Ficha de testimonio Dossier : Témoignages de Paix / Testimonios de paz / As Said by Artisans of Peace

, Costa Rica, marzo 2008

Entretien avec M. Victor VALLE

Propos recueillis, en espagnol, par Henri Bauer et Nathalie Delcamp (Irenees).

Keywords: La responsabilidad de las autoridades políticas con respecto a la paz | Trabajar la comprensión de conflictos | Diálogo social para construir la paz | Papel de los ex combatientes en la construcción de la paz | Respeto de los derechos humanos | Oponerse a la impunidad | Defensa militar de la paz | Etica y responsabilidad de los militares | Acuerdo de paz | Universidad de la paz de las Naciones Unidas | El Salvador | Guatemala

Irenees :

Pouvez-vous vous présenter, s’il vous plaît ?

Victor Valle :

Je suis né au Salvador en 1941, à Santa Tecla, une ville comptant à l’époque 40 000 habitants, entourée de collines et de vertes plantations de café, dans un foyer composé d’un père petit artisan menuisier, petit entrepreneur commerçant, et d’une mère “au foyer”. J’ai fait des études d’ingénierie civile au Salvador, et des études de sciences de l’éducation aux Etats-Unis, où j’ai obtenu une maîtrise, à l’Université de Pittsburgh, et un doctorat, à l’Université “George Washington”. Dans un pays où la majeure partie des gens ne sait ni lire ni écrire, cela me place indiscutablement à un niveau social supérieur.

La ville où je suis né était très traditionnelle, et au moment de la récolte du café, devenait le point de rencontre obligatoire des paysans sans terre et des propriétaires terriens de plantations, où se négociaient les contrats de travail. Ces paysans dormaient dehors, avec leurs familles, dans l’espoir qu’un propriétaire terrien ou l’un de ses collaborateurs de confiance, les embaucheraient pendant quelques semaines pour récolter le café. Le recrutement de la main d’oeuvre était connu comme étant une “conquête”. C’est pourquoi, pendant mon enfance, sans être pauvre, j’ai vu de près le visage de la souffrance endurée par d’autres, par les paysans de mon pays, sans terre, sans toit, et pratiquement sans espoir.

Ma famille était de petite classe moyenne. Jamais je n’ai manqué de l’essentiel. J’ai toujours porté des chaussures et je n’ai jamais eu faim. J’ai fait pratiquement toutes mes études primaires et secondaires dans une école privée dirigé par la Congrégation Salésienne.

Un jour, alors que j’avais dix ans, sur le carnet de notes et de commentaires sur la conduite qui était envoyé toutes les semaines aux parents, un mot, suivi de points d’exclamations, a fait son apparition – mot dont j’ignorais alors le sens, mais qui m’accompagnerait souvent dans ma vie d’adulte : rebelle !

Les principes de thermodynamique des cours de physique de mes 14 ans, et l’étude des principes de logique à l’âge de 16 ans, ont commencé à causer des ravages dans mes croyances aux évènements surnaturels. Je crois que c’est alors que j’ai commencé à suivre un chemin dont j’ai su plus tard qu’il était celui des agnostiques et des athées.

Lorsque je suis entré à l’Université du Salvador en 1959, pour étudier l’ingénierie civile, la Révolution Cubaine était sur le devant de la scène de l’action politique d’Amérique Latine. Nous, les jeunes de l’époque, apprenions des chansons et des poèmes qui faisaient l’éloge du geste révolutionnaire du fougueux leader barbu, Fidel Castro.

Très rapidement, je me suis impliqué dans le mouvement politique étudiant, du côté de la gauche. A l’Université du Salvador, je fus un étudiant très actif dans le leadership syndical ; j’étais dirigeant syndical et fonctionnaire dans l’administration académique. A cette époque, dans les années 1960, j’étais militant de la gauche clandestine.

Dans les années 1970, j’ai obtenu mon Master en Sciences de l’Education à l’Université de Pittsburgh, USA. J’ai travaillé à la planification académique de l’Université du Salvador. J’ai dû quitter le pays en raison d’une intervention militaire à l’Université où je travaillais ; j’ai alors exercé comme enseignant universitaire et spécialiste de la planification éducative dans plusieurs pays, et j’ai commencé mes études de doctorat aux Etats-Unis. En 1979, le dernier président militaire du Salvador – le Général Romero – a été renversé, et le pays est entré dans une période de troubles qui allait durer 12 ans.

Dans les années 1980, j’ai terminé mon doctorat en Sciences de l’Education, à l’Université George Washington, USA, et j’ai travaillé comme éducateur principal à l’OEA, à Washington ; en même temps, de façon confidentielle, je travaillais dans le complot de l’alliance insurgée du Salvador, face aux organimes de Washington.

Dans les années 1990, je me suis directement impliqué en politique. Je suis rentré au Salvador après 22 années d’absence physique, au moment où s’achevaient les négociations pour mettre fin à la guerre civile. Je fus le leader (Secrétaire Général) du parti membre de l’Internationale Socialiste, le “Mouvement National Révolutionnaire”, qui tout au long du conflit et des négociations, fut l’allié politique du FMLN insurgé. Je fus membre fondateur de la Commission Nationale pour la Consolidation de la Paix, organisme pluriel créé par la négociation, pour superviser la mise en oeuvre des Accords de Paix obtenus par l’intercession des Nations-Unies, et négocier la nouvelle législation pour les institutions résultant de la négociation et des inhérentes réformes constitutionnelles.

Je me suis impliqué dans la réforme du secteur de la sécurité, tout d’abord comme membre fondateur du Conseil Académique de l’Académie Nationale de Sécurité Publique, puis en tant qu’Inspecteur Général de la Police Civile Nationale, organisme chargé de superviser l’administration, les opérations, la conduite et ce qui concernait les droits de l’homme. Ces deux institutions sont nées des Accords de Paix. J’ai été fonctionnaire public dans le secteur de la sécurité sans appartenir au parti au pouvoir, et en étant connu comme un opposant à l’idéologie du parti du gouvernement.

Depuis l’an 2000, où j’ai de nouveau quitté le Salvador, volontairement, je travaille à l’Université pour la Paix, entité créée par l’Assemblée Générale des Nations-Unies en 1980, où je suis le Doyen pour l’Amérique Latine et les Caraïbes et le Directeur du département d’études Paix et Conflit.

J’ai 7 enfants, dont l’âge se situe entre 10 et 40 ans.

Irenees :

Vous avez vécu de façon directe le conflit armé au Salvador. Comment expliquez-vous ce conflit, et surtout, la fin du conflit au moyen de la signature des Accords de Paix ?

Victor Valle :

En réalité, pratiquement pendant tout l’essor du conflit armé (1980-1991), j’étais absent du Salvador. Ce que je peux affirmer, en revanche, c’est que j’ai subi, dans une certaine mesure, les effets du régime de répression des libertés qui fut à la base du conflit.

Le conflit salvadorien des années 1980 a de profondes racines dans l’histoire nationale. Depuis le XIXème siècle, on a posé les bases d’un régime excluant des droits de l’homme de grands pans de la société, les plus pauvres, réprimant les opposants politiques, protégeant les intérêts d’une minorité opulente et contrôlant la société par le biais de la peur et de la propagande conservatrice et réfractaire aux changements et aux progrès sociaux.

Lorsque à la fin du XIXème siècle, le gouvernement du Salvador a exproprié les terres communales pour les donner aux producteurs de café émergents – origine du régime qui de fait se basait sur la violence coloniale et des dix premières années de vie républicaine indépendante – Lénine était à l ‘école primaire.

A partir de 1932 – année de la fameuse révolte paysanne et ouvrière et de la répression gouvernementale qui a suivi – le Salvador a été le centre de la confrontation bipolaire idéologique, qu deviendrait, à partir des années 1950, la guerre froide entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Union Soviétique.

Le conflit avait donc de profondes racines endogènes qui ont été stimulées et alimentées par des facteurs externes.

La fin du conflit a coïncidé avec la période au cours de laquelle l’ordre international, caractérisé par l’équilibre bipolaire de deux superpuissances et de leurs correspondants alliés, a commencé à être reconfiguré.

Il est possible que si le camp socialiste (l’URSS et ses alliés) avait persisté, la solution politique au conflit se serait imposée; mais il est également possible que, sans négociations, le conflit ait pu se prolonger, même sans l’existence du camp socialiste. Mais cela reste de l’ordre de la spéculation et des suppositions.

Ce qui est sûr, c’est qu’on est parvenu à la fin du conflit au moyen de la solution politique négociée, pour au moins trois raisons fondamentales :

  • 1) La population en général était fatiguée de la guerre ;

  • 2) Aucune des deux parties ne pouvait vaincre l’autre. Cela a été prouvé avec l’offensive du FMLN de novembre 1989 ;

  • 3) La solution militaire soutenue par le Gouvernement des Etats-Unis s’évanouissait en raison du démantèlement de la guerre froide mise en oeuvre par le Président Bush (le premier) des Etats-Unis d’Amérique et le Président Mikhail Gorbatchev de l’Union Soviétique. C’est ce qui explique les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations-Unies qui encouragent et soutiennent le Secrétaire Général dans ses fonctions de médiateur du conflit.

Irenees :

Vous avez bien connu le FMLN, groupe guérillero du Salvador, ainsi que la stratégie de l’armée. Que pensez-vous du choix d’utiliser la violence pour la recherche de transformations sociales et politiques dans le premier cas, ou pour empêcher ces dernières dans le second ?

Victor Valle :

En effet, j’ai toujours été en lien avec la gauche radicale du Salvador, et informé de ses activités. Concernant l’armée gouvernementale, ce que je savais venait du bouche à oreille. C’était difficile pour un opposant politique de pénétrer l’intérieur de ce corps déterminant de la vie politique du Salvador.

L’affrontement armé du Salvador s’inscrit dans la logique historique d’un régime politique qui n’encourageait pas le respect des libertés et des droits de toute la société. C’était un régime d’exclusion sociale, de répression politique, de résistance au changement démocratique, de dogmatisme de droite, de favoritisme envers les élites économiques et finalement, s’alignant sur la politique globale des Etats-Unis d’Amérique.

Alors qu’en raison de différents facteurs internes, la lutte armée était déjà en marche, le régime a ajouté les gouttes qui ont fait déborder le vase : les fraudes électorales de 1972 et 1977 et les répressions mortelles qui ont suivi. En ce sens, la lutte armée dans la période que j’analyse (les années 1970 et 1980) s’explique et se justifie : les classes populaires, majoritaires et exclues, et les organisations de l’avant-garde combative et insurgée ont pris conscience de leurs possibilités et ont décidé de s’organiser pour ouvrir de nouveaux espaces et pour se défendre de l’agression structurelle, principalement contre les droits civils et politiques. En ce sens, la rébellion armée des années 1980 au Salvador peut sans problème être qualifiée de légitime défense. S’il n’y avait pas eu d’action de répression prolongée, il n’y aurait pas eu d’insurection armée en réaction. C’est le régime consolidé au Salvador depuis la fin du XIXème siècle qui a institué dans toute la société une culture de violence et d’acceptation sociale de la violence.

L’usage de la violence de la part du gouvernement, et le système politique régnant au Salvador sont consubstantiels. Le gouvernement agissait comme s’il ne connaissait ou n’acceptait d’autre façon politique de faire.

Pendant le conflit, les militaires, dans leur conduite réelle de la guerre avec la subordination des politiques civils, sentaient qu’ils avaient le privilège, appuyé par le Gouvernement des Etats-Unis de l’époque, du choix militaire pour vaincre l’insurrection de gauche, l’alliée de l’empire du mal.

Irenees :

Quelles sont, selon vous, les avancées réelles dans la construction d’une société plus pacifique au Salvador depuis la signature des Accords de Paix ? Et quels sont les défis prioritaires pour construire la paix ?

Victor Valle :

Les accords de paix impliquent une transformation politique profonde. Certains disent une révolution politique. Le Secrétaire Général des Nations-Unies, Boutros Ghali, avec l’enthousiasme du moment de la signature des Accords, affirma qu’après la longue nuit vécue par le Salvador, il était évident que, pour la première fois, une révolution avait été possible par le biais de la négociation.

Evidemment, il y a eu des changements politiques profonds. La négociation a conduit à des réformes constitutionnelles. En réalité, une nouvelle Constitution Politique est née, laquelle reprend des aspirations politiques de longue date au sein de la gauche politique. Bilan : il n’y a plus de répression politique officielle, la liberté politique, d’expression et d’association existe. On vit le pluralisme politique. L’ancienne insurrection armée est aujourd’hui un parti politique ayant une fraction législative forte et importante, ce qui parfois lui permet d’avoir le pouvoir de veto, dans des décisions nécessitant la majorité législative qualifiée. Les gouvernements municipaux des principales villes, y compris de la capitale du pays, sont dans les mains du FMLN. Pour les élections de 2009, le Front a de fortes chances de gagner le Pouvoir Exécutif et la majorité parlementaire. On pourrait dire, de façon relative, qu’il y a davantage de paix politique.

Ce qui se passe c’est que, bien que la négociation ait créé les conditions politiques nécessaires pour discuter et proposer de profonds changements économiques et sociaux – qui aborderaient les racines du conflit – la dynamique post-conflit n’a pas rendu ces changements possibles : la droite s’est positionnée de façon à poursuivre le régime économique et la structure productive qui ont produit les racines du conflit, elle s’est attachée à tempérer les effets progressistes des Accords de Paix, et la gauche a continué d’être – il n’y avait apparemment pas d’alternative – l’opposition systématique au gouvernement de continuité.

ARENA est peut-être un parti neuf ; mais il représente les héritiers politiques et idéologiques de ceux qui confisquèrent les propriétés communales à la fin du XIXème siècle, réprimèrent la révolte de 1932, configurèrent et mirent en oeuvre la dictature militaire collective de 1931 – 1979, organisèrent les fraudes électorales, furent opposés au progrès social, perpétrèrent des fraudes électorales et dédaignèrent la démocratie. Le défi principal à l’heure actuelle est de trouver comment parvenir à de nouveaux Accords qui aborderaient les problèmes ayant été à l’origine du conflit, et ceux qui sont apparus après le conflit.

Le pays est toujours violent, inégal, peu sûr. La population continue à émigrer. Il y a une polarisation politique. Le match nul militaire des années 1980 est aujourd’hui un match nul politique. Il est temps d’arriver à de nouveaux accords pour la démocratie et pour le développement, et en définitive, pour prévenir des conflits mortels, aborder l’insécurité et les violences, comprendre et maîtriser le phénomène migratoire et construire une société en progrès croissant.

Irenees :

Vous avez participé à la Commission Nationale pour la Consolidation de la paix, composée de chefs militaires, de commandants guérilleros, de dirigeants de partis politiques de gauche, de centre et de droite. Quelles ont été les conséquences les plus importantes de cette expérience sur votre vision du conflit armé et de la construction de la paix ?

Victor Valle :

La Commission (COPAZ) a été créée au cours de la négociation et comme en faisant partie. Sa fonction première était de superviser et de contrôler la mise en oeuvre des Accords de Paix, pour certains d’entre eux déjà en route, et l’Accord final qui serait signé le 16 janvier 1992. Sauf que quand on a créé la COPAZ, en septembre 1991, on ne connaissait pas encore la date exacte de la signature des Accords de Paix.

Dans la pratique, COPAZ a été un espace parallèle et complémentaire à celui de la négociation principale. On y discutait des projets de lois, de la mise en route de nouvelles institutions, de la nomination de commissions plurielles et de négociations pour résoudre des problèmes imprévus qui affectaient de façon négative la voie de l’accomplissement des Accords et de la consolidation de la paix.

Il est important de souligner que dans la COPAZ, il n’y avait pas de médiateur. C’était un organisme qui se donnait lui-même sa propre modération et facilitation pour les débats. Il fonctionnait avec un coordonnateur Pro-Tempore qui était nommé sur la base de la primauté du hasard comme convenu lors de la première session. En ce sens, il s’agissait d’un changement qualitatif : le médiateur n’était pas nécessaire. Il était prévu que la hiérarchie de l’Eglise Catholique et l’organisme des Nations-Unies qui aidait à la vérification des Accords (ONUSAL) aient des représentants dans les réunions ; mais il y a eu des objections, avec divers arguments légalistes, de la part de la droite, et entre octobre 1991 et janvier 1992, ces observateurs ne furent pas présents aux réunions de la COPAZ.

Concernant la pratique politique, la COPAZ a été importante pour habituer les dirigeants politiques et gouvernementaux à respecter les divergences, à chercher des consensus et à les atteindre, et finalement à se mettre d’accord sur des questions d’intérêt commun pour ne pas faire échouer la fragile paix politique en voie de construction.

Pour parler concrètement, la COPAZ a favorisé et a vérifié l’accomplissement des Accords de Paix. Tout n’a pas toujours été rose. Il y a eu des luttes, des nostalgies et des débuts de retours en arrière; mais au final, on avançait dans la démobilisation, la réinsertion, la répartition de terres aux anciens combattants, une nouvelle législation.

C’est au sein de la COPAZ que furent négociés les Conseils Académiques, pour mettre en oeuvre les nouvelles doctrines et les modèles éducatifs de la nouvelle Académie Nationale de Sécurité Publique et de l’Ecole Militaire, les lois de la nouvelle Police Civile Nationale, la nomination du nouveau Directeur de la Police Nationale Civile, la loi du Ministère Général des Droits de l’Homme. Il ne fait aucun doute qu’à la COPAZ, le facteur militaire en tant qu’élément déterminant s’était éclipsé, et que s’était condensé le facteur politique fondé sur la négociation et la recherche de consensus. Ce serait une très bonne chose de renouveler ces pratiques pour les nouveaux problèmes et pour ceux de toujours.

Irenees :

Quels sont, d’après vous, les défis prioritaires pour construire la paix après un conflit armé ou une guerre ?

Victor Valle :

Le conflit armé du Salvador dans les années 1980 a été une véritable guerre civile. Après la guerre (et cela pourrait peut-être s’appliquer à d’autres conflits politiques) vient l’accomplissement de l’engagement, pour favoriser la confiance réciproque et la confiance en tant que conduite sociale. C’est l’heure de la réconciliation, avec des mesures comme la constitution de groupes de travail pluriels qui abordent des problèmes sociaux concrets. C’est l’heure d’entreprendre des projets de reconstruction et de réinsérer les anciens combattants dans la production, la politique, le service public et la vie citoyenne. C’est le moment d’éduquer le souverain, le peuple, et d’entreprendre de profondes réformes éducatives qui changent les contenus et les méthodes pour l’éducation formelle et pour celle qui a lieu dans toute la société. C’est surtout l’heure de la justice.

Irenees :

Si, suite à la disparition ou à l’assassinat de milliers de personnes, la vérité est un impératif moral et la justice une conséquence politique, croyez-vous au pardon ?

Victor Valle :

Il est évident que, moralement et psychologiquement, le pardon est une force motrice intérieure qui nous permet de construire une vie individuelle – noyau de base de la vie sociale – pour la paix, la cohabitation harmonieuse, et la vie heureuse en plénitude. Etymologiquement, par-donner, c’est “plus que donner”, donner plus”, “au-delà de donner”, ou “donner en excès”. C’est un acte supérieur.

Politiquement, pour que le pardon fasse partie d’un enseignement social qui minimise l’impunité en tant que fléau de la société et de la morale publique, il doit se fonder sur la demande de pardon de la part des assassins, et selon les cas, sur le jugement de ceux qui ont provoqué du tort aux victimes. Cela suppose un acte délibéré de grande volonté politique de la part de ceux qui prennent les décisions.

Irenees :

Au départ, votre engagement était centré sur la lutte pour la justice sociale. Vers quels objectifs prioritaires orientez-vous vos actions actuellement ?

Victor Valle :

Je crois que mon engagement est toujours en faveur de la justice sociale, de la dignité et de la liberté de tous. En faveur de la rédemption des exclus et des plus nécessiteux. Probablement, le changement se situe dans les moyens que je privilégie pour atteindre ces objectifs humanitaires.

Je crois beaucoup à la force de l’éducation en tant que levier pour le changement et le progrès social. Il faut éduquer tout le monde, à la production, à la jouissance des droits et à l’accomplissement des devoirs, à la dégustation de la vie, à la consommation intelligente, au respect de l’autre, à la pratique de l’honnêteté et à l’exigence d’honnêteté dans la vie publique.

Irenees :

Vous êtes actuellement Doyen de l’Université pour la Paix. Pourquoi êtes-vous passé d’un engagement socio-politique à un engagement intellectuel?

Victor Valle :

J’ai l’impression de ne pas avoir changé d’engagement. J’ai su manier de pair le travail politique et le travail intellectuel. Lorsque je faisais de la politique active, en étant le leader d’un parti politique, je me laissais conduire par le principe que l’homme politique doit être un enseignant pour la société. Ce qui, bien entendu, donnait des raisons aux pragmatiques et aux cyniques – c’est-à-dire aux corrompus – pour me traiter de naïf. Mais je continue à y croire. Je suis convaincu que l’éducation est un acte politique. Oui. Si vous insufflez chez les êtres humains la capacité et les outils pour qu’ils libèrent tout leur potentiel, si vous leur donnez les outils pour qu’ils comprennent les processus naturels et sociaux et que vous les motivez pour qu’ils soient les acteurs de leur propre changement et du changement social, en tant qu’éducateur, vous confrontez les pouvoirs établis et vous subvertissez la conservation du statu quo.

Je contribue aujourd’hui à éduquer des leaders pour qu’ils transforment le monde, pour qu’ils aient conscience qu’un monde injuste est évitable. En d’autres termes, je continue de croire qu’en étudiant les problèmes humains et sociaux, et en ayant un engagement politique, on est un meilleur éducateur.

L’Université pour la Paix accomplit un travail extrêmement important pour la construction de la paix, mais ce dernier est encore assez peu connu. Parlons un peu de votre travail à l’UPAZ.

L’Université pour la Paix est insolite. C’est un miracle. Fondée en 1980 par l’Assemblée générale des Nations Unies – à l’apogée de la Guerre Froide et dans l’antichambre de l’intensification des conflits en Amérique Centrale – elle reçoit la mission audacieuse et le mandat osé d’éduquer le monde à la paix.

Cette petite Université – qui aspire à être au moins une petite lampe dans l’obscurité des violences et des conflits mortels, ou un petit tambour qui sera entendu dans le monde entier – rassemble près de 200 étudiants de troisième cycle originaires de nombreux pays de la Terre. Un slogan publicitaire dit que dans cette université, on éduque des leaders pour transformer le monde. Il y a actuellement des étudiants venus de 50 pays, qui étudient ici des troisièmes cycles sur la paix et les conflits, principalements internationaux. Ces études se font à partir de différentes modalités spécialisées : ressources naturelles et développement durable, droit international et droits de l’homme, droits de l’homme et résolution de controverses, études de genre et construction de la paix, éducation à la paix, moyens de communication, paix et conflit, ressources naturelles et paix, paix internationale …

Actuellement, ceci depuis l’an 2000, et après 9 années d’action politique et de service public dans le Salvador de l’après-guerre, je travaille à l’Université de la Paix en tant que Doyen pour l’Amérique Latine et les Caraïbes et Directeur du Département d’Etudes de Paix et Conflit.

Lorsque je fréquente mes étudiants, j’ai l’impression d’être en contact avec la multiculturalité et l’avenir du monde. Parmi mes élèves, il y a des jeunes professionnels d’Afrique, d’Asie, d’Europe, d’Océanie, d’Amérique Latine et des Caraïbes, d’Amérique du Nord. Les projets personnels et professionnels des étudiants de l’UPAZ sont de travailler, à partir de différentes positions, à un monde plus harmonieux et pacifique. Et beaucoup d’entre eux seront probablement les leaders d’actions pour un monde meilleur.

Irenees :

Quels sont, d’après vous, les défis principaux pour la construction de la paix dans la région centre – américaine ?

Victor Valle :

L’Amérique Centrale, qui s’étend du Guatemala au Panama, en incluant Belize, est une réalité politique actuelle. Il s’agit de l’isthme centre–américain, qui va au-delà de la coloniale Capitainerie Générale du Guatemala ou des nouvelles et indépendantes Provinces Unies d’Amérique Centrale : le Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Costa Rica.

Cette réalité, l’isthme centre-américain, fait 500 000 km² et compte 40 millions d’habitants. Les sept pays ont eu des déveleoppements historiques différents et des développements sociaux inégaux. Belize – de langue anglaise - se situe dans la région des Caraïbes et est membre de la Communauté Caribéenne, 14 pays dont la population est majoritairement afro-descendante. Panama, qui faisait partie de la Colombie jusqu’au début du XXème siècle, est aujourd’hui un pays souverain et propriétaire du Canal qui relie les deux plus grands océans – l’Atlantique et le Pacifique.

Pour construire la paix en Amérique Centrale, il faut travailler à l’intégration régionale, à la coopération totale entre les pays, à la diminution des inégalités entre les Etats et à l’intérieur des Etats, à la sécurité des citoyens, à une voix commune dans les débats internationaux, à l’échange entre les sociétés civiles, à l’éducation en vue d’une intégration qui favorise les alliances et minimise les xénophobies, au développement des zones frontalières pour prévenir les conflits dus aux disputes territoriales, commerciales, économiques et culturelles.

Irenees :

Qu’est-ce que la paix pour vous ?

Victor Valle :

La paix, c’est la vie et l’espérance. C’est la dignité et la liberté. C’est le sourire des enfants, heureux et sans peur. Ce sont les jeunes, puissants, productifs et souriants, qui reproduisent, s’ils en font le choix, l’espèce humaine avec dévotion et responsabilité. Ce sont les personnes âgées desquelles on prend soin. C’est un toit et de la nourriture pour tous. C’est la jouissance saine et constructive du temps libre. C’est la culture de l’esprit et la jouissance des Beaux Arts. C’est l’amour de la connaissance scientifique. C’est la compassion. C’est de vivre, pour tous, sans crainte et sans besoins d’urgence. C’est vivre ensemble en harmonie. C’est, enfin, la paix structurelle, par opposition à la violence structurelle.

Commentario

Victor Valle es décano de la Universidad para la Paz, afiliada a Naciones Unidas con oficinas centrales en Costa Rica.

Traduccion