Fiche DPH Dossier : Expériences de paix en 1999 : Violences dans les villes, en Afrique et en Europe (délinquance, trafics, criminalité, dégradations…), des exemples de gestion des violences urbaines

Ricardo SOSSA ORTIZ, avril 1999

Les positions contestables et contestées du Vatican par rapport aux dictatures latino-américaines

Une position contestable et contestée en particulier concernant Pinochet au Chili.

L’Eglise catholique a accompagné la conquête européenne en Amérique avec les violences et les spoliations qui ont marqué la domination sur les amérindiens du XVIème siècle au XIXème siècle. Cette Eglise devient avant tout, la représentante des intérêts de la minorité blanche : La procédure du « requerimiento » met en demeure les populations indiennes d’accepter la foi catholique, la juridiction du pape et du roi d’Espagne, sous peine d’extermination et d’esclavage. Les voix de religieux s’exprimant à contre-courant demeurent historiquement des phénomènes isolés.

A partir de la vague d’indépendances au XIXème siècle, la hiérarchie de l’Eglise restera liée économiquement et politiquement aux partis conservateurs et appuiera les partis politiques qui s’opposent aux réformes, y compris après la seconde Guerre mondiale.

Née dans les années 60, s’appuyant sur les communautés ecclésiales de base (60 mille au Brésil en 1982, un millier au Chili, plusieurs centaines au Paraguay et en Amérique centrale), la théologie de la libération préconise un engagement concret, et donc politique, de l’Eglise auprès des plus pauvres.

L’arrivée à la tête du Vatican de Karol Wojtyla, en 1979, provoque un virage au Saint-Siège. Devenu pape sous le nom de Jean Paul II, le nouveau Pontife d’origine polonaise, est fortement marqué par son expérience dans un pays du bloc communiste.

Dans ce contexte, l’Eglise catholique au Chili s’est distinguée en Amérique latine par une division en deux groupes :

  • D’un côté, ceux qui défendent la théologie de la libération et qui vont s’opposer au régime du général Pinochet au pouvoir de 1973 à 1989 ;

  • De l’autre, les secteurs les plus conservateurs de l’Eglise, notamment sa hiérarchie.

Le 28 décembre dernier, le cardinal chilien Jorge Medina, une des plus hautes autorités du Vatican, reconnaissait dans un entretien, diffusé par le journal La Cuarta, que le Saint Siège était engagé dans les « démarches discrètes à tous les niveaux » pour le retour au Chili d’Augusto Pinochet. La défense qu’a prise le Vatican en faveur de Pinochet, nous pose la question d’une possible moquerie et d’une certaine collusion entre les pouvoirs publics et l’Eglise : en 1993, le pape envoyait au général Pinochet une lettre de félicitations à l’occasion de son anniversaire de mariage.

Auparavant, l’Eglise progressiste chilienne (ceux qui partagent la théologie de la libération) avait déjà dénoncé avec énergie les violations des droits de l’Homme dès le coup d’Etat qui renversa le président Allende.

Peu avant Noël 1987, 150 prêtres, religieuses et laïcs du diocèse de Santiago du Chili signaient une « déclaration de guerre » contre le général Pinochet, sous forme de lettre ouverte à l’opinion publique. Tandis que d’autres évêques désavouaient ce document, le ministre de l’intérieur stigmatisait le communisme, le terrorisme et l’Eglise comme les trois forces opposées à la paix au Chili.

Pour Noël 1998, le pape déclarait - paradoxalement à la défense entreprise par le Vatican en faveur de Pinochet - que le « secret de la paix véritable réside dans le respect des droits de l’homme » et à l’occasion de la journée mondiale pour la paix, le 1er janvier dernier, Jean Paul II soutenait: « il faut retenir la main tachée de sang des responsables de génocides et des criminels de guerre."

Le Saint-Siège justifie sa position à partir de deux postulats :

  • 1) Par des raisons humanitaires vis-à-vis du général Pinochet ;

  • 2) La nécessité de réconcilier les Chiliens.

Une position qui efface la mémoire des victimes de 16 ans de violence structurelle et directe de la part du régime militaire de Pinochet. Une position qui ne prend pas en compte l’importance de l’aveu indispensable de responsabilité dans les crimes politiques pour arriver à la réconciliation.

L’attitude du cardinal Eodano (actuellement secrétaire d’Etat du Vatican), nominé a la nonciature de Santiago en 1979, a été déterminante dans cette prise de décision. Il a passé 10 ans au côté du général Pinochet, ce qui nous permet de penser à une profonde amitié entre les deux hommes et qui justifierait une telle défense. A ce propos, on se demande si l’action du Vatican reflète la position du pape ou s’il s’agit de la position individuelle d’une ou de quelques autorités ecclésiales? Si cette dernière interrogation est vraie, alors, qui gouverne Rome? Si n’est plus le pape, quelle est la fonction de celui-ci?

En tout cas, Jean Paul II n’a jamais condamné les dictatures en Amérique latine, à l’exception de Cuba. La grande discrétion du pape lors de son séjour en Argentine au sujet des atteintes aux droits de l’homme - il s’est refusé à recevoir les organismes humanitaires - est un exemple qui pourrait s’expliquer par la complicité, tacite de la plupart, et active pour certains, des évêques argentins avec la dictature : le général Videla et l’Almiral Massera passèrent de longues heures en compagnie du président de la Conférence épiscopale, Mgr Tortolo, la veille et le jour même du coup d’Etat, le 24 mars 1976.

Comme on le constate avec cet exemple, la position du Vatican donne lieu à penser qu’il devient l’avocat de « la loi de l’oubli » en mettant un point final aux poursuites contre les militaires et policiers accusés d’atrocités. La thèse de l’oubli pour se réconcilier peut seulement engendrer la haine avec plus de puissance que si justice est faite, en déclarant les responsabilités engagées dans un conflit.

Il est vrai, comme le montre bien le père Charles Antoine dans « Guerre froide et église catholique », qu’Augusto Pinochet a mis fin à un communisme en expansion au Chili, mais cela ne veut pas dire qu’il soit exonéré des crimes et des moyens qu’il a utilisés pour arriver à ce but. 2300 victimes en ont payé le prix avec leur vies.

La défense que prône le Vatican n’est-il pas un attentat contre les principes moraux les plus élémentaires, y compris celui de l’Evangile qui exige la contrition du pécheur ?

La position de Rome a divisé le peuple catholique : les victimes du régime Pinochet, ainsi que l’opinion européenne se voient complètement déçues, tandis que les adeptes de la « loi de l’oubli » - surtout au Chili - se réjouissent avec cette position. Une attitude dont la conséquence est plutôt la division et non la réconciliation, comme veut le croire le Vatican.

Commentaire

La contradiction entre le discours officiel du pape et cette action précise en faveur d’un criminel, met en suspens la crédibilité de Rome et de lL’Eglise, frappant les esprits chrétiens et surtout les victimes du régime Pinochet.

L’attitude du Vatican nous paraît plus une trahison qu’une raison humanitaire et qu’un principe réconciliateur. Au contraire, cette position crée une incertitude sur l’avenir de L’Eglise et un discrédit du Vatican vis-à-vis de la confiance chrétienne.

Notes

  • Fiche réalisée dans le cadre de l’atelier sur « Religion et Paix », La Haye, mai 1999.