Fiche d’expérience Dossier : La médiation : une nouvelle réponse aux conflits ?

Montargis, 2000

Témoignages d’élèves médiateurs

Quand des élèves deviennent médiateurs et interviennent dans certains conflits, cela a un effet bénéfique sur ces conflits, d’une part, mais aussi sur les médiateurs eux-mêmes, qui gagnent en assurance, s’ouvrent aux autres, apprennent à se maîtriser et s’exprimer sans violence… C’est ce que montre une étude sur une expérience de médiation scolaire à Sarcelles.

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Brigitte Liatard et Babeth Diaz, enseignantes, sont à l’origine d’une expérience de médiation scolaire menée à l’école du Saint Rosaire (à Sarcelles), depuis 1993. Jeanne Dumas Megglé a rédigé un mémoire relatant cette expérience sous l’intitulé : «La médiation instrument de formation de l’enfant, dans le cadre d’un projet de société axé sur une culture de paix». Actuelle présidente du Réseau des médiateurs associés (RMA) de Paris-Ile-de-France, elle s’intéresse depuis longtemps aux questions de médiation.

La montée de la violence dans leur école, en 1992, amène Brigitte Liatard et Babeth Diaz à réfléchir aux moyens constructifs d’intervenir (voir la fiche Dans un collège de Sarcelles). Durant la première année, 24 garçons et filles de 11 à 13 ans sont sollicités.

130 élèves sont devenus médiateurs

Brigitte et Babeth mettent en place dans leur établissement un atelier nommé : « Violence-gestion des conflits-médiation » à destination des élèves. Elles travaillent avec ces derniers à partir de dessins, d’expression corporelle, etc., afin de permettre aux enfants d’observer leur façon de se comporter habituellement et de gérer leurs différends. En mars 1993, après la première séquence de formation tous ceux qui le désiraient purent devenir médiateurs. La formation s’étend sur 15 séances de 50 minutes. 130 élèves sont devenus médiateurs depuis le début du projet.

Face à cette expérience, les adultes ont, dans l’ensemble, réagi de manière positive. Les autres enseignants y sont favorables ou restent neutres. Parmi les surveillants présents dans la cour, certains jouent le jeu en dirigeant les enfants en conflit vers les médiateurs. Du côté des parents d’élèves, une moitié environ encourage l’expérience. Enfin la direction de l’établissement, satisfaite des résultats obtenus dans la résolution des conflits a demandé que l’action soit poursuivie.

Voici quelques témoignages de jeunes médiateurs de l’école du Saint Rosaire recueillis par Jeanne Dumas Megglé

  • Hicham :

«Cela m’a vraiment changé : avant, la moindre insulte ou geste de travers envers moi était réglé par la bagarre alors que maintenant la médiation me fait réfléchir car j’arrive à contrôler mon corps grâce à cette expérience et j’essaie de régler le conflit amicalement […]. Ce qui m’a paru difficile c’est surtout de m’imposer dans la cour (ndlr : comme médiateur). En fait au début rien ne semblait facile. Les réactions par contre étaient assez différentes aux yeux de tous : les plus jeunes (maternelle, primaire) nous admiraient, ceux de notre âge, ils se sentaient trop fiers pour venir nous voir. Quelques profs ne faisaient rien pour inciter les jeunes à continuer la médiation. Quant à d’autres ils étaient vraiment ravis de voir que l’on pouvait régler les problèmes avec autre chose que les sanctions. Quant aux parents ils étaient fiers de leurs enfants[…].»

  • Pascal :

«La médiation m’a apporté moins de timidité. Avant, je participais pas trop en classe et maintenant je commence à plus participer. Ça ma donné plus confiance en moi. Je discute plus avec ma famille. On voit qu’il y a des gens qui ont confiance en nous donc on prend confiance en soi. On essaye de bien faire pour eux, pour qu’ils n’aient plus de problèmes. On est utile. Les professeurs avant ils me mettaient «participez plus», maintenant ils ne le mettent plus. Avec les copains d’école aussi je m’entends mieux…»

Anaïs :

« La formation forme bien. Elle aide sur le terrain. En fait, il faut que les enfants aient confiance en nous parce que sinon ils parlent pas, ils se coincent. Il faut déjà se présenter, être le plus gentil et les mettre en confiance […]. Avec mon frère il y a beaucoup de problèmes. Depuis que je fais de la médiation on se parle. Même si on ne sent pas, on se parle. Avec ma mère aussi c’est plus facile de discuter quand on a été médiateur parce qu’on se sent plus en confiance et j’arrive plus à parler avec mon père. Avant j’étais un peu intimidée par mon père… Il se fâchait souvent. Maintenant on arrive à discuter et il se fâche moins. »

Sophie :

« Je trouve que ça m’a apporté dans mon travail parce que j’ai beaucoup de meilleures notes. J’ai du mal à analyser pourquoi mais je pense que comme je fais plus attention, je gère plus mon travail et donc j’arrive à faire plus de travail que les autres. Ce que j’ai bien aimé dans la formation ce sont les jeux de rôles qui nous faisaient interpréter par exemple un enfant que l’on connaissait bien qui s’était fait voler son porte-monnaie par un autre, et que l’autre voulait pas venir, donc fallait trouver des solutions pour l’amener et ça marchait assez bien. J’ai énormément envie de continuer mais malheureusement en quatrième, on peut plus. Alors ça m’embête […]. La médiation je trouve ça génial! »

Une façon ludique de se découvrir

Marc :

« Moi, en CM2, j’avais eu un conflit avec un petit, enfin un copain. Et puis je suis allé voir les médiateurs et j’ai fait : « Il m’embête, il me dit ça, ça, ça… » et alors, ils ont réglé mon conflit et je me suis dit que c’est vraiment bien ce qu’ils font… En cinquième j’ai tout de suite été intéressé parce que je me suis souvenu de ce qu’ils avaient fait pour moi. […]. Ça m’a tellement intéressé que je suis revenu le second trimestre pour approfondir […]. C’était avec mon frère (trisomique) que je me battais. Maintenant on s’est arrangé et chacun prête ses crayons de couleur. En classe on est moins timide, même si on a peur de se faire renvoyer si on va demander, là on y va. Et puis ça nous aide à prendre la parole. […]. J’ai appris à partager les taches du quotidien. Maintenant je prends le couvert de ma mère et mon frère celui de mon père. Ma mère est contente, et puis plus de bagarre… »

Un professeur d’origine libanaise, Ara Ajamian, a découvert l’expérience de médiation de Sarcelles en même temps que le phénomène de la violence scolaire. Au Liban, du temps de la guerre, l’école était un des rares lieux à l’abri de la guerre. Il a également témoigné auprès de Jeanne Dumas Megglé: « Avec la médiation, les enfants commencent de façon ludique à se découvrir. Ils ne savaient pas ce qu’ils étaient au fond. Ils ne s’acceptaient pas donc ils refusaient les autres, et c’est cette violence qui sortait. Ils ont pu découvrir leurs propres aptitudes à faire quelque chose de positif […]. Dès qu’ils se retrouvent sur le terrain, ils savent qu’ils mettent des petits jalons pour que ça aille mieux quelque part. C’est ça qui est formidable ! Découvrir qu’ils ont des potentialités pour aller un peu plus loin et éviter le conflit inutile avec les autres ». Aja parle aussi de la médiation scolaire comme d’une « thérapie de groupe ».

Cette expérience de médiation donne aux enfants-médiateurs les plus timides les moyens de s’exprimer et de prendre, ainsi, confiance en eux. Les enfants les plus agressifs vont peu à peu se maîtriser et s’exprimer sans violence. Ils apprennent aussi à distinguer l’objet du conflit de la personne avec qui on est en conflit, à écouter. Ils réalisent, enfin, que le conflit est normal et constructeur et que l’on peut le gérer autrement que par la violence. En définitive, cette riche expérience de médiation en milieu scolaire permet de faire reculer la violence, ce qui est son objectif. Cette action de prévention a été saluée par le Club européen de la santé qui a récompensé le travail de Brigitte Liatard et Babeth Diaz par l’attribution de son premier prix, fin novembre 1997.

Commentaire

Grâce à la médiation les enfants, pas toujours bien dans leur peau, se découvrent des talents, des forces qu’ils ignoraient jusqu’à alors. Ils se construisent plus ouverts au dialogue, plus positifs.

Notes

  • Auteur : Jean-François Rivière

  • Article paru dans NVA, en février 1998.