Fiche d’analyse

, France, septembre 2016

Impact de l’immixtion politico-militaire sur la certification des minerais en RDC

Si la mise en place de procédures de certification des minerais pour tenter de rompre le lien entre minerais et conflits armés a permis une amélioration globale de la situation, d’importants défis sécuritaires, économiques ou liés à la gouvernance du secteur minier demeurent.

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Cyril Musila, « Impact de l’immixtion politico-militaire sur la certification des minerais en RDC », Notes de l’Ifri, Ifri, septembre 2016.

Introduction

L’évolution du secteur minier artisanal congolais a été marquée ces dernières années par la mise en place de la politique de certification des minerais par la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL). Le lancement de cette politique régionale en 2008 est une des réponses à l’idée largement répandue selon laquelle les ressources naturelles sont l’un des principaux facteurs de conflits à l’est de la RDC. En effet, dès 2001, des rapports du Groupe d’Experts des Nations Unies pour la RDC dénonçaient l’utilisation par des groupes armés et des militaires des ressources naturelles, en particulier des minerais, afin de s’enrichir et ainsi perpétuer l’insécurité et la violence dans la partie orientale de la RDC1. Ces minerais parmi lesquels figurent l’or, l’étain, le tungstène et le coltan (colombo-tantalite) interviennent dans la composition de différents matériels technologiques (ordinateurs, téléphones portables, etc.) et dans l’aéronautique. Ce sont ces quatre minerais qu’on appelle « minerais de sang » ou « minerais de conflit ».

Documentées et corroborées par de nombreuses ONG et des chercheurs indépendants, les accusations de l’ONU avaient obligé de nombreux États, et notamment ceux de la région des Grands Lacs, à agir. Des efforts certains ont été initiés dans l’objectif de rompre le lien entre minerais et conflits armés.

Dès 2006, l’OCDE met en place un outil de sensibilisation pour les entreprises œuvrant dans des zones affectées par des conflits ou à risque. En 2011, elle publie son « Guide » qui définit le devoir de diligence raisonnable et fournit aux entreprises un modèle pour établir une chaîne d’approvisionnement transparente et responsable en minerais2. Ce guide définit les meilleures pratiques pour les entreprises des États membres opérant dans des zones de conflit. L’OCDE a par la suite instauré un partenariat technique avec la CIRGL et certains États membres de la CIRGL afin d’accompagner la mise en œuvre des lignes directrices du devoir de diligence3.

De leur côté, en 2010, les États-Unis ont introduit le Dodd Frank Wall Street Reform and Consumers Protection Act4, plus connu sous le nom de loi Dodd-Frank. Adoptée dans le sillage de la crise financière de 2008, cette loi réforme la réglementation financière aux États-Unis. Sa section 1502 contraint les entreprises inscrites à la bourse de New York à établir si leurs produits contiennent des minerais du conflit – en soumettant leur chaîne d’approvisionnement à une diligence raisonnable – et d’en rendre compte à la Securities and Exchange Commission (SEC). Les entreprises doivent : informer la SEC du processus de devoir de diligence effectué sur le lieu d’extraction et tout au long de la chaîne de possession de ces « minerais du conflit » ; fournir un rapport de l’audit mené par un organisme tiers indépendant et mettre à disposition de la SEC des informations complémentaires telles que la description des installations utilisées pour transformer les minerais ; délivrer des informations sur les pays d’origine et sur les efforts mis en œuvre pour déterminer la mine ou le lieu d’origine de la manière la plus précise possible. Cette loi ne criminalise pas l’usage de minerais de conflit.

Quant à l’initiative de diligence raisonnable relative à la chaîne d’approvisionnement de l’étain (ITSCI) portée par l’ITRI5 (secteur privé) et le Tantalum-Niobium International Study Centre (TIC), elle aide les entreprises en amont (de la mine à la fonderie) à mettre en place les actions, les structures et les processus nécessaires pour se conformer aux directives contenues dans le guide de l’OCDE sur le devoir de diligence. L’ITSCI a d’abord été expérimentée en RDC (Nord et Sud-Kivu) en 2010. Elle englobe des entreprises de petite, moyenne et grande taille, des coopératives ainsi que des sites miniers artisanaux. L’ITSCI est considérée comme un système global de devoir de diligence et de traçabilité des minéraux qui encourage un changement positif dans la Région des Grands Lacs, en fournissant des informations sur les minéraux propres et en permettant leur accès aux marchés internationaux. Parmi les éléments qui la composent figurent des normes strictes d’adhésion, des audits, des études de base des mines, le suivi des minéraux, l’analyse des données et la surveillance d’incidents. Ces éléments sont destinés à créer un système de mines sécurisées, libérées de la présence ou de l’influence des groupes armés et dans lesquelles les violations des droits de l’homme sont signalées et résolues.

Le système de chaîne de possession établi par l’ITSCI est censé permettre aux acheteurs de minerais de disposer de toutes les informations relatives à la production et au commerce, tel que le recommande le guide de l’OCDE. L’ITSCI est opérationnelle en RDC et au Rwanda mais ne concerne que l’étain, le tantale et le tungstène.

Ces différentes initiatives ont eu un impact positif sur l’ensemble de la chaîne minière artisanale. L’Enough Project6 illustre cela par deux facteurs : le nombre de sites validés comme non affectés par les conflits et la hausse des exportations. Parmi les quelque 193 sites miniers évalués à l’est de la RDC pour déterminer s’ils étaient affectés par les conflits et le travail d’enfants, 166 d’entre eux avaient été validés. Le Ministère provincial des mines du Nord Kivu a enregistré 948 tonnes de coltan non affectées par le conflit en 2015, soit une augmentation de 19 % par rapport à 2014 et de 387 % en comparaison de 2013. D’après la cartographie minière réalisée par l’International Peace Information Service (IPIS), 70 % des mines de cassitérite, de coltan et de wolframite étaient considérées comme non affectées par les conflits7. Ainsi, on constate que la situation sécuritaire dans les zones minières s’est globalement améliorée. Par exemple, il est aujourd’hui possible de circuler dans la mine de Bissie à Walikale dans le Nord Kivu, alors qu’il était considéré comme dangereux d’y mettre les pieds avant 2010, à cause de la présence d’hommes armés.

Si ces améliorations sont reconnues, d’importants défis sécuritaires, économiques ou liés à la gouvernance du secteur minier demeurent. La sécurité des communautés et des villages situés à proximité des mines est encore en question, plus particulièrement des mines d’or. Dans certaines régions du Nord Kivu et du Sud Kivu ou en Ituri, le lien est très loin d’être rompu entre les hommes armés et les minerais. Par ailleurs, il est nécessaire de mentionner la corruption dans le système de traçabilité, l’accès très compliqué voire impossible à l’économie formelle, l’absence de revenu alternatif pour les artisans miniers, l’insuffisance des zones minières artisanales légales ainsi que la contrebande des minerais depuis la RDC vers le Rwanda8. Toutes ces difficultés ont un impact non négligeable et fragilisent l’effectivité de la traçabilité. En outre, si sur les 1 100 sites miniers artisanaux estimés au Kivu, seuls 166 pouvaient officiellement et légalement exporter9 en 2015, il est évident que les 934 mines qui restent ne sont pas nécessairement inactives ou fermées et que le devenir de leur production reste mystérieux.

Cette note n’a pas l’intention ni la prétention de faire le point sur les différentes initiatives de la « Communauté Internationale » à ce sujet10, mais de montrer l’impact de l’immixtion politico-militaire sur l’initiative lancée par la CIRGL, l’Initiative Régionale sur les Ressources Naturelles (IRRN) et son « Mécanisme Régional de Certification » (MRC) des minerais. L’angle d’analyse de cette note sera de comprendre les interventions des acteurs politiques et militaires qui sont de nature à compromettre la politique de la CIRGL. Ainsi nous présenterons l’IRRN et le MRC, puis répertorierons les différents modes d’immixtion politicomilitaires en RDC avant de montrer leurs interférences et les conséquences sur l’efficacité de cette politique régionale.

L’Initiative Régionale sur les Ressources Naturelles (IRRN) et le Mécanisme Régional de Certification (MRC) : conditions d’exportation légale de minerais dans la région des Grands Lacs

L’IRRN s’inscrit dans le cadre du Protocole contre l’exploitation illégale des ressources naturelles qui découle du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement de la région des Grands Lacs, signé à Nairobi en 2006 par les États membres11. En signant ce Protocole, ces derniers reconnaissaient officiellement l’existence du lien entre l’exploitation illégale de ressources naturelles et les conflits armés dans la région des Grands Lacs. Deux ans plus tard, en 2008, la CIRGL lançait l’Initiative Régionale contre l’Exploitation Illégale des Ressources Naturelles (IRRN) comme principal moyen de mise en oeuvre dudit Protocole. En décembre 2010, les pays des Grands Lacs se réunissaient à Lusaka et approuvaient les six instruments de l’IRRN, à savoir : un mécanisme régional de suivi et de certification des minerais (MRC) pour les quatre « minerais de conflit »12 ; la création d’une base de données pour suivre le commerce des minerais dans la région ; la formalisation de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle ; l’établissement d’un mécanisme de dénonciation ; et la promotion de l’initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) dans la région. Ce faisant, la CIRGL s’est alignée sur le principe de diligence raisonnable de l’OCDE qui implique une vérification de l’origine des minerais par les firmes de sorte qu’elles ne soutiennent pas, directement ou indirectement, des conflits armés par leurs activités.

Ainsi à travers l’IRRN, la CIRGL a mis en place la certification des minerais. Seul ce certificat CIRGL donne la légalité à l’exportation des minerais. Il est délivré à certaines conditions et en suivant le processus de traçabilité mis en œuvre par l’initiative ITRI. Le suivi et le traçage des minerais sont utilisés par un client dans l’objectif de fournir des informations sur « la chaîne de possession » d’un minerai afin d’assurer l’origine et le contrôle du minerai à chaque changement de propriétaire, de négociant et de territoire. Le suivi retrace également la chaîne d’approvisionnement du minerai depuis son origine jusqu’à l’utilisateur final. Le but de ce suivi est de prévenir le vol ou le blanchiment du minerai dans une chaîne d’approvisionnement, et d’appuyer la traçabilité réalisée par les utilisateurs en aval. Le suivi documente le mouvement du minerai,le traçage du minerai ou de ses propriétaires et/ou des négociants et remonte la chaîne d’approvisionnement de l’utilisateur final jusqu’à son origine.

Le traçage tente de cartographier le mouvement historique de la matière, de l’origine jusqu’à l’utilisateur en révélant chaque niveau préalable de la chaîne d’approvisionnement. Le traçage va donc dans le sens opposé du suivi. Le traçage est fait en utilisant uniquement la preuve documentaire. Le processus de traçabilité de l’ITRI obéit aux conditions suivantes :

  • la mine d’où proviennent les minerais doit avoir été inspectée au préalable et cette inspection doit montrer que ladite mine n’est pas occupée par des hommes armés (rebelles ou militaires), qu’elle n’exploite pas d’enfants ni de femmes. Si ces conditions sont réunies, la mine est certifiée « Drapeau Vert ». Ainsi seules les mines « vertes » peuvent exporter leur production. Avant de quitter la mine, les minerais sont enregistrés et mis dans un sac (15 à 20 kg) avec badge. Les minerais ainsi badgés sont vérifiés et réenregistrés au centre de négoce où les creuseurs viennent vendre leurs minerais à des commerçants ;

  • le transport depuis la mine jusqu’au centre de négoce ne doit pas impliquer des militaires ou des rebelles ;

  • Les minerais sont alors acheminés à l’usine de traitement et conditionnés avant exportation. À cette étape est délivré le certificat d’exportation de la Conférence des Grands Lacs. À l’est de la RDC, la certification est assurée à Bukavu, Goma, Kindu et Lubumbashi.

Ce certificat final sur les minerais provenant des sites miniers validés « verts » permet l’exportation légale de la cargaison. En effet, une commission mixte visite les mines et y vérifie un ensemble de conditions – en particulier l’absence de groupes armés ou militaires, le respect des droits de l’homme, l’absence d’enfants, etc. – et attribue alors un drapeau vert, jaune ou rouge à la mine. Les sites miniers sont inspectés annuellement par l’inspection des mines du gouvernement. Ces inspections gouvernementales sont croisées avec des audits d’une tierce partie indépendante assurés par un auditeur accrédité de la CIRGL. Selon le manuel de certification développé par la CIRGL, l’évaluation des risques sur les sites miniers est assurée par l’auditeur de la chaîne des minéraux de la CIRGL (ICGLR Mineral Chain Auditor). Les mines déclarées vertes peuvent produire des minerais pour une exportation certifiée. Les mines déclarées « drapeau jaune » présentent des infractions sur un ou plusieurs critères. Dans ce cas, l’opérateur minier a six mois pour résoudre le problème identifié avant que la mine produise des minerais certifiés pour l’exportation. Enfin, les mines non-certifiées ou déclarées « drapeau rouge » sont en grave infraction sur un ou plusieurs critères. La production dans une telle mine est alors interdite pour une période de six mois minimum et celle-ci demeure rouge jusqu’à ce qu’une nouvelle inspection constate que les améliorations ont été apportées13.

En RDC, les inspections gouvernementales sont assurées par une commission mixte composée de BGR14, la MONUSCO, PACT (ONG internationale dont le siège est basé à Washington)15, un membre du ministère provincial des Mines, un membre du SAESSCAM16, un membre de la Division des Mines, un membre du Cadastre Minier (CAMI), un membre de la Police des Mines, un membre de la Fédération des Entreprises Congolaises (FEC), un membre de la société civile et quelques fois un membre de l’armée congolaise (FARDC) dans des zones où l’armée est affectée. Le certificat d’exportation est délivré par les administrations minières des pays concernés. Pour la RDC, il est délivré par le Centre d’Évaluation, d’Expertise et de Certification (CEEC).

Jusqu’à décembre 2015, sur quelque 2 707 sites miniers artisanaux estimés sur toute l’étendue de la République démocratique du Congo, seuls quelque 193 ont été déclarés « verts » parmi ceux qui ont été inspectés. Le Rwanda en a 246 qui sont tous reconnus « verts ». Le Burundi en a 48 et aucun n’a été certifié jusqu’ici. Pour les autres pays, rien n’est connu17.

Conçu comme un outil de lutte contre les minerais de conflit, le MRC est défini comme l’assurance que ni les sites miniers, ni les chaînes de commerce nationales ou régionales ne sont sous le contrôle prédateur de groupes armés ou des réseaux criminels. Il est guidé par les principes de transparence et de traçabilité de sorte que l’on puisse identifier les différents propriétaires du minerai depuis le site minier jusqu’au point d’exportation. Les différentes étapes du MRC – à savoir le suivi des minerais depuis le site d’extraction (le site doit être inspecté et doit disposer d’un certificat attestant qu’il n’y a pas d’activité d’hommes armés), le suivi de la chaîne de possession (on doit pouvoir identifier les différents propriétaires du minerai quand celui-ci change de mains depuis le creuseur jusqu’à l’exportateur en passant par les négociants) et les audits par des auditeurs tiers indépendants et par un auditeur de la CIRGL – ont pour objectif de croiser des mesures de vérification en prenant en compte toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement des minerais.

Ainsi, d’après le MRC de la CIRGL, pour être certifiés, les minerais provenant d’une chaîne de minerais « sans conflit » ne doivent impliquer aucun groupe armé non étatique qui : (a) contrôle illégalement des sites miniers, des voies de transport, des points de commerce de minerais ou encore des acteurs en amont de la chaîne d’approvisionnement ; (b) taxe illégalement ou extorque de l’argent ou des minerais aux points d’accès des sites miniers, le long des voies de transport ou aux points de commerce illégal de minerais ; et/ou (c) taxe illégalement ou extorque des intermédiaires, des entreprises d’exportation ou encore des commerçants internationaux. Le mécanisme de suivi et de certification des minéraux de la CIRGL prend également en compte les préoccupations environnementales, les graves violations des droits de l’homme, à savoir la torture, le travail forcé ou le travail des enfants, la violence sexuelle et les crimes de guerre ou d’autres violations graves du droit international humanitaire18.

Modes d’immixtion politicomilitaires répertoriés

Si la RDC est signataire du Pacte de la CIRGL et si elle s’est engagée dans le processus de certification de ses minerais selon les normes de la CIRGL, force est de constater que « malgré les progrès de la traçabilité des minéraux extraits en République démocratique du Congo, certains éléments des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et groupes armés sont toujours impliqués dans le commerce des minerais et risquent d’introduire des minerais du sang dans les circuits d’approvisionnement du pays et de ses voisins », note un rapport de l’ONU en 201519. Le même rapport mentionne qu’en 2014, la lutte contre le trafic d’or n’a pour ainsi dire pas progressé en RDC et en Ouganda – les gouvernements de ces pays, tout comme celui des Émirats arabes unis (principale destination d’exportation de l’or congolais), ne se montrant guère soucieux d’accroître la traçabilité et de mieux faire respecter le devoir de diligence raisonnable. À cette exploitation et ce commerce illicites, contribuent différents groupes armés, des éléments de l’armée congolaise, des braconniers locaux et des bandes armées sud-soudanaises ainsi que les FDLR qui écument les forêts de l’est de la RDC20.

S’il faut souligner une autre forme d’immixtion des militaires et des hommes armés dans le secteur minier artisanal, on peut mentionner leur implication dans la chaîne d’approvisionnement ou de production où, sans exercer une quelconque violence armée, ils interviennent pour « protéger » la production, le commerçant ou l’entreprise qui les paie. Une recherche de terrain effectuée entre fin avril 2015 et juin 2015 répertorie plus d’une demi-douzaine de mécanismes par lesquels des personnalités politiques et militaires congolaises (et parfois non congolaises) interfèrent avec l’IRRN et le MRC.

Maniema : barrières et perception illégale des taxes

Dans la province du Maniema, l’implication des autorités politicomilitaires dans le commerce des minerais se traduit par la perception illégale des taxes au niveau des barrières. Bien que calme sur le plan sécuritaire, la province du Maniema et ses sept territoires connaissent plusieurs barrières érigées tout au long de la chaîne d’approvisionnement des minerais. Les milices Mai Mai « Raïa Mutomboki » – dont la zone d’action est à cheval entre les provinces du Maniema, du Sud-Kivu et du Nord-Kivu (vers Walikale) – interviennent également en posant des barrières et en empêchant les entreprises (comme la société canadienne BANRO Corporation) d’exploiter les minerais avec l’argument habituel de la propriété autochtone (éviter que des étrangers profitent des richesses du Congo) tout en taxant elles-mêmes leurs propres communautés21. Des autorités publiques gèrent aussi des barrières pour leur propre compte. Parmi ces autorités, les entretiens mentionnent certains administrateurs des territoires, quelques officiers de la Police Nationale Congolaise (PNC) ou des Forces Armées de la RDC (FARDC), des agents des services de sécurité, telles la Direction Générale des Migrations (DGM) et l’Agence Nationale de Renseignements (ANR). Leur principale stratégie est d’ériger plusieurs barrières tout au long de la chaîne d’approvisionnement des minerais. C’est l’exemple d’une série de barrières signalées par les creuseurs et les transporteurs sur les axes Osso-Mengwe, sur les axes Kindu-Kalima ou Punia-Kindu. Ces barrières sont érigées et les taxes perçues dans l’illégalité et à l’encontre des exigences de l’administration provinciale et de l’État. Elles constituent des entraves à la transparence du processus de traçabilité des minerais selon la politique de l’IRRN.

Province orientale22 : blocage du processus de validation et implication de l’armée

Dans la Province orientale, les entretiens avec plusieurs ONG et responsables de la Province révèlent que la plupart des cadres des entreprises publiques et des politiciens locaux ont des dragues pour l’exploitation de l’or alluvionnaire ou encore possèdent des carrés miniers confiés à des proches. Les dragues sont prohibées tandis que la possession d’un carré minier en règle est légale. Cependant, ces différentes personnalités refusent et bloquent tout processus de validation de ces sites. En effet, la validation ne peut se faire sans l’aval des propriétaires des carrés miniers. Dans ce cas, le processus de validation des sites miniers est compris comme une tentative de ravir à ces autorités d’importants moyens d’enrichissement ou d’influence. En outre, on retrouve ces dernières dans l’escorte des minerais et du bois exploités illicitement mais acheminés pour l’exportation, empêchant ainsi tout contrôle par l’État.

Selon le Groupe Lotus (ONG des droits de l’homme active dans la Province orientale), plusieurs groupes armés et militaires sont impliqués dans l’exploitation des minerais. Arrêté, le chef Mai Mai Morgan aurait été abattu lors de son transfert vers Bunia en avril 2014 – aux dires de membres de cette ONG – afin qu’il ne témoigne pas contre certains militaires impliqués dans cette exploitation23. Ces allégations contredisent la version officielle selon laquelle Morgan aurait essayé de fausser compagnie aux militaires24. En effet, les FARDC sont accusées de monter des groupes armés isolés afin de les opposer les uns aux autres en créant des tensions. C’est l’occasion pour elles d’intervenir pour alimenter ces groupes. Lorsque l’armée se déploie pour intervenir dans ces violences, elle repart sans ses armes qu’elle laisse sur place à des individus afin que ces derniers contrôlent les zones minières. Mais lorsque les services administratifs arrêtent des fraudeurs, les FARDC interviennent pour à la fois libérer les personnes fautives et la production saisie. Dans des zones isolées comme Opienge ou Opala, et avec l’aval des militaires, l’or prend la destination de Beni, Butembo, Kampala ou via Kisangani pour Kinshasa et ailleurs25.

Par ailleurs, selon les organisations de la société civile, on constate la mise en place de systèmes organisés, et destinés à favoriser l’élite politique. C’est le cas dans les localités de Bondo ou d’Ebalaka où des exploitants miniers ayant le droit reconnu par l’État ont été écartés au profit de politiciens pour qui le Cadastre Minier (CAMI) aurait établi de faux documents d’exploitants26. La production venant de ces mines est alors évacuée frauduleusement vers Djouba, au Sud Soudan. Ajoutées aux incursions de l’armée dans les sites miniers ou aux problèmes plus structurels (gouvernance, absence d’infrastructures, etc.), toutes ces pratiques impliquant des hommes politiques et des militaires expliquent en partie pourquoi le processus de validation et de certification des minerais ne démarre pas dans la Province orientale.

Maniema et Sud Kivu : fausses coopératives minières et vraie stratégie de contrôle de l’artisanat minier

Le secteur minier artisanal a pris son ampleur dans le paysage économique congolais au cours des années 1980. L’ordonnance loi n° 82/039 du 5 novembre 1982 promulguée par le président Mobutu autorisait l’exploitation artisanale des matières précieuses en dehors des concessions couvertes par des titres miniers. Pour les jeunes congolais attirés par ce secteur, en particulier les creuseurs, des désœuvrés ou des chômeurs, cela ouvrait la possibilité de s’investir dans l’exploitation et le commerce des minerais. Mais dans l’ensemble, l’artisanat devenait officiel, légal et reconnu par la législation. Et c’était aussi le début des confrontations entre les creuseurs et les concessionnaires, détenteurs des titres miniers, qui n’hésitaient pas à recourir à la police ou à l’armée pour la protection de leurs concessions.

Tout un dispositif légal et règlementaire encadre l’organisation de ce secteur. Le code minier (titre IV complété par le titre I du Règlement minier) fixe les conditions d’octroi d’un permis de recherche dans une zone artisanale (article 234) en précisant que « les groupements d’exploitants artisanaux qui désirent procéder à la recherche de substances minérales classées en mines à l’intérieur de la Zone d’Exploitation artisanale à l’aide de procédés industriels ou semi-industriels sont tenus de se constituer en coopérative et de solliciter auprès du ministre ayant les Mines dans ses attributions l’agrément au titre de coopérative minière ». Le chapitre I du titre I du Code minier stipule que « lorsque les facteurs techniques et économiques caractérisant certains gîtes ne permettent pas une exploitation industrielle ou semi-industrielle des minerais, le ministre des Mines peut ériger de tels gîtes dans les limites d’une aire géographique déterminée en zone d’exploitation artisanale ». La loi minière précise donc que cette activité doit être effectuée dans des Zones d’Exploitation Artisanale (ZEA) dédiées à cette exploitation. Le service du Cadastre Minier (CAMI) détermine alors les ZEA sur la base des critères géologiques et économiques des gisements concernés. En voulant organiser l’exploitation artisanale, l’objectif est double. L’État cherche à organiser les creuseurs en coopératives, et exercer un contrôle sur le secteur dans son ensemble afin d’en extraire plus de recettes. Pour ce faire, les Divisions provinciales des mines en assurent l’administration, tandis que le Service d’Assistance et d’Encadrement du Small-Scale Mining (SAESSCAM)27 est chargé de l’organiser et de l’encadrer techniquement tout en veillant à la stricte application des normes de sécurité sur les sites d’exploitation. Néanmoins sur le terrain, le gouvernement congolais éprouve d’énormes difficultés car ce secteur a évolué dans une indépendance totale et ne bénéficie pas suffisamment ou pas du tout de l’encadrement en question28.

Mécanisme censé formaliser l’artisanat minier en organisant les creuseurs dans une structure reconnue par l’État et encadrée par les services de ce dernier, les coopératives sont cependant devenues une stratégie masquée de présence politico-militaire dans le secteur minier artisanal. Nombre d’entre elles sont des instruments permettant aux acteurs politiques de détenir la production minière en usant de leur position pour détourner impunément les coopératives de leur objectif. La création des coopératives obéit à plusieurs conditions29. Les creuseurs admettent qu’on éprouve beaucoup de difficultés pour les faire reconnaître par l’État à cause de ces conditions. Néanmoins, d’après plusieurs organisations de la société civile30, si on prend en considération le nombre des coopératives déclarées et leurs activités réelles, on se rend compte que nombreuses ne sont pas visibles sur terrain. Certaines sont agréées par le ministre national des Mines et d’autres sont reconnues seulement par la Division Provinciale des Mines. Elles sont censées contribuer aux projets locaux de développement communautaire et au reboisement de l’espace détruit. Mais elles ne s’y emploient pas. La plupart des chefs des coopératives ainsi que les membres de leurs comités ignorent la législation minière et les notions de droits de l’homme31.

Sur les 162 coopératives recensées en 2012 par la Division des Mines de la province du Maniema32, 59 seulement s’étaient mises en ordre avec l’administration des mines en 2015, beaucoup sont fictives et n’ont aucun membre parmi les creuseurs. La plupart sont une couverture utilisée par des personnes influentes, des commerçants et hommes d’affaires, des chefs locaux, des hommes politiques, des responsables militaires ou encore des officiers de la police. Cela a un impact direct sur l’organisation et la formalisation de l’artisanat minier souhaitées par l’État. Quelques notables, comme ceux de la Fédération des Coopératives Minières du Maniema (FECOMIMA) s’en servent dans le seul but de contrôler leur production33. La FECOMIMA regroupe officiellement 16 coopératives membres qui ont toutes leur agrément en ordre. Mais d’après nos recherches sur le terrain, cette fédération des coopératives ne ferait en réalité rien pour l’intérêt de creuseurs. Par exemple, la FECOMIMA a acquis du matériel de creusage pour les creuseurs artisanaux mais l’a distribué à des creuseurs « fictifs » (en réalité des commerçants) qui l’ont ensuite revendu aux creuseurs du village de Kailo34. Mais le Maniema n’est pas l’unique cas où des coopératives serviraient de stratégie de business à leurs présidents ou de détournement de la loi sur la formalisation de l’artisanat minier. Dans le Sud-Kivu, dans les territoires de Mwenga ou Shabunda, des cas similaires sont signalés35.

À côté des coopératives, l’autre stratégie est celle du « parrainage » des entreprises en leur assurant le monopole d’achat des minerais alors qu’il n’y a pas de monopole légal d’achat des minerais en RDC. D’après les entretiens avec les organisations de la société civile et des acteurs miniers du Maniema36, c’est le cas constaté avec l’entreprise Maniema Mining Corporation (MMC). Elle est détenue par un consortium dont les actionnaires seraient des Indiens, des Malaisiens et de notables congolais37. MMC est le comptoir qui détient de fait le monopole d’achat des minerais (cassistérite, coltan et wolframite) du Maniema et aurait aussi des activités en Province orientale. Les autres entreprises, comme la chinoise « Étoile d’Orient », par exemple, disent avoir du mal à exporter ou, si elles réussissent à le faire, éprouvent des difficultés à s’approvisionner. Des notables pèseraient de tout leur poids non seulement pour favoriser MMC, mais également pour l’exempter de tout contrôle afin de vérifier que le minerai ne soit affecté par les groupes armés38. Car, en raison de la proximité géographique et du chevauchement du Maniema et du territoire des miliciens « Raïa Mutomboki », il est fort probable qu’une bonne partie des exportations effectuées depuis le Maniema ait pour origine la Province orientale (où l’IRRN peine à se mettre en place), voire des zones contrôlées par les miliciens de Raïa Mutomboki.

Le parrainage de la contrebande

Il existerait toute une chaîne impliquant des acteurs politiques, militaires, juridiques ou administratifs destinée à organiser la contrebande et à en dissimuler les traces39. Au Sud Kivu, la fraude serait favorisée par des militaires et des politiciens. En fait de nombreux sites miniers ne sont pas certifiés, même si on n’y observe pas d’activité armée. Là, dans le contexte de pauvreté et de chômage où les jeunes n’ont aucune activité rémunérée, l’exploitation minière est illicite et frauduleuse avec les soutiens des militaires et des politiciens. C’est par exemple le cas du site de Luntukulu, dans le Sud Kivu à une centaine de kilomètres de Bukavu, où l’on produit du wolframite. Bien que calme, sans conflit et sans violation de droits humains, ce site n’a pas encore été validé. Sa production ne peut être exportée officiellement, faute d’être étiquetée. Mais elle est frauduleusement exportée dans des pays voisins avec des appuis des militaires et des politiciens de part et d’autre de la frontière40. L’administration minière rapporte qu’en septembre 2015 une cargaison de deux tonnes de cassitérite avait été saisie par les services anti-fraude du Sud-Kivu. La cargaison provenait de la zone de Mwenga, où des exploitants artisanaux extraient illégalement ce minerai sur une concession appartenant à la société canadienne Banro. L’exploitation y est interdite par ordre du ministre provincial des Mines. Mais le chargement avait tout de même été certifié par les services de l’État ainsi que l’association des producteurs, l’Itri, qui ont validé la transaction. En septembre 2015, le ministre provincial des mines avait interdit la vente de ces minerais, mais en janvier 2016, le ministre exigeait que soit levée la saisie et que la cassitérite soit rendue aux négociants qui en avaient la charge. Selon lui, il ne s’agissait pas de fraude mais d’un simple incident, et le courrier de septembre n’avait aucune valeur légale. Cette décision n’avait pas plu à Banro ainsi qu’aux services anti-fraude. Ces derniers estimaient que plusieurs articles du code minier avaient été violés et décidaient de saisir le gouverneur de la province. Si le ministre était revenu sur sa décision, on soupçonnait que son fils ait joué un rôle car il représentait l’ITRI sur le Territoire de Mwenga et avait validé la production41. Cet exemple de contrebande et de fraude illustre à la fois les contradictions entre la volonté de l’État et le comportement de ses agents, mais surtout l’immixtion des notables pour annihiler toute politique de bonne gouvernance minière.

En Province orientale, en mars 2015, le ministre Provincial des Mines avait effectué une visite à Bunia, dans l’Ituri, où il était fait état de contrebande massive d’or vers l’Ouganda. Il avait fait arrêter plusieurs chinois fraudeurs et saisi d’importants colis de minerais (d’or) à l’aéroport de Bunia pour les consigner à la Banque Centrale à Kisangani. Mais les Chinois et les colis d’or ont réussi à quitter Kisangani sous escorte et avec une couverture politique42.

En fait, dans cette province, cela fait longtemps que les artisans miniers ont déserté l’exploitation des mines d’étain, de cassitérite, de coltan et du diamant au profit de l’or. Ce dernier minerai présente l’avantage d’un gain plus rapide et d’être facilement dissimulable. Tout comme à Kindu dans le Maniema, c’est l’entreprise EMEKO qui est le seul comptoir agréé détenant le quasi monopole d’achat d’or, et qui approvisionne les marchés de Butembo et Beni, dans le Nord-Kivu, ainsi que de Kampala en Ouganda. Les autres comptoirs sont clandestins ou fictifs. Ici, ce sont les services officiels eux-mêmes qui facilitent sinon organisent la fraude. Le Service d’Assistance et d’Encadrement du Small Scale Mining (SAESSCAM) est sous-équipé et estime ne pas avoir les appuis politiques nécessaires pour lutter contre la fraude. Des coopératives minières et des ONG accusent certains agents du SAESSCAM43 de favoriser la fraude tandis que le service lui-même est perçu comme source de tracasserie supplémentaire dans un secteur minier artisanal soumis à d’importantes entraves politico-administratives et militaires.

En 2015, seuls deux sites miniers d’or étaient certifiés : celui de Doko, pour l’artisanat ainsi que celui de Kibali (Kibali Gold Mining), en tant que site industriel. Plusieurs sites miniers sont encore militarisés, par exemple en Ituri avec la persistance des hommes du chef de guerre Morgan (bien que ce dernier ait été tué en 2014) ou des Forces de Résistance Patriotique de l’Ituri (FRPI), en Ituri, malgré l’arrestation de son chef Cobra Matata en 2015. Dès lors, toute la production de ces sites est soit mélangée à la production d’autres sites pour enfin rejoindre Kindu, dans le Maniema, pour l’exportation ; soit orientée en direction de Beni, Butembo, Kampala ou Nairobi. Pour cette raison, aucun comptoir n’ose mentionner le nom d’origine du site, sous peine de ne pouvoir exporter. Selon la Division des Mines de la Province orientale, près de 60 % de la production d’or échappe au circuit officiel d’achat et d’exportation des matières précieuses, en Ituri. La traçabilité de l’or au niveau de concessions échappe aux services de l’État alors qu’une infime partie est achetée au niveau des comptoirs, le reste prenant des destinations variées44.

Dimension régionale des interférences et des pressions politiques

Au niveau régional, il apparaît que l’influence de leaders politiques est telle qu’elle pèse sur l’efficacité de la CIRGL à mettre en œuvre l’IRRN. Les hiérarchies politico-militaires de plusieurs pays sont impliquées dans le secteur minier, y compris des services douaniers45. Certaines de ces hiérarchies empêcheraient ou retarderaient la mise en œuvre du mécanisme d’analyse des empreintes de minerais (Analytical Fingerprint, AFP), une technologie qui permet de reconnaître l’origine des minerais grâce à leur empreinte géologique. Cette technologie est développée par le Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe (BGR), l’Institut Fédéral Allemand de géosciences et des ressources naturelles, pour vérifier l’origine des minerais concernés par l’IRRN et ce faisant, ajouter de la crédibilité au Mécanisme Régional de Certification de la CIRGL. Pour identifier l’origine des minerais (coltan, cassitérite, tungstène et étain), les chercheurs de l’AFP combinent des techniques scientifiques d’ADN pour des composés minéralogiques, géochimiques et géochroniques propres à la région des Grands Lacs. Ces informations sont enregistrées dans une base de données pour comparaison avec des échantillons des pays de la région. La CIRGL a désigné un centre scientifique, le Southern and Eastern African Mineral Centre (SEAMIC) de Dar-es-Salaam pour installer le laboratoire régional d’analyse des empreintes des minerais. Jusqu’à la fin de 2015, période où nous avons mené nos recherches, ce laboratoire n’était pas encore opérationnel. Selon certains analystes46, il y aurait soit des pressions politiques de certains leaders sur le SEAMIC pour marginaliser des experts congolais, soit ces leaders ne s’impliqueraient pas suffisamment pour appuyer le processus. Quant aux responsables du SEAMIC, l’un des problèmes auquel fait face la région des Grands Lacs est l’absence d’une volonté politique d’harmonisation des politiques minières des États au détriment de l’IRRN. En effet, le SEAMIC déplorait l’existence d’une forte compétition entre les États membres de la CIRGL pour attirer des investisseurs dans leurs pays respectifs au lieu d’une coopération politique régionale47.

Plusieurs rapports d’ONG spécialisées – comme « Save Act Mine »48 ou le « Groupe d’Appui à la Traçabilité et à la Transparence dans la Gestion des Ressources Naturelles » (GATT-RN)49 de Goma – relèvent quelques failles au niveau régional. Pour elles, puisque l’est de la RDC est enclavé, l’exploitation et le trafic illégaux profitent aux pays de transit que sont l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi d’un côté ainsi que la Tanzanie et le Kenya de l’autre côté, avec leurs ports de Mombasa et de Dar-es-Salaam. Le climat des affaires ainsi que les facilités technologiques favorables au Rwanda, par exemple, mettraient en effet ce pays en position de récupérer la production frauduleuse qui échappe aux douanes congolaises et de l’exporter comme production nationale. La Fédération des Entreprises Congolaises (FEC) de Goma et les ONG spécialisées dans le secteur minier considèrent ce risque réel et lancent l’alarme50. La FEC de Bukavu et de Goma accuse le programme de l’ITRI de ne pas fonctionner sur le même modèle dans tous les pays de la sous-région et de poser des étiquettes sur les exportations du Rwanda en fermant les yeux sur l’origine et la traçabilité de certains minerais : ce qui est selon la FEC une politique de deux poids deux mesures51. En effet, le Rwanda ne certifie pas ses sites miniers (verts, jaunes ou rouges) – la procédure de l’ITRI ne l’y obligeant pas – comme le fait la RDC parce qu’il n’y a pas de conflit armé sur son territoire et que ses sites miniers remplissent les critères environnementaux, sociaux ou liés au respect des droits humains53. Tous sont donc considérés verts.

D’après les données d’iTSCi-PACT53, la RDC – toutes provinces confondues – dispose de 471 mines54 qui ont expérimenté le système iTSCi dont 365 sont actives (ce qui ne signifie pas qu’elles sont toutes « vertes »), le Rwanda en dispose de 817 ayant appliqué le système iTSCi dont 442 sont actives et le Burundi en dispose de 40 dont 35 sont actives. Selon ces mêmes données, la production moyenne mensuelle se répartit ainsi :

  • RDC : 475 tonnes métriques en 2014/426 tonnes métriques en 2015,

  • Rwanda : 990 tonnes métriques en 2014/840 tonnes métriques en 2015,

  • Burundi : 25 tonnes métriques en 2014/32 tonnes métriques en 201555.

Sans pouvoir de contrainte, la CIRGL subit des influences politiques et ne peut pas imposer un fonctionnement homogène des outils de l’IRRN dans les États membres. Ce qui, d’après les observations des diplomates de l’UE et de la MONUSCO, est une faiblesse majeure pour l’efficacité et l’harmonie de cette politique régionale.

En effet, l’analyse comparative réalisée par B&S Europe56 pour le compte de l’UE sur le niveau d’avancement de cette initiative dans trois pays producteurs (Burundi, RDC et Rwanda) et dans trois pays de transit (Ouganda, Kenya, Tanzanie), tous membres de la CIRGL, montre un déséquilibre impressionnant entre ces six États dans la mise en oeuvre des six piliers de l’IRRN. Ainsi par exemple, l’harmonisation et l’alignement de la législation minière sur l’IRRN adoptés en RDC et au Rwanda n’ont pas encore eu lieu au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie. La Tanzanie estime que la priorité de sa politique minière n’est pas la traçabilité des trois minerais de conflit mais plutôt de l’or et de la tanzanite (qu’elle est la seule à produire mais qui est exploitée en contrebande dans toute la région).

Conclusion

Les initiatives mises en place par des États et la CIRGL dans le but de déconnecter les minerais et le conflit armé butent sur l’immixtion des notables politiques et militaires congolais dans le secteur minier. Ces derniers abusent de leur position officielle pour bloquer l’extension géographique du système de traçabilité des minerais, pour favoriser la contrebande et pour introduire des minerais non certifiés dans la chaîne d’approvisionnement certifiée.

Ces immixtions sont de nature à affaiblir l’impact de la politique régionale de transparence et de traçabilité minière propre à pacifier le secteur minier dans les Grands Lacs. Plusieurs facteurs pèsent sur la GIRGL : son absence de capacité de contrainte ; le fait que les procédures de l’ITRI ne sont pas identiques dans tous les États ; la rude compétition économique entre les États pour attirer les investisseurs ; la contrebande transfrontalière des minerais, etc. La crédibilité de sa certification et de sa capacité à lutter contre les minerais de conflit est en jeu.

Autant de contraintes et de défis qui poussent à s’interroger sur la fiabilité de l’IRRN et sur son efficience à réellement couper les liens entre les minerais et la violence dans les Grands Lacs s’il n’y a pas une synergie avec des efforts d’autre nature ou la gouvernance dans d’autres secteurs économiques.

La relation entre les minerais et les conflits est complexe, de même que le sont aussi les efforts à déployer pour tirer des gains en paix et en stabilité régionales. L’IRRN seule est inefficace sans soutien politique constructif régional, sans convergence de vue entre les États et le monde des entreprises (locales et multinationales) ni bonne gouvernance publique dans d’autres secteurs économiques. Car des évaluations internes de l’ONU montrent que seulement 8 % des conflits violents en RDC sont liés aux ressources minérales. Et pendant que l’on se préoccupe de la mise en œuvre de la traçabilité et de la due diligence dans le secteur minier, des groupes armés se tournent vers d’autres produits et secteurs économiques pour financer leurs activités57.

Notes

  • Cyril Musila, « Impact de l’immixtion politico-militaire sur la certification des minerais en RDC », Notes de l’Ifri, septembre 2016.

  • L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche, d’information et de débat sur les grandes questions internationales. Créé en 1979 par Thierry de Montbrial, l’Ifri est une association reconnue d’utilité publique (loi de 1901). Il n’est soumis à aucune tutelle administrative, définit librement ses activités et publie régulièrement ses travaux. L’Ifri associe, au travers de ses études et de ses débats, dans une démarche interdisciplinaire, décideurs politiques et experts à l’échelle internationale. Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), l’Ifri s’impose comme un des rares think tanks français à se positionner au coeur même du débat européen. Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de l’auteur.

  • 1Voir notamment : Groupe d’expert des Nations-Unies sur la RDC, le Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo, 2002. Disponible sur : www.voltairenet.org.

  • 2Guide OCDE sur le devoir des diligences pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque, OCDE, deuxième édition, 2013, disponible sur : www.oecd.org.

  • 3Pour une définition précise du devoir de diligence, voir Global Witness, « En quoi consiste le devoir de diligence », Briefing, 1er janvier 2015 : www.globalwitness.org.

  • 4United States Government Publishing Office, Public Law 111–203, 21 juillet 2010, disponible sur : www.gpo.gov.

  • 5Disponible sur : www.itri.co.uk.

  • 6www.enoughproject.org.

  • 7Ibid

  • 8Le lac Kivu et ses petites iles ainsi que les zones montagneuses constitueraient un terrain propice à la contrebande. On peut, par exemple, observer en soirée au bord du Lac Kivu à Goma des « nageurs » qui poussent des pneumatiques chargés des sacs et se dirigeant vers Gisenyi, la ville rwandaise voisine de Goma. Pour plusieurs observateurs et ONG, ces sacs contiennent des minerais de contrebande produits dans des sites non validés.

  • 9Données valables et disponibles en décembre 2015. Nous n’avons pas pu accéder aux plus récentes.

  • 10De nombreuses études et rapports ont fait l’analyse de toutes ces initiatives, de leur cohérence et de leur impact sur le lien entre les minerais et la violence dans l’Est de la RDC et dans la région des Grands Lacs. La plus récente est le rapport réalisé par le consortium B&S Europe et commandé par l’Union Européenne sur la mise en oeuvre de l’Initiative Régionale sur les Ressources Naturelles (IRRN) : « Étude sur l’état d’avancement de la mise en oeuvre de Initiative Régionale sur les Ressources Naturelles afin de résoudre le problème des minerais de conflit dans le cadre de la « Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs » et Recommandations de suivi. Rapport final, Bruxelles, 15 décembre 2015. EUROPAID/129783/C/SER/multi. L’auteur de cet article est un des experts qui a réalisé ladite étude.

  • 11Angola, Burundi, Congo-Brazzaville, Kenya, Ouganda, RCA, RDC, Rwanda, Soudan (et Sud- Soudan), Tanzanie et Zambie. CIRGL : Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs, Nairobi, 2006. icglr.org.

  • 12Le terme « minerai de conflit » est défini dans la Section 1502(e) (4) de la loi américaine Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act comme : (1) le colombo-tantalite, aussi connue sous le nom de « coltan » (minerai de métal à partir duquel est extrait le tantale), la cassitérite (minerai de métal à partir duquel est extrait l’étain), l’or, la wolframite (le minerai de métal à partir duquel est extrait le tungstène) et leurs dérivés ; ou (2) tout autre minéral et ses dérivés ayant participé, selon le Secrétaire d’État au financement de conflits en République Démocratique du Congo ou dans les pays voisins. Le terme « pays voisin » est défini dans la Section 1502(e)(1) de la loi comme un pays partageant une frontière internationalement reconnue avec la RDC, ce qui comprend l’Angola, le Burundi, la République centrafricaine, la République du Congo, le Rwanda, le Soudan du Sud, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie.

  • 13ICGLR, The Mineral Certification Scheme of the International Conference on the Great Lakes Region (ICGLR) : ICGLR Regional Certification Mechanism (RCM) – Certification Manual, p. 10-34.

  • 14Le Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe (BGR), l’Institut fédéral des géosciences et des ressources naturelles, est l’autorité centrale des géosciences qui conseille le Gouvernement de la République Fédérale d’Allemagne et le public en général sur toutes les questions relevant des géosciences.

  • 15www.pactworld.org.

  • 16Service d’Assistance et d’Encadrement du Small Scale Mining.

  • 17Il est difficile d’avoir un chiffre unanimement accepté sur le nombre exact de sites miniers artisanaux en RDC. Mais nous reprenons ici les chiffres utilisés par l’Alliance Public -Privé pour le commerce responsable des minéraux, harmonisés avec les données recueillies sur terrain entre avril-juin 2015 et utilisés dans le rapport de B&S Europe, « Étude sur l’état d’avancement de la mise en œuvre de l’Initiative Régionale sur les Ressources Naturelles afin de résoudre le problème des minerais de conflit » dans le cadre de la « Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs » et Recommandations de suivi. Rapport final, Bruxelles, 15 décembre 2015, p. 49.

  • 18Cf. B&S Europe, « Étude sur l’état d’avancement de la mise en œuvre de Initiative Régionale sur les Ressources Naturelles afin de résoudre le problème des minerais de conflit dans le cadre de la « Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs » et Recommandations de suivi. Rapport final, Bruxelles, 15 décembre 2015, p. 12-14.

  • 19Cf. ONU-Conseil de Sécurité, Rapport du Groupe d’Experts sur la République démocratique du Congo, S/2015/19, 12 janvier 2015, p. 3.

  • 20Ibid., p. 3.

  • 21Entretiens Bukavu et Kindu, mai 2015.

  • 22Les entretiens et les recherches de terrain à la base de cet article ont eu lieu avant la mise en application de la Loi qui divise la Province orientale en 4 provinces. Pour la conformité historique, on retient l’appellation en vigueur à l’époque (mai 2015).

  • 23Entretien à Kisangani avec le Groupe Lotus, le 21 mai 2015.

  • 24Voir sur : www.rfi.fr.

  • 25Entretien à Kisangani avec le Groupe Lotus, le 21 mai 2015.

  • 26Entretiens à Kisangani avec des associations de creuseurs et des ONG, le 22 mai 2015.

  • 27Le SAESSCAM est un service public à caractère technique chargé de l’assistance et de l’encadrement des creuseurs artisanaux, créé par le décret n° 047-C/2003 du 28 mars 2003.

  • 28G. Kamundala Byemba, Exploitation minière industrielle et artisanale du Kivu. Possibilité d’une cohabitation pacifique ? Université catholique de Bukavu-IPIS, 2012, p. 8. Voir sur : www.ucbukavu.ac.cd.

  • 29Conditions pour la reconnaissance officielle d’une coopérative : signature des statuts d’exploitants artisanaux par les fondateurs (±10) ; liste reprenant les noms et adresses des fondateurs ; carte certifiée conforme de chaque membre fondateur ; noms et adresses des dirigeants ; publication de l’avis d’adhésion publiée ; présentation de la preuve que la condition d’adhésion n’est pas prohibitive ; présentation des preuves de versement effectué au titre de souscription au capital social ; et présentation des moyens techniques et financiers ainsi que les ressources humaines à mettre en œuvre par la coopérative pour la réalisation de ses objectifs.

  • 30Entretiens avec les organisations de la société civile du Maniema, Kindu, mai 2015.

  • 31Entretiens et rapports inédits de l’ONG Maniema Liberté, Kindu, mai 2015.

  • 32P. Kasongo Ngoy, « Regard sur l’état de lieu du secteur minier dans la province du Maniema. Année 2015 », Rapport de l’ONG Maniema Liberté (MALI), Inédit, Kindu, avril 2016, p. 15.

  • 33Entretiens avec les organisations de la société civile du Maniema, Kindu, mai 2015.

  • 34Entretiens avec des creuseurs de Kailo lors de la visite de la mine de Kailo, province du Maniema, mai 2015.

  • 35Entretiens avec des creuseurs de Mwenga et Shabunda, Bukavu, mai 2015.

  • 36Entretiens avec les organisations de la société civile, deux entreprises privées et l’administration, Kindu, mai 2015.

  • 37Nous n’avons pas obtenu d’entretien de la part de MMC durant notre séjour dans le Maniema en mai 2015.

  • 38Entretiens avec des agents de l’administration minière, les Organisations de la société civile du Maniema et d’Étoile d’Orient, Kindu, mai 2015.

  • 39Entretiens avec les organisations de la société civile du Sud Kivu, Bukavu, mai 2015.

  • 40Entretien avec des agents de la Division des Mines, Bukavu, mai 2015.

  • 41« Fraude minière en RDC : le rôle du ministre provincial en question », RFI, 31 juillet 2016, disponible sur : www.rfi.fr.

  • 42Entretien avec des agents de l’administration provinciale des mines, Kisangani mai 2015.

  • 43En mai 2015, des agents du SAESSCAM de Kindu accusaient de 3 à 6 mois de non paiement de salaire et menaçaient de lancer un mouvement de grève. Entretiens avec des agents de SAESSCAM Kindu, mai 2015.

  • 44Entretien avec les agents de la Division de Mines, Kisangani, mai 2015.

  • 45Entretien avec des diplomates européens et de la MONUSCO, Goma mai 2015 et Kampala, 2 juin 2015.

  • 46Série d’entretiens à Goma et Bukavu, mai 2015 et entretien avec le SEAMIC, Dar-es-Salaam, le 4 juin 2015.

  • 47Entretien avec SEAMIC, Dar-es-Salam, 9 juin 2015.

  • 48Save Act Mines : www.samint.org.

  • 49Cf. gattrn.worldpress.com.

  • 50Entretiens avec la FEC et les ONG du secteur minier, Goma, mai 2015.

  • 51Entretien avec FEC Goma et FEC Bukavu, mai 2015.

  • 52De là à accuser le Rwanda à se reconstruire à vive allure sur la fraude des minerais de l’est de la RDC, il y a un pas que certains diplomates, ONG ou hommes d’affaires n’hésitent pas à franchir alors que d’autres nuancent ou récusent pareille accusation, d’après les entretiens menés dans la région (Kampala, Kigali, Goma et Bukavu, mai-juin 2015).

  • 53iTSCi-PACT, « Unconflicted. Making Conflict-Free Mining a Reality in the DRC, Rwanda and Burundi », juillet 2015, p .9. www.pactworld.org.

  • 54Il faut comprendre qu’un site minier peut être composé de plusieurs mines (ou carrières). Ce qui explique la différence des chiffres.

  • 55www.pactworld.org.

  • 56« Étude sur l’état d’avancement de la mise en oeuvre de l’Initiative Régionale sur les Ressources Naturelles afin de résoudre le problème des minerais de conflit dans le cadre de la « Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs » et Recommandations de suivi. Rapport final, Bruxelles, 15 décembre 2015. EUROPAID/129783/C/SER/multi, p. 49-65.

  • 57Cf. E. Levin et R. Coock, Étude comparative des systèmes de certification et de traçabilité, Estelle Levin Ltd, avril 2015, p. 40-41.