Analysis file Dossier : Dossier Colombie

, Grenoble, France, February 2006

Des communautés de paix à l’organisation ethnico-territoriale ASCOBA – Association des Conseils Communautaires et Organisations du Bas Atrato -

De la revendication de la « neutralité » à une revendication fondée sur le territoire

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Pour répondre à la violence qui s’abat sur le Bas Atrato en 1996 et pouvoir retourner sur leurs terres, les communautés se sont organisées en « communautés de paix » ; ce principe s’appuie sur la revendication de la population civile à ne pas participer à la guerre. A partir de 2003, la lutte des populations s’est tournée vers la défense du territoire, propriété ancestrale des populations noires et métisses de la région. L’expérience des communautés de paix a donc constitué une réponse à un moment précis du conflit armé en vue de protéger la population au milieu de la guerre. Ce faisant, elle a contribué au renforcement de l’organisation communautaire, à l’émergence d’une conscience politique et d’un « liderazgo » dans le Bas Atrato. ASCOBA naît donc de cette expérience de résistance civile.

Plusieurs facteurs expliquent que les communautés de paix aient évolué dans ce sens.

La neutralité, mise en avant par les communautés de paix, est très dure à tenir dans le contexte de conflit armé qui caractérise le Bas Atrato. Ce concept peut même contribuer à mettre en danger ceux qui s’en réclament. De plus, les notions de « neutralité active » et de « résistance civile » ont été galvaudées, notamment parce qu’elles ont été reprises par le gouvernement du Président Uribe Velez dans sa lutte contre les insurgés. De plus, les acteurs armés se sont attaqués à saper les communautés de paix en les infiltrant.

L’aide nationale et internationale, qui a accompagné la naissance des “communauté de paix”, a permis de faire connaître cette région jusque là oubliée et de visibiliser cette expérience de résistance civile. Ce faisant, l’aide a contribué à véhiculer une image de ces communautés qui n’était pas tout à fait conforme à la réalité ; elle a eu tendance à les présenter comme un tout monolithique. Or la réalité n’a jamais été aussi simple. Dans une communauté de paix pouvaient vivre des personnes s’étant déclarées comme communautés de paix et d’autres non. En outre, au moment du déplacement massif de 1997, toutes les communautés ne se sont pas déplacées ; certaines ont résisté sur leur territoire. Par conséquent toutes les commuantés du Bas Atrato ne s’étaient pas déclarées communautés de paix et certaines ont été “invisibilisées”, notamment les communautés indigènes qui pourtant résistent à la pression armée dans des conditions très dures. D’une certaine manière, l’aide extérieure s’est concentrée sur les cdp.

Lors du 5ème anniversaire des communautés de paix, en octobre 2002, se crée le « Comité provisoire des Conseils Communautaires » qui s’unit avec la « Commission de dialogue et de négociation des Communautés de Paix », organe représentatif des communautés de paix chargé de dialoguer avec l’Etat et les groupes armés pour la protection de la population. Le but de cette union est de regrouper tous les processus de résistance civile de la région, les communautés de Paix n’étant que l’une d’entre elles.

Le Comité provisoire des conseils communataires reprend donc une dynamique impulsée avat le déplacement massif, qui avait été interrompu par la « violence ». En effet, par une loi datant de 1993 les communautés noires colombiennes sont reconnues comme ethnie et se voient reconnaître le droit de propriété collective sur les terres en friche qu’elles ont occupées historiquement dans les zones rurales du Bassin du Pacifique. Selon la loi 70 de 1993 sur la titulation collective des terres des communautés noires, le conseil communautaire est l’aurtorité qui administre le territoire collectif ; il représente les communautés face à l’Etat en vue de gérer au mieux l’amélioration des conditions de vie de la population. Le conseil communataire est l’équivalent du “cabildo” pour les populations indigènes de Colombie, le cabildo représentant l’autorité sur le territoire collectif indigène, le “resguardo”. ASCOBA regroupe l’ensemble des Conseils Communautaires de la région, figure constitutionnelle et légale des communautés noires.

Le processus qui voit le jour en 2003 avec la création de l’organisation ethnico-territoriale ASCOBA est donc issu de l’expérience des cdp et réunit une population plus large, sur une base régionale. Le processus organisationnel n’est plus basé sur l’histoire –le déplacement à Pavarando et la réponse à l’exode massif – mais sur le territoire –le Bas Atrato.

 

L’héritage des communautés de paix

 

Biensûr le principe des “communautés de paix” demeure au sein d’ASCOBA et reste un symbole fort pour les leaders. D’ailleurs, certaines communautés se reconnaissancent toujours dans ce nom et la communauté de Costa de Oro, par expemple, continue de célébrer chaque année l’anniversaire des communautés de paix.

L’intérêt d’ASCOBA est d’intégrer deux éléments fondamentaux que ne prenaient pas en compte les communautés de paix : la notion de territoire d’une part, et la notion d’identité culturelle, plus forte que la notion de « population civile » .

En outre, alors que les communautés de paix n’avaient pas d’existence juridique, cette évolution vers une association permet de gagner en autorité et en légalité. Les défis à relever sont immenses, mais l’existence d’ASCOBA est le signe d’une évolution positive de l’organisation de ces communautés pour la revendication de leur droit.

Commentaire :

Le défi pour la jeune organisation est d’asseoir sa légitimité, aussi bien en interne – c’est-à-dire vis-à-vis des communautés qu’elle représente – qu’en externe – vis-à-vis des représentants de l’Etat colombien. La superposition de différents types de territorialités rend l’exercice de la gouvernance complexe. Les représentants de l’Etat voient d’un mauvais œil ces organisations sociales qui revendiquent l’exercice de leur autonomie en tant que minorité ethnique. Tant les « resguardos » que les conseils communautaires devraient recevoir des financements de l’Etat et devraient coordonner la gestion du territoire avec les mairies. Mais en Colombie, le problème n’est pas la loi, mais son application, et la réalité est bien loin de la théorie …