Fiche d’expérience Dossier : Les défis de la paix dans la région africaine des Grands Lacs après les massacres de 1994

, Paris, mai 2003

La Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH) engagée en faveur de la paix au Burundi

En s’engageant auprès des organisations ou des associations telle que l’ALBIZIA qui œuvre pour la promotion de la démocratie au Burundi, la FPH a non seulement relevé un défi humanitaire mais aussi cherché à répondre aux questions touchant à l’éducation à la paix durable.

Mots clefs : Culture et paix. Pluralisme culturel et éthique de paix | Idées et valeurs | Presse écrite et paix | Télévision et paix | Culture de paix | Construction et utilisation de l'identité culturelle | Education à la paix | Organisations citoyennes et leaders pour la paix | Société Civile Locale | ONG et Fondations internationales | Citoyens pour la paix | Autorités et Gouvernements locaux | Ambassadeur | Sauver la paix. Eviter la guerre, gérer les conflits. | Prévenir des conflits | Rechercher la paix. Agir pour la paix dans une situation de guerre. | Reconstruire la paix. Après la guerre, le défi de la paix. | Réformer les rapports sociaux | Déconstruire les discours identitaires | Afrique | Région des Grands lacs | Burundi | Rwanda | Ouganda

A la suite d’une mission exploratoire effectuée en janvier 1994 au Burundi par François ROUX et Thierry SALOMON à la demande de la FPH et financée par elle, cette fondation cherchait à étudier sur le terrain les possibilités d’organisation des rencontres entre différentes composantes ethniques, religieuses, associatives voire politiques et d’autres artisans de la paix et de la défense des Droits de l’Homme. Une Mission d’Ecoute et de Dialogue composée d’une dizaine de personnalités nationales, régionales et internationales et organisée du 8 au 15 février 1994 à Bujumbura concrétisait cette démarche alors que régnait un fort climat d’insécurité après l’assassinat en octobre 1993 du premier président hutu élu démocratiquement, Melchior Ndadaye et de ses proches collaborateurs. Ces assassinats avaient occasionné des violences inter-ethniques dans presque tout le pays. Au cours des débats, des rencontres, des réunions, les membres de la mission constataient une énorme fracture entre les communautés Tutsi et Hutu. La même fracture s’appuyait sur une manipulation minutieuse des jeunes de chaque ethnie au point de considérer ceux qui n’appartiennent pas à leur clan comme socialement dangereux et menaçants. D’où le besoin urgent d’aider toutes ces différentes populations déchirées à se reconstituer et reconstruire leur pays.

Alors que le gouvernement burundais préparait le rapatriement des réfugiés et la réinsertion des populations déplacées vers le milieu de l’année 1995, la FPH représentée par Pierre CALAME et Lydia NICOLLET, avec ses partenaires au Burundi élaborèrent un document en vue de futurs débats ou réunions dans le cadre d’une éventuelle mission sur place. Dix points importants présentés sous forme des « défis majeurs pour une paix durable au Burundi » constituent l’essentiel d’un programme tracé pour conduire les futurs débats et permettre à la FPH d’évaluer dans l’espace et dans le temps l’impact de son soutien pour la réalisation de ces défis. Ceux-ci font référence aux paris retenus au cours d’une mission effectuée au Rwanda et qui avaient trait à la réforme de l’Etat, de l’armée, de la justice, au développement économique et rural, à la réconciliation nationale, à la sécurité nationale et régionale, à la culture de la paix, à l’éducation, à la promotion de la démocratie et à la libre-expression (liberté de la presse).

Vu l’ampleur du projet, un budget global d’un million de FF (152 449, 02 euros) fut voté lors du conseil de la FPH vers la fin de l’année 1995. Dans le but de permettre l’engagement de nouveaux projets de paix et la recherche des moyens à employer sur le terrain pour faire réfléchir les Burundais sur les “défis”. La deuxième Mission d’Ecoute et de Dialogue coordonnée par Stephane Hessel, ancien ambassadeur de la France au Burundi, fut effectuée en décembre 1995, cette fois en partenariat avec le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD). Dans un contexte politique et social plus difficile que la première, elle a pu en une semaine - du 12 au 19 décembre - faire diffuser des messages de paix sous forme d’une série d’émissions à travers les médias locaux sur les thèmes liés aux défis élaborés conjointement avec les partenaires sur le terrain. Ce travail « médiatique » se faisait en même temps que des débats directs, des rencontres avec la population et les responsables religieuses, associatives et autres. Pour une fois, depuis une décennie, l’information diffusée par les médias ne faisait donc pas l’objet de diffamation envers les Hutu ou de manipulation par le pouvoir local qui les contrôle. Dans ce contexte, la méfiance envers l’Etat et l’armée était la règle, car ils n’avaient pas apprécié les efforts fournis quelques mois plus tôt par le Comité “d’Apôtres de la Paix” composé de trente Burundais et invité en Afrique du Sud par l’ONG “International Alert” pour une visite d’échanges d’expériences.

L’objectif poursuivi par la FPH était d’appuyer un jour un processus de dialogue entre les différentes forces de la société à l’échelle de la région des Grands Lacs. Un projet sans doute énorme mais décisif dans la mesure où il pourrait déboucher sur une solution de paix durable dans la région. Ses actions appuyées par des partenaires nationaux, régionaux et internationaux se déroulaient en pleine expansion d’une guerre civile en 1994 lorsque certains leaders politiques Hutu, majoritairement élus aux élections de 1993 et déchus par la force après l’assassinat de M.Ndadaye ont décidé d’entrer en guerre en créant le Conseil national pour la Défense de la démocratie (CDD) et son aile armée, les Forces pour la défense de la démocratie (FDD). Cette décision a été prise malgré l’élection en septembre du président de l’Assemblée nationale, Sylvestre NTIBANTUNGANIYA et la signature d’un accord de partage du pouvoir entre l’UPRONA (pro-Tutsi) et le FRODEBU (pro-Hutu). Et le coup d’Etat orchestré en juillet 1996 par Pierre Buyoya créait encore une situation socio-politique incertaine. Bien que celui-ci eût maintes fois déclaré être ouvert au dialogue et au partage du pouvoir - car il fut président de la République de 1988 à 1993 - il n’a pourtant pas hésité à évincer un président démocratiquement élu quelques années plus tard. En 1998, émerge à la FPH l’idée d’une troisième Mission d’Ecoute et de Dialogue au Burundi, étant donné le climat de sérénité et de sécurité qui régnait au Bujumbura. D.GAKUNZI servait ainsi d’intermédiaire entre la FPH et le président Buyoya en vue de réaliser cette mission, en composant cette fois, avec toutes les forces vives de ce pays en cette période jugée opportune où se réorganisent également la politique et les institutions. La mission exploratoire menée du 17 au 20 avril 1998 par le pasteur Jacques STEWART et Stéphane HESSEL à Bujumbura permettait d’organiser un rassemblement des jeunes Burundais.

L’accord de paix signé à Arusha (Tanzanie) le 21 juin 1998 était aussi une opportunité pour organiser la rencontre des jeunes, mais étant donné le refus de ratification de cet accord par les principaux mouvements de rebelles, il y régnait encore un certain scepticisme. Le programme arrêté pour cette rencontre avec l’appui du Centre International Martin Lutter King faisait des jeunes le centre d’intérêt de la FPH. Ceux-ci sont à la fois ouverts au dialogue inter-ethnique, mais également prisonniers d’un discours général trop enfermé où la fierté nationale est inséparable d’un complexe d’infériorité. Pour les conscientiser, on leur a fait partager les expériences vécues par les autres jeunes issus des milieux socio-culturels hétérogènes. Un enjeu devenait dès lors important pour la rencontre du 3 au 9 mai 1999 à GIHETA : promouvoir les actions de jeunes au sein de la société civile et en dehors des considérations politiques, en ramenant les témoignages sur les expériences des jeunes du Rwanda et de l’Ouganda auteurs ou bénéficiaires de structures et d’activités associatives en faveur d’une cohabitation ethnique pacifique. L’objectif était en fait de créer un Réseau “Jeunes pour la paix en Afrique des Grands Lacs”, à la suite des discussions, des échanges d’expériences (témoins venus également d’Europe et d’Amérique du Nord) et des engagements pris avec les jeunes. Ces jeunes ont débattu sur le thème principal “Osons inventer notre avenir” en rapport avec les dix défis.

Considérés comme acteurs de la construction de la paix et futures élites politiques, ces 120 jeunes participants Burundais d’origines ethniques différentes présents à la conférence de GIHETA ont émis le souhait d’être formés à la culture de paix par le biais du Centre International Martin Lutter King créé à l’initiative de la FPH.

Commentaire

Miser sur la jeunesse est sans doute un objectif à long terme de culture de la paix. Le travail de la FPH réalisé dans un climat où de nombreux organisations craignaient pour la sécurité et la vie de leur personnel a montré l’importance d’une attention en faveur des opportunités de paix que présente paradoxalement une situation de conflit. Son engagement a sans doute créé chez des Burundais des raisons d’envisager autrement l’avenir. A l’exemple d’un enfant perdu, les populations en conflit ont toujours besoin de quelqu’un qui leur aide à ouvrir leur regard et à chercher à construire des chemins de paix. Ne serait-ce que pour qu’elles y fassent leurs premiers pas.

Notes

Source: Archives de la FPH à Paris