Fiche d’analyse

, mai 2009

Quel bilan pour la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) en Afrique Centrale ?

Evaluation et bilan des activités de la PESD en Afrique Centrale depuis 2003.

Introduction

Au delà des querelles autour de la construction européenne, l’Union européenne apparaît de nos jours comme la forme la plus avancée des organisations régionales du monde en termes d’organisation institutionnelle et de coopération communautaire. D’un point de vue historique, elle est la seule organisation internationale existante aujourd’hui par laquelle des Etats nations décident de mettre en commun des « pans entiers de souveraineté ».

Depuis l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam le 1er mai 1999 et le Conseil de Cologne les 3 et 4 juin de la même année, l’Union européenne a renforcé sa politique étrangère et de sécurité commune (PESC) en se dotant d’une politique européenne de sécurité et de défense (PESD), un outil sensé donner un contenu stratégique et opérationnel à l’intervention de l’UE au-delà de ses frontières.

La Politique européenne de sécurité et de défense a donc, entre autre, pour objectif avec la Politique Etrangère et de Sécurité Commune de compléter l’intégration et la puissance économique de l’Union européenne mais aussi d’apporter un appui stratégique aux autres outils disponibles : économiques, commerciaux, humanitaires et de développement. C’est pour cette raison qu’elle articule les dimensions civile et militaire dans ses interventions.

De ce point de vue, le continent africain a pris une place importante dans l’agenda extérieur de l’UE depuis le Sommet UE – Afrique de 2000. Suite à ce Sommet, l’Union européenne a inscrit au centre de ses réflexions « l’architecture de la sécurité africaine, les responsabilités et les ressources du maintien de la paix dans les zones de conflit, le défi constant du développement et la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement, la recherche d’une combinaison équilibrée entre construction de la paix et développement ». C’est ce qui nous amène dans le cadre de cette réflexion à montrer dans une certaine mesure que les interventions européennes, en Afrique en général et en Afrique centrale en particulier, correspondent à certains domaines retenus dans le Document final du Sommet mondial de 2005 des Nations unies, notamment en ce qui concerne les solutions multilatérales à apporter aux problèmes qui se posent au monde d’aujourd’hui.

L’objectif de cette étude est d’élaborer une évaluation et de dresser un bilan des activités de la PESD en Afrique centrale depuis 2003, date à laquelle l’Union européenne, en définissant sa Stratégie européenne de sécurité, a réaffirmé la place de choix qu’occupe le continent africain dans ses priorités en matière de politique étrangère et date qui correspond à la toute première mission européenne déployée en Afrique connue sous le nom de code « Artémis ». Les défis de la sous-région Afrique centrale, région de notre étude, étant multiples et divers, la question centrale de cette réflexion est de savoir comment l’Union européenne, dans sa coopération avec les Etats de l’Afrique centrale réunis au sein de la CEEAC, peut-elle parvenir à élaborer une action efficace, quand on sait que les deux partenaires de la coopération connaissent des problèmes en termes de capacités et d’organisation collective très importants ?

Ce travail consiste à vérifier l’hypothèse selon laquelle l’approche multisectorielle et civilo – militaire de la PESD est adaptée aux défis relatifs à la gestion globale des conflits et des processus de paix dans la sous région. Nous montrerons dans la présente réflexion que cette hypothèse peut paraître plausible si :

  • D’une part, les questions structurelles qui maintiennent les Etats de la sous-région en situation d’instabilité chronique sont rigoureusement identifiées et traitées de manière transversale dans le cadre de la coopération UE – CEEAC ;

  • Et d’autre part, si les décisions qui président au déploiement des missions européennes en Afrique sont collectivement prises et soutenues par l’ensemble des Etats membres et des institutions qui gouvernent l’Union.

L’observation du déroulement et de la conduite des missions européennes en Afrique centrale démontre qu’il existe un décalage entre les objectifs affichés et les moyens mis en œuvre par les acteurs en coopération à savoir l’Union européenne d’un côté et les Etats de l’Afrique centrale de l’autre. Ce déficit capacitaire et institutionnel des deux acteurs contribue, dans une large mesure, à l’échec, du moins au bilan mitigé de l’action européenne dans cette sous-région. Nous essayons, dans la présente réflexion, de soutenir et de justifier cette thèse.

I – Cadre institutionnel de l’action européenne en Afrique centrale

L’action européenne en Afrique centrale s’inscrit dans le cadre de la coopération en matière de paix et de sécurité avec la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) pour un soutien politique à la construction de l’architecture de sécurité africaine qui se met progressivement en place sous l’égide de l’Union africaine. Cette architecture consiste à développer des pôles de sécurité dans les différents sous ensembles géopolitiques du continent notamment en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale afin de doter l’Afrique d’une structure et d’une capacité de prévention et de gestion de crise par les africains eux-mêmes et de renforcer le dispositif de la Force africaine en attente.

Mais cette action trouve aussi son fondement suite au Traité de Maastricht en 1992 qui a remplacé la Coopération politique européenne (CPE) par une politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Ce traité définissait cinq objectifs fondamentaux de la politique extérieure de l’UE et établissait le cadre qui permettrait d’élaborer des politiques ayant des implications dans le domaine de la défense en ayant recours à l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) dont la structure en matière de sécurité et de défense sera par la suite intégrée à l’Union européenne. En clair, la mise sur pied d’une PESC a permis, plus tard en ce qui concerne les relations UE – Afrique, d’articuler les trois piliers de l’accord de partenariat UE – ACP (Union européenne – Afrique, Caraïbe, Pacifique) qui, avec l’accord de Cotonou, reposent sur la coopération économique et commerciale, la coopération technique et financière et la dimension politique qui permet de dépasser le cadre traditionnel de la coopération au développement. La Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) qui est le bras armé de tout cet appareil institutionnel initial et dont la construction reste permanente et inachevée nous permet dans cette analyse de mesurer l’efficacité de l’action européenne en Afrique centrale. Mais avant de se servir de cet « outil de mesure et d’évaluation », il est important de voir comment ce dernier est né, comment il évolue et de pouvoir identifier les défis auxquels il fait face dans son processus de maturation.

A. Le processus de construction de la PESD

1. Le cadre institutionnel et réglementaire

Du Traité d’Amsterdam sur l’Union européenne en octobre 1997 à nos jours, la Politique européenne de sécurité et de défense n’a cessé de se construire, de se doter des mécanismes capacitaires et de contenu stratégique. Mais comment la PESD se construit-elle ?

Il est important de souligner que la construction de la PESD a connu des avancées spectaculaires grâce au travail élaboré, en amont, par l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) qui, au cours des débats sur sa « plate-forme sur les intérêts européens en matière de sécurité », indiquait que « la construction d’une Europe intégrée restera incomplète tant que cette construction ne s’étendra pas à la sécurité et à la défense ». Cette volonté de l’UEO s’est progressivement concrétisée au Conseil des ministres de Bonn avec la Déclaration de Petersberg le 19 juin 1992. Selon cette déclaration, « outre une contribution à la défense commune dans le cadre de l’application de l’article 5 du Traité de Washington et l’article V du Traité de Bruxelles modifié, les unités militaires des Etats membres de l’UEO agissant sous l’autorité de l’UEO, pourraient être utilisées pour : des missions humanitaires ou d’évacuation des ressortissants ; des missions de maintien de la paix, des missions de force de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix. »

Par la suite, les missions de Petersberg seront incluses dans le Traité d’Amsterdam (2 octobre 1997) en vue de l’élargissement de la portée de la Politique étrangère de sécurité commune (PESC) de l’Union européenne, entérinant ainsi l’article J.4.2 du Traité de Maastricht qui déclare l’UEO « partie intégrante du développement de l’Union européenne », d’une part et la Déclaration des pays membres de l’UEO du 10 décembre 1991 sur le rôle de l’UEO et ses relations avec l’Union européenne et l’Alliance atlantique, d’autre part. Pour éviter un éventuel blocage du processus qui pourrait être dû à l’absence de compromis sur des questions de sécurité, le Traité d’Amsterdam introduit la possibilité d’abstention constructive dans la PESC (art. 23).

La déclaration franco – britannique sur la défense européenne faite au Sommet franco – britannique de Saint-Malo le 4 décembre 1998 marque la volonté de doter l’Union européenne « d’une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles (…) afin de répondre aux crises internationales ». Cette volonté a été exprimée et concrétisée au Conseil européen de Cologne les 3 et 4 juin 1999 en dotant la PESC d’une PESD suivi de la nomination d’un Haut représentant pour la PESC. Elle a été intégralement reprise dans le Traité de Nice de décembre 2000. L’idée de « développer une capacité autonome de prendre des décisions et, là où l’OTAN en tant que telle n’est pas engagée, de lancer et de conduire des opérations militaires sous la direction de l’Union européenne (…) ». Ce traité est actuellement la base juridique des activités de politique européenne de sécurité et de défense de l’Union européenne. Il définit, en attendant la ratification et l’entrée en vigueur du Traité modificatif de Lisbonne, les grandes orientations des efforts de l’UE dans le domaine opérationnel.

2 – La structure et les méthodes de la PESD

Les décisions du Sommet de Nice qui définissent les grandes orientations des efforts de l’Union européenne ont établi les instances permanentes de la PESD et les objectifs opérationnels de l’UE. Ces décisions visent, entre autres :

  • La création de structures politiques et militaires permanentes ;

  • Les engagements nationaux en matière de capacités militaires dans le cadre de l’objectif global (création d’une force européenne de réaction rapide) ;

  • Le développement de la PESD pour contribuer à la vitalité d’un lien transatlantique rénové

  • La prise en charge par l’UE des fonctions de gestion de crise jusque-là dévolues à l’UEO

En ce qui concerne la création effective de ces structures, trois instances permanentes de nature civilo-militaire ont été mises en place :

  • Le Comité politique et de sécurité (COPS) : il est composé des représentants permanents des Etats membres (qui, pour la plupart, représentent également leur pays au Conseil permanent de l’UEO), il exerce le contrôle politique et la direction stratégique des opérations de gestion de crise. Il est assisté par un Comité militaire et un Comité chargé des aspects civils de la gestion des crises (CIVCOM)

  • Le Comité militaire de l’UE (CMUE) : il se compose des chefs d’Etat-major des armées (CEMA) des Etats membres de l’UE, représentés en temps normal par leurs délégués militaires (Repmil) et le cas échéant par le Commandant désigné pour une opération. Il a pour mission de formuler des avis militaires sur la base des directives du COPS. Il remplit une double fonction : fournir au COPS des recommandations et des avis sur toutes les questions militaires relevant de l’UE et exercer la direction militaire de toute activité menée dans le cadre de l’UE.

  • L’Etat-major de l’UE (EMUE) : sous la direction du CMUE, il a pour principale mission d’assurer l’alerte rapide, l’évaluation des situations et la planification stratégique préalablement à la prise de décisions en cas de crise émergente.

Toutes ces structures sont accompagnées et chargées de mettre en oeuvre les objectifs capacitaires définis par l’UE. Les conseils européens successifs ont affiné ces objectifs en vue de mener à bien les missions de Petersberg. C’est incontestablement ce qui a abouti à une doctrine européenne fondée sur une approche civilo-militaire de gestion des crises.

En ce qui concerne les capacités militaires, le Conseil européen d’Helsinki tenu les 10 et 11 décembre 1999, a défini « l’objectif global 2003 ». Cet objectif indique que l’UE doit être capable de déployer une force de réaction rapide de 50 000 à 60 000 hommes dans un délai de 60 jours et sur une durée au moins d’un an. Tirant les leçons des exigences liées à la mobilisation de ce dispositif, le Conseil européen de Bruxelles du 17 et 18 juin 2004, a avalisé « l’objectif global 2010 » avec l’établissement du concept de « Groupement tactiques » (Battle Groups) composés de 1500 hommes, déployable en moins de 10 jours, pour une période pouvant aller jusqu’à 120 jours.

Quant aux capacités civiles, le conseil européen de Feira, les 19 et 20 juin 2000, a défini les quatre volets civils de la gestion des crises menée par l’UE. Il s’agit de la police, la protection des populations civiles, l’administration civile et l’Etat de droit. Les Etats membres se sont engagés à fournir jusqu’à 5000 policiers et à déployer rapidement jusqu’à 1000 d’entre eux dans un délai de 30 jours. Le Conseil européen de Bruxelles, les 16 et 17 décembre 2004 a ainsi finalisé « l’Objectif global civil 2008 ». Cet objectif permet à l’UE d’être en mesure de mener des missions d’observation et fournir un soutien aux représentants spéciaux de l’UE. Ces activités s’étendent à la réforme du secteur de sécurité et aux soutien des processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion. Le processus, n’ayant pas été achevé, « l’objectif global civil 2010 » a été approuvé lors de la conférence ministérielle d’amélioration des capacités civiles du 19 novembre 2007. Ce nouvel objectif préconise une meilleure prise en compte des droits de l’homme et du principe d’égalité entre les hommes et les femmes dans les concepts et la conduite des opérations civiles.

La construction d’une politique européenne de sécurité et de défense dont le processus vient d’être retracé, suscite non seulement des enjeux géopolitiques autour de la construction européenne toute entière, mais également elle présente des défis majeurs qui pèsent lourdement dans la prise des décisions au niveau stratégique et dans la mise en œuvre, aux niveaux opérationnel et tactique, des interventions de l’UE.

3. Les défis de la PESD

Comme nous venons de l’affirmer, la PESD est une construction politique et stratégique de l’UE qui suscite des enjeux à plus d’un niveau.

  • D’abord, elle est inscrite au centre d’une pluralité d’approches. Les approches française, britannique et allemande, pour ne citer que celles là, divergent encore en matière de politique de sécurité européenne. Si l’Allemagne perçoit l’Alliance atlantique comme garant crédible de la sécurité européenne, et accorde à la PESD le rôle de stabilisateur de l’environnement régional de l’UE, la France, quant à elle, a tendance à voir celle-ci comme un acteur global, autonome et indépendant de l’OTAN. La Grande Bretagne, pour sa part, adoptant une position très nuancée vis-à-vis de ses voisins.

  • Par ailleurs, la volonté d’autonomiser l’Europe par le renforcement de la PESD se heurte à la volonté d’émancipation et d’élargissement d’un autre projet géostratégique: l’OTAN sous la férule des Etats-Unis élabore actuellement un nouveau concept stratégique. En effet, même si, sur le plan institutionnel et réglementaire, le Conseil de l’Atlantique nord de Berlin (juin 1996) suivi des arrangements « Berlin plus » du 16 décembre 2002 indique la mise à la disposition de l’UE des moyens et capacités collectifs de l’OTAN, une marge de manoeuvre trop grande de la PESD n’est pas vue d’un bon oeil par l’allié américain. Ce dernier considérant cette marge de manoeuvre comme une perte d’influence de l’Alliance, non pas en terme d’influence militaire mais en terme de contrôle des zones stratégiques de l’Europe de l’est. Ce frottement entre la PESD et l’OTAN divise la relative vision commune de l’Europe sur les questions de sécurité et de défense.

  • Les craintes se font sentir à l’intérieur même de l’Union. L’Allemagne comme la plupart des Etats membres hésite, « par crainte que Paris envisage de créer une Europe de la défense dirigée contre l’Alliance atlantique », à donner suite aux ambitions françaises de voir se développer une PESD autonome. L’une des questions principales du point de vue allemand est de savoir pourquoi Paris continue d’insister sur le renforcement des capacités de planification et de conduite des opérations européennes. Quand on analyse ces craintes et l’absence de compromis sur certaines questions de sécurité et de défense, on se rend à l’évidence que la PESD s’est certes structurée théoriquement et sur le plan de la méthode, mais la capacité de ses interventions se trouve considérablement limitée.

  • Un autre paradoxe qui rend précaire l’évolution de la PESD réside entre la volonté affichée et les moyens existants. Si la volonté de l’Europe est de mener des opérations européennes permanentes et efficaces, ces dernières nécessitent des budgets faramineux. Or, les exigences des parlements nationaux sur la réduction drastique des budgets de défense nationale, amplifiées par la crise financière internationale actuelle fragilisent les développements capacitaires de l’UE en matière de gestion civilo–militaire de crise. Ceci est encore plus inquiétant quand on sait que le financement de la PESD repose sur des contributions nationales selon la formule consacrée « les coûts restent là où ils tombent » c’est-à-dire les Etats participants supportent chacun le coût de ses effectifs. Le mécanisme Athéna qui permet un financement collectif des coûts communs n’a qu’un rôle modeste et les réserves régulièrement formulées par le Parlement européen ainsi que le grand intérêt porté par la Commission au titre de l’aide au développement, des accords avec les pays tiers et de l’assistance technique limitent incontestablement les moyens de la PESD. Il est donc demandé à la PESD de faire beaucoup avec très peu de moyens.

  • En attendant les résultats et les apports de l’accord interinstitutionnel 2007–2013, les controverses de type querelles entre Parlement, Commission et Conseil persistent et créent des difficultés. Or une coordination plus efficace entre aspects civils et militaires supposerait avant tout de régler le problème des rapports entre Conseil et Commission et l’affirmation de l’Europe dans le monde dépendra de sa capacité à combiner les différents volets de son action extérieure. Mais comment faire converger en une politique étrangère commune, 27 diplomaties d’Etats qui ont chacune leur histoire conflictuelle, leurs intérêts nationaux et leurs liens spéciaux ?

Au vu des développements qui précèdent, il paraît de plus en plus évident que le processus de maturation de la PESD est loin d’arriver à son terme. Tellement les défis auxquels elle fait face sont de grande ampleur et nécessitent des négociations dans le long terme. Mais comment malgré ces difficultés, la PESD parvient-elle à conduire des missions aussi importantes avec des résultats relativement impressionnants en Afrique centrale ? Quel est le contexte qui a présidé au déploiement des missions européennes dans cette région et qu’elles en sont les réalisations sur le terrain ?

B. Contexte et Etat des lieux de l’intervention européenne en Afrique centrale

1. Le contexte de l’intervention européenne en Afrique centrale

Le processus de maturation de la PESD, qui se trouve renforcé avec l’élaboration de la stratégie européenne de sécurité, a conduit l’Union européenne à expérimenter le bras armé de sa politique étrangère en Afrique centrale en 2003 avec le lancement de sa toute première mission en République Démocratique du Congo connue sous le nom de Artémis. Cette opération a lieu dans un contexte où la sous-région est animée par une instabilité quasi-totale. Plus de la moitié des Etats qui la constituent connaissent des situations soit de crise réelle, soit de sortie de crise. C’est le cas de la RDC qui traversait à ce moment une période d’insécurité grave où l’opération Artémis avait pour mandat de contribuer à la stabilisation des conditions de sécurité et à améliorer la situation humanitaire.

L’intervention européenne, par l’envoi d’une Force internationale de maintien de la paix en Ituri (RDC) le 5 juin 2003 suite à la résolution 1484 du Conseil de sécurité des Nations unies qui autorisait la mise en place d’une « force multinationale intérimaire d’urgence à Bunia », venait combler le déficit institutionnel et l’absence de capacité opérationnelle de la CEEAC, organisation sous-régionale compétente géographiquement au regard de la structure et des objectifs de l’architecture de sécurité africaine. Cette intervention, faut-il le préciser ici, s’est opérée conformément aux principes fondamentaux de la notion de « la Responsabilité de protéger ». La CEEAC a mis en œuvre le Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique centrale (Copax) depuis 1999. Mais cet organe de maintien de la paix et de la sécurité est resté en léthargie depuis sa création et des besoins permanents de planification capacitaire, de capacité financière et opérationnelle s’expriment toujours à tous les niveaux. Face à cet état de fait, les interventions extérieures se trouvent amplement sollicitées.

On peut encore observer aujourd’hui tous ces écueils structurels en portant un regard attentif sur les missions déployées par la CEEAC dans la sous-région. La force déployée par la CEEAC en République centrafricaine qui compte seulement 520 militaires avec pour objectif de sécuriser le territoire de la RCA notamment Bangui et les zones environnantes, est confrontée à des difficultés logistiques et financières. Bien plus, pour une organisation sous-régionale qui compte dix pays environ et qui rencontre des difficultés pour mobiliser un nombre considérable d’hommes correspondant aux missions qui lui sont assignées, on peut encore voir de loin la capacité de la sous-région à s’approprier son destin et à répondre aux défis sécuritaires auxquels elle fait face.

Des dix pays qui composent la CEEAC, on peut constater que le Burundi, l’Angola, le Congo Brazzaville sont des pays qui ont connu une situation de conflit armé ou d’instabilité très poussée et qui au moment de l’intervention européenne en Afrique centrale cherchent des voies et moyens pour pacifier leurs territoires, consolider la paix et trouver les canaux de la croissance et du développement. La République Démocratique du Congo, qui est la plaque tournante et l’enjeu majeur pour la sécurité sous-régionale, se trouve toujours dans une situation de sécurité incertaine, situation marquée par l’échec des accords de paix signés entre les parties au conflits, l’émergence, par la suite, de nouveaux acteurs notamment le groupe rebelle (FDLR) du général Nkunda et la transformation de la nature des revendications. Le Tchad, la République centrafricaine connaissent une instabilité liée au conflit soudanais dont les effets possibles de contagion transfrontalière menacent l’intégrité territoriale de ces pays respectifs. Ces deux pays limitrophes du Soudan se trouvent incapables de sécuriser leurs territoires fragilisés par la porosité des frontières et donc soumis au trafic d’armes et la merci des alliances stratégiques entre les groupes rebelles soudanais et ceux hostiles aux autorités respectives de N’Djaména et de Bangui. Les autres pays de la sous-région laissent apparaître une stabilité de façade : c’est le cas du Cameroun et du Gabon.

Il est important de catégoriser ces situations par pays ou groupe de pays comme nous venons de le faire car cela permet de voir comment l’Union européenne priorise ses missions dans chaque pays selon l’ampleur de la violence et le niveau d’instabilité. Et en fonction de chaque situation correspond un mandat précis touchant des secteurs bien identifiés. Cette caractérisation de l’action européenne démontre de la complexité des défis de la sous-région :

  • Défis en matière de réforme des secteurs de sécurité ;

  • Défis en matière de maintien et de consolidation de la paix ;

  • Défis liés au renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, à la promotion et protection des droits de l’homme et libertés fondamentales ;

  • Défis en matière de gouvernance.

Tous ces défis sont relatifs à la question plus globale de la construction de l’Etat en Afrique. Face à tous ces défis, quelles sont les activités menées par l’UE et comment a-t-elle procédé pour tenter de les éradiquer ?

2. Etat de la coopération UE – Afrique centrale, activités réalisées et défis

Compte tenu des situations que nous avons énumérées, la stratégie de coopération Union européenne–Afrique centrale, 2003–2007 prévoyait :

  • D’une part, un appui à la prévention des conflits et au dialogue politique ;

  • D’autre part, la mise en œuvre des initiatives et actions régionales répondant aux problématiques spécifiques des pays concernés par des conflits ou qui connaissent des désordres.

C’est dans ce cadre que, depuis 2003, la PESD a déployé des missions en RDC (Artémis, EUPOL RD Congo, EUSEC RD Congo, EUFOR RD Congo, au Burundi (financement sur crédit PESC du déploiement d’observateurs militaires) et au Tchad/RCA (EUFOR Tchad/RCA). Ces missions sont de nature civilo-militaire.

Par ailleurs, théoriquement, l’action envisagée par l’Union européenne sur la période 2003–2007 portent sur :

  • L’appui à la CEEAC pour la mise en œuvre du MARAC (Mécanisme d’Alerte rapide en Afrique centrale)

  • L’appui à des initiatives régionales de prévention et règlement des crises, y compris les actions de DDRRR (Désarmement, Démobilisation, Rapatriement, Réintégration et Repeuplement.

Sur le terrain, l’on peut observer des avancées tout comme des situations de stagnation dans le déroulement de ces différentes missions. En ce qui concerne la Mission de police de l’UE pour la République démocratique du Congo (EUPOL RD Congo), mission encore en cours lancée le 12 juin 2008, il est question de soutenir la réforme du secteur de la sécurité dans le domaine de la police et son interface avec la justice. La mission, d’après son mandat :

  • « Contribue à la réforme et à la restructuration de la police nationale congolaise (PNC) en soutenant la mise en place d’une force de police viable, professionnelle et multiethnique (…) »,

  • « Contribue à améliorer l’interaction entre la police et le système de justice pénale au sens large »,

  • « Contribue à assurer la cohérence de l’ensemble des efforts déployés en matière de RSS »,

  • « Contribue au processus de paix à l’est de la RDC dans ses aspects liés à la police, aux questions d’égalité de sexes, aux droits de l’homme et aux enfants face aux conflits armés, et tout particulièrement à sa corrélation avec le processus de réforme de la police nationale congolaise »

Certes il résulte de cette mission la création d’un Comité de suivi de réforme de la Police (CSRP) ainsi que l’encadrement de l’Unité de police intégrée (UPI), mais pourtant il ne suffit pas de mettre en place des organes institutionnellement modernes quand on sait que ceux-ci sont techniquement peu ou non opérationnels à cause de l’absence d’une ressource humaine hautement qualifiée et adaptée aux exigences qui les sous-tendent.

Si la mission Artémis s’est déroulée conformément au mandat qui lui avait été assigné en juin 2003 et qu’elle soit relevée le 1er septembre de la même année par la Mission des Nations Unies en RDC (MONUC) déjà présente depuis 1999, doit-on conclure d’une réussite de la mission ? A cette question nous répondrons par la négative. Le succès de la mission Artémis est relativement établi dans l’accomplissement de son mandat et au niveau de l’arrêt des combats mais la doctrine qui sous-tend l’action européenne en matière de gestion de crise et le constat qui a présidé à la décision de l’Union européenne d’intervenir dans les théâtres de conflit s’opposent en substance au déroulement de cette mission dans l’espace et dans le temps.

En effet, l’objectif des interventions européennes n’est pas de faire du maintien de la paix traditionnel, c’est-à-dire de se limiter au cessez-le-feu. Les missions dites de Petersberg vont au-delà de cette considération et l’approche européenne de gestion des crises consiste à articuler les dimensions civile et militaire dans les interventions, ceci permettant de trouver des solutions d’ensemble, multisectorielles et multilatérales indispensables au règlement global et définitif des conflits dits déstructurés.

On peut bien comprendre que l’opération Artémis soit un test pour l’action européenne de cette nature en Afrique, mais la récente intervention de l’Union européenne au Tchad et en République Centrafricaine n’est pas loin de « la performance » réalisée au cours de l’Opération Artémis. On assiste quasiment à la même configuration où l’EUFOR Tchad/RCA se voit relevée par la MINURCAT laissant apparaître, cette fois et de la manière la plus flagrante, toutes les failles institutionnelles et opérationnelles de l’appareil stratégique européen.

Les retards observés au lancement de la mission EUFOR Tchad/RCA ont révélé les difficultés structurelles de la politique européenne de sécurité en Afrique et plus précisément en Afrique centrale, où « s’expriment sur fond d’enjeux géoéconomiques, l’interventionnisme des anciennes puissances coloniales ». Les pays de l’Union européenne qui disposent ensemble environ 1,7 million de militaires, s’étant limité à la mobilisation d’une force de 3700 soldats, ne sont pas parvenus à réunir seulement les 4300 hommes prévus pour la mission. Bien plus, ces derniers ont accusé des retards significatifs quant à la mobilisation des moyens aériens, médicaux et logistiques nécessaires au déploiement de la force.

Toutes ces difficultés sont le reflet des antagonismes entre les pays pilotes de l’Union européenne qui ne partagent pas toujours les initiatives des uns en matière de politique étrangère, ni la volonté d’ « européaniser » le regard et les intérêts nationaux des autres. En ce qui concerne l’EUFOR Tchad/RCA, on a pu observer que la France a joué le rôle de nation pilote dans cette opération, en fournissant elle seule environ 2100 hommes, en lui affectant dans un premier temps ses forces prépositionnées au Tchad et en RCA dont le rôle a été déterminant tout au long des missions de reconnaissance, et en supportant la charge logistique largement la plus importante de l’opération. Tout ceci, en l’absence du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Italie qui ne souhaitent pas jouer les auxiliaires de l’armée française.

II – L’impact des missions européennes de sécurité et de défense en Afrique centrale

La question qui se pose ici est celle de savoir si les missions européennes déployées en Afrique centrale depuis 2003 ont pu considérablement changer la donne dans cette sous-région. Si on se réfère aux développements faits plus haut, on remarquera que le bilan de l’action européenne en Afrique centrale reste très mitigé. Il y a certes eu des investissements financiers importants et la définition des objectifs permettant de renforcer les institutions de la sous-région, mais il existe, à notre avis, des défis structurels dont les réponses urgentes sont une condition sine qua non de l’émancipation sécuritaire et du développement du continent.

A. Les défis de l’Afrique centrale : obstacles au succès de l’action européenne ?

La particularité de l’approche européenne de gestion de crise et son originalité consistent à s’attaquer prioritairement aux racines de l’instabilité et des conflits violents. Si ce principe a été retenu pour conduire l’action européenne en matière de gestion de crise, la logique qui gouverne les opérations de cette organisation en Afrique, du moins en Afrique centrale, ne permet pas, à l’observation des faits, de soutenir cette thèse.

Il semble qu’une lecture attentive des mandats des missions de l’Union européenne en Afrique centrale et l’observation de la démarche et des opérations menées sur le terrain amène à constater que cette particularité de l’approche européenne reste essentiellement un principe qui pourrait être applicable dans l’avenir, du moins pas pour le moment. De l’opération Artémis qui a permis d’éviter l’escalade de la violence en RDC à l’EUFOR Tchad/RCA qui avait pour mission de sécuriser l’est du Tchad et le sud est de la RCA, on ne voit en aucun moment une action rigoureuse qui aille dans le sens de l’éradication des causes et des racines de l’instabilité. Stabiliser, sécuriser ne veulent pas dire traiter à partir de la racine un problème structurel et complexe. Autrement, il n’existe pas de particularité européenne par rapport aux missions classiques de maintien de la paix. Quels sont donc les défis qui absorbent toute action européennes en Afrique centrale ?

1. Les défis liés à la construction de l’Etat

Le caractère inachevé des Etats africains constitue le défi premier de la paix en Afrique et est la source première des hostilités dans le continent. La construction de l’Etat en Afrique est une notion polysémique et composite. C’est une question extrêmement complexe qui est au centre de la spirale des problèmes structurels de toute la région : l’exercice du pouvoir, la propriété de la richesse, la gestion des ressources naturelles, la manipulation des référents identitaires, la faillite des institutions politiques et de l’Etat de droit, l’ingérence des puissances étrangères, la montée du pouvoir des organisations criminelles aux niveaux local, national et international, la question de la gouvernance, l’ethnicisation du pouvoir politique et économique, la corruption, l’impunité…

Il faudrait retenir que le processus de construction de l’Etat en Afrique s’inscrit jusqu’aujourd’hui dans une logique de « construction inachevée - déconstruction ». Construction inachevée et déconstruction parce qu’après la décolonisation, il est reconnu aux pays africains le statut d’Etats souverains, mais ce statut, qui est lui même problématique du fait de la relative souveraineté de ces Etats, n’a pas été consolidé par des institutions solides et adapté aux réalités de l’heure. Cet espace, qui est devenu par la suite le théâtre artificiel de l’opposition est-ouest et de typologies nouvelles de conflit post-guerre froide, a vu se remettre à plat ces fragiles institutions qui ont été créées après les indépendances.

L’intervention européenne en Afrique centrale qui devrait correspondre aux idéaux démocratiques que l’Europe soutient doit fondamentalement prendre en compte ce défis et surtout si l’Union veut s’attaquer aux racines des conflits. Dans le cadre de cette réflexion, nous analysons les questions de démocratie et de gouvernance en prenant en compte les problèmes qui leur sont connexes.

a. Repenser la question de la démocratie et de l’Etat de droit

Les problématiques liées à la démocratie et à l’Etat de droit doivent aujourd’hui être abordées différemment qu’il y a environs vingt ans. Il n’est plus question de nos jours de promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit en demandant simplement aux Etats d’inscrire dans leurs constitutions ces questions importantes ou de créer simplement des structures et institutions de promotion et de protection de ces valeurs dans des systèmes verrouillés et dépourvus d’une doctrine libérale.

Si toutes les transitions, depuis les années 1990, n’ont pas connu certaines dérives, la médiocrité des changements de la vie quotidienne et le cynisme de certains anciens et nouveaux élus ont renforcé le scepticisme dans certains pays et amorcé une nouvelle vague de troubles. Il y a certes des espoirs, mais ces derniers se heurtent à de terribles obstacles, car en fait, « la démocratisation a été adoptée sans modèle théorique, ni tradition de réflexion critique et autonome sur l’Etat de droit, les formes de la citoyenneté et les institutions démocratiques ». Ce déficit démocratique est le reflet du caractère inachevé du processus de construction de l’Etat en Afrique.

L’absence d’une doctrine juridique de l’Etat, socle du développement de ce dernier, a conduit à l’émergence et à la cristallisation de plusieurs référents identitaires qui se sont constitués en facteurs de mobilisation et d’initiative politique au détriment de l’élaboration d’un référent commun qui serait celui de la notion de citoyenneté. L’absence de ce référent commun a sapé et continue de saper les règles d’un jeu politique libéré de toute pesanteur identitaire. La pesanteur identitaire, entre autre, fait en sorte que l’on aille au vote, non en fonction du programme politique qui est présenté par tel ou tel autre parti politique mais en fonction de la tendance du parti vers telle ou telle ethnie ou religion.

La conséquence de cet état de fait est que, dans des systèmes multipartistes à parti dominant ou écrasant, l’on arrive à l’émergence des démocraties de façade où on peut observer des « élections libres », un multipartisme à connotation identitaire ou sectarisme, des institutions démocratiques décoratives mais techniquement non opérationnelles. Cette logique ne se limite pas seulement à la politique élective, elle se poursuit avec acuité dans le recrutement des fonctionnaires à la fonction publique et dans certaines entreprises privées nationales avec des conséquences désastreuses en matière de ressources humaines et de gouvernance.

b. La question de la gouvernance

Comme nous avons tenté de le démontrer plus haut, les imperfections des systèmes politiques en place posent de sérieux problèmes à la bonne gouvernance dans la quasi-totalité des pays africains en général et dans l’ensemble des pays de la sous-région Afrique centrale en particulier. Pour des pays sous développés comme ceux de l’Afrique centrale, les défis de la gouvernance se posent avec insistance. Et pour articuler les défis liés à la lutte contre la pauvreté qui est parfois source de conflit et ceux liés au décollage et à la croissance soutenue de l’économie, il faut une certaine habilité managériale de la part des responsables administratifs et politiques. Mais si ces derniers sont sélectionnés sur la base des critères identitaires ou d’équilibre régional, ces Etats se trouvent en carence de ressources humaines de qualité avec, encore une fois, des institutions gouvernementales et de coopération au développement dépourvues de contenu réel et de compétence avérée sur le terrain.

L’on voudrait bien que la question de la représentativité soit prise en compte et qu’elle apparaisse dans la composition des gouvernements et des administrations civiles et militaires pour les situations de sortie de crise ou pour les besoins d’ouverture politique, mais il ne faudrait pas que cela soit fait au détriment de la compétence des institutions stratégiques qui sont sensées initier et mettre en œuvre des mécanismes de production, de croissance économique et de régulation sociale. Ce qui devrait incontestablement occasionner à court ou à long terme une reprise des armes et donc de violentes hostilités.

2. Les défis liés à la gestion des crises

La gestion des crises en Afrique subsaharienne pose de sérieux problèmes à la fois à la communauté internationale et aux acteurs locaux chargés d’assurer la paix et la sécurité dans la sous-région. Mais ces problèmes résultent

  • Des erreurs d’appréciation des causes exactes des conflits d’une part ;

  • Et de l’absence de méthodes adéquates et de volonté politique collective des acteurs qui interviennent dans la sous-région, d’autre part.

L’analyse que nous nous proposons d’apporter aux défis liés à la gestion des crises se focalise sur la réforme des secteurs de sécurité et les dérives observées dans les opérations de maintien de la paix.

a. Les limites opérationnelles de l’approche européenne de la réforme des secteurs de sécurité

S’inspirant du cadre de référence et des lignes directrices élaborées par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, l’Union européenne a élargi, avec la Stratégie européenne de sécurité, le champ des missions de Petersberg en y intégrant la lutte contre le terrorisme, les opérations conjointes de désarmement et la réforme des secteurs de sécurité. Ce faisant, l’Union a rapproché le nouveau concept de celui de sécurité humaine.

En effet, les documents de la Commission et du Conseil notamment la communication de la Commission soulignent que « la sécurité englobe la sécurité intérieure et extérieure d’un Etat et porte en conséquence principalement sur la sécurité humaine, définie dans le document comme l’affranchissement de l’état de besoin, l’absence de peur et la liberté d’action ». Si tel est le principe qui gouverne l’approche européenne en matière de réforme des secteurs de sécurité, comment l’Union arrive-t-elle à mettre sa stratégie en œuvre ? Autrement dit, quel est l’impact de la définition européenne de ce concept sur le terrain, notamment en Afrique centrale ?

A y regarder de près, on peut observer que, certes, les missions de police EUPOL RD Congo et militaires EUSEC RD Congo ont apporté un appui à la réforme de l’armée et la police congolaises, mais ces institutions de sécurité nationale sont restées faibles. Bien plus, on n’observe pas sur le terrain la mise en œuvre de cette approche hollistique de la RSS qui dépasse le cadre étroit des activités traditionnelles centrées sur la défense, le renseignement et la police. Or, la sécurité humaine, à laquelle se réfère l’approche européenne de la RSS, inclut, dans sa conception officielle, la sécurité personnelle, politique, collective, économique, alimentaire, de l’environnement et des soins de santé. Ce qui nécessite des interventions globales et continues et non des actions juxtaposées et morcelées comme c’est encore le cas.

Par ailleurs, la diversité et la divergence des approches parmi les acteurs du processus de la RSS, notamment entre le gouvernement et les donateurs accroissent les défis auxquels l’Union fait face dans la sous-région. Sur ce plan, l’exemple du processus de réforme des forces de sécurité au Burundi est le plus illustratif, même si on peut relever que l’action européenne dans ce pays est beaucoup plus centrée sur le financement du processus qu’à la conduite des actions sur le terrain.

 

En RDC, Pamphile Sebahara remarque que les acquis de la réforme de l’armée et de la police pendant la transition ne sont pas à la hauteur des objectifs escomptés à cause d’au moins cinq contraintes interdépendantes.

  • Premièrement, les réticences des leaders politiques à mobiliser effectivement leurs combattants dans un contexte politique pré-électoral et donc incertain.

  • Deuxièmement, les difficultés du gouvernement à mobiliser les moyens financiers et l’expertise nécessaires à l’application de la réforme dans un pays aussi grand et sans infrastructures de transport ni de service public.

  • Troisièmement, la persistance de la mauvaise gouvernance dans la gestion des affaires publiques en général et les questions des forces de l’ordre en particulier.

  • Quatrièmement, les approches non coordonnées et complexes des partenaires bilatéraux et multilatéraux en matière de RSS.

  • Enfin, l’absence d’une approche globale de réforme du secteur de sécurité n’a pas permis de prendre en compte plusieurs dimensions indispensables à la RSS, telles que la justice, les douanes, le système carcéral, le contrôle parlementaire, les services de renseignements, etc.

Par ailleurs, une récente étude de Sébastien Melmot montre que depuis la fin de la transition en 2006, des améliorations très limitées ont été apportées dans la RSS en RDC. Pour lui, « la RSS congolaise est une politique importée qui rencontre une forte résistance et subit la contrainte des enjeux de pouvoir à la fois nationaux et internationaux ». Il précise que la phase d’élaboration conceptuelle, en matière police, est achevée et qu’un rapport, proposant un avant-projet de loi organique sur le statut de la police nationale congolaise, un recensement des policiers dans tout le pays, l’élaboration d’une politique de formation …, a été élaboré sans impact significatif la RSS. Dans le secteur militaire, la phase d’élaboration conceptuelle s’est avérée beaucoup plus problématique.

Sébastien Melmot relève donc cinq facteurs qui illustrent les obstacles rencontrés à la mise en œuvre de la RSS en RDC. Pour lui, la RSS congolaise est incomplète et déséquilibrée car en fait, les renseignements civils et militaires et les services chargés du contrôle des frontières ne sont pas concernés. Ensuite, il note, entre autre, l’absence d’une coordination ou coopération interministérielle, or les défis rencontrés relèvent de compétences croisées et nécessitent l’implication des institutions multiples.

b. Les dérives dans les missions de maintien de la paix de l’UE

L’un des problèmes fondamentaux qui portent encore préjudice au succès des missions européennes de maintien ou de consolidation de la paix reste, nous l’avons déjà souligné, celui de l’absence de consensus viable à la fois dans la prise des décisions et dans la conduite des opérations de l’UE. Les récentes opérations menées par l’UE en Afrique centrale ont montré comment certains membres clés de l’Union sont prêts à sacrifié certaines décisions relativement prise à l’unanimité au profit de la défense et la protection des intérêts nationaux.

Sur ce dernier aspect, au cours de l’intervention européenne au Tchad, la politique étrangère de la France dans ce pays a posé problème à certains pays membres de l’UE. Dans l’est du pays, le conflit opposait et oppose toujours les rebelles aux forces armées nationales. Les premiers sont hostiles au régime du Président Idris Deby, soutenu par la France. Les accords de défense signés entre la France et le Tchad en 1976 et l’appui militaire décisif à Idris Deby en février 2008 ont fragilisé la neutralité et l’impartialité de la mission européenne au Tchad et en RCA. La diplomatie européenne dans l’est du Tchad et dans le nord de la République centrafricaine a ainsi subit les conséquences de cette partialité.

Par ailleurs, les mécanismes européens de relais entre les militaires et les civils restent encore à définir tout autant que le volet civil des actions civilo-militaires nécessite un réel approfondissement. Faute de structures gouvernementales et intergouvernementales ou multilatérales adéquates, les actions civilo-militaires des armées européennes s’imposent très souvent par défaut or la multinationalisation des interventions et l’action armée en coalition constituent une condition du succès d’une mission de maintien ou de consolidation de la paix. Les défis de cette coordination civilo-militaire deviennent encore plus complexes quand les acteurs et partenaires internationaux à la gestion des conflits sont multiples. On peut observer que pour les missions européennes au Tchad et en Centrafrique, les Etats contributeurs de l’EUFOR Tchad/RCA ne sont pas que ceux de l’Union européenne, trois Etats tiers y contribuent à savoir : l’Albanie, la Croatie et la Russie.

D’autre part, la durée impartie aux mandats des missions européennes en Afrique centrale rendent problématique l’application de la doctrine européenne en matière de gestion des conflits. Ces mandats qui ont en moyenne une durée d’un an paraissent légers quand on sait que les missions de maintien de la paix nécessitent une coopération interministérielle renforcée, une légitimation des activités d’aide et une approche résolument multinationale dans un temps qui peut être long

B. Les défis de la coopération UE – CEEAC

La coopération UE–CEEAC se heurte tout d’abord et particulièrement au défi de l’intégration régionale en Afrique centrale. En effet, comment penser une coopération durable entre deux parties contractantes qui sont relativement loin, chacune dans son ensemble isolé, de constituer une position unifiée ? La question ici de l’intégration régionale en Afrique centrale se pose avec beaucoup plus d’acuité que l’intégration européenne, car en fait l’Union européenne est constituée d’un ensemble d’Etats viables et souverains. C’est pourquoi dans notre réflexion, nous posons les défis de l’intégration régionale en Afrique centrale comme facteur, entre autre, limitant le succès de la coopération UE – CEEAC.

1. La question de l’intégration régionale en Afrique centrale

Avant toute réflexion de fond, il faudrait d’abord souligner que l’histoire des initiatives prises en Afrique centrale pour transformer cet ensemble géopolitique en une unité communautaire est jalonnée par plusieurs expériences qui « ne se sont pas toujours illustrées par un grand coefficient de réussite ». De l’Union douanière équatoriale (UDE) à la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) en passant par l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC), l’Union des Etats de l’Afrique centrale (UEAC), la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL), ou encore la Communauté Economique et Monétaire des Etats de l’Afrique centrale (CEMAC), les défis de l’intégration en Afrique centrale n’ont cessé de se complexifier.

Réfléchissant sur les facteurs de l’échec relatif à ces différentes tentatives de regroupement et d’union, Narcisse Mouelle Kombi a identifié les défis de l’intégration régionale en Afrique centrale sous quatre principales rubriques à savoir :

  • Les résistances sociopolitiques aux dynamiques et stratégies d’unification ;

  • Les déficiences normatives ;

  • Les carences institutionnelles ;

  • Les indigences des conditions économiques et techniques.

Les résistances sociopolitiques aux dynamiques et stratégies d’unification soulèvent ici le problème des fondements sociopolitiques et des bases « socio-matérielles » des Etats de l’Afrique centrale. En effet, pour le professeur Mouelle Kombi, « la solidité des édifices étatiques est une précondition de l’élaboration de l’ouvrage communautaire ». Ce qui voudrait signifier que le succès d’une intégration régionale doit passer par la capacité des Etats qui y sont impliqués à se doter des mécanismes et instances publiques aptes à participer efficacement à cette entreprise. Or l’architecture des Etats africains en général ne laisse entrevoir ni la volonté de la part des dirigeants, ni les moyens pour faire face à cette exigence.

En promouvant le principe d’un partenariat stratégique basé sur l’ « African ownership » c’est-à-dire l’appropriation africaine, la stratégie européenne pour l’Afrique adoptée au Conseil de l’Union européenne des 15 et 16 décembre 2005 se trouve confrontée à des obstacles soulevés par l’incapacité des Etats de la sous-région à confectionner un projet d’intégration viable. Projet d’intégration lui-même bloqué par des dysfonctionnements intra-étatiques qui handicapent gravement les initiatives de fusion communautaire inter-étatiques et partant de coopération entre les Etats de la sous-région, pris individuellement ou collectivement, et l’Union européenne.

Conclusion

Au terme de cette réflexion, force est de constater que le chantier entrepris par l’Union européenne en Afrique centrale est loin d’atteindre son point d’achèvement. L’Afrique centrale soulève des défis multiformes et interdépendants les uns envers les autres. Cette région est devenue globale en terme de politique et de sécurité, et il devient techniquement impossible de concentrer l’action sur un pays, un secteur au détriment de l’autre. La sécurité et la justice, la bonne gouvernance et la participation des populations, l’économie et le bien-être social, la démocratie et l’état de droit, pour ne citer que ceux là, sont tous des secteurs qui méritent d’être traités dans une logique rigoureusement transversale dans l’ensemble des pays de la sous-région.

La politique européenne de sécurité et de défense qui multiplie des actions dans la sous-région depuis 2003 n’a pas changé, ni même allégé la gravité des problèmes auxquels l’Afrique centrale fait face il y a plus de quarante ans. Cet échec résulte à la fois des actions dispersées de la PESD d’un côté et de la Commission de l’autre, de l’absence de partage consensuel, par les 27 membres, du poids des interventions de l’Union européenne en Afrique centrale, d’une part, et, dans le cadre de la sous-région Afrique centrale, de l’absence des Etats forts susceptibles d’assumer leurs fonctions régaliennes et donc incapables d’élaborer un ouvrage communautaire, d’autre part. Or, « sans un Etat fort, susceptible d’assumer ses fonctions régaliennes (credo de Louis Michel ), les pays africains ne seront pas en même de sortir de la misère ».

Notes

  • (1) : Sylvain Kahn : Géopolitique de l’Union européenne, Armand Colin, Paris, 2007 P.6.

  • (2) : Damien Helly, responsable Afrique de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne.

  • (3) : Ces domaines concernent ici la paix et la sécurité collective, droits de l’homme et Etat de droit.

  • (4) : Nous prenons l’Afrique centrale au sens large en tant qu’espace comprenant les dix Etats de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) plus le Rwanda.

  • (5) : voir Roland Sourd : L’Union et l’Afrique subsaharienne : quel partenariat ? Occasional Paper n°58, Mai 2005.

  • (6) : Plate-forme adoptée à La Haye par le Conseil de l’UEO du 26 au 27 octobre 1987.

  • (7) : Déclaration adoptée lors du Sommet de Maastricht et annexée au Traité de Maastricht, 7 février 1992.

  • (8) : Note d’information n°5 de l’Assemblée de l’UEO, mai 2008.

  • (9) : Ronja Kempin et Daniela Scwarzer: « Enfin un rendez-vous européen convaincant, s’il vous plaît! », in Les défis de la Présidence française de l’UE, sous la Dir. De Fabio Liberti, Dalloz, Printemps 2008.

  • (10) : Christine Roger, Ambassadrice, Représentant permanent de la France auprès du COPS, devant la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le 15 novembre 2006.

  • (11) : Principes qui indiquent que : « Quand une population souffre gravement des conséquences d’une guerre civile, d’une insurrection, de la répression exercée par l’Etat ou l’échec de ses politiques, et lorsque l’Etat en question n’est pas apte à mettre un terme à ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité internationale de protéger prend le pas sur le principe de non-intervention.

  • (12) : Pour plus d’informations, voir coopération Union européenne – Afrique centrale sous la rubrique « secteur de coopération UE-Afrique centrale sur le lien : www.delcaf.ec.europa.eu/fr/ue_et_afrique_centrale/prevention_conflit.htm.

  • (13) : Document d’information de l’Assemblée européenne de sécurité et de défense de l’UEO A/UEO/DG(2008)7 du 28 novembre 2008.

  • (14) : Lire sur ce sujet l’article du Monde diplomatique de février 2008 : « En Centrafrique, stratégie française et enjeux régionaux : L’Union européenne s’engage à reculons ».

  • (15) : Fernanda Faria : « La gestion des crises en Afrique subsaharienne : Le rôle de l’UE » Occasional Paper n° 55 Novembre 2004.

  • (16) : « L’Afrique au tournant : la démocratisation n’est pas un fleuve tranquille » in L’Atlas, un monde à l’envers. Hors série Le Monde Diplomatique 2009.

  • (17) : Le Monde diplomatique, ibid.

  • (18) : Niagalé Bagayoko : « L’Union européenne et la réforme des systèmes de sécurité », Note d’analyse, GRIP 17 décembre 2008.

  • (19) : Pamphile Sébahara : « Les enjeux de la réforme du secteur de sécurité en Afrique », Note d’analyse, GRIP 17 décembre 2008.

  • (20) : Sébastien Melmot : « Candide au Congo : L’échec annoncé de la réforme du secteur de sécurité (RSS) », Focus stratégique n°9, septembre 2008.

  • (21) : Philippe Hugon : « Entre l’escale au Tchad et le discours du Cap, changement de cap de Nicolas Sarkozy dans la politique africaine de la France ? », sur le lien www.iris-France.org/Tribunes-2008-03-02.php3.

  • (22) : Paul Haéri : De la guerre à la paix, Pacification et stabilisation post-conflit, Economica 2008, P110.

  • (23) : Paul Haéri, Op cit, P106.

  • (24) : Narcisse Mouelle Kombi : L’intégration régionale en Afrique centrale : entre interétatisme et supranationalisme in L’intégration régionale en Afrique centrale : Bilan et perspectives, Sous la Dir Hakim Ben Hammouda, Bruno Bekolo-Ebe et Touna Mama, Karthala 2003.

  • (25) : Commissaire en Charge du développement à la Commission de Bruxelles.

  • (26) : Charles Goerens : Sécurité et développement de l’Afrique : une nouvelle approche pour l’UE, Cahier de Chaillot, n°99 Avril 2007.