Fiche d’expérience

, Grenoble, 2013

La mobilisation de Camille de Vitry autour du gisement d’or de Sadiola au Mali

La mine d’or de Sadiola au Mali est emblématique de ce qu’il est désormais courant d’appeler la « malédiction des ressources » (resource curse) : cette situation scandaleusement contradictoire d’une richesse naturelle d’un Etat et de son sous-développement honteux.

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La mine d’or de Sadiola démontre, comme si c’était encore nécessaire, que « les pays qui le produisent ne le détiennent pas ». L’or pourtant qui a assis la richesse des nations, valeur étalon planétaire, ne sème autour de lui que misère.

Ce gisement d’or parmi les plus prometteurs du monde est exploité par les multinationales les plus puissantes dans le domaine, à égalité AngloGold Ashanti et IAM Gold, selon le montage suivant :

  • AngloGold Ashanti: 38%

  • IAMGOLD: 38%

  • Gouvernement malien : 18%

  • International Finance Corporation: 6%

La question des revenus des ressources naturelles comme ressources des Etats est ici bien illustrée par un tel déséquilibre, laissant les gouvernements – et celui du Mali ne fait pas exception – dans l’incapacité d’obtenir le paiement correct des taxes d’exploitation. Á qui appartiennent les ressources naturelles ? Certainement pas aux États : en Afrique, 80% des gisements d’or sont entre les mains des compagnies privées, soutenues par les grandes banques privées occidentales qui refusent toute transparence sur leurs activités.

 

Au niveau micro, la réalité de l’exploitation de l’or rime avec conditions de travail inhumaines, pauvreté, pollution, maladies.

Au niveau macro, il s’agit du pillage des ressources africaines. La Banque mondiale est le plus gros investisseur dans l’extraction de l’or africain. Le secteur économique le plus rentable est aussi le plus secret.

Au début des années 90, la BM réussit à imposer aux gouvernements africains des réformes des codes miniers dans le cadre des ajustements structurels : facilités d’investissements ; avantages fiscaux ; exonérations de taxes sur les premières années d’exploitation ; rapatriement des capitaux.

Tout est près pour remplacer les mines sud-africaines épuisées. Les principales multinationales telles AngloGold investissent (avec l’aide de la coopération française au développement).La hausse du cours de l’or incite à prospecter et produire plus.

Les spécificités de l’exploitation de l’or :

  • la main d’œuvre locale est nombreuse, donc facile à remplacer

  • les conditions travail sont mortelles : génèrent de la peur

  • le cycle d’exploitation est relativement court : déstructuration sociale, économique, environnementale pour quelques années, après quoi une réorganisation sera pour les villageois à nouveau nécessaire

Cette situation est-elle propre à l’exploitation de l’or ? En quoi ce secteur favorise-t-il de tels extrêmes ?

Camille de Vitry (1) est l’auteur de « L’or nègre », une enquête acharnée sur cette gigantesque mine d’or de Sadiola, qui se lit comme un roman policier, un « polar vrai ».

L’ouvrage décrit le site comme le théâtre de toutes les prédations : conditions de travail souvent mortelles des ouvriers de l’exploitation ; contamination des eaux et des sols par les déchets cyanurés ; extermination lente des populations locales ; financement à grands coups d’Aide publique au développement…

 

Camille de Vitry, est également l’auteur du film documentaire « Le prix de l’or » (2), qui a rendu possible une mobilisation impliquant les travailleurs de la mine, les syndicats, un réseau associatif des habitants et travailleurs des villages riverains de la mine, les ressortissants de Sadiola en France ainsi que plusieurs ONG.

Synopsis : Le Mali produit l’or le moins cher du monde… à quel prix ? Par millions de tonnes le minerai aurifère est traité au cyanure - et dégage vers l’Occident des millions de $ de bénéfices. Sur place, restent les poussières et les boues toxiques, les nappes phréatiques infestées ; les ouvriers sacrifiés à un apartheid silencieux ; et la dette extérieure malienne, infinie… Mais, face aux multinationales minières qui « mettent en valeur » le gigantesque gisement de Sadiola, les populations locales se mobilisent. La société civile se coalise. La Commune de Sadiola constate - et dénonce publiquement. La Société d’Exploitation doit alors organiser un atelier de concertations. Peu à peu, la situation s’améliore… globalement. Polar véridique, documentaire scientifique ou farce tragique ?

Le film qui a circulé au sein de la société malienne a en effet été un moteur essentiel dans le face à face avec AngloGold.

Les résultats :

  • Une grande sécurisation des conditions de travail

  • Des coûts d’exploitation très élevés : 150$ l’once à l’exploitation, contre 74 à 75$ pour les autres mines maliennes. Le prix de l’once est au-dessus de 1000$.

  • Sadiola a créé un précédent mais pas un exemple à suivre : AngloGold en 2008, en Guinée, a fait un atelier de concertation tripartite à l’échelle nationale. Mais ça n’a débouché sur rien.

Sadiola restera un cas unique à cause du film. D’autres mines ouvrent à proximité et réclament un film… Un consortium composé de Survie, CADTM notamment a signé une lettre mais elle n’est pas suivie d’effets parce qu’elle manque d’écho (que le film avait donné à Sadiola). Déjà des manifestations, des révoltes surtout de femmes ce qui signifie qu’il y a un nombre anormal de fausses couches. La répression est violente (poursuites, emprisonnements, viols…).

Notes

  • (1) : Camille de Vitry est une réalisatrice qui consacre une large part de sa production aux documentaires. Elle s’est récemment concentrée sur le destin des travailleurs et des riverains de la mine de Sadiola après la rencontre avec les ressortissants de Sadiola en France (constitués en association) dans la région parisienne.

  • (2) : Réalisation : Camille de Vitry ; Genre : Documentaire ; Pays d’origine : France ; Production : Camille de Vitry ; Durée : 94 min ; Date de production : 2004.

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    Karine Gatelier, Grenoble, 2013