Fiche d’analyse

Matthieu Damian, , Grenoble, France, avril 2006

La culture de la paix et la vocation de l’UNESCO

"Elever les défenses de la paix dans l’esprit des hommes"

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La paix est œuvre de volonté. Elle est culturelle. Elle est même éminemment culturelle et si la vengeance est humaine, son pendant, la réconciliation l’est tout autant. L’homme n’est pas étranger à la paix. Le Manifeste de Séville sur la violence, adopté le 16 mai 1986, a souligné le consensus de sommités intellectuelles sur le caractère historique de la violence et de la guerre. Ce texte constitue l’occasion de revenir sur des préjugés. Il s’oppose par exemple à une certaine lecture de Darwin : le caractère coopératif de l’être humain est mis en avant dans sa capacité à mieux vivre et non son agressivité. La conclusion de ce document est lourde de responsabilité pour l’humanité mais également porteuse d’espérances : « La même espèce qui a inventé la guerre est également capable d’inventer la paix. La responsabilité en incombe à chacun d’entre nous » . Le lecteur ne doit pas se méprendre. Il ne s’agit pas de croire que l’ambition des irénistes est d’éviter tout conflit. Il s’agit, et c’est considérable, d’éviter que les différends ne se terminent par la violence.

La culture de la paix commence d’être mieux considérée par les philosophes même si cette préoccupation est fort ancienne puisque Platon, déjà, dans Les Lois soulignait la nécessité qu’il y avait à se préoccuper du thème de la paix. Nous proposons ici trois éclairages récents qui démontrent la pertinence de ces réflexions :

Claude Polin, réfléchissant sur les motivations d’une personne pour assurer sa sécurité, postule que cet individu doit faire acte de volonté et que celle-ci se place dans le cadre du civisme. Cinq conditions lui semblent nécessaires pour que ce civisme soit pertinent. Il faut tout d’abord qu’il soit de volonté, donc qu’il résulte d’un choix délibéré et durable. En second point, il s’agit de fonder sa décision : pour que celle-ci soit ferme, il faut que les raisons qui l’établissent soient suffisamment solides. En outre, l’individu doit renier une part de son intérêt personnel dans ce « vivre ensemble » auquel il est appelé. Pour que ce « sacrifice » soit accepté, il faut que la valeur symbolique des lois du pays soit haute. Quatrième condition, il est considérablement important qu’un grand nombre de personnes, la majorité la plus grande qui soit, adhère à ces trois premières conditions. Néanmoins, le philosophe perçoit la difficulté : le monde réel n’étant pas idéal et les trois premières conditions constituant des qualités morales certaines, il faut que la cinquième condition puisse cimenter les quatre premières afin d’éviter qu’elles ne puissent être tenues ensemble. Il faut alors que l’Idée domine. Pas n’importe laquelle évidemment. Il propose alors un « Principe de paix » , et il ne peut consister que dans un Principe de réforme intellectuelle et morale, qui hisse les hommes au-dessus d’eux-mêmes pour mieux les rassembler, qui les unisse mais parce qu’ils sont devenus capables de transcender leurs différences et leurs intérêts particuliers, c’est-à-dire d’un Principe d’abord spirituel, et authentiquement spirituel, c’est-à-dire universel(1) .

Sur le long terme, au niveau géopolitique, il faudra étudier avec soin l’hexagone de civilisation donné par Dieter Senghaas. Celui-ci consiste dans les pays où la culture de paix est bafouée, à la consolider en s’attardant sur ces six points complémentaires et indispensables : veiller au monopole de la force par l’Etat ; rétablir l’Etat de droit ; travailler à l’interdépendance et au contrôle des émotions ; promouvoir la participation démocratique ; faire en sorte que la justice sociale soit au cœur des préoccupations des politiques ; enraciner une systématisation du recours au règlement pacifique des conflits.

Par ailleurs, comme l’a si bien montré Johan Galtung, la paix est plus riche de sens que la simple absence de guerre : on parle alors de « paix positive » . Définir cette expression, c’est s’approcher de ses proches parents que sont la justice et l’équité (2)(voir Renaud François).

Etant revenu en introduction sur le mot paix, nous élargirons notre propos sur la culture de la paix pour montrer comment cette expression est autre chose qu’un phénomène de mode, mais aussi pour en pointer les insuffisances.

 

I - De simple expression, la culture de la paix accède progressivement à une reconnaissance de facto

Les deux conférences de La Haye en 1899 et 1907, la première partie du Traité de Versailles concernant la Société des Nations, la partie XIII de l’Organisation internationale du Travail ont toutes rapport avec la paix. Ce sont les premières occurrences du concept de paix dans le droit international des traités (3) .

En 1928, une nouvelle étape est franchie avec la signature du pacte Briand-Kellog qui « met la guerre hors la loi » . D’abord conçu bilatéralement entre la France et les Etats-Unis, le pacte est étendu par Frank Billings Kellog à toutes les puissances intéressées. 15 pays deviennent immédiatement signataires et 42 autres les rejoindront.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Préambule de la Charte des Nations unies affirme : “Nous, Peuples des Nations unies, résolus

à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances,

à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,

à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international,

à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande,

et à ces fins,

à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage,

à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales,

à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun,

à recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples (…). »

De même, le Préambule de l’Acte constitutif de l’UNESCO relève :

« Les gouvernements des États parties à la présente Convention, au nom de leurs peuples, déclarent :

Que, les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ;

Que l’incompréhension mutuelle des peuples a toujours été, au cours de l’histoire, à l’origine de la suspicion et de la méfiance entre nations, par où leurs désaccords ont trop souvent dégénéré en guerre ;

Que la grande et terrible guerre qui vient de finir a été rendue possible par le reniement de l’idéal démocratique de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine et par la volonté de lui substituer, en exploitant l’ignorance et le préjugé, le dogme de l’inégalité des races et des hommes ;

Que, la dignité de l’homme exigeant la diffusion de la culture et l’éducation de tous en vue de la justice, de la liberté et de la paix, il y a là, pour toutes les nations, des devoirs sacrés à remplir dans un esprit de mutuelle assistance ;

Qu’une paix fondée sur les seuls accords économiques et politiques des gouvernements ne saurait entraîner l’adhésion unanime, durable et sincère des peuples et que, par conséquent, cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité. »

Un certain nombre de textes vont alors être écrits au cours de la Guerre Froide qui, du fait de l’affrontement entre les deux grandes puissances soviétique et américaine vont considérablement amoindrir la portée de ces avancées juridiques internationales : la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948) ; la Convention contre les Discriminations dans l’Education (qui, dans son article 4, souligne l’obligation de développer l’éducation à la paix) ; la Déclaration des Nations unies sur la Promotion au sein de la Jeunesse des idéaux de Paix, de respect mutuel et de compréhension entre les peuples (1965) ; la Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale (1965) ; le Pacte international sur les droits civils et politiques (1966), le pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels. L’Assemblée générale des Nations unies adopte en 1978 la Déclaration sur la Préparation des sociétés pour la vie en paix. En 1985, la Communauté européenne publie la Charte européenne du gouvernement local. En 1986, on s’en souvient, la Déclaration sur la violence est rendue publique lors d’un colloque organisé par l’UNESCO. La Convention sur les droits de l’enfant en 1989 est écrite. Avec la Chute du Mur de Berlin, de nombreux textes sont encore adoptés. L’année suivante, la Charte de Paris pour une nouvelle Europe est publiée. A l’échelon européen encore la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local voit le jour en 1992 tout comme la Charte européenne pour les langues minoritaires ou régionales.

Cependant, l’expression « culture de paix » est récente. Elle va « « prospérer » suite au changement géopolitique majeur qu’a entraîné la chute de l’Union soviétique. Cependant, elle lui est antérieure. En effet, l’UNESCO, réunie le 26 juin 1989 à Yamoussoukro, reprend à son compte cette expression qui s’était particulièrement développée au cours de la décennie précédente en Amérique latine. Elle rétablit la notion de paix au cœur de ses priorités, notamment par le respect absolu des droits de l’homme et l’attention à son environnement.

Suite à la présentation, le 31 janvier 1992, de l’Agenda pour la paix, par Boutros Boutros-Ghali en qualité de Secrétaire général des Nations unies, quatre niveaux d’attention sont envisagés pour réduire la violence : la diplomatie préventive, le rétablissement de la paix, le maintien de la paix et la consolidation de la paix. L’UNESCO propose alors, pour aider à la réalisation à tous les niveaux de cet ambitieux programme, un programme d’action pour promouvoir une culture de la paix (7 avril 1993). Cependant, l’organisme montre son indépendance en récusant la définition de consolidation de la paix donnée par Boutros Boutros-Ghali. Celle-ci doit être entreprise avant, pendant (s’il n’a pu être évité) et immédiatement après la fin du conflit. L’UNESCO souhaite par là montrer à quel point il souhaite travailler en amont de la conflictualité même si cette tâche est intrinsèquement ingrate puisque passant souvent inaperçue (4) .

En 1994, le premier forum international sur la culture de la paix se tient à San Salvador. En 1995, la Conférence générale de l’UNESCO adopte le projet interdisciplinaire « Vers une culture de la paix » et en fait un axe stratégique pour les années 1996-2001. A partir de 1996, ce projet est mis en œuvre en accord avec le document 28C/4. Puis, en janvier 1997, Federico Mayor, directeur général de l’UNESCO propose le droit de l’être humain à la paix. Le 22 juillet 1997, l’Assemblée générale des Nations unies, sur la recommandation formulée par le Conseil économique et social (résolution 1997/47), proclame l’an 2000 Année internationale pour la culture de la paix. L’UNESCO est chargé d’en coordonner les actions. Un Manifeste pour la Culture de la Paix est notamment rédigé qui recueille des millions de signatures. En outre, des milliers d’actions sont entreprises dans le sens d’une plus grande attention envers la paix dans le quotidien.

Le 19 novembre 1998, l’Assemblée générale des Nations unies (A/53/25) déclare la Décennie internationale pour une culture de la paix et de la Non-violence pour les enfants du monde, 2001-2010. Dans un document précédent (A/52/13) en date du 15 janvier 1998, cet organe avait déjà entrepris de mettre en lumière la culture de la paix qu’il a défini de cette façon : ‘La culture de la paix est un ensemble de valeurs, attitudes, comportements et modes de vie qui rejettent la violence et préviennent les conflits en s’attaquant à leurs racines par le dialogue et la négociation entre les individus, les groupes et les Etats » .

Après plus de dix ans d’efforts, l’Assemblée générale des Nations unies vient récompenser le travail de l’UNESCO en adoptant, le 6 octobre 1999, un programme d’action sur la culture de la paix en huit points (5) (A/53/243).

 

II - Les 8 piliers de la Culture de la Paix telle que vue par l’UNESCO

1) Promouvoir la paix à travers l’éducation. Celle-ci doit être proposée à tous les enfants et une attention particulière doit être réservée aux femmes.

2) Améliorer un développement économique et social soutenables. L’éradication de la pauvreté ainsi qu’une focalisation plus grande accordée à l’environnement constituent des priorités.

3) Promouvoir le respect pour tous les êtres humains, non seulement en distribuant des Déclarations Universelles des Droits de l’Homme à tous les niveaux mais aussi en mettant complètement en œuvre ces droits.

4) S’assurer de l’égalité entre les femmes et les hommes en intégrant une approche sexo-spécifique et en éliminant toutes formes de discrimination.

5) Soutenir la participation démocratique en éduquant les citoyens à des pratiques responsables.

6) Faire avancer les notions de tolérance, de compréhension et de solidarité en promouvant un dialogue entre les civilisations.

7) Soutenir la libre circulation des savoirs et de l’information par l’indépendance des médias.

8) Promouvoir la paix internationale et la sécurité par des actions telles que le désarmement, la résolution pacifique des conflits.

 

Le 12 septembre 2000, le Secrétaire général des Nations unies rend public son rapport (A/55/377) sur la Décennie internationale pour une culture de la Paix et de la Non-violence pour les enfants du monde, 2001-2010. Un an et un jour après, il est inutile de dire que son second rapport passe inaperçu (A/56/349) suite aux attentats qui touchent New York (6) .

Notes

1 PRERA-FLORES Anaisabel, VERMEREN Patrice, Philosophie de la culture de la paix, l’Harmattan, Paris, 2001, p35

2 FRANCOIS Renaud, « Paix négative/Paix positive » , La lettre de l’Ecole de la Paix, n°32, avril 2005

3 On se rappelle en effet que, dès 1625, Grotius faisait paraître son De jure belli ac pacis, (Du droit de la guerre et de la paix).

4 PRERA-FLORES Anaisabel, VERMEREN Patrice, Philosophie de la culture de la paix, l’Harmattan, Paris, 2001, p35

5 DE RIVERA Joseph, « Assessing the Basis for a Culture of Peace in Contemporary Societies » , Journal of Peace Research, vol.41, no5, 2004, pp.531-548

6 Pour le suivi des avancées dans les 8 domaines, on se reportera à A/55/377, A/56/349, A/57/186, A/58/182, A/59/223 et A/60/