Fiche d’expérience Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

, Grenoble, France, novembre 1996

Une victoire pour les associations de défense des droits de l’homme

Mots clefs : Reconstruire l'économie | Etats-Unis | Turquie

L’exportation d’armes dans des pays étrangers constitue l’un des obstacles majeurs à la reconversion des industries de l’armement en Amérique. Depuis quelques années, les industries américaines de l’armement se sont taillé une part grandissante du marché mondial de l’exportation d’armes (65%), alors que les budgets alloués à la défense ont chuté précipitamment aux États-Unis. Le gouvernement américain, dont les actions en faveur de la reconversion se font de plus en plus discrètes, appuie, politiquement et financièrement, les entreprises de l’armement qui tentent d’exporter leurs produits.

Malgré l’appui du Pentagone, les industriels doivent faire face à une force politique qui a pris un certain élan ces derniers temps : les associations de défense des droits de l’homme. Grâce à l’action des organismes de défense des droits de l’homme, une commande d’hélicoptères de combat a dû être annulée. En effet, le gouvernement turc avait passé une commande de dix hélicoptères Bell AH-1 SuperCobras avec l’entreprise Bell Helicopter Textron Inc. La transaction, totalisant $150 millions, avait reçu le soutien du Pentagone. Toutefois, un autre ministère américain, celui des affaires étrangères, avait émis des réserves quant à la nature de la transaction et de ses conséquences, le gouvernement turc ayant utilisé ce genre d’hélicoptères dans le conflit qui l’oppose aux séparatistes kurdes. Ce conflit a déjà fait plus de 20 000 victimes, dont de nombreux civils. C’est justement parce que ces hélicoptères de combat pourraient être utilisés contre les populations civiles que des voix se sont élevées afin que la livraison ne puisse être effectuée.

Les associations pour la défense des droits de l’homme se sont mobilisées pour que la vente d’hélicoptères n’aboutisse pas. Leur action a obtenu le soutien de certains membres du congrès et, s’ajoutant aux réserves émises par le secrétaire d’État, elles ont réussi à mettre un frein à toute l’opération. Résultat, le gouvernement turc s’est impatienté et a annulé sa commande de mai 1995, préférant faire appel à des entreprises françaises ou russes. La Turquie, qui possède déjà l’une des plus importantes armées de l’OTAN a déclaré son intention de renforcer son potentiel militaire lors des prochaines décennies avec l’achat, entre autres, de 750 hélicoptères et 640 avions. Le marché de l’armement turc représente donc une panacée pour les industriels américains de l’armement qui tentent de combler leurs pertes sur le marché intérieur par une offensive générale sur les marchés de l’exportation. L’épisode des hélicoptères Cobra pourraient donc avoir des répercussions importantes sur l’avenir des exportations d’armes depuis les États-Unis vers la Turquie, et même vers d’autres pays. Car, nul doute que ce succès va encourager l’action des associations de défense des droits de l’homme. Et toute brèche faite au marché de l’exportation des armes aura des effets sur la reconversion des industries d’armement.

Commentaire

La politique américaine concernant l’exportation d’armes est ambiguë. D’un côté, le gouvernement soutient les industriels qui tentent de conquérir les marchés internationaux d’armements. De l’autre, l’Arms Export Control Act impose des limitations aux exportateurs d’armes selon des critères dictés par la politique étrangère et la politique de défense des États-Unis. Une autre loi, l’Export Administration Act, modifiée depuis la fin de la guerre froide, favorise l’exportation des produits a usage dual. Les industriels de l’armement préfèrent la nouvelle version de cette loi qui leur offre un moyen de contourner certaines restrictions imposées par l’Arms Export Control Act. Bell Helicopter est l’une des entreprises qui profite le plus de ces ambiguïtés et ses hélicoptères civils, dont l’exportation échappe plus ou moins à la réglementation sur les armes, peuvent être facilement transformés en hélicoptères de combat.

Cette situation exaspère à la fois les industriels de l’armement, qui doivent obtenir le feu vert du ministère des affaires étrangères pour exporter leurs armes, et aussi les partisans de la reconversion qui voient les industries d’armements déjouer les obstacles à l’exportation en développant des produits à usage dual à seule fin de contourner les barrières de contrôle.

A l’heure qu’il est, les industriels de l’armement font tout leur possible pour combler les pertes occasionnées par la chute des dépenses militaires. Pour l’instant, la reconversion ne fait pas véritablement partie de leurs nombreuses tactiques. Avec la montée des contrôles sur l’exportation, les industriels adoptent désormais la stratégie indirecte, sous la forme d’exportation de produits à usage « dual ». Mais, l’équilibre des forces est peut-être en train de changer avec la montée en puissance d’associations de défenses des droits de l’homme (et aussi d’associations de protection de l’environnement). On a l’impression en effet, que les forces politiques et économiques sont en train de resserrer leur étreinte sur les industries de l’armement. Mais nul doute que ces dernières ne sont pas encore prêtes à s’incliner.