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Pierre CALAME, March 1998

La rencontre : Algérie demain

Face à la montée de violence en Algérie et à l’absence de perspectives d’avenir de la société algérienne, une rencontre a été organisée pour nouer le dialogue sur les défis de la paix?

La rencontre relatée ici a eu lieu en avril 1996 dans un couvent près de Montpellier, en France. Elle fut organisée par Roby Bois et ses amis algériens. L’idée est née de la montée de l’intégrisme et de la violence en Algérie, trouvant au même moment son expression symbolique avec l’assassinat de l’Evêque d’Oran, Pierre Claverie. Face à cette montée de violence, au vide politique, au sentiment profond d’échecs social et économique, les intellectuels algériens sont divisés:

  • Divisés d’abord entre ceux qui, craignant pour leur vie, ont fuit l’Algérie et ceux qui ont pris le parti de s’y maintenir coûte que coûte.

  • Divisés ensuite en d’innombrables chapelles et tendances politiques, se renvoyant les unes aux autres la responsabilité de la situation actuelle.

  • Divisés enfin entre les « éradicateurs » qui estiment impossible le dialogue avec les intégristes et ceux qui ne voient pas d’issue en dehors d’un tel dialogue.

Pour Roby et Jannette Bois, respectivement pasteur et sage femme, engagés depuis toujours aux côtés de l’Algérie (dans les Aurès, à la Cimade, à l’Ambassade de France en Algérie, au sein du Comité France-Algérie), c’est cette division entre leurs amis si révélatrice d’une société où le dialogue est remplacé par le silence ou les accusations mutuelles qui est le plus insupportable. D’où l’idée d’une rencontre de 30 personnes, principalement des amis franco-algériens, fondée sur un pari : si l’absence de dialogue, même entre anciens compagnons de lutte, est le révélateur de la crise profonde de la société algérienne, la tentative pour reconstruire le dialogue est le fondement de toute recherche de paix.

Roby avait demandé à Pierre Calame d’animer la rencontre, la FPH en finançant une partie. Conditions émises par Pierre Calame : les règles d’animation de la rencontre doivent être acceptées à l’avance. Premier obstacle à vaincre : la crainte de certains participants d’être manipulés. Or le format de la rencontre doit être adapté à son objectif, et une rencontre de deux ou trois jours, pour des gens peu habitués à se parler sereinement, c’est à la fois très court et très long : pas question de perdre un temps précieux à discuter de la manière de gérer le temps de parole et la méthode de travail. Mais compte tenu de l’investissement affectif, ce moment passé ensemble va être générateur d’angoisse.

Toute rencontre comporte à la fois attentes et peurs. Il faut faire exprimer les premières et gérer les secondes. Lorsque les participants sont des intellectuels peu habitués à la démocratie, il faut affirmer que la démocratie n’est pas l’absence de règles mais au contraire l’adhésion à des règles qui vont assurer l’égalité de tous devant le temps de parole. La garantie que la rencontre se passera bien est alors uniquement apportée par l’animateur. Il faut donc qu’il soit agréé par tous, et que le caractère directif, voire autoritaire de l’animation soit la garantie du caractère non directif et ouvert de la prise de parole elle-même.

Le premier soir, une première prise de parole de chacun dans une ambiance détendue a été centrée sur l’expression des attentes à l’égard de la rencontre. Elle a permis une gestion collective de l’émotion. Larmes et difficulté à parler sont au rendez-vous. L’animateur peut alors recaler le processus des jours suivants en fonction des attentes formulées. Celles-ci ne peuvent ni être décrétées par les organisateurs ni même être formulées avant la rencontre. Elles appellent une gestion en temps réel.

Toute la rencontre s’est déroulée en plénière. La parole a été libérée au départ. Puisque l’enjeu est de se parler, de se découvrir, d’être capable d’écouter les autres, la segmentation en ateliers serait contre-productive.

A partir de la première discussion, huit défis ont été identifiés pour reconstruire la société algérienne :

  • 1. L’école ;

  • 2. Redonner des perspectives aux jeunes ;

  • 3. Une société d’échange et d’ouverture ;

  • 4. La famille ;

  • 5. La mémoire et la transmission des valeurs ;

  • 6. Redéfinir l’Etat ;

  • 7. Construire la société civile ;

  • 8. La fabrication des élites.

Ils sont présentés le lendemain matin par l’animateur. Chacun doit pouvoir reconnaître que ces défis organisent bien ce qui a été dit au cours de la discussion. La synthèse est capitale pour donner crédibilité à la méthode d’animation. Cela va constituer le test que l’animation sert à renvoyer aux participants ce qu’ils ont dit et non à plaquer un schéma préétabli par les organisateurs, qui « font semblant » de refléter ce qu’ont dit les uns et les autres. Chaque défi fait l’objet d’une discussion libre, avec prise de note et expression des idées principales au tableau. Au cours de la journée, de longues coupures sont ménagées pour permettre à l’émotion de retomber. Chacun se sent menacé et ne souhaite pas que son propos soit nommément cité mais il faut à l’inverse une garantie qu’il sortira quelque chose de cette rencontre. En prenant la responsabilité de l’organiser, en demandant aux participants une totale implication, les animateurs ont pris l’engagement implicite qu’il y aura une suite, que cela servira à quelque chose. Un des aspects de la synthèse est de montrer graphiquement que les défis abordés ne sont pas séparés les uns des autres. Pour cela, nous avons visualisé en séance les liens entre les thèmes abordés, constituant l’ébauche d’un thésaurus cartographique de la rencontre.

Commentary

Une telle rencontre demande six mois de préparation, suscite de grandes attentes et sa réussite ou son échec se jouent dans les deux ou trois premières heures.

La méthodologie de la rencontre doit être cohérente avec les objectifs poursuivis : ici, montrer que le dialogue est possible et ne se transforme pas en cacophonie où chacun renvoie aux autres des griefs ressassés depuis des années.

Le choix du lieu est essentiel : ici, un couvent en pleine nature créé un climat de sérénité contrastant avec les tensions intérieures de chacun.

La décision de réaliser un document à partir de la rencontre a été pris seulement en séance. Les animateurs doivent être prêts à permettre ce type de suivi mais prêts aussi à accepter qu’il ne sorte aucun document écrit. Le choix même du titre, « Algérie tisser la paix », a fait l’objet de longues discussions ; il doit pouvoir cristalliser ce que les uns et les autres ont vécu.