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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’expérience Dossier : Processus de transition et réformes d’Etat

, Grenoble, octobre 2005

Les relations civilo-militaires au sein du pouvoir en Russie

Cette fiche aborde les relations entre le pouvoir et l’armée ainsi que la version de Poutine.

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Les relations entre le pouvoir et l’armée

Tradition soviétique

Pendant l’ère soviétique, la hiérarchie militaire et les dirigeants communistes au pouvoir entretenaient une forte collusion. Les ministres de la Défense du gouvernement étaient souvent choisis parmi les généraux qui entamaient une carrière politique après s’être distingués sur le terrain militaire. Depuis Staline, la structure militaire était l’instrument principal d’imposition de la politique étrangère russe, sur ses pays satellites (Hongrie en 1956, Tchécoslovaquie en 1968) comme sur les Etats périphériques (Afghanistan 1979-89).

Déliquescence de l’armée russe

L’Armée rouge a vu son rayonnement international se réduire depuis Brejnev qui a sclérosé l’administration et les rouages du pouvoir soviétique, parmi lesquels l’armée. A partir de 1989, l’armée russe a subi une succession de revers qui ont irrémédiablement sapé sa légitimité militaire et politique : le retrait d’Afghanistan, la chute de l’empire soviétique, la fin du Pacte de Varsovie, l’échec de la première guerre en Tchétchénie et l’entrée des anciens pays satellites dans l’OTAN. Parallèlement à ces évolutions structurelles, l’armée doit faire face à de graves problèmes internes liés à la conscription, au retard du paiement des soldes, à une violence omniprésente ainsi qu’au délabrement matériel des infrastructures et de l’armement.

Contexte particulier du pouvoir russe

Depuis l’éclatement de l’URSS, le pouvoir politique est surveillé de près et orienté par les oligarques qui intronisent officieusement les dirigeants politiques qui leur sont favorables. Sans tradition démocratique en Russie, la démocratie peine à s’affirmer comme régime politique. Les personnalités politiques au pouvoir ont tendance à mettre en œuvre une « dictature de la force », héritée du tsarisme et de la période soviétique.

La version de Poutine

Disqualification progressive de l’armée traditionnelle au profit des structures de force intérieures

Lors de son accession au pouvoir en 1999, Vladimir Poutine a offert aux militaires leur revanche sur le retrait de la Tchétchénie en 1996. Les accords de Khassaviourt avaient mis fin au premier conflit tchétchène de 1994 à 1996. En avril 2002, le président proclame la fin officielle des opérations militaires pour le second conflit et le transfert du contrôle de la situation aux ministères de la sécurité intérieure : police, renseignement, FSB (successeur du KGB), forces spéciales d’intervention… qui forment les structures de force intérieures.

L’équipe dirigeante du Kremlin est désormais composée à plus de 77% de représentants de ces structures de force dont le président Poutine est lui-même issu (lieutenant colonel du KGB). Au niveau politique comme sur le terrain militaire, l’armée traditionnelle a été progressivement disqualifiée puis remplacée par les structures de force intérieures. La pénétration de ces dernières dans la sphère politique opérationnelle est particulièrement forte et témoigne d’une conception dirigiste du pouvoir, incarnée par les concepts de « démocratie dirigée » , de « dictature de la loi » ou de « verticale du pouvoir » qui fleurissent dans la rhétorique du président Poutine.

Cette valorisation des structures de force sur le plan politique et sur le territoire russe s’accompagne d’un renforcement budgétaire des forces armées et de la puissance nucléaire (hausse de 3,4 milliards de dollars en 2004). Si l’armée reste titulaire des infrastructures et de l’armement nucléaire, les structures de forces intérieures jouissent d’une influence croissante sur divers domaines de l’espace public russe qui dépassent le cadre de leur mission originelle, strictement sécuritaire.

Une évolution à la faveur de la société

« A l’ère des incertitudes, des frustrations, de la fracture entre la société et le pouvoir et du sentiment d’insécurité généralisé succède une dynamique de consolidation sociale et nationale. » (1).

Actuellement, ce sont les valeurs de fermeté, d’intransigeance, de rectitude incarnées par les officiers du FSB, qui trouvent un écho populaire dans la société russe. Cette dernière exprime une grande confiance dans les valeurs tchékistes (2)auxquelles le président se dit fidèle.

« La réelle popularité de Vladimir Poutine, au moins jusqu’à sa réélection, était fondée sur une image d’homme fort : dans leur immense majorité, les Russes aspirent à la stabilité.» (3). C’est principalement sur cette image, confirmée par les décisions intransigeantes et la fermeté du président notamment sur la question tchétchène, que Poutine a alimenté sa popularité exceptionnelle, maintenue pendant son premier mandat, au-dessus des 70% d’opinion favorable. « Le président Poutine a pu constater que l’intransigeance sur la Tchétchénie est payable électoralement. » 4

Enjeu stratégique du second conflit tchétchène

Dans son projet politique de reconstruction de l’Etat russe, Vladimir Poutine s’appuie sur les représentants de l’ordre, par la reprise en main de l’armée déliquescente et la multiplication des services de renseignements et de police. Il a fait le choix de mobiliser ces réseaux d’influence dont il est familier. Dans ce contexte, l’opération antiterroriste menée en Tchétchénie depuis 1999, offre au Kremlin le support de réintroduction des structures de force au cœur de l’exercice du pouvoir politique. Outre la valeur historique de la force dans l’histoire russe, de l’empire à la fédération soviétique, le déroulement concomitant de la seconde guerre tchétchène avec la présence de l’équipe de Poutine au pouvoir, a contribué à généraliser et à légitimer des valeurs sécuritaires.

La reconstruction politique de l’Etat par Vladimir Poutine s’accompagne d’un endoctrinement nationaliste de la population. En désignant le bouc émissaire tchétchène comme l’ennemi commun des Russes, le Kremlin ravive la culture de la peur à l’encontre des terroristes islamistes. Présenté comme collectivement responsable des menaces qui pèsent sur la Russie, le peuple tchétchène fait l’objet d’une stigmatisation raciste. Le second conflit tchétchène participe de cette construction propagandiste et renforce ainsi la légitimité des mécanismes de contrôle sur l’ensemble du territoire russe.

La confrontation militaire entre Russes et combattants tchétchènes a cédé la place à un contrôle russe effectué par des services d’ordre internes. Or, la logique policière régente tous les aspects de la vie quotidienne. On brouille alors les repères entre privé et public, entre politique et civil, on « totalitarise » l’action de l’Etat. Dérive conséquente, on observe un continuum entre les exactions d’extrême violence perpétrées en Tchétchénie et la radicalisation des forces de l’ordre et de la société dans le reste du pays.

Commentaire

Anna Politkovskaïa (5) expose, à travers quelques témoignages dramatiques de violences commises sur les soldats, les fonctionnements de l’Armée russe où règnent le désordre, l’injustice, l’abus de pouvoir et la torture dans la plus grande impunité. Les soldats sont considérés comme des esclaves ; ils peuvent être une source d’argent pour les officiers qui vendent leurs services ou bien un défouloir quand ceux-ci s’ennuient trop et que l’alcool ne suffit plus. Les soldats souffrent de malnutrition et peuvent mourir d’infections bénignes sous les yeux de leurs officiers. Aucun mécanisme de contrôle ou de soutien n’existe. L’auteur décrit l’armée comme un système clos sur lequel les pouvoirs publics civils n’ont aucun contrôle. Eltsine avait bien tenté d’humaniser l’armée par la promotion des libertés démocratiques mais, dès son élection, Poutine a voulu « la renaissance de l’Armée » en donnant encore plus de pouvoir aux états-majors.

Comment développer la démocratie quand un corps de l’Etat connaît un fonctionnement aussi brutal? Comment justifier les dépenses publiques pour une administration aussi terrifiante pour ses citoyens ? Le mépris témoigné à l’égard des nouvelles recrues, un véritable « matériel humain » cible de toutes les humiliations, et l’impunité dans laquelle il est exercé développe une relation plus globale de méfiance de la population à l’égard de l’Etat en général et de l’appareil judiciaire en particulier. Enfin, l’isolement, du fait de l’absence totale de regard de l’extérieur sur les agissements de l’Armée, risque d’ouvrir la voie à l’insurrection interne et au conflit. Déjà les cas de mutineries existent. Le contrôle parlementaire et civil des forces armées est reconnu comme une pré-condition à la paix et à la sécurité(6).

Notes

(1)Tchétchénie, une affaire intérieure ? , Anne Le Huérou, p.117-118

(2)La Tchéka est l’ancêtre du KGB.

(3)« Comprendre Vladimir Poutine » , Thierry de Montbrial, Le Monde, septembre 2004

(4)Tchétchénie, la guerre jusqu’au dernier ? Olivier Roy, p.194

(5)La Russie selon Poutine, Buchet-Chastel, 2005.

(6)Voir à ce sujet les publications du Democratic Control of Armed Forces (DCAF), Genève.