Fiche de conférence

, Yaoundé, 29 mai 2009

Synthèse de la conférence intitulée « Crise ivoirienne: enfin la paix ? »

Conférence organisé par le Centre d’Etudes Stratégiques pour la Promotion de la Paix et du Développement (CAPED), le 27 mai 2009 à Yaoundé.

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Café-débat sur « CRISE IVOIRIENNE : ENFIN LA PAIX ? »

Mot d’ouverture du Dr Alain FOGUE (Directeur du CAPED)

C’est un honneur pour nous de vous recevoir pour parler d’une question qui est au cœur de l’Afrique. La question de la crise ivoirienne intéresse en effet tous les Africains et particulièrement les Camerounais. Nous ne pouvions pas organiser une telle conférence sans avoir l’avis de son excellence monsieur l’ambassadeur de Côte d’Ivoire que nous remercions déjà d’avoir répondu à notre invitation.

Le Caped est un centre qui a pour vocation de travailler pour la promotion de la bonne gouvernance en matière de sécurité et de développement, pré condition à la paix. En effet, sans sécurité, le développement se réduit au mythe de Sisyphe. Notre centre est un lieu d’échanges où le débat fécond s’épanouit. Chaque mois, une activité de ce genre est organisée par le CAPED. Nous pouvons déjà vous annoncer le prochain café qui portera sur les accords de coopération.

Je remercie l’école militaire interarmées, l’école de guerre et vous tous qui avez bien voulu participer à cette conférence.

Intervention du Dr Marcel NSIZOA (Politogue et spécialiste de la Côte d’Ivoire)

Dans le cadre de notre rencontre il m’a été demandé de vous donner l’historique de la crise ivoirienne pour rendre intelligible le cours des évènements. L’histoire peut permettre de comprendre le conflit ivoirien. Dans cette optique, le point focal ici sera la colonisation. C’est après cela qu’on pourra dégager les responsabilités et les logiques des acteurs.

I. L’explication de la crise ivoirienne par le passé colonial

L’importance des flux migratoires depuis la colonisation française est un début d’explication de la crise ivoirienne. En effet, le colonisateur français avait pris l’habitude de consulter les agriculteurs installés pour leur proposer la main d’œuvre indigène contre rémunération. Il en a résulté l’assujettissement à l’impôt. Or les Ivoiriens refusant cet assujettissement n’ont pas toujours accepté d’aller travailler ; résultat des courses, il a fallu rechercher la main d’œuvre même à l’extérieur de la Côte d’Ivoire, notamment au Burkina Faso. Cette recherche de la main d’œuvre du Burkina n’a pas produit que des bonnes choses. Le problème de l’immigration en Côte d’Ivoire était né.

II. L’explication de la crise ivoirienne par le phénomène migratoire

L’accession à l’indépendance ne change pas la politique coloniale française. Le nouveau pouvoir va mettre sur pied un organisme d’importation de la main d’œuvre : l’« office de la main d’œuvre en Côte d’Ivoire ». Dans la foulée d’autres accords furent signés, notamment avec la Haute Volta. Il y a eu dans le même ordre d’idées des accords multilatéraux comme le conseil de l’entente qui devait établir la libre circulation des gens dans la région ; la politique personnelle d’immigration personnelle de Felix Houphouet Boigny va donc entraîner l’accroissement de la population étrangère en côte d’ivoire. Il s’en est suivi le fameux « miracle économique ». Mais ce miracle a eu comme conséquence, la constitution des niches économiques et par voie de conséquences une fixation des populations d’origine.

La crise ivoirienne a aussi pour paradigme explicatif l’instrumentalisation de la question ethnique. Il y a donc eu une coloration ethnique donnée par les entrepreneurs politiques ; d’où la constitution des blocs comme le Bloc des Dioula autour d’Alassane Ouattara.En réalité la crise ivoirienne a ses origines dans les stratégies des uns et repose sur un complexe politico économique.

En définitive trois paradigmes peuvent rendre compte de l’intelligibilité du conflit ivoirien :

  • L’installation des étrangers en Côte d’Ivoire du fait de la politique volontariste d’ouverture vers l’extérieur ;

  • La légitimation d’un patrimonialisme ivoirien selon l’adage « on ne regarde pas dans la bouche de celui qui grille des arachides » ;

  • La gestion paternaliste de la diversité sociale qui a abouti à l’ instrumentalisation du mythe de la supériorité AKAN.

Intervention du Dr Mathias Eric OWONA NGUINI (Socio-politiste)

Afin de comprendre les enjeux qui entourent la crise ivoirienne, j’ai choisi de parler de la fabrication de la crise ivoirienne et de la fabrication de l’après crise ivoirienne.

Mais au préalable, il faut apporter certaines précisions.

La crise ivoirienne contrairement à ce que certains pourraient penser ne commence pas en 1999 avec le fameux papa noël, présenté à l’époque sous la figure de Robert GUEI. Elle commence avec la longévité gouvernante du premier président ivoirien, Félix Houphouet BOIGNY.

Un leader qui dure trop est un leader obligé de neutraliser les groupes qui l’entourent, de vampiriser ses lieutenants, comme tous les présidentiables. C’est le problème du pouvoir perpétuel que nous avons systématisé en d’autres occasions qui réapparait ici. Ce mode de gestion du pouvoir s’effectue sous la forme d’un Centralisme principautaire ou d’un centralisme principautaire et aboutit à terme à l’absolutisme. L’extrême centralisation fait que le pouvoir devient un ferment de luttes pour l’hégémonie présidentialiste.

I. La fabrication de la crise ivoirienne

C’est l’échec du modèle du « miracle ivoirien » qui est en partie la source du conflit ivoirien ; d’où des tensions socio économiques. C’est sur cette base qu’il faut comprendre le conflit ivoirien ; il faut se départir de l’analyse du conflit africain sur la seule base de l’ethnicité ; mais il faut bien se rendre compte qu’il s’agit d’avantage d’une construction politique.

La particularité de la crise ivoirienne est également liée au mode de décolonisation spécifique de la cote d’Ivoire ; l’influence française y a joué un rôle prépondérant, notamment avec le soutien accordé à des figures particulières comme Alassane OUATARA.

Sur cette base, il est apparu une multitude de facteurs de guerre comme:

  • La Formation d’une bulle de guerre marquée par la lutte pour le leadership au sein au sein du groupe au pouvoir ;

  • L’éclatement des tensions non maîtrisées par les opérateurs initiaux comme Alassane OUATTARA ;

  • La multiplication des tensions entre ivoiriens de souche et ivoiriens étrangers ; situation qui traduit bien l’ échec de la politique paternaliste d’Houphouet BOIGNY ;

  • La non maîtrise du putsch, qui a eu comme résultat un effort d’imposition de la direction militaire marquée par la logique d’installation de la junte militaire.

C’est dans ce climat que la Côte d’Ivoire va alors entrer en guerre par une série de facteurs déstabilisant comme la contestation de la junte militaire au pouvoir, la contestation de l’élection et l’internationalisation de la guerre civile du fait de l’implication d’opérateurs étrangers. Il s’en est d’ailleurs suivi une sorte de néo colonisation de la guerre du fait de l’irruption dans la cote d’ivoire des groupes français.

II- La Fabrication de l’après crise

L’après crise en Côte d’Ivoire démontre bien que l’on ne peut résoudre une crise que si les acteurs locaux veulent jouer l’après guerre.

On sort de la guerre parce que la guerre a un coût humain, matériel (perte de la position de la Côte d’Ivoire) et institutionnel ; on sort de la guerre et on entre en paix quand des intérêts sont ajustés entre les acteurs déterminants : ceux qui avaient les positions de force. Cela s’est traduit par des mesures politiques et des compromis qui ont abouti aux accords d’Ouagadougou.

Un nouveau cours des évènements est ainsi lancé avec différentes dimensions dont le désarmement et la réinsertion des anciens combattants.

Le grand blocage de l’heure, c’est justement cette question du désarmement et de la négociation de la réinsertion.

Intervention de Son Excellence monsieur l’Ambassadeur de Côte d’Ivoire au Cameroun

Faits relevés :

  • L’immigration n’est pas la variable explicative ;

  • La crise ivoirienne est d’abord une crise politique.

Les flux migratoires n’agissent pas sur la crise.

Le cas ouattara est venu s’ajouter de façon bizarre. La vision paternaliste de houphouet comme tuteur des Etats voisins a fait qu’il nomme des burkinabé, des maliens ; il fait ainsi appel à Alassane Dramane Ouattara pour diriger un comité interministériel en 1990. Ce qui va inquiéter les potentiels successeurs. il n’y a pas eu instrumentalisation ; un burkinabé de passage a voulu prétendre au pouvoir. Il occupait d’ailleurs le poste de vice président de la BCEAO en tant que burkinabè.

La résolution de la crise

La Communauté internationale a œuvré de commun accord pour régler la crise. Cela s’est traduit par la signature de nombreux accords de paix. Le problème des premiers accords est qu’ils tendaient presque tous à soutenir la rébellion.

Comment comprendre des accords entre un pouvoir élu et la rébellion ? D’autre part on a voulu que le Président de la République donne ses pouvoirs à un Premier Ministre que la communauté internationale devait désigner. Il y eu une tentative à enlever Gbabgo au pouvoir . Or il faut le reconnaître Gbagbo est un défenseur de l’Afrique.

Les accords ont commencé à avoir une lueur avec Thabo Mbeki qui a reconnu qu’il s’agissait d’un complot contre Gbagbo. Il a fait un autre raisonnement. Il faut saluer le courage de Guillaume Sorro qui a eu le courage d’assumer une responsabilité que d’autres n’ont pas pu assumer. deux premiers ministres ont été nommés avec lui : Seydou DIARRA et Konan Bany(qui est venu travailler pour lui-même).

Gbagbo a accepté de discuter avec les rebelles pour arrêter le conflit. La population était déjà elle-même déçue par les rebelles(espoirs ratés).

L’accord de Ouagadougou. Guillaume Sorro sera premier ministre et nommé par le Président de la République ; ce qui veut dire que la rébellion reconnaissait que Gbagbo est le Président de la République. Guillaume va donc organiser les élections sans qu’il ne puisse lui-même être candidat. Les effets de la crise se sont étendus sur le Burkina Faso, le port d’Abidjan étant fermé d’où des difficultés économiques pour le Burkina Faso et pour le Mali.

De plus en plus la Côte d’Ivoire retrouve la paix, mais le problème de la réinsertion après guerre a ouvert la voie aux accords complémentaires afin de résoudre de nombreuses difficultés comme : que deviennent les soldats parachutés à de hautes fonctions supérieures dans l’armée ? la nécessité d’avoir des moyens : « l’argent devient le nerf de la paix »

L’esprit qui guide le Gouvernement ivoirien c’est la normalisation de la situation.

Venons en à la question des élections du 29 novembre 2009.

Il faut redéployer l’armée sur tout le territoire, redéployer l’administration financière ;rétablir le principe de l’unicité des caisses.

Les modalités du processus électoral (enrôlement ; fichier ; moyens importants à déployer. logistique chère à mobiliser) restent encore à terminer.

Le Gouvernement compte sur la bonne foi des uns et des autres pour une paix que tout le monde souhaite.

Questions et réactions du public :

  • Ebenezer de Radio SIANTOU : Pourquoi les accords ont été signés à Ougadougou ?

  • L’Ambassadeur : C’est très simple : par souci de choisir un médiateur sous régional. En plus Blaise Compaoré était également le président en exercice de la CEDEAO.

  • Est-ce que les conflits po sont uniquement basés sur l’ethnicité ?

  • Dr Mathias Eric OWONA : Non, l’ethnicité n’est pas la seule grille de lecture du conflit ivoirien. Les ethnies ne sont pas pareilles. Mais c’est la question de la régulation de la coexistence des ethnies qui est le problème pertinent.

  • L’ambassadeur : C’est le manque de démocratie qui fait penser que c’est l’ethnie qui permet de comprendre la politique. On suit le « frère » en politique. C’est le manque de culture et l’ignorance qui est la cause de la situation.

  • Simplice KEGNE : Ne pensez vous pas qu’il s’agit d’un problème de contextualisation de la démocratie en Afrique dans la crise ivoirienne ?

  • L’Ambasadeur : Il faut copier sur ce qui est bien en l’adaptant à notre contexte.

  • Dr Mathias Eric OWONA NGUINI : Le problème est d’adapter les institutions sans le faire de façon déguisée, sans remettre en cause les principes universels.

  • Colonel Delmas Jean-Michel : Qu’a prévu monsieur Gbagbo au soir des élections pour pérenniser la représentation des ex rebelles au pouvoir ?

  • L’ambasadeur : le président n’est pas encore en campagne. S’il est élu, il appliquera les principes de régime présidentiel, à savoir qu’il est libre de nommer qui il veut. La campagne ne se fait pas sur la distribution des postes mais sur un programme basé sur la décentralisation pour un développement harmonieux.

  • Arthur Ekotou : J’ai deux questions : La première : a–t-il manqué les moyens de la pérennisation de la stabilité à la Côte d’Ivoire ? (question à Mathias Eric Owona Nguini). La deuxième : Quels sont les éléments qui ont permis à la cote d’ivoire de désigner le Burkina comme responsable de déclenchement de la crise ?

  • L’ambassadeur : Le Burkina a été la base de lancement du mouvement rebel qui s’y préparait. En le faisant ils se sont rendus complices de l’attaque rebelle. Etant entendu qu’une rébellion sans base ne peut rien faire.

  • Mathias Eric Owona Nguini : Le soutien du Burkina est incontestable. Par ailleurs, la Cote d’Ivoire n’a pas manqué de ressources. C’est tout simplement un effet de trajectoire et de seuil. Le Cameroun par exemple n’a aucun mérite. Il est dans la phase du chaos lent et peut passer à un chaos rapide. En regardant la Côte d’Ivoire on peut lire le passé et l’avenir du Cameroun.

  • Lucien BIDZOGO : pourquoi l’appartenance objective de Ouattara est une menace en Côte d’Ivoire ?

  • Dr Marcel NSIZOA : les frontières de l’Etat moderne ne connaissent pas les limites des royaumes anciens. C’est donc en raison du point de position qu’on peut le considérer comme ivoirien ou non.

  • L’Ambassadeur : Il n’y a pas de doute sur l’élligiblité de Ouattara. Le problème que Ouattara a est qu’il nie qu’il est d’origine burkinabè. Ouattara était vice gouverneur de la BCEAO en tant que burkinabè. La loi électorale disait que pour participer aux élections il ne fallait pas s’être prévalu d’une autre nationalité.

  • Samuel NGUEMBOCK : Les élections sont-elles la condition siné qua non d’une paix durablement structurée en Côte d’Ivoire ? ne s’agit-il pas du problème complexe qui est celui de la construction de l’Etat en Afrique ?

  • Ambassadeur : nous pensons actuellement que les élections suffisent. C’est la lutte pour le pouvoir qui a déclenché la crise en Côte d’Ivoire. Les élections permettront de départager les leaders politiques. Ce qui est important c’est de dire aux dirigeants de travailler pour les peuples. Quand on prend le pouvoir c’est pour développer le peuple. Il faut donc être optimiste pour l’Afrique. Tous ceux qui se plaignaient c’est parce qu’il y avait contestation des élections. La commision de supervision est dirigée par l’opposition

  • Dr Marcel NSIZOA :Les élections sont importantes mais, Il y a aussi trois régulations à opérer : une régulation démocratique, une régulation sécuritaire et une régulation économique : construire des alliances économiques.