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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Lyon, 2004

Entretien avec Jean-Pierre Bonafé-Schmitt.

La médiation scolaire.

Mots clefs : Education à la non-violence | Travailler la compréhension des conflits | Formation de médiateurs | Mettre en oeuvre des initiatives de médiation

Les moyens de médiations mis en oeuvre dans les quartiers pour résoudre les conflits n’auront que peu d’incidence sur la cohésion sociale si la médiation est considérée comme un nouveau service d’experts offert à la population. Les spécialistes sont certes nécessaires pour encadrer le processus, mais surtout pour y associer les personnes d’un quartier, pour les former à devenir elles-mêmes médiatrices, à un moment de leur vie. C’est cela qui peut construire une nouvelle citoyenneté, une nouvelle responsabilité, un nouveau pouvoir des citoyens sur ce qui leur arrive, de nouvelles solidarités. C’est en cela que la médiation est un outil de socialisation.

NVA :

Les lieux de médiation implantés dans la région lyonnaise répondent-ils aux besoins de gestion des conflits de proximité ?

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt :

Les boutiques de droit de Lyon traitent trois à quatre mille dossiers par an et l’association de médiation Amely réalise six à sept cents médiations annuelles.}} Près de 15 % de ces médiations relèvent du contentieux familial, essentiellement des problèmes liés au droit de visite suite à des séparations et des problèmes entre frères et sœurs liés aux placements de leurs parents. Ce sont le plus souvent des petits litiges de la vie de tous les jours : médiations entre un petit commerçant et son salarié, entre une femme de ménage et ses employeurs… Ces contentieux de la vie quotidienne ont souvent du mal à arriver en justice pour des raisons financières et parce que la justice ne peut pas tout traiter. Ce n’est pas à la justice, par exemple, de s’occuper des feuilles qui, en automne, vont tomber chez le voisin…

NVA :

Les conflits de proximité représentent donc un espace à côté du champ judiciaire…

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt :

De mon point de vue, la médiation de quartier et la médiation scolaire, que j’englobe sous le terme de médiation sociale, devraient devenir un nouveau rituel de gestion des conflits, une sorte de « constat amiable » pour les conflits de la vie quotidienne.}} En matière d’accidents de voiture, les gens remplissent le plus souvent un constat amiable, sans recourir à la police ou au tribunal. Il faudrait que ce soit la même chose en matière de conflits. On devrait pouvoir régler la plupart des petits litiges en allant voir le médiateur. Si on n’arrive pas à s’entendre, alors on va en justice, mais pas avant.

Si la justice devait régler tous les accidents de la circulation, elle serait submergée, tout comme elle est submergée par la judiciarisation de plus en plus grande de la vie quotidienne. La solution n’est pas dans le renforcement des effectifs de police et de justice, ni dans la multiplication des vidéos-surveillance, mais dans la mise en place de nouveaux modes de régulation sociale qui remettent du lien dans les quartiers en s’appuyant sur la participation des habitants. Le service de médiation est l’une des réponses possibles. Il faudrait que dans chaque quartier il y ait ce tiers qui permette d’accompagner des accords amiables. Chacun devrait avoir sur lui, l’adresse et le numéro de téléphone du médiateur le plus proche, comme celui de son médecin…

NVA :

En quoi la gestion des conflits de proximité peut devenir un rituel ?

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt :

Le sociologue canadien Erving Goffman a développé cette notion de rituel dans son livre « La mise en scène de la vie quotidienne »}} (Ed. de Minuit, 1973) mais aussi René Girard dans « La Violence et le Sacré (Hachette, 1988). Le processus de médiation peut être assimilé à un rituel dans le sens où il maintient l’expression conflictuelle dans des formes rigoureusement déterminées. Par exemple, si vous vous faites bousculer dans un transport en commun, vous êtes crispé et vous attendez un geste de l’autre, une parole d’excuse. C’est ce que Goffman appelle l’échange réparateur. Si cela ne se produit pas, le ton va monter, éventuellement jusqu’à la violence. Le rituel de l’excuse désamorce la tension et les personnes peuvent éventuellement se sourire. La médiation joue ce rôle de prévention des violences.

La procédure représente un certain cérémonial, avec un discours qui vise à instaurer un code moral de participation à la médiation. Ce discours légitime l’intervention des médiateurs comme tiers impartial et met en avant des valeurs comme l’appropriation de la résolution du conflit par les parties concernées, les notions de responsabilité mutuelle et d’intercompréhension.

La rencontre préliminaire représente la première phase de ce rituel, la plus importante car c’est au cours de celle-ci que les médiateurs exposent en quoi consiste le processus de médiation et cherchent à établir un rapport de confiance. Ensuite, le déroulement de la médiation est fait d’interactions, d’échanges de paroles que doit maîtriser le médiateur afin de préserver la logique de la communication. Les étapes de la médiation – rappel des règles de médiation, rétablissement du dialogue, recherche de solution, accord de médiation – sont là aussi pour créer un rituel favorable à la communication.

NVA :

Comment mettre en place la médiation sociale dans les quartiers et les écoles ?

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt :

Dans les structures de médiation, il est important que ce ne soit pas des notables comme autrefois le « juge de paix », mais des bénévoles et qui ne soient pas toujours les mêmes.}} Le travail de l’association est donc d’assurer en permanence le recrutement de nouvelles personnes et leur formation pour que le rituel de la médiation se propage. De ce point de vue, l’école est le lieu le mieux adapté pour assurer un apprentissage systématique à la médiation. À côté de l’acquisition des connaissances, l’école doit aussi assurer la socialisation et l’éducation à la citoyenneté, en mettant en place une éducation à la relation et une expérimentation pratique de la gestion des conflits et de la médiation. Avec l’association Amely, nous proposons que dans tous les établissements – primaires, collèges et lycées – il y ait un suivi pour permettre à chaque élève qui le souhaite d’être au moins une fois médiateur au cours de sa scolarité obligatoire.

NVA :

Est-ce suffisant pour que cela ait un impact réel ?

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt :

Les études montrent que les effets de la médiation se produisent surtout sur le médiateur.}} Ce sont les élèves dits « à problèmes » (décrochage scolaire, problèmes de comportement…) qui en tirent le plus grand bénéfice. Ils peuvent faire l’expérience d’une autre perception des autres et de comportements différents de ceux qu’ils ont habituellement. Ce qui m’intéresse dans cette question du conflit, ce n’est pas d’abord sa régulation, mais la reconnaissance de l’altérité. C’est la thèse du sociologue allemand Georg Simmel pour qui le conflit est une forme de socialisation, c’est la reconnaissance de l’autre. Il est donc important de proposer un autre rituel, différent des anciennes règles de politesse. La politesse du passé était marquée par une structuration pyramidale, par un mode de gestion des conflits très hiérarchisé, dans un rapport d’inférieur à supérieur.

Aujourd’hui, il s’agit de négocier de nouvelles règles. Et la médiation peut aider à le faire. Nous ne sommes pas dans le champ de la justice, avec sa rationalité et l’obligation de régler le problème sous peine de déni de justice. En médiation, il n’y a aucune obligation ; il faut que les deux parties s’entendent pour définir ensemble leurs règles de vie communes. C’est pourquoi je pense que la dimension essentielle de la médiation est la reconnaissance de l’autre et la compréhension mutuelle. C’est de ce point de vue qu’il faudrait pouvoir évaluer la médiation.

NVA :

Pour vous, la médiation n’est-elle pas d’abord un moyen d’apprendre à vivre ensemble ?

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt :

Elle est souvent envisagée comme une simple technique de gestion de conflits mais pour moi c’est effectivement un nouveau modèle de régulation sociale basé sur une rationalisation de la communication. Ce n’est pas d’abord un moyen de pacifier l’école ou le quartier, mais un processus éducatif permettant de diffuser ce nouveau modèle de régulation des conflits, plus consensuel, et basé sur le contrat, la confiance et l’équité. Il s’intéresse à la relation entre les différentes parties alors que la justice s’intéresse à la sanction du coupable. La médiation peut produire de nouvelles normes, de nouvelles règles d’ordre relationnel ou fonctionnel sur la base de contrats et d’engagements mutuels.

NVA :

Qu’est-ce qui peut favoriser aujourd’hui le développement de la médiation ?

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt :

Outre la multiplication de lieux de médiation et de formations à la médiation, il est important de développer ce que j’appelle une « ingénierie » de la médiation.}} Il s’agit de former des professionnels capables d’encadrer la mise en place de structures dans les écoles et les quartiers et d’aider les bénévoles à y exercer cette fonction. Nous avons mis en place cette année à l’Université de Lyon un master de médiation, pour former des gens qui puissent faire ce travail d’accompagnement, de formation et d’évaluation. Il devient urgent de recréer des structures intermédiaires entre les individus et les institutions, sous peine de voir la société se fractionner en communautés (sexuelles, ethniques, religieuses…). Comment vivre ensemble si l’on ne crée pas des médiations entre ces groupes ? La médiation est une manière de « faire société », de créer du lien social en constituant de nouveaux espaces de régulation des relations sociales. Ce n’est donc pas qu’une technique de gestion des conflits. L’association de professionnels compétents et de bénévoles déterminés devrait, à terme, permettre l’installation de la médiation dans de nombreux établissements et quartiers.

NVA :

Quels sont les enjeux politiques et sociaux d’une telle conception de la médiation ?

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt :

Avec l’évolution de la société, les solidarités qui existaient auparavant ont été remplacées par des relations de dépendance vis-à-vis de l’Etat.}} L’individualisme et le repli communautaire ont accentué cet éclatement. Pour remplacer les anciennes régulations sociales disparues, on se tourne vers la loi. On va dans les palais de justice comme on allait autrefois dans les églises. Je pense que c’est une erreur. Il faut revenir à la notion de contrat social qui définit les conditions de la vie en commun. À partir de là, il y a un minimum de règles que l’on doit respecter ensemble, qui ne sont pas toutes des règles écrites et que l’on ne va pas chercher à contourner en faisant valoir que ce qui n’est pas écrit est permis.

Le contrat doit être basé sur la notion équité. Mais ce qui est juste entre deux individus ne l’est peut-être pas entre deux autres. Ce caractère subjectif nécessite que la médiation s’adapte aux conflits des individus et non pas l’inverse. En matière de conflits de proximité, il me semble difficile d’établir une loi générale et impersonnelle qui s’applique à tout le monde. Il ne faut pas, bien sûr, opposer la justice à la médiation : si les gens n’arrivent pas à s’entendre, la justice doit alors les départager. Mais pour moi, ce qui est important c’est cette notion de socialisation, c’est un apprentissage de la vie en commun. À côté du droit étatique de l’institution judiciaire, la médiation définit une forme de justice « compréhensive », autour d’un droit tiré de la vie quotidienne, évolutif.

NVA :

À Lyon, il y a l’association Amely, en Italie il y a des « Maisons des conflits »… Quelle structure vous semble la mieux adaptée pour faire vivre cette justice de proximité ?

Jean-Pierre Bonafé-Schmitt :

Que l’on parle de maisons de la médiation ou de centres de ressources sur la médiation, ce qui me semble important c’est qu’il y ait le mot « médiation », plus positif que le mot « conflit » souvent connoté négativement. Conflit est trop souvent associé à dysfonctionnement. De plus, par rapport à la conciliation, à l’arbitrage, à la négociation, etc., la médiation n’est pas simplement une technique. Il ne s’agit pas de remplacer un expert par un autre comme, par exemple, dans le cas des Maisons de la justice et du droit ou même dans le cas des médiateurs familiaux. Ce qui m’intéresse dans la médiation sociale, c’est la réappropriation par les gens de la gestion des conflits, pas simplement les « médiés » mais aussi et surtout les médiateurs qui représentent la participation de la société civile à la gestion des conflits. La médiation est représentative de « l’action commune » qui peut recréer du lien social : elle remet en cause la division entre public et privé, entre secteur marchand et non-marchand, entre professionnel et non professionnel ; elle bouscule les frontières entre différentes disciplines comme le droit, la psychologie, la sociologie. La médiation n’est pas la panacée, c’est une forme de réponse axée sur la socialisation.

Après les années militantes et le temps de la consolidation, une véritable culture de la médiation ne peut se passer d’une reconnaissance et d’un appui institutionnels.

Propos recueillis par Guy Boubault, membre du conseil d’administration et rédacteur de Non-Violence Actualité.

De l’accès au droit à la médiation de quartier :

La première boutique de droit de Lyon date de 1980 alors que l’Association Médiation Lyon (Amely) a été créée en 1987. Il y a eu, au départ, une réflexion autour de l’accès au droit. Des personnes recherchaient non seulement des informations juridiques mais aussi une aide pour régler leurs problèmes. On parlait, à l’époque, de conciliation plus que de médiation. Il s’agissait d’entrer en contact avec le mis en cause pour essayer de trouver une solution à l’amiable. L’idée de médiation s’est imposée par la suite au sein de ce que l’on appelait les « groupes divorce » qui militaient pour un divorce à l’état civil, sans passer par l’avocat et le juge.

Malgré leur dénomination, les boutiques de droit n’ont jamais été des structures parajudiciaires, même si des magistrats et des avocats ont été le plus souvent à l’initiative de leur création. Elles ont toujours cherché à promouvoir des pratiques innovantes en matière juridique en associant notamment des non juristes à leur fonctionnement et en s’établissant dans des lieux atypiques comme des locaux HLM, des restaurants, des librairies… Créées pour favoriser l’accès au droit par l’information et le conseil dans tous les domaines de la vie quotidienne, ces lieux ressources de proximité proposèrent ensuite des services d’écoute pour les victimes d’infraction pénale et d’accident de la circulation, puis la médiation sociale pour la résolution des conflits du quotidien.

Ces trois services sont assurés actuellement dans treize sites de l’agglomération lyonnaise par cinq juristes et quatre-vingt-dix médiateurs bénévoles. Les boutiques de droit de Lyon ont développé des structures de médiation de quartier coordonnées par l’association Amely qui assure dorénavant la création et l’animation de dispositifs d’accès au droit et de médiation dans les quartiers, la création et l’animation de projets de médiation dans les établissements scolaires ainsi que l’organisation de formations à la gestion des conflits et à la médiation.

Amely, 45 rue Smith, 69002 Lyon. Tél. 04 78 37 90 71. Courriel : boutique.de.droit@free.fr

{Site : amely.ifrance.com/amely}

Le Conseil de l’Europe et les violences du quotidien

Le Conseil de l’Europe a adopté en novembre une résolution intitulée « Réponses à la violence quotidienne dans une société démocratique ». Extraits du chapitre « Développer le recours à la médiation » :

« Le recours à la médiation en tant que moyen non-violent de prévention et de résolution des conflits devrait être encouragé et développé. Le champ d’application, les méthodes et l’éthique de la médiation devraient être clarifiés et, le cas échéant, faire l’objet d’une supervision, d’assistances et de conseils ou d’un cadre réglementaire.(…)

Le champ potentiel d’application de la médiation est très large. Par exemple, l’on constate aujourd’hui le recours à la médiation dans la gestion ou la prévention des conflits à l’école, sur le lieu de travail, à l’occasion d’événements sportifs, au sein de la famille, entre voisins et communautés locales ainsi qu’en matière administrative, civile ou pénale. En matière pénale, le recours à la médiation est une option complémentaire ou alternative aux procédures criminelles traditionnelles dans un esprit de justice restaurative. Dans de nombreux domaines, la médiation est mise en oeuvre non seulement par des médiateurs professionnels mais aussi par des volontaires.

Le recours à la médiation pour la réduction de la violence dans la vie quotidienne a des intérêts multiples. Dans sa nature même, la médiation suppose le recours à des moyens pacifiques de résolution des conflits et encourage les parties à partager la responsabilité de la recherche d’une solution. Elle peut également prévenir l’escalade dans un conflit pouvant atteindre des formes de violence explicites. De plus, en tant que moyen d’éviter la violence, la médiation contribue à la cohésion sociale dans la mesure où elle permet de diminuer les tensions entre les communautés ou de restaurer un équilibre entre l’attention donnée aux victimes et aux délinquants.

Le Rapport final est consultable sur internet : http://www.coe.int/t/f/Projets_Integres/violence/

Commentaire

La médiation peut et doit jouer un rôle dans le processus de socialisation. Il s’agit d’un moyen pour garantir le maintien du lien social qui de nos jours se délite au profit de l’individualisme et du lien individu-Etat. La mise en place de processus de médiation présente deux avantages ; le désengorgement de la justice et le renforcement du tissu social en donnant priorité à la communication.

Notes

  • Jean-Pierre Bonafé-Schmitt est chercheur au CNRS et animateur des Boutiques de droit de Lyon et de l’association Amely. Il est l’auteur notamment de « La médiation, une justice douce » (Syros, 1992) et « La médiation scolaire par les élèves » (ESF, 2000).