Fiche de document Dossier : L’Amérique Latine, des sociétés en pleine recomposition: quelques enjeux pour la construction de paix

, Costa Rica, janvier 2006

La crise du modèle français. Marianne et l’Amérique latine. Culture, politique et identité. Ouvrage de Denis Rolland.

Dans un ordre international peu à peu mondialisé, l’Amérique latine est devenue depuis le milieu de XXe siècle un creuset d’élaboration d’éléments de modèles (ré-)exportés vers l’Europe : l’Europe sort-elle de la scène latino-américaine tandis que l’Amérique latine tend à entrer sur la scène mondiale ?

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Réf. : Denis Rolland. La crise du modèle français. Marianne et l’Amérique Latine. Culture, politique et identité. Ed. : Presses Universitaires de Rennes, Institut Universitaire de France, 2000.

Langues : français

Type de document : 

L’auteur propose d’étudier la perception du modèle français en Amérique latine et, comme par un effet de retour, par le biais de l’Amérique latine en France, en axant son analyse sur un événément précis : la Seconde Guerre mondiale.

Une approche à la fois thématique et chronologique qui propose une vision globale des relations culturelles et diplomatiques entre la France et l’Amérique latine. Favorisant la critique du modèle français et de sa transmission aux sociétés latino-américaines, l’auteur nous permet de comprendre tout un pan de ces relations entre États et entre peuples qui échappent à la seule diplomatie.

L’ouvrage est structuré en quatre parties, qui sont chacune la conceptualisation d’une période :

  • « Gallicisme mental » et voisinage des élites (de la Révolution française à la Première Guerre mondiale)

  • Logiques et mécanismes d’un éloignement (de 1914 à 1939-1941)

  • La Seconde Guerre mondiale : catharsis des imaginaires ? (de 1939-1941 aux années cinquante)

  • La « durée Braudelienne » de l’imaginaire de la France en Amérique latine. (l’après-guerre)

Des cycles sont décrits. Alors que depuis les Lumières, on assistait à une séduction du modèle français dans la région latino-américaine, la Première Guerre mondiale va renverser cette tendance jusqu’à la Seconde Guerre mondiale qui va favoriser un retour au rayonnement français en Amérique latine. Ce rayonnement ne perdurera cependant pas après la guerre. Ces cycles correspondent à la segmentation des chapitres.

L’auteur donne des arguments destinés à décrire chaque cycle.

Les Lumières et la Révolution :

Ces périodes rompent totalement et soudainement avec l’ancien régime français. Ces deux phénomènes historiques permettent la construction d’un modèle théorique et abstrait d’une république fondée sur la modernité pour autant idéale. Des élites sud-américaines, qui vivaient au même moment leur émancipation, ont été séduites par le contenu utopique de ces phénomènes historiques. L’auteur met aussi en lumière des concordances dans les deux chronologies : lorsque la France connaît sa période révolutionnaire et post-révolutionnaire, l’Amérique latine vit ses indépendances ; lors de notre monarchie, elle vit une « phase doctrinale » ; pendant la révolution de 1848 en France, elle voit s’exprimer les aspirations au suffrage ; puis, en même temps les deux ensembles partageront le positivisme. Enfin, la francophilie des élites latino-américaines, surtout intellectuelles jusqu’en 1930, permet à l’auteur de citer François-Xavier Guerra pour accréditer sa thèse : « (…) et ce nouveau système, c’est de Paris qu’il rayonne ». Le phénomène est défini comme « afrancesamiento » et « francesismo ».

La Première Guerre mondiale :

Elle va entraîner une chute de cette influence : d’une part, celle-ci était entamée par la IIIe république française grâce à une baisse de la propagande dans la région, d’autre part, les sociétés latino-américaines étaient traversées par des situations différentes à celles de la France de l’époque. D’autres universalismes concurrencaient fortement le modèle français :

  •  

    • le communisme ;

    • le fascisme (dont l’auteur donne des indications très appréciables sur la multiplication des partis s’y référant) ;

    • le modèle hispanique ;

    • le modèle nord-américain ;

Sans oublier que l’Amérique latine se constitue également en un ensemble culturel.

La Seconde Guerre mondiale :

Elle va permettre à la France de remonter son image en Amérique latine. Ce processus sera porté par des figures d’exception, celle de la France libre dont beaucoup de sympathisants sont expatriés dans les pays d’Amérique du Sud. D’après l’auteur, la France libre aurait retrouvé l’image purifiée de la France qu’ont pu apprécier les Sud-Américains. Elle aurait mis en œuvre une propagande importante là où la France s’était absentée et aurait mobilisé les élites intellectuelles et les expatriés autour d’un idéal de libération auquel ces élites pouvaient s’identifier. La libération de la France sera célébrée dans l’euphorie et le gouvernement provisoire du général Charles de Gaulle mettra en place des institutions capables de consacrer ce lien restauré : Ministère des Affaires étrangères, Instituts français, etc.

L’après-guerre :

Elle va poser plus de questions qu’elle ne va apporter de certitudes. L’auteur parle d’un nouveau creux dans les relations transatlantiques. L’attaque culturelle et économique nord-américaine se concrétise avec l’affrontement des deux blocs et la « pax americana » (déclaration de Truman sur l’action diplomatique gaullienne). La sous-estimation des identités sud-américaines est aussi identifiée par l’auteur, la France figée sur sa propre image (dont elle ne jouit plus vraiment) et culpabilisée par la décolonisation n’aurait pas su percevoir l’évolution culturelle du sous-continent. Elle se retrouve face à une crise d’universalisme à laquelle elle tente de répondre par la création d’une « diplomatie culturelle », vecteur des relations politiques et commerciales.

La conclusion résume l’ouvrage mais surtout procède en un questionnement conceptuel très intéressant. Ainsi ai-je relevé quelques extraits qui portent l’ouverture : « parce qu’au XXe siècle l’image du legs (le legs initial de la France des Lumières et de la Révolution) est elle-même fondatrice du modèle, le legs importe dans une certaine mesure moins que ses représentations, de part et d’autre de l’Atlantique, et que leurs évolutions ». De ce modèle, M. Vaïsse (cité) explique que « la Seconde Guerre mondiale révèle, […] en l’accentuant bien sûr, le décalage qui existait avant le conflit entre la puissance supposée et le déclin réel de la France sur la scène internationale ». La France culturelle au XIXe siècle serait devenue pour les Sud-Américains un « conservatoire culturel ». À l’inverse, « dans un ordre international peu à peu mondialisé, l’Amérique latine est devenue depuis le milieu de ce siècle (XXe siècle) un creuset d’élaboration d’éléments de modèles (ré-)exportés vers l’Europe ».

L’auteur s’interroge aussi sur la pertinence d’une question d’importance aujourd’hui : « L’Europe sort-elle de la scène latino-américaine tandis que l’Amérique latine tend à entrer sur la scène mondiale ? ». Enfin, il propose une réflexion sur la construction de l’identité nationale et universelle propre en particulier en Amérique latine. Le reste de la conclusion suggère des élargissements de l’étude des modèles culturels à d’autres espaces dans la perspective général de l’ouvrage : une étude historique des modèles culturels.

Commentaire

Quels sont les intérêts d’un tel ouvrage ? Ils sont de plusieurs ordres. Dans une approche thématique ce livre prend toute sa mesure. Il définit des problématiques qui peuvent être les axes d’une étude des relations entre l’Amérique latine et la France au XXe siècle, même s’il néglige d’autres types de relations (commerciales, diplomatiques, etc.) qui ne relèvent pas directement de son sujet. Ces problématiques peuvent orienter une réflexion sur la diplomatie culturelle ou sur la construction des identités, autant dans le cas des pays d’Amérique latine que de la France. Enfin, elles peuvent contribuer à l’étude de la conception des modèles nationaux à vocation universelle, notamment le modèle français.

D’un point de vue historique, le livre peut livrer une vision globale du XXe siècle, tel qu’il a été vécu sur le sous-continent américain selon un auteur français. Dans ce cas, sa vocation serait plutôt de donner une culture générale de l’Amérique latine à des personnes intéressées pour commencer à aborder la question. Si cette fonction est celle qui est privilégiée, les nombreuses citations qui émaillent ces 463 pages et l’ensemble des données (tableaux, etc.) et repères historiques ne pourront que satisfaire le lecteur.

Notes

« Denis Rolland, enseignant depuis 1989 à l’Université de Rennes 2, est membre de l’Institut universitaire de France. Il a inscrit sa recherche à la croisée de l’histoire de l’Amérique latine, des relations internationales et de l’histoire culturelle. Il a dirigé de nombreux ouvrages collectifs et notamment publié Vichy et la France libre au Mexique, guerre, cultures et propagandes ; le Brésil et le monde, Pour une histoire des relations internationales des puissances émergentes ; Mémoire et imaginaire de la France en Amérique latine, la commémoration du 14 juillet ; Louis Jouvet et le théâtre de l’Athénée, 1939-1945. »

Biographie fournie par l’éditeur.