Fiche d’expérience Dossier : Processus de transition et réformes d’Etat

, Grenoble, octobre 2005

Mandela et De Klerk: d’adversaires à alliés

En Afrique du Sud, à la fin des années 80, le National Party (NP) et l’ANC arrivent à la même analyse : la situation est nuisible aux deux côtés ; seules les négociations représentent une meilleure alternative. Les porte-parole, de Klerk et Nelson Mandela, tout d’abord adversaires sur les sujets de négociation, deviennent alliés pour défendre le processus de négociation, face aux détracteurs qui prônent une solution militaire plutôt que politique. Cette fiche décrit la quête de pouvoir de chaque parti et retrace les événements concrets qui ont mené à une convergence des deux partis.

Mots clefs : Concertation politique pour la paix | Favoriser le dialogue entre les parties en guerre | Voie diplomatique pour chercher la paix | Actions contre l'apartheid | Travailler la compréhension des conflits | Nelson Mandela | Gouvernement d'Afrique du Sud | Utiliser la voie diplomatique pour gérer des conflits | Mener des négociations politiques pour rechercher la paix | Afrique du Sud

La lutte de pouvoir

La transition du pouvoir, en 1994, est le résultat d’un processus complexe au cours duquel les deux partis cherchent à obtenir le plus de pouvoir pour avoir les meilleures conditions possibles pendant les négociations. En 1985, le Parti National, géré par P.W. Botha, soutenait encore l’idée que l’égalité entre Blancs et Noirs n’était pas possible, voire hors de question. Il concevait quand même qu’une réforme était nécessaire pour rétablir la stabilité du pays. Il propose alors des négociations à Mandela qui refuse. Pourquoi est-ce que l’ANC n’a pas accepté l’offre à ce moment-là ? Les conditions des négociations n’étaient pas favorables parce que les relations de pouvoir étaient encore très asymétriques. L’ANC avait beaucoup moins de pouvoir que le gouvernement, Mandela était encore en prison et ne pouvait pas discuter avec son parti et ainsi l’unité du parti n’était pas garantie En plus, l’exigence préalable aux négociations de l’ANC n’était pas reconnue : l’égalité des citoyens sud-africains. S’ils étaient alors entrés en négociation, ils auraient dû accepter un compromis défavorable à leur cause, ou auraient dû rompre les négociations entraînant ainsi une perte de légitimité. Le leader de l’ANC, Joe Slovo, décrit les négociations comme « un terrain de lutte qui, en fin de compte, au delà du processus, dépend de l’équilibre des pouvoirs» (1). L’ANC a donc choisi de continuer la lutte pour améliorer sa position de pouvoir. En 1988, de Klerk gagne les élections présidentielles et remplace P.W. Botha comme leader du Parti National. Il accepte que l’idée de supériorité est insoutenable et se rapproche des positions de l’ANC. Les partis entrent alors en négociations en tant que partis équilibrés. Celles-ci durent jusqu’en 1992, au moment où le processus se bloque.

Porteurs de légitimité

A l’arrêt des négociations, les partis opposés aux pourparlers essaient de déstabiliser et de discréditer le processus et de nouveau, le pays est à la limite de la guerre civile. A ce moment, Mandela et de Klerk réalisent qu’ils sont autant ennemis qu’alliés et décident de se rapprocher face aux opposants et ainsi débloquent la situation. La question sur laquelle ils se disputaient était celle du partage du pouvoir et de la représentation dans le nouveau gouvernement. Ce blocage ne concerne pas seulement l’ANC et le NP, mais tous les partis. Les deux partis sont confrontés à ceux qui veulent bloquer le processus en les délégitimant. Pour le NP, ce sont les extrêmes droites qui n’acceptent pas d’être gouvernés par des Noirs. Pour l’ANC, il s’agit de l’Inkatha Freedom Party (IFP), dirigé par Chief Buthulezi, qui a peur de perdre toute son identité sous l’ANC, le parti noir majoritaire. L’IFP craint que l’ANC puisse prendre les décisions unilatéralement dans le nouveau gouvernement.

En 1992, Mandela prend la décision de rompre les négociations et de commencer les actions de masse pour accroître son poids pendant les négociations. De grandes démonstrations et d’immenses grèves déstabilisent le pays. La répression policière provoque la mort de 28 personnes lors de manifestations non violentes. La violence éclate partout. Dans le même temps, l’extrême droite blanche cherche le rapprochement avec l’IFP et leur fournit des armes pour lutter contre l’ANC. La violence entre l’ANC et l’IFP aboutit à une éruption de violence pire qu’avant le début des négociations.

Il y avait aussi le problème de la « troisième force » . Cette formule, un peu mystérieuse, est utilisée pour décrire les attaques par des forces secrètes contre des personnes ou des bâtiments en lien avec l’ANC. Le but était de provoquer la violence entre les partis noirs pour discréditer l’ANC et augmenter la crédibilité du NP. De nouveau, le gouvernement déclare l’état d’urgence. Bien sûr ces incidents n’ont pas amélioré la relation entre Mandela et de Klerk. L’excès de violence était un symbole du carnage futur s’ils ne trouvaient pas une solution ensemble pour la répartition du pouvoir. Et ironiquement, les incidents deviennent la motivation pour retourner aux négociations. De Klerk et Mandela signent un accord de bonne foi. Le compromis est que l’ANC accepte de partager le pouvoir avec les Blancs tandis que le NP accepte que la permanence du pouvoir blanc au gouvernement ne puisse pas être garantie. L’intérêt des deux leaders est d’atteindre au plus vite les conditions pour des élections au suffrage universel ; ils s’accordent alors pour une date. Le seul obstacle qui reste entre Mandela et de Klerk est la position de Buthulezi.

Commentaire

La situation la plus critique lors des négociations, lorsque le niveau de confiance entre de Klerk et Mandala est au plus bas, a abouti à la transformation du conflit, et ce grâce à une mise en perspective de l’avenir. L’union des deux hommes s’est réalisée face à l’alliance des ennemis communs.

Notes

(1)Africa Communist, 1993:22