Fiche DPH Dossier : Expériences de paix en 2001 : La société civile acteur de paix au coeur de sociétés traversées par la violence, dans la région des Grands Lacs notamment.

David GAKUNZI, avril 2001

Rwanda : genèse d’un conflit dit « ethnique »

Durant trois mois l’horreur s’est installée sur le Rwanda en Avril 1994…

500.000 morts, 1 million de morts, 2 millions de réfugiés … Des bouts de corps pourrissant le long des routes, dans des fosses communes, ou flottant sur le lac Victoria…. Les chiffres les plus fous, les images les plus insoutenables. Durant trois mois l’horreur s’est installée sur le Rwanda en Avril 1994.

I. Quelles étaient les racines de ce drame ?

Ceux qui se croient civilisés auraient tort de regarder de haut la tragédie rwandaise de 1994. Elle n’était pas la résurgence d’une quelconque ancestrale barbarie nègre. C’était une barbarie moderne suscitée par l’agression coloniale et la complicité entre des chefs africains illégitimes et des puissances occidentales.

Il y a cinq siècles le royaume du Rwanda se dessine. Jusque là il était constitué de chefferies autonomes. Le pouvoir central s’affermit alors et une hiérarchie sociale se cristallise dans les trois groupes qui composent la population :

  • Les Tutsi sont plutôt des éleveurs ;

  • Les Hutus cultivent la terre ;

  • Les Twa vont à la chasse, vivent de la cueillette et de la poterie.

Mais un Tutsi qui perd ses vaches est aussitôt assimilé à un Hutu et un Hutu qui possède un troupeau est assimilé à un Tutsi. Cette mobilité sociale est sans doute l’une des raisons qui explique que le Rwanda pré-colonial n’ait jamais connu un conflit généralisé. Non pas que la société de l’époque eut été un modèle d’harmonie mais le pouvoir usait du consensus. Même si le roi par exemple était d’origine Tutsi, son pouvoir était toujours contrebalancé par celui des sages Hutus.

En outre l’Etat pré-colonial, émanation du corps social, avait mis en place des mécanismes quotidiens de gestions des différents conflits. Quand il y avait un quelconque problème qui se posait dans la société, il était porté soit devant les sages des collines soit à la cour royale. Et jamais les différentes parties en conflit ne pouvaient se séparer sans l’avoir réglé.

II. La politique coloniale : diviser pour régner

Ce sont en fait les colons Belges qui ont favorisé le développement du virus ethnique. Ils ont commencé par théoriser un Rwanda divisé. Au début du siècle un médecin belge du nom de Sasserath décrit les Tutsi comme « un peuple sémitique avec un nez droit et des lèvres minces appartenant à la race des seigneurs, réservés, distants, polis et fourbes." Les autres ? Ce sont « les Hutus plus timides, malpropres et flemmards » qui formeraient « la foule des esclaves ». En 1930 Jean Jacques Maquet - comme pour conforter les schémas raciaux et racistes de Sasserath - photographie des Hutus en plongée sur fond d’herbes ou de terre, et des Tutsi en contre-plongée, profils d’aigles sur fond de ciel.

L’Eglise et l’administration coloniale vont aussi se faire les véhicules de ces théories racistes. Mgr Léon Classe, premier évêque du Rwanda, affirmera par exemple que « les Tutsi ont quelque chose du type aryen et du type sémitique ». J. Ghislain, administrateur du Rwanda, écrira que ‘le Muhutu est, comme on l’a souvent répété pour le nègre, un grand enfant superficiel, léger, volage… Ame servile et des habitudes de troupeaux de bêtes."

Ces schémas racistes vont servir de backline à la politique coloniale belge. Ainsi en 1934-35 le gouvernement colonial belge va subdiviser la population rwandaise en trois catégories figées selon un curieux critère quantitatif. Les Tutsi, les Hutus et les Twa ayant la même culture et la même histoire, pour les classer l’administration va se baser sur les vaches qu’ils possèdent : qui a plus de 8 vaches est étiqueté Tutsi et qui a moins de 8 vaches voit mentionné sur sa carte d’identité l’ethnie Hutu.

III. La destruction du système consensuel précolonial.

Quand en 1916 les Belges arrivent au Rwanda, ils trouvent un pays affaibli par des luttes de pouvoir. Selon la tradition le roi doit prendre épouse dans chacun des clans du pays, Hutus ennoblis ou Tutsi, et son héritier doit sortir de l’un de ses clans : à chacun son tour de régner sur le Rwanda. A l’arrivée des colons, le Rwanda est déstabilisé par un putsch d’un clan ayant refusé de passer son tour au clan suivant. Les Belges vont accroître ces querelles pour mieux tenir le Rwanda.

Ils s’emploieront même à détruire les assises de l’état pré-colonial. Ainsi les conseillers Hutus du roi sont expulsés du palais royal. En même temps de nouveaux chefs, fraîchement christianisés et baptisés, sont nommés par l’administration coloniale. Ils n’ont aucune légitimité sociale, perçoivent un salaire. Ils doivent leur pouvoir non pas à leurs compatriotes mais au bon vouloir des colons.

Ces nouveaux chefs, contrairement à ce qui se passait durant l’époque pré-coloniale, sont tous choisis parmi les Tutsi. En effet en 1926 le pouvoir colonial belge supprime la triple chefferie dans laquelle toutes les composantes de la nation rwandaise étaient représentées. Elle est remplacée par une chefferie unique issue de quelques familles Tutsi. A partir de ce moment le pouvoir traditionnel sera perçu comme Tutsi, et les Tutsi considérés comme des féodaux.

Pour affermir et pérenniser le pouvoir de ces nouveaux chefs, le pouvoir colonial envoie leurs enfants à l’école pour en faire des intermédiaires et des interprètes de l’administration coloniale. Ironie de l’histoire : les enfants Tutsi qu’on a envoyés à l’école se mettent à réfléchir au détriment de leurs maîtres belges. Cette nouvelle élite n’a rien de soumis et dans les années 50 elle réclame l’indépendance.

IV. 1959 : la déchirure.

Face aux velléités indépendantistes de l’élite Tutsi, les colons belges changent d’alliance et se tournent vers une élite Hutu naissante. En effet entre-temps dans les années 50 sous la pression de l’ONU qui contrôlait le Rwanda comme territoire sous tutelle, l’administration belge a été obligée de rectifier sa politique au Rwanda et d’intégrer les Hutus dans les écoles secondaires, leur réservant quelques places dans l’administration..

Les rivalités entre ces élites hutu et tutsi vont conduire le Rwanda tout droit vers la guerre civile, vers la grande déchirure de 1959. Cette année-là le roi meurt d’une crise cardiaque à la suite d’une anesthésie effectuée par des médecins belges. On parle d’assassinat. Par mesure de représailles, des Tutsi assassinent quatre leaders hutu, mettant le feu aux poudres. Très vite les morts se chiffrent par milliers. C’est le massacre que l’Histoire officielle présentera plus tard comme étant la Révolution sociale de 1959, ou encore comme la révolte des serfs contre leurs maîtres. Ce que les manuels scolaires ne disent pas c’est comment ce qui devait être au départ le renversement de la monarchie et de la caste dirigeante tutsi s’est transformé très vite en un génocide tutsi. Partout dans le pays des femmes, des hommes, des enfants sont massacrés du seul fait de leur appartenance à l’ethnie tutsi. Le pouvoir colonial et l’Eglise sponsorisent et encouragent les massacreurs : « tuer un Tutsi ce n’est pas un péché, c’est tuer un communiste », prêche même un évêque dans son église. Les survivants prennent les chemins de l’exil.

Deux ans plus tard le Rwanda devient indépendant. Pendant 11 ans la chasse aux Tutsi va rester ouverte….

Notes

  • Sources non communiquées.