deviennent capables d’affronter, de provoquer le pouvoir, et d’alerter l’opinion publique internationale.

Elles ont « socialisé » la maternité, en devenant les mères de tous les disparus. « (…) Un jour viendra où un fils, n’importe quel fils, traversera cette place pour entrer à la Maison du Gouvernement… Je ne sais lequel des fils, le fils de qui, mais il traversera la place pour la prendre et il sera devenu l’un de mes fils ».