Fiche d’expérience Dossier : Résistances civiles de masse

Jean Marichez, Grenoble, juillet 2006

Intifada non violente comme stratégie de résolution de conflit - Palestine 1988

Le début de cette première Intifada fut une résistance civile non violente contre le pouvoir israélien, elle permit aux Palestiniens de se donner une meilleure image au niveau international et d’aboutir aux accords de Washington

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Avant le début du « soulèvement » (Intifada en langue arabe), une grande partie de la communauté internationale condamne les actions violentes et meurtrières des Palestiniens. Ils ne sont que des terroristes. Des années de résistance permettent de remonter la pente et d’aboutir aux accords de Washington le 13 septembre 1993. Durant cette période en effet, les Palestiniens affermissent leur position, et sont en mesure de négocier en meilleure posture. Ils sont crédibles et ils sont plus forts.

Plutôt que de décrire toute cette période, nous allons nous concentrer sur une phase significative du processus adopté. Le « Centre palestinien pour l’étude de la non-violence » recense toutes les formes d’action préconisées par le commandement unifié de l’Intifada pendant les premiers mois de 1988. Elles sont centrées sur deux thèmes :

  • La résistance à l’occupation par la désobéissance civile ;

  • Et la mise en place d’institutions.

Dans dix-sept tracts, cent soixante trois appels sont lancés.

Ces appels concernent :

  • 32 grèves (en général pour marquer une fête palestinienne, un événement grave, ou pour manifester un refus total des mesures prises par les Israéliens) ;

  • 17 soutiens, par des visites, des dons, des aides au travail… ;

  • 14 manifestations et marches ;

  • 11 prières et jeûnes ;

  • 9 créations d’institutions afin de remplacer des structures israéliennes ;

  • 8 refus collectifs de paiement de taxes israéliennes ;

  • 8 boycotts de produits israéliens et incitations au développement de produits palestiniens ;

  • 8 hisser de drapeaux palestiniens ou noirs ;

  • 8 appels à jets de pierre ou bouteilles d’essence - les seuls appels à la violence de l’ensemble, même si les opérations jets de pierre furent plus nombreuses -  ;

  • 7 boycotts de travail sur les chantiers et colonies israéliens ;

  • 7 démissions de Palestiniens occupant des postes dans l’administration ;

  • 7 envois des enfants dans les écoles malgré leur fermeture ;

  • 4 condamnations de l’occupation par des écrits (journaux, murs), des pétitions et des slogans ;

  • 3 refus de coopérer avec les autorités d’occupation ; 2 funérailles symboliques ;

  • 2 sonneries des cloches ;

  • 2 refus de payer des amendes (pour les accusés de manifester ou de participer au soulèvement) ;

  • 2 violations de couvre-feu ;

  • 2 opérations de bannissements des traîtres collaborant avec les Israéliens ;

  • 2 barricades sur les routes des colonies ;

  • 2 manifestations à la fin des offices musulmans et chrétiens ;

  • 1 opération de peinture sur des avis rédigés en hébreu ;

  • 1 opération de deuil général ;

  • 1 annulation de fête ;

  • 1 boycott d’achat de journaux ;

  • 1 hommage aux tués durant l’Intifada en disposant un peu partout leurs portraits ;

  • 1 appel à ignorer les rumeurs propagées par des faux tracts du commandement palestinien.

Cette présentation de l’Intifada est évidemment simplifiée. Elle ne rend pas compte de la complexité de la lutte et des réactions de l’adversaire dont l’intensité met aussi les Palestiniens à rude épreuve.

En mars 1988, après avoir tâtonné quelques mois dans leur méthode de répression, les autorités israéliennes mettent en oeuvre un vaste plan destiné à briser l’Intifada. Ce plan comporte deux éléments essentiels : une répression contre la communauté palestinienne dans son ensemble, et la recherche de moyens propres à démoraliser les Palestiniens et à créer des frictions entre eux. Mais ce plan a des effets inverses de ceux qui étaient escomptés. Voici les résultats obtenus, à la fois par l’Intifada et par les mesures de répression :

  • Les contrôles et harcèlements quotidiens des Palestiniens, dans les transports et au travail, les mettent en colère et renforcent leur détermination.

  • Des écoles locales sont créées dans les clubs, les églises, les mosquées, etc. Les enfants apprennent pour la première fois et tout le système d’éducation est repensé, base d’une autonomie nouvelle.

  • Ils doivent inventer des moyens de contourner les pressions israéliennes. Cela les amène à créer une économie domestique (jardins, petits élevages, cuisson du pain, artisanat et activités pratiques communes…) qui réduit leur dépendance, augmente leur liberté et leur sentiment d’indépendance.

  • La tendance à l’annexion rampante se renverse en poussant les Palestiniens à construire leur propre infrastructure économique ;

  • Des liens sans précédent entre les Palestiniens des territoires occupés et ceux d’Israël se créent.

  • Les liens entre les Palestiniens des zones occupées et leurs représentants à l’extérieur se renforcent sur des bases plus saines.

  • Une manifestation publique de l’opposition à l’occupation israélienne est organisée. Elle rassemble 1,5 millions de Palestiniens vivant à Gaza et en Cisjordanie.

  • Un coup d’arrêt est donné aux velléités jordaniennes de représenter les Palestiniens dans les processus de négociation

  • Le rôle de l’OLP se consolide comme unique représentant légitime du peuple palestinien.

  • La prise de conscience et la fierté de l’identité nationale palestinienne se développent.

  • La brutalité israélienne est mise en évidence aux yeux de la communauté internationale.

  • Les objectifs de lutte des Palestiniens sont mieux mis en évidence, alors qu’ils étaient jusque là occultés par le terrorisme et la guerre.

  • Une image positive des Palestiniens se développe dans le monde.

Commentaire

Cette Intifada n’est connue que pour sa violence, les jets de pierres et ripostes israéliennes. Cela illustre les lacunes de notre information sur les guerres, trop centrée sur les aspects sanglants. C’est d’autant plus grave que les résistances civiles non violentes tirent leur efficacité de la sensibilisation de l’opinion publique. Trop près des choses pour les voir, les résistants ne se rendent généralement pas compte du point faible et sous estiment leur besoin de communication. Cela devrait les conduire à mettre en oeuvre des programmes de communication adéquats pour faire connaître à la face du monde la partie civile de leur lutte (la plus intéressante au demeurant). Nous pouvons aussi les y aider. Tout le monde y gagnerait.

Au delà de cette remarque, les leçons de l’Intifada sont nombreuses :

  • La nécessité d’un pilotage des résistances. Croire qu’elles peuvent se contenter de la spontanéité du peuple conduit à de graves échecs (ex. Tien an Men) ;

  • L’importance d’un objectif si l’on veut que la résistance aboutisse ;

  • L’importance d’un programme d’actions et de leur mise en cohérence dans une stratégie ;

  • L’importance d’un programme constructif à l’intérieur des résistances où il ne s’agit pas seulement de refuser et de contrer mais aussi de préparer les conditions de la paix, comme ici dans ces programmes d’auto prise en charge de la population palestinienne, d’éducation, d’administration… qui ont un effet dynamisant pour tous ;

  • La difficulté de maintenir la non-violence à tout prix car elle fait partie du coeur de la stratégie. Qu’elle s’effondre et tout le travail est anéanti, il n’est même pas possible de le recommencer car la violence appelle la violence. Il importe donc au plus haut point de « tenir » les extrémistes. Ici, les pierres lancées par les jeunes peuvent être considérées comme la soupape de sûreté d’un processus difficile ;

  • Les souffrances endurées par un peuple en résistance non-violente. Ici, tout le monde souffre, la lutte non-violente n’est pas de tout repos. Elle laisse des victimes au bord du chemin, c’est un combat de tous les jours, un bras de fer. Plus qu’un processus non-violent c’est un véritable rapport de forces.

  • La vitalité de la société civile, c’est à dire le nombre et la qualité des organismes et associations qui la structurent, est l’un des grands facteurs de réussite des résistances civiles. Ce sont eux qui encadrent les actions et qui font évoluer le rapport de forces à leur avantage.

Dans cet exemple, on observe bien le processus qui se met en place dans l’évolution de ce rapport de forces. C’est ce que Gene Sharp appelle le « jiu-jitsu politique » : la force des sanctions se retourne vers son initiateur. Plus le gouvernement israélien raffermit sa violence, plus la détermination des Palestiniens se renforce, plus sa légitimité décroît aux yeux des Palestiniens mais aussi à ceux de la communauté internationale, plus l’autonomie économique, sociale et politique des Palestiniens se développe.

  • Enfin, on note l’importance du soutien de la communauté internationale et de l’unité des mouvements des différents territoires (Palestine, territoires occupés, Israël, représentations extérieures).

Certaines résistances comme cette Intifada ressemblent à des fiascos, mais leur résultat doit être jugé, non en valeur absolue, mais par rapport à l’objectif qu’elles s’étaient fixé. C’est en ce sens que cette Intifada fut réussie. Elle fut néanmoins ternie par les violences d’extrémistes qui reprirent ensuite de plus belle et firent perdre une large part du bénéfice. Car l’usage de la violence par une poignée d’excités casse la stratégie non violente. L’expérience acquise montre, comme au Kosovo 10 ans plus tard, qu’il aurait fallu ajouter à cette lutte un plan d’actions des palestiniens modérés pour contraindre leurs extrémistes.

Notes

Le film retentissant de Richard Attenborough sur Gandhi était sorti en 1982. Son influence fut mondiale. La capacité d’un peuple à modifier le cours des événements apparaissait clairement. Cette période de la première Intifada fut aussi celle de nombreuses résistances civiles réussies dans les pays d’Europe de l’Est. Tous, les uns après les autres, grâce à la détermination de leur peuple, parvenaient à renverser leur régime réputé invincible.

En Suède, à la même époque, des éléments de défense civile sans armes furent mis en place (commissions d’étude, rapports d’experts, propositions, vote du parlement, conférence de mise en œuvre et intégration finale à la défense). D’autres pays s’intéressèrent à ces méthodes. Parmi eux, l’Autriche en 85, les Pays Baltes en 91 inscrivirent des éléments théoriques de résistance civile dans leur défense nationale. La suppression de la menace communiste a, aujourd’hui, éloigné le sujet mais pas l’intérêt (risques en Biélorussie, en Russie…).