Fiche d’analyse

Bergeline DOMOU, Cameroun, 2013

Conflit foncier et frontalier entre les Bali-Nyonga et les Bahouoc dans le Nord-Ouest Cameroun

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1. Présentation du conflit

Les conflits liés à la question foncière au Cameroun paraissent éternels, eu égard à leur actualité sans cesse renouvelée, et ce depuis l’aube même de l’occupation militaire allemande en 1884.

Les problèmes fonciers et domaniaux sont souvent à l’origine de tensions sociales au Cameroun. Ces problèmes fonciers donnent lieu à des conflits qui opposent les membres d’une même famille, les familles d’une même collectivité villageoise, des communautés tribales entre elles, voire des communautés tribales contre l’État.

Que ce soit au Nord, au Sud, à l’Est ou à l’Ouest, ces conflits fonciers débouchent sur des affrontements mortels et causent des dégâts matériels considérables. C’est le cas notamment dans les localités du Nord-ouest du Cameroun régulièrement secouées par des affrontements entre tribus voisines, pour des motifs souvent surprenants. Comme c’est le cas, notamment, dans le département de la Mezam situé à une vingtaine de kilomètres de Bamenda qui est le Chef Lieu de la Région du Nord-Ouest. Dans ce département, un litige foncier, frontalier et identitaire oppose les Balinyonga et les Bahouoc.

Les Bahouoc, aujourd’hui installés à Bali Nyonga, viennent de l’Ouest du Cameroun d’où ils avaient dû fuir, suite à la pénétration allemande. En effet, les Bahouoc via leur Chef s’étaient opposés aux Allemands. Ces derniers avaient alors envoyé un commando et fusillé le Chef du vilage. Ce qui avait entraîné la balkanisation du peuple Bahouoc qui avait alors migré à différents endroits. FONYONGA II, le Fon (chef supérieur) des Bali Nyonga, avait alors accueilli une partie de ce peuple, lui offrant de la terre pour s’installer et bâtir son « village », entre 1906 et 1907.

Le 06 mars 2007, les Balinyonga ont lancé un assaut sanglant contre les Bahouoc, avec comme résultat : une dizaine de personnes tuées, plus de 300 maisons incendiées dont la chefferie avec tout son contenu, et environ 3 000 personnes déplacées. Le village Bahouoc peuplé de souches venues du Ndé à l’Ouest, avait alors failli disparaître de la carte du Cameroun. Ce conflit avait explosé suite à des incidents survenus pendant la cérémonie traditionnelle et rituelle des Bali, le Lela, durant laquelle les Bali célèbrent pendant 4 jours « leurs nations ».

Les tensions entre ces deux villages sont nées du fait de l’espace, de l’identité, mais aussi de la délimitation de cet espace face à la démographie galopante et à la réduction consécutive de l’espace vital. Les Balinyonga considèrent Bahouoc comme un de leur quartier tandis que les Bahouoc se disent un village autonome avec ses manières de penser, de sentir et d’agir et par conséquent indépendant des Bali. En fait, Bali et Bahouoc ont besoin de plus terres pour abriter leurs populations, mais aussi pour l’agriculture, principale activité de ces deux communautés qui désormais se vouent une haine viscérale.

2. Analyse du conflit

Le conflit entre Bali et Bahouoc a éclaté le 06 mars 2007 durant la cérémonie du {Lela.}} Le Fon (Chef Supérieur) des Bali avait prévenu que durant la cérémonie, certains Bahouoc avaient prévu d’arracher les objets rituels des hommes Bali masqués, violant ainsi une tradition qui veut que ces hommes masqués ne soient pas regardés durant cette manifestation. En outre, l’entrée et le portail du Palais des Bali construit en 1889 par l’allemand Zintgraff, avaient été réduits en cendre par un feu venu d’on ne sait où. Les robinets étaient à sec suite à une rupture en alimentation d’eau par la Société Nationale des Eaux du Cameroun (SNEC) dont le responsable à Bali était de Bahouoc. Les Bahouocs - tenus pour responsables de ces incidents - avaient suscité une colère indescriptible des Bali qui s’en étaient alors pris aux biens, aux vies, aux emblèmes, aux champs et autres possessions des Bahouoc.

Ces raisons sont les raisons apparentes, car elles ne peuvent permettre de comprendre le conflit, de le cerner en profondeur, ni d’y apporter des réponses aptes non seulement à résoudre ce conflit, mais surtout à le transformer pour prévenir d’autres conflits et instaurer un climat convivial, susciter des changements durables au sein de la société qui favorisent le développement de ces deux communautés.

Pour cela une connaissance approfondie du conflit est essentielle, mais aussi l’analyse des processus et des structures à l’origine du conflit, ainsi que la carte des acteurs impliqués.

Une enquête sur le conflit Balinyonga-Bahouoc donne à comprendre que les raisons sont plus profondes que les incidents survenus durant le Lela.

Les Bahouoc qui avaient été chassés de leur Région d’origine avaient trouvé refuge chez les Balinyonga au Nord Ouest. En effet FONYONGA II des Bali-Nyonga avait à l’époque accueilli les Bahouoc sur son territoire. Ils avaient passé des accords pour formaliser cette installation et une relation harmonieuse était née entre les deux peuples qui s’entraidaient mutuellement. Un exemple de cet accord était notamment une taxe payée par les Bahouoc aux Balinyonga, Bahouoc étant à l’intérieur de Bali-Nyonga. Bali-Nyonga avait ainsi une ascendance sur les Bahouoc.

Avec le temps les Bahouoc ont manifesté des velléités « d’indépendances », et d’autonomie à l’égard des Bali. Ce qui n’alla pas sans heurts ni tensions. Pour les Bali, Bahouoc était un quartier de Balinyonga. Mais les bahouoc se comportaient en village autonome avec leur propre Fon (indépendant du Fon de Bali-Nyonga), ils posaient des actes qui suscitaient la colère des Bali et amenaient les autorités à intervenir. Les Bali considéraient tout cela comme une défiance à l’origine de nombreuses tensions.

Le 14 novembre 2006, le Fon de Bahouoc conjointement avec des Fons d’autres villages voisins à Bali-Nyonga, avait saisi officiellement le Préfet de la Mezam afin que celui-ci mette à leurs dispositions des géomètres, experts et techniciens pour déterminer et délimiter les frontières entre leurs villages et Bali-Nyonga. Le préfet avait répondu officiellement par une lettre dans laquelle il proposait l’intervention de techniciens le 06 décembre 2006. Les Bali avaient interprété cela comme un acte de défiance, mais surtout comme une volonté d’étendre leur territoire en empiétant sur celui de Bali-Nyonga.

Le Fon de Bali n’avait pas réussi, malgré les demandes et sollicitations, à rencontrer le Préfet qui, avec ses collaborateurs, avait prévu de se rendre sur le terrain pour mener des opérations de délimitations, bornages et autres. Cette promptitude du préfet à descendre à Bali-Nyonga trois semaines seulement après la lettre du Fon de Bahouoc était pour le moins étonnante quand on sait que celui-ci déjà maintes fois interpellé dans des conflits similaires au sein de la localité, ne s’était jamais déplacé. Confortant ainsi la thèse selon laquelle le préfet aurait été « acheté » par les Bahouoc, connus pour être financièrement nantis. Ni le Fon, ni les populations avaient été consultés ou associés à cet événement. Les germes d’un conflit étaient ainsi semés. Puis, les attitudes et comportements des Bahouocs envers les Bali allaient exacerber encore d’avantage les tensions.

Pour les Bali, les Bahouoc - financièrement aisés - avaient corrompu le préfet, la plus haute autorité administrative de la localité, afin que celui-ci intervienne rapidement et leur « arrache » leur terre pour la donner aux Bahouoc. Ces mêmes Bahouoc à qui les Bali avaient donné l’hospitalité quand ils avaient été chassés de leur Région d’origine.

Un autre fait marquant, source de ce conflit tient à la position géographique du village Bahouoc qui se situe à l’intérieur de Bali-Nyonga avec des quartiers de part et d’autres. Or, durant la préparation du Lela, les Bali doivent se rendre à la rivière afin d’échanger avec les esprits des eaux. Ce sont des hommes masqués qui s’y rendent et nul ne doit les regarder durant cette procession.Pour accéder à la rivière, les Bali doivent traverser Bahouoc. Il en a toujours été ainsi. Mais, lors des événements de 2007, les Bahouoc avaient défié les Bali, arraché les masques et effets des VOMA et demandé au Fon de Bali-Nyonga de venir les récupérer. La fierté des Bali-Nyonga, un peuple de guerriers, ayant été mise à mal, la riposte n’avait pas tardé et elle avait été sanglante.

Les Bali considéraient que les Bahouocs devaient retourner chez eux. Ils avaient alors incendié la chefferie Bahouoc, rasé les maisons de Bahouoc, ils s’en étaient pris aux plantes, aux animaux, aux humains, aux matériels. La colère et la violence étaient telles que les Bahouocs n’avaient pas pu réagir et ils s’étaient enfui, la plupart avait été accueillie et logée au Palais de Congrès de Bamenda par les autorités, surprises elles aussi par cette attaque et sa rapidité.

Telles sont les causes profondes du conflit des Bali-Nyonga contre Bahouoc. Le droit d’exister pour les uns, les droits sur les terres pour les autres, sans oublier le complexe de supériorité et les tendances hégémoniques qui sont autant d’éléments ayant favorisé l’éclatement de la violence.

Il est aussi important ici de s’intéresser aux différents acteurs impliqués dans ce conflit, il faut les distinguer et déterminer les rôles qu’ont joué les uns et les autres. Ceci toujours pour mieux comprendre ce conflit dans le but qu’il devienne bénéfique pour les Bali-Nyonga et les Bahouoc.

Quatre Fons se manifestent dans ce conflit, chacun avec ses aspirations, ses intérêts:

  • Le Fon de Bali-Nyonga, Fon Doh Ganyonga III : pour ce Fon, Bahouoc est un quartier de son territoire : par conséquent le Fon de Bahouoc et sa population lui sont soumises. C’est lui qui avait reçu ces derniers et leur avait offert l’hospitalité quand ils avaient été chassés de l’Ouest.

  • Le Fon Nana Wanda III des Bahouoc, réclame le droit d’exister pour lui et sa population. Selon lui, Bahouoc ne saurait être un quartier ou une sous chefferie de Bali-Nyonga. Les us et coutumes sont différents, ainsi que la langue et les procédures d’intronisation. C’est pourquoi il réclame un espace clairement défini afin d’abriter sa population et sa chefferie. Son recours est plus administratif que guerrier.

  • Les Fons des villages frontaliers que sont Pinyin et Baforchu. Ces deux Fons supportent mal l’hégémonie des Bali-Nyonga et ont déjà eu à subir les foudres guerrières des Bali-Nyonga. Ils souhaitent eux aussi que l’autorité s’implique dans ce conflit afin de délimiter les frontières de tous les villages.

Les autorités administratives, notamment le Préfet de la Mezam à cette époque, Jules Marcelin Ndjaga, ainsi que le Sous-préfet, le gouverneur du Nord Ouest. Ils sont interpellés de part et d’autres afin de mettre fin au conflit, mais surtout pour résoudre définitivement le conflit. Et chacun bien sûr d’après ses soucis.

Les populations des deux villages en conflit sont parties prenantes dans ce conflit, ce sont eux qui vont être sur le terrain de l’action. Chacune d’elle en bataille rangée derrière leur Fon.

Les élites sont aussi parties prenantes dans ce conflit. Pour la plupart elles ne résident pas dans les villages, mais elles tirent les ficelles du jeu. Les élites Bahouocs sont réputées pour leur puissance financière en tant que grands commerçants. Et celles des Bali-Nyonga tirent leur puissance de leur position dans les hautes sphères de l’Etat, dans la diaspora. La manifestation de ces élites bien avant et pendant le conflit, est remarquable.

Autre acteur dans ce conflit : les médias. Que ce soit la presse écrite, la télévision, la radio ou Internet, tous se sont saisis de ce conflit ; certains l’ont réellement couvert avec des reporters sur les lieux, d’autres relayant les informations des premiers, toujours est-il que ce conflit a fait la Une de la plupart des médias. Ces médias ne sont pas neutres ni suffisamment bien informés pour faire des analyses objectives. Les Camerounais étaient informés, au gré des sources d’informations, tantôt que les Bali-Nyonga étaient les victimes de Bahouocs tantôt l’inverse. Certains de ces journaux avaient un parti pris.

Un autre élément important dans ce conflit est lié à la perception. A savoir, comment les Bali Nyonga se perçoivent et se représentent, mais aussi comment perçoivent-ils et se représentent-ils ceux qui les entourent, notamment les Bahouocs.

Les Bali-Nyonga comme nous l’avons relevé plus haut, sont venus de l’Adamaoua suite à une guerre entre frères pour le pouvoir. Ce sont des guerriers qui se sont battus et installés dans la localité où ils sont aujourd’hui. Ils sont les seuls « chambas » (venus de l’Adamaoua) dans cette localité et ils sont entourés des « Moghamos ».

Par ailleurs, les Bali-Nyonga ont également encore une tradition forte, à laquelle ils demeurent attachés comme à la prunelles de leurs yeux. Ce sont de puissants guerriers, et jusqu’à ce jour ils initient les jeunes aux techniques de guerre. Tout ceci fait que les Bali-Nyonga éprouvent une grande fierté et s’estiment supérieurs aux autres.

Ils attendent donc une espèce de soumission de la part des autres, en particulier des Bahouoc qui dans leur imaginaire vivent sur « leur territoire »

Cet esprit guerrier fait d’eux des peuples belliqueux. Ceci ne se limite pas aux Bali-Nyonga, les autres villages Bali - Balikumbat, Baligham, Baligasho… - sont tout aussi belliqueux. Et cela se traduit par des conflits avec leurs voisins. Ceci fait peur aux villages environnants.

3. Résolution du conflit

Au lendemain de la colère des Bali-Nyonga qui avait déferlé sur Bahouoc comme une tempête, et rasé totalement ce village, le gouvernement avait réagi promptement. Les forces de l’ordre étaient allées sur les lieux pour éviter que la situation ne s’envenime, et un comité de crise avait été mis en place pour résoudre le conflit.

Ce comité de crise avait été mis sur pied par le Gouverneur de la Région du Nord-Ouest qui à l’époque était Koumpa issa. Ce dernier s’était rendu sur les lieux et avait convoqué une réunion à la préfecture : Préfet, sous-préfet, Commandant de Compagnies, Maires, élites étaient réunis autour de la table. Le Fon de Bahouoc était présent, mais pas celui de Bali-Nyonga qui s’eétait excusé.

L’objectif était non seulement de mettre fin au conflit, mais d’aider les Bahouoc qui s’étaient installés au palais des Congrès de Bamenda à subvenir à leurs besoins (eau, nourriture, santé), à mener des enquêtes, mais aussi et surtout comme le disait le Gouverneur : à « ramener la paix entre communautés qui doivent continuer à vivre ensemble. »

Ce comité de crise est loin d’avoir rempli convenablement ses missions. Il est vrai que la violence n’a pas continué, mais cela est loin d’être le fait des forces de l’ordre ou de ce comité de crise. Le rapport de force déjà sur le terrain était en défaveur des Bahouoc qui n’avaient pu riposter durant le déferlement de la violence ni même après que les Bali-Nyonga se soient retirés. Le village rasé ils ne pouvaient que chercher où s’abriter.

Par ailleurs, la commission d’enquête n’a toujours pas rendu sa copie.

Si les Bahouoc ont trouvé refuge à Bamenda dans le Palais des Congrès, il n’en demeure pas moins que les tensions restent vives. Le comité de crise, ne pouvant indexer qui que ce soit dans le déferlement de la violence, s’est limité à prêcher la paix, la solidarité et l’harmonie aux deux communautés afin qu’une telle violence ne se répète plus. La rencontre n’a été fait que d’accusations, de défenses des élites des deux bords, tous se rejetant les tords face à des autorités qui se limitaient à écouter et à tempérer les ardeurs.

Quelques semaines plus tard, les Bahouoc ont dû quitter le Palais de Congrès de Bamenda, car des activités devaient y avoir lieu. Retourner dans leur village où tout n’était que désolation, seuls les ONG, les associations caritatives, les âmes de bonne volonté les ont assistés et soutenus. Le gouvernement étant passé à autre chose. Non seulement ces populations devaient faire face aux difficultés, mais rien n’avait été concrètement fait pour résoudre le problème à l’origine du conflit. Dans chacune de leurs déclarations les Fons des deux communautés se disaient pacifiques, mais dans les faits le problème restait entier. Les populations quant à elles continuaient les invectives.

Face à la complexité mais aussi à la sensibilité de la situation, l’impuissance des pouvoirs publics est palpable. Ici c’est l’expérience, la personnalité et l’inventivité des autorités qui déterminent la gestion de ce conflit. Aucun cadre de gestion de crises, ne permet aux autorités administratives de se déployer, ce qui est difficile pour eux d’autant plus que nous sommes dans un contexte d’interculturalité.

Conclusion

Force est de constater que le conflit entre les Bali-Nyonga et les Bahouoc dans le Nord-Ouest du Cameroun est loin d’être résolu ou transformé. Les personnes en charge de cette résolution étant pour la plupart des fonctionnaires sans cadre, sans vision et sans réelle conviction, le tout dans un environnement où les pressions diverses et l’argent rentrent en jeu. Le problème Bali-Nyonga- Bahouoc reste entier. Les deux communautés se regardent en chien de faïence et des étincelles surviennent de temps en temps.

Pourtant le conflit de 2007 aurait pu être l’occasion d’amener ces deux peuples à ne plus se considérer comme des ennemis. Par exemple en rassemblant avec tact les deux Fons à la même table afin qu’ils se parlent, ou encore en délimitant sur le territoire Bahouoc le passage des Bali-Nyonga durant la Cérémonie du Lela, en enseignant aux jeunes l’histoire des deux communautés afin qu’ils sachent d’où ils viennent.