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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’expérience Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

, Grenoble, France, juillet 1996

Le projet de réinvestissement technologique

Mots clefs : Gouvernement des Etats-Unis | Reconvertir les armements | Etats-Unis

Le Projet de réinvestissement technologique (Technology Reinvestment Project, TRP) est l’un des projets de l’Initiative de conversion et de réinvestissement de la défense (Defense Reinvestment and Conversion Initiative) créé par le gouvernement Clinton en 1993 dans le cadre de la restructuration du secteur de la défense de l’après guerre froide. Le ministère de la défense (Department of Defense) en est responsable. L’objectif déclaré de ce projet est de promouvoir la recherche et la création de produits à usages commerciaux et militaires. Ses principaux architectes et responsables épousent les trois grands desseins de l’administration Clinton :

  • Rendre l’industrie américaine plus compétitive.

  • Aider les industries d’armement à se diversifier et à s’imposer sur de nouveaux marchés.

  • Renforcer le potentiel militaire des Etats-Unis et plus particulièrement la recherche et l’application de la technologie militaire tout en réduisant ses coûts.

Lors du lancement officiel du projet, le président Clinton déclare que le TRP doit non seulement aider la conversion des industries militaires mais aussi créer des emplois et renforcer la compétitivité de la nation. Par ailleurs, le président américain n’hésite pas à qualifier le projet d’”opération de rétablissement des emplois” (Operation Restore Jobs).

De manière concrète, ce projet débouche sur trois types d’actions :

  • le développement de nouvelles technologies,

  • leur industrialisation,

  • l’apprentissage et la formation professionnelle dans le domaine de l’industrie.

L’aide financière fournie par le ministère de la défense sous forme de subventions est attribuée principalement au premier type d’action, c’est à dire à la recherche et au développement de nouvelles technologies. Ces nouvelles technologies peuvent déboucher sur des applications à la fois civiles et militaires ou peuvent résulter de l’adaptation d’une technologie déjà mise au point d’un secteur à l’autre. L’industrialisation s’effectue avec la collaboration du ministère du commerce (Department of commerce). Les subventions destinées à l’apprentissage, à la reconversion des travailleurs de l’industrie de l’armement et, de manière générale, à tout ce qui touche à la formation professionnelle et à l’éducation dans les domaines du génie civil et militaire, sont beaucoup moins importantes que les deux premiers types de subventions.

Au bout de quelques années d’activité, le TRP a-t-il accompli les objectifs qu’il s’était fixés au départ ? C’est la question que se sont posée plusieurs spécialistes américains de la conversion des industries d’armements. Greg Bishak et Christine Evans-Klock de la Commission nationale pour la conversion économique et le désarmement (National Commission for Economic Conversion and Disarmement) et Michael Oden de l’université de Rutgers (New Jersey) ont rédigé un rapport détaillé sur l’évolution du TRP (The Technology Reinvestement Project : The limits of Dual-Use technology, NCECD, 07/1995) dans lequel ils font un bilan mitigé du projet.

Les auteurs du rapport mettent tout d’abord en relief le caractère politique qu’a pris le TRP jusqu’à en perdre son âme. En effet, si l’initiative lancée par le président Clinton en 1993 était focalisée sur la conversion des technologies militaires vers des secteurs industriels civils, cet aspect du projet est aujourd’hui délaissé. Force est de constater que le ministère de la défense est désormais plus enclin à utiliser le projet pour exploiter la technologie civile à des fins militaires. Et pourtant, le projet est menacé d’être transformé, voire d’être éliminé, par le3 congrès dont certains membres jugent qu’il ne sert pas assez les intérêts de la défense nationale ! D’après les premières estimations, le TRP aurait attribué jusqu’à 80% de ses subventions à des projets concernant le développement de nouvelles technologies militaires. De plus, l’application au secteur militaire de technologies issues de l’industrie civile réduit sensiblement les coûts de production des nouveaux armements.

Certaines entreprises spécialisées dans l’industrie d’armement ont essayé de se diversifier vers des activités dépassant le cadre de la défense, généralement en appliquant à l’élaboration de produits à caractère plus pacifique une technologie développée pour l’armement. Un tel changement d’orientation pose cependant des problèmes d’infrastructure et de gestion beaucoup plus considérables que ceux liés à la simple technologie, contrairement à ce que l’on croyait il y a quelques années. En effet, le plus difficile n’est pas de développer un produit mais bien de le lancer sur des marchés commerciaux, activité nouvelle pour bon nombre d’entreprises qui travaillaient auparavant de manière exclusive pour le ministère de la défense.

Les responsables du TRP ont réussi dans un domaine : l’aide aux industries de la défense américaine. Cependant, cette aide ne s’est guère traduite par un mouvement général vers la reconversion des industries d’armement. Le secteur civil n’a que peu bénéficié jusqu’à présent de l’aide offerte par le Pentagone à travers le TRP. Et l’impact qu’a pu avoir le TRP sur l’industrie américaine est trop faible pour être d’une quelconque conséquence.

Commentaire

Comme de nombreux projets mis sur pied par l’administration Clinton, le TRP voit sa destinée déterminée en partie par l’équilibre des forces politiques américaines, équilibre qui est en flux perpétuel. Lorsque ce rapport a été rédigé, les conservateurs étaient en position de force ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Si les élections présidentielles de 1996 aboutissaient à la réélection de Bill Clinton, les conservateurs se trouveraient alors plus encore en retrait. Mais il serait peut-être trop tard car le TRP pourrait ne plus exister dès la fin 1996. Pour cette année (1996), le TRP n’attribue que $195 millions au lieu des $500 millions prévus initialement. Cette réduction de ses activités limite encore plus son champ d’action qui se consacre désormais presque exclusivement à la recherche et à l’élaboration de technologies à but militaire.

Indépendamment de la conjoncture politique, il est inquiétant de constater qu’un projet qui était au départ un projet de conversion a fini par encourager une conversion inverse où la technologie issue du secteur civil sert les intérêts de la défense. Mais il est logique que le ministère de la défense continue à agir comme il agissait au temps de la guerre froide, c’est à dire avec une vision stratégique de la défense reposant sur la supériorité technique au niveau des armements : il est toujours difficile de changer les mentalités, surtout lorsqu’il s’agit de bureaucraties.

La leçon devrait être retenue, particulièrement pour des pays comme la France qui vont se retrouver confrontés à des problèmes similaires. Autre leçon importante, la conversion des industries d’armement ne doit pas être considérée comme un problème exclusivement lié au transfert de technologies. La restructuration des entreprises, particulièrement au niveau des méthodes de travail et de gestion, est l’un des obstacles fondamentaux auxquels sont confrontées les entreprises en phase de reconversion. Cet obstacle ne doit pas être sous-estimé, comme il le fut dans le cas du TRP.