Experience file Atelier : "Israël-Palestine : stratégie non-violente et rencontre internationale pour la résolution du conflit."

Lyon, 2005

Modes de résistance quotidienne non-violente en Palestine

Dans le contexte du lancement de la campagne pour une force internationale d’Intervention Civile de Paix en Israël et en Palestine puis dans celui de la mise en place des rencontres de volontaires de paix israélo-palestiniens, Yvette Bailly, du MAN Lyon analyse les témoignages de palestiniens engagés dans la résistance non-violente.

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Dans le cadre des Ram (Rencontres pour une Autre Mondialisation) une soirée a été organisée le dimanche soir 6 février au Bar la Fourmi Rouge à la Croix Rousse avec deux Palestiniens de Naplouse : Nameer Anabtawi et Qusai Hamed du Centre de Développement de Ressources Civiles. Il y avait aussi Nass, une jeune palestinienne d’Hébron. Le thème de la soirée-débat était « Modes de résistances quotidiennes non-violentes en Palestine ». Une soixantaine de personnes était serrée dans l’arrière salle de ce bar, ce dimanche soir-là. Cela veut dire déjà que les réseaux d’information fonctionnent bien. Nous étions 5 du MAN Lyon. Voilà le témoignage de ces jeunes militants palestiniens.

Qusai Hamed a 23 ans, il vit à Naplouse, il fait partie du réseau correspondant local de l’association internationale ISM. Il souligne que cette association mène un combat pour la liberté de la Palestine. Depuis longtemps la non-violence est inscrite dans le mouvement de résistance du peuple palestinien : manifestation contre le mur, re-plantation des oliviers arrachés, manifestations sur les barrages… ISM a été créé en 2002 lors de la deuxième Intifada pour montrer à la communauté internationale ce qui se passe réellement en Palestine et pour contrer la façon dont les médias traitent l’information. ISM utilise aussi la non-violence en étant présent au moment des confrontations sur les check-points, au moment de la démolition des maisons. L’ISM apporte son soutien au mouvement de grève de la faim, des prisonniers par exemple. Au niveau international le boycott des produits israéliens est aussi un moyen non-violent de soutien à la lutte palestinienne… La présence et les actions de l’ISM donnent le courage aux populations locales de sortir de chez elles malgré le couvre-feu. ISM aide la population à enlever les gravats de terre des barrages à l’intérieur des villages. Pour Qusai la non-violence est une priorité, d’après lui, 90% de la population est d’accord avec la non-violence, 5% fait le choix de la lutte armée, et 5% reste indécis.

Nass a 19 ans, elle est native de Hébron et fait actuellement ses études à Amman en Jordanie. Elle est membre de l’association : la « Ligue Internationale des jeunes Palestiniens » (IPYL), association que nous avions rencontré sur place lorsque nous sommes allés en Palestine et en Israël en octobre 2003. Elle explique la particularité de la ville d’Hébron où des colonies juives sont installées dans la vieille ville arabe. 200 colons (qui ont droit au port d’arme) sont protégés par 2000 militaires, la ville est vraiment assiégée. Le couvre-feu est permanent, les familles ont tout juste le temps d’aller acheter à manger. Le principal travail de l’association est d’apporter du soutien aux femmes qui dans la société traditionnelle palestinienne est le noyau de la famille. Il s’agit aussi de proposer des activités pour les enfants, pour malgré la situation, qu’ils puissent jouer et vivre leur vie d’enfant. Des camps d’été sont organisés pour la détente (activité de théâtre, d’expression, de jeux collectifs et coopératifs…) et aussi pour la prévention de la violence et des troubles psychologiques, beaucoup d’enfants sont traumatisés dans leur vie quotidienne par la présence de l’armée israélienne. Quelques fois la rue pour aller à l’école est coupée, des colons ont envahi et saccagé une école… L’association IPYL organise aussi des rencontres pour la citoyenneté, la démocratie et les droits de l’homme. Dernièrement il y a eu des réunions d’explication sur le processus démocratique, les élections, l’objectif était d’inciter les habitants à voter. Par le biais de IPYL qui a des volontaires internationaux et palestiniens, il y a eu des observateurs aux élections, mais certains Palestiniens ayant l’interdiction de circuler n’ont pas pu se rendre dans les bureaux de vote qui leur étaient affectés. Nass explique aussi sa situation personnelle et les difficultés qu’elle a pour se déplacer et se rendre à Amman en Jordanie pour poursuivre ses études.

Namir Ababtawi a 21 ans il vit à Naplouse, et fait partie de l’association MCRC « Multipurpose Community Ressouce Center » (le centre de développement de ressources civiles), l’équivalent d’un centre social. Il y a 16 barrages militaires sur le territoire de la commune de Naplouse, concrètement cela veut dire que se déplacer pour aller à l’université, à l’école, pour transporter ou acheter de la nourriture, pour se rendre à l’hôpital ou faire des démarches administratives, est chaque fois un vrai casse-tête. A l’intérieur de la vieille ville il y a très souvent l’incursion de l’armée israélienne, il y a la démolition des maisons, des blessés, des morts, des menaces, des arrestations arbitraires… Le centre est installé dans la vieille ville qui est très pauvre. Le centre travaille avec les femmes, il y a des cours pour les personnes analphabètes. Des psychologues aident les femmes et conseillent les mères à savoir quelles attitudes avoir avec leurs enfants très angoissés par la présence de l’armée, cauchemars, énurésie, crise, sentiment de vengeance et identification au martyr, 3000 enfants bénéficient d’un soutien psychologique… Du soutien scolaire est proposé aux enfants et aux jeunes qui ont manqué des cours du fait de la fermeture de l’école ou de l’impossibilité de se déplacer à cause du couvre-feu. Il y a aussi des formations professionnelles, des cours d’informatique, d’anglais. 350 jeunes volontaires sont membres du centre, il y a des formations pour faire émerger des leaders avec des capacités d’analyse, de réflexion et d’action. Le centre organise aussi des camps d’été internationaux pour privilégier les contacts avec la communauté internationale et mieux faire connaître la vie quotidienne des palestiniens. Ces actions de proximité auprès des populations palestiniennes les plus touchées par la présence de l’armée israélienne sont très importantes. Les populations qui avaient l’impression d’être abandonnées se sentent soutenues dans leur résistance au quotidien. Le MCRC est persuadé que ce travail de terrain évite à certaines personnes, notamment les jeunes les plus désespérés, de rejoindre les plus fanatiques de la lutte armée.

Un débat s’est ensuite engagé avec la salle. Au sujet de la nouvelle donne politique sur place, les trois Palestiniens présents pensent que les Palestiniens ont choisi la paix en votant pour Abou Mazen. Les Palestiniens sont fatigués de la deuxième Intifada. Du fait de la pression internationale, ils pensent qu’Israël va poursuivre dans le sens du déblocage de la situation en évacuant certaines colonies. Les Palestiniens gardent espoir car la justice est de leur côté, et leur revendication d’avoir un état est juste, légitime et reconnue par la communauté internationale. Au niveau du peuple palestinien, il y a un respect mutuel entre ceux qui font le choix de la lutte armée et ceux qui font le choix de la non-violence.

Commentary

Est-il correct de qualifier de non-violentes ces actions de soutien à la population, et de citoyenneté? Par opposition à ceux qui font le choix de la lutte armée, tout ce qui concerne les actions de résistance à caractère social est qualifié de non-violent. Le courage, l’optimisme, le dynamisme que manifestent les Palestiniens qui vivent sur place est toujours étonnant. Il est nécessaire de se méfier d’un positionnement trop misérabiliste de certaines associations de soutien à la cause palestinienne, cherchant à montrer le peuple palestinien uniquement en victime et les Israéliens en bourreau, positionnement qui dessert, la cause du peuple palestinien.

Notes

  • Auteur de la fiche : Yvette Bailly, Porte-parole du Man (Mouvement pour une Alternative Non-violente).