DPH file Dossier : La responsabilité des religions et des croyants à l’égard de la construction de la paix

Ricardo Sossa Ortiz, La Haye, 1999

La guerre sainte

Les trois religions monothéistes — catholicisme, islamisme, judaïsme — ont des arguments théologiques pour définir, sanctifier et limiter, ce qu’elles appellent, la “guerre sainte” ou “guerre juste”.

En partant de la théorisation que fait Jean Touscoz, on va essayer brièvement de caractériser le concept de “guerre juste” dans les trois religions.

Pour commencer, Touscoz démontre la difficulté que pose la définition du concept “justice” dans les religions monothéistes. Il repère, au moins, deux aspects du terme :

  • 1. Au plan humain la justice appartient à l’univers du droit, de la légalité, de la légitimité et des institutions ; la société rend la justice ou crée les conditions de la justice. Au plan divin, Dieu juge, il sépare les justes et les pécheurs, il participe au combat des justes contre le mal.

  • 2. Mais le salut n’est pas qu’un jugement, il est aussi l’exercice de la miséricorde de Dieu. Il manifeste sa justice par son amour et il appelle l’homme à l’amour.

I. Le judaïsme : les guerres prescrites et recommandées

Israël se voit ordonner de procéder à l’élimination des peuples habitant la terre de Canaan, donnée en héritage à ses ancêtres. Le but de ces guerres saintes est d’établir en Israël le règne de la justice et de la paix voulu par Dieu.

Les diverses traditions rabbiniques sont d’accord, semble-t-il, pour distinguer deux catégories d’ennemis d’Israël :

  • 1. Amalek, peuple hostile vouant une haine inexpliquée contre Israël. Il semble que, selon certaines traditions, Amalek soit assimilé, en toute époque, à l’ennemi qui veut la destruction totale d’Israël. Hitler et ses partisans par exemple seraient Amalek et contre eux la guerre sainte s’impose.

  • 2. D’autre part, sept peuples habitaient la terre de Canaan au moment du retour d’exil : les Hitites, les Guigachites, les Amorites, les Cananéens, les Périzites, les Hiuvites et les Jébusites (Dt 7, 1) ; ces peuples n’étaient pas particulièrement belliqueux ni hostiles à Israël mais ils étaient idolâtres et toute cohabitation avec eux était interdite au peuple élu. Il s’agit de guerres “recommandées” ; selon les traditions rabbiniques qui considèrent que ces prescriptions correspondent à des circonstances historiques précises (l’installation d’Israël en Canaan) et qu’elles n’ont plus aucune actualité. Certaines écoles considèrent cependant que ces concepts sont toujours valables aujourd’hui et qu’ils s’appliquent aux relations contemporaines d’Israël avec les Palestiniens.

Touscoz nous rappelle que la doctrine de la guerre sainte a des limites dans les trois religions monothéiste. Dans le cas juif, on s’accorde à reconnaître que les guerres défensives contre des envahisseurs sont licites. Pour les autres guerres, qui sont quelquefois offensives ou d’annexion, les opinions varient ; en tout cas, c’est à partir de critères rationnels (légitime défense préventive, amélioration de la sécurité d’Israël, etc.) que la “justesse” de ces guerres est appréciée.

Le droit positif hébraïque, la halakhah, limite le champ de la guerre : celle-ci doit être exceptionnelle, être décidée en dernière instance, lorsque toutes les offres préalables de paix ont été rejetées par l’adversaire. Cependant, les écoles rabbiniques se divisent sur des interprétations ; certaines par exemple, voulant justifier les guerres défensives (la défense du territoire d’Israël), insistent sur la “sainteté” de celui-ci, qui vient de ce qu’il est le lieu où est proclamée et respectée la Thora.

D’autres, arguant que le Seigneur Dieu est le Dieu de la paix et de la justice, soutiennent que les termes de guerre et de justice sont radicalement incompatibles.

II. Le catholicisme : les croisades

La notion de guerre sainte évoque immédiatement celle de “croisade”, terme qui est né lorsque le pape Urbain II, en 1095, a lancé un appel aux chevaliers de la Chrétienté latine pour qu’ils se “croisent”, c’est-à-dire qu’ils ornent d’une croix leurs vêtements pour aller libérer Jérusalem des “infidèles”.

Il est bien évident que le catholicisme aujourd’hui ne saurait admettre de telles entreprises ni d’autres aventures comparables contre quelque adversaire que ce soit ; l’enseignement contemporain du magistère est parfaitement clair à ce sujet.

Le catholicisme tend aussi à limiter la guerre et la base doctrinale de cette limitation a été donné par Augustin qui développe une argumentation légitimant, dans certains cas, le recours aux armes pour un chrétien : à titre individuel, un chrétien doit se laisser tuer plutôt que de tuer son assaillant, mais la défense de l’autre, plus faible (la veuve, l’orphelin, le vieillard), oblige à repousser l’injustice. D’autre part, c’est aimer son ennemi (selon le précepte évangélique) que de l’empêcher de faire le mal, lorsqu’il est agresseur. Enfin, seul le prince, qui détient l’autorité légitime, peut décider de la “juste guerre”.

Cette doctrine a donné lieu à de vives controverses. Certes, elle tendait à limiter la guerre mais elle conduisait aussi à la légitimer dans certains cas.

III. L’islam : le “djihad”

Le mot “djihad” signifie littéralement “effort laborieux et éprouvant”. Il est utilisé avec trois sens différents :

  • Le combat contre soit même ;

  • La lutte pour l’expansion de l’islam, donc le combat contre les infidèles ;

  • La lutte contre les mauvais musulmans.

Le djihad est une entreprise de purification du monde et des hommes ; il est mené par de bons musulmans, de sexe masculin, sains de corps et d’esprit. C’est une guerre totale, qui a pour objet la soumission à Dieu de l’humanité entière.

Après la victoire sur des gens du Livre (chrétiens et juifs), le djihad conduit à l’établissement d’un ordre coranique auquel ils doivent se soumettre, bénéficiant d’un “pacte de protection” (dhimma) aux conditions requises par le Coran ; en ce qui concerne les autres incroyants (qui n’adhèrent à aucune religion du Livre) ; le djihad aboutit soit à leur conversion à l’islam, soit à leur réduction en esclavage, soit à leur mort.

Il est certain que tous les musulmans ne partagent pas cette présentation du djihad, certains même la dénoncent.

IV. L’esprit de tolérance, indispensable à la paix

Les trois religions étudiées ont proposé tout au long de l’histoire et à des époques précises, la conceptualisation de “guerre sainte” et de ses limites. Mais peut-on aujourd’hui justifier une guerre sous ces doctrines théologiques, alors que la violence ne peut plus être limitée ?

L’Eglise catholique a su s’adapter à l’évolution historique et au progrès de la science beaucoup plus facilement que le judaïsme et l’islamisme. De son côté, l’école rabbinique a fait preuve d’une bonne organisation étatique compatible avec la laïcité en respectant la Thora. Le problème, le plus grave, c’est la tendance islamiste : “La paix terrestre sera garantie par le régime politique et social de la cité organisée selon les règles de l’islam”. A partir d’un tel postulat, peut-on juger comme coupable un musulman qui obéit à la “parole de Dieu” ? Je ne crois pas. Le problème qui se pose ici est d’ordre métaphysique : comment créer une société politique à partir du Coran dans un monde terrestre ? Les musulmans intégristes, doivent-ils changer l’interprétation de l’organisation socio-politique ? Nous croyons que la solution se trouve dans le développement des éléments de tolérance chez la population musulmane permettant un espace au pluralisme idéologique. C’est à partir de la tolérance que le monde pourra continuer son chemin en paix.

Avant la crucifixion, Jésus a dit à ses disciples : “je vous laisse en paix, je vous donne ma paix”. Aujourd’hui nous n’avons pas encore compris ces mots.