ficheseule_corpus_conference Atelier : "Panorama des conflictualités actuelles : Asie, Afrique, Amérique latine et Europe."

, San José, Costa Rica, 25 - 28 novembre 2009

L’Europe : une aventure de Paix

Le processus de réunification de l’Europe en tant qu’aventure de paix.

J’aurai été témoin, dans ma vie, de deux révolutions qui ont changé le monde : la décolonisation qui a rendu leur liberté à tant de peuples et de pays et la construction de l’Europe unie qui se poursuit aujourd’hui. Ce processus d’intégration régionale démarré après la seconde guerre mondiale, en réaction contre les horreurs de celle-ci et qui concerne aujourd’hui 27 pays membres, peut être considéré comme un cas unique dans l’histoire. Une formule gagnante – dialogue, coopération et réconciliation - décrit cette construction comme un véritable engrenage qui s’avère être une contribution évidente à la paix du monde.

L’Europe d’aujourd’hui montre de quelle énergie les hommes sont capables. Ce ne sont pas seulement les européens, ce ne sont pas seulement les français ni les allemands, ce sont tous les pays, tous les peuples du monde, toutes les femmes et tous les hommes du monde, qui sont capables de cet effort de reconstruction humaine, c’est le propre de l’énergie humaine.

Dans cette Europe, que nous considérons comme une aventure de paix, il y a l’idée d’une part que cette construction européenne procède d’une véritable logique de paix globale et d’autre part, elle démontre qu’elle est capable de mettre en place un autre rapport au monde.

Une logique de paix globale.

La dynamique européenne est effectivement issue d’une véritable « déclaration de paix », celle du Ministre français des Affaires étrangères, Robert Schuman, du 9 mai 1950, qui a lancé le processus de coopération et de réconciliation entre deux pays engagés dans des luttes sans merci : la France et l’Allemagne. C’est un texte historique ni moralisateur, ni démagogique, mais l’œuvre d’humanistes engagés, animés de générosité, d’enthousiasme, de foi dans l’avenir, de lucidité et d’esprit d’ouverture. Il s’agissait après l’œuvre de mort renouvelée par la Seconde Guerre Mondiale, de créer un organisme vivant au service de la paix, de proposer un accord, une alliance, de prévoir tout pour en assurer la réussite, de créer une communauté de destin.

La Déclaration, en prévoyant le moyen du projet affichait son réalisme : « L’Europe ne se fera pas d’un coup : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait ». Que les Français et les Allemands mettent ensemble le fer français et le charbon allemand pour tous ceux et avec tous ceux qui voudront se joindre à eux. Cette méthode a effectivement montré la voie à la disparition des barrières internes et à la mise en œuvre de politiques communes dans de très nombreux domaines de la vie économique et sociale, l’objectif étant la réalisation d’un marché unique en supprimant tous les obstacles à l’interpénétration des économies des pays membres, en passant de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, la CECA, à la Communauté économique européenne, la CEE. Cette logique a trouvé son aboutissement dans la création d’une monnaie unique et de toutes les réalisations de l’Union européenne, l’Euro est probablement celle qui est la plus présente, la plus visible, au quotidien. Adoptée par 16 pays membres de l’UE, cette monnaie unique est née de l’idée de se protéger de l’instabilité monétaire. Sa création s’est accompagnée de la mise en œuvre d’institutions et de mécanismes renforçant la gestion financière et monétaire commune (Banque centrale européenne, Pacte de stabilité). Si l’enjeu reste celui de la gouvernance économique de l’Union il ne faut pas négliger l’aspect symbolique de ce que représente, avec cette monnaie unique, la mise en commun de cet attribut traditionnel et fort du pouvoir et de la souveraineté des nations.

Mais le mérite de cette logique est de ne pas être restée purement économique – mercantile diront certains ! – car c’est bien un espace de liberté, de sécurité et de justice qu’il s’agissait de créer. La Charte européenne des Droits Fondamentaux le rappelle qui, récemment, a repris dans un texte unique, pour la première fois dans l’histoire de l’Union européenne, l’ensemble des droits civiques, politiques, économiques et sociaux des citoyens européens ainsi que de toute personne vivant sur le territoire de l’Union. Elle énonce les valeurs, les principes et les droits essentiels dans lesquels se reconnaissent les 27 membres. Tous les citoyens sont soumis à cette Charte puisqu’elle a été signée par les institutions représentant les citoyens et cette construction d’une citoyenneté européenne reste également fondamentale. Elle se superpose aux multiples citoyennetés qui constituent l’Union. Cette notion de citoyenneté européenne de l’Union est apparue avec le traité de Maastricht du 7 février 1992.

Sa définition légale se trouve à l’article 17 du traité instituant la Communauté européenne : « Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. » La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. C’est aussi un pas vers l’acquisition d’une conscience européenne. D’une part, par la mise en place d’un système démocratique à l’échelle de l’Union avec un rôle important donné au Parlement européen. D’autre part, la prééminence de la dignité, l’article premier de la Charte, est particulièrement à remarquer au moment où le progrès de l’action contre les guerres vise à mettre, ou à remettre, l’humain au centre des préoccupations. C’est dire si cette aventure européenne a bien une vocation également universelle.

Un autre rapport au monde

Dans ses Mémoires, Jean Monnet explique que, visant à suppléer l’absence de gouvernement européen, la méthode communautaire établit « un dialogue permanent entre un organisme européen responsable de proposer des solutions aux problèmes communs (la Commission) et les gouvernements nationaux qui expriment les points de vue nationaux ». Elle est, selon lui, « le véritable fédérateur de l’Europe. » Ce qui est recherché est donc un équilibre entre l’intérêt général européen, dégagé par les institutions supranationales et l’intérêt légitime des Etats garanti par le Conseil des ministres. Les effets de cette méthode de l’engrenage européen se diffusent aux Etats membres de l’Union, mais aussi aux partenaires et à ses voisins.

C’est sans doute là que l’on touche à l’autre grand aspect de l’aventure de paix européenne : à côté de la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice pour ceux qui le composent, la contribution à ce que la déclaration de 1950 mentionnait déjà comme « l’une de ses tâches essentielles : le développement du continent africain » et que l’on doit entendre, en fait, comme la relation avec tous les continents. En effet, ce qu’elle a tenté de faire pour l’Afrique, elle ne s’est pas contentée de le faire pour l’Afrique, elle l’a étendu à d’autres pays, ce qui permet aujourd’hui à l’Europe de se présenter comme étant le premier vecteur de coopération dans le monde. De fait, il faut relever que l’Union européenne est le plus grand contributeur mondial pour l’aide au développement. Et bien que la conduite de la politique extérieure de l’Union demeure au centre des difficultés d’organisation de la gouvernance communautaire, il n’est pas douteux que l’histoire de la « vieille Europe » lui a légué une expérience qui la conduit aujourd’hui à faire montre d’une plus grande sagesse dans la résolution des conflits et à privilégier la recherche de solutions négociées.

La diffusion d’une méthode, d’une technique qui ont donc fait leurs preuves - le résultat est tout de même pour l’Europe concernée la plus longue période de paix ininterrompue dans toute son histoire ! – paraît donc être particulièrement recommandable dans une perspective d’intégration régionale comprise ou non comme le passage obligé dans la recherche de la construction d’une communauté mondiale. Si des pays d’Amérique du Sud ne s’y sont pas trompés qui ont créé le Mercosur pour s’essayer, comme l’a fait en son temps l’Europe, à l’étape du marché économique préalable à un projet d’union politique quel qu’il soit, l’Association des nations d’Asie du Sud-Est s’est constituée, elle, dans une toute autre optique initialement mais a élargi son périmètre et ses compétences d’une façon qui laisse à penser que la référence européenne n’est pas totalement absente. En revanche, s’il est une situation où l’on se plaît à envisager la « méthode » européenne comme le moyen de sortir d’une impasse et d’un conflit sans fin, c’est bien celle du Moyen-Orient. On a peine à imaginer que l’affrontement entre les deux entités israélienne et palestinienne, après tant d’insuccès dans la recherche d’une solution, puisse se résoudre sans la recherche d’un projet commun. Celui-ci reste à définir mais le contentieux est-il vraiment plus difficile à surmonter que celui qui a si longtemps caractérisé l’Europe ?

La gouvernance de cette intégration réussie et qui pourrait donc inspirer d’autres efforts s’inscrivant dans la recherche d’un vivre ensemble au niveau mondial, s’appuie principalement sur le compromis et le droit et sur l’exercice de la solidarité. Ainsi, le choix ayant prévalu, en quelque sorte, étant celui d’une fédération sans un Etat fédéral, seule la pratique du compromis a permis d’avancer et de réaliser progressivement cet espace européen commun se caractérisant globalement par un développement facteur de progrès et de paix. Il ne faut pas oublier que la gestion des affaires européennes doit toujours combiner deux légitimités, celle des Etats et celle des peuples d’Europe. Le droit, lui, est l’instrument privilégié de l’intégration. En effet la confection d’un espace sans frontière intérieure et d’un espace de liberté, de sécurité et de justice ne peut se concrétiser que par l’adoption de règles communes au travers des traités, des règlements et des directives qui constituent le droit de l’Union. Ce droit s’impose et surplombe le droit des Etats membres. Cette puissance juridique est mise au service des intérêts de l’Union et de ses Etats membres. Elle permet aussi à l’Union de se défendre au sein de l’Organisation mondiale du commerce et d’imposer ses règles aux grands opérateurs économiques mondiaux. Enfin, les dépenses correspondant aux politiques européennes manifestent le choix de la solidarité condition du vivre ensemble, par exemple : une politique régionale reposant sur des fonds structurels financés par tous et bénéficiant davantage à certains. Ce principe de solidarité a permis à plusieurs Etats membres, notamment le Portugal et l’Irlande, de rattraper le niveau de développement des Etats les plus avancés. Dans un essai récent, Michel Foucher (1), géographe et diplomate, par là doublement spécialiste des frontières, dit « concevoir notre destinée comme celle d’une communauté de nations pesant sur la marche du monde » dont il fait reposer l’avenir sur « le triptyque suivant : s’assumer comme centre mondial de pouvoir, veiller à sa solidarité interne et cultiver sa conscience de soi. »

A plus d’un titre, donc, l’Europe, qui continue de se construire, nous semble mériter la définition d’une puissance sage, sur la base de ce qu’elle à su réaliser, à la fois en interne et en externe, pour rompre avec la guerre et installer les conditions d’un vivre ensemble. A l’heure où l’on commémore la chute d’un mur, y compris pour dénoncer la vanité des entreprises actuelles qui, dans diverses circonstances, feraient de l’élévation de nouvelles barrières la garantie de la sécurité, l’Europe unie peut légitimement apparaître comme un pont vers la paix.

Notes

  • (1) : Michel Foucher, L’Europe et l’avenir du monde, Odile Jacob, 2009.