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Guillaume Gamblin, Paris, January 2007

L’arche de Lanza del Vasto : un projet de vie radical et intégral au service de la non-violence

Ce n’est pas l’élaboration théorique d’une critique sociale ni d’une philosophie qui intéresse d’abord les membres de l’Arche, mais l’expérimentation simple et quotidienne d’autres modes de vie qui donnent une épaisseur humaine aux valeurs qui les habitent et laisse place au témoignage.

Keywords: Theory of non-violence | | | | | | | | | | France

Etre membre de l’Arche, c’est vivre sous le signe d’un double engagement : vis-à-vis des autres compagnes et compagnons, engagement à partager son temps et ses moyens au service d’une communauté de vie à laquelle on se lie pour un certain temps, et engagement militant au sein d’une société qui se fonde sur des valeurs et des processus trop souvent destructeurs. Ces engagements communautaire et militant ont tous deux pour fondement la non-violence, comme éthique fondamentale qui donne sens à la vie, et comme ensemble d’outils d’action socio-politique et de régulation des conflits. Cette non-violence est expérimentée dans tous les aspects de la vie : organisation sociale, économique et écologique, militantisme et action politique, mais aussi vie intérieure et spiritualité. C’est ce qui fait la spécificité des communautés de l’Arche : le souci de cohérence profonde entre tous les aspects de la vie, autour de ce fil conducteur de la non-violence.

L’Arche ne se réduit pas à l’engagement et à la vie communautaires, qui n’en sont que l’aspect le plus visible et le plus interpellant. Cependant c’est autour de cette ossature des communautés que sera d’abord présentée la spécificité de ce mouvement. Par ailleurs la vie quotidienne et l’action politique, l’intériorité et l’organisation sociale ne peuvent être radicalement séparés tant ils constituent un ensemble cohérent, néanmoins il est d’abord nécessaire de les distinguer pour mieux saisir cette complémentarité.

I. Un travail intérieur au quotidien

A. Les origines d’une aventure spirituelle

C’est le philosophe et poète italien Lanza del Vasto (1901-1981) qui est à l’origine de la fondation de l’Arche, à la suite d’un voyage décisif en Inde qu’il fait dans les années 30, au cours duquel il rencontre Gandhi et découvre la non-violence en vivant dans son ashrâm. Le Mahâtma l’encourage à promouvoir la non-violence en Occident et lui donne pour nom Shantidas, « serviteur de paix ». De ce périple et de cette rencontre naît le livre « Le pèlerinage aux sources » qui connaît un retentissement important dans une Europe chrétienne encore peu ouverte à cette tradition culturelle. Le fondateur des communautés de l’Arche revient de l’Inde avec une ouverture spirituelle et philosophique importante sur les traditions religieuses orientales qu’il y a étudiées et expérimentées. Cette découverte vient se croiser avec son enracinement dans une tradition chrétienne et philosophique occidentale qui l’avait conduit auparavant à développer une philosophie de la relation. Mais elle constitue aussi un tournant radical qui s’exprime par la rupture avec une approche de la vérité intellectuelle et dialectique, au profit d’une approche inductive qui laisse le sens émerger de la pratique quotidienne tant « extérieure » (travail manuel, relation interpersonnelle, action militante) qu’intérieure (méditation, présence à soi et au monde).

Afin de faire partager cette nouvelle voie qu’il a découverte et qu’il est en train de défricher, Lanza del Vasto décide de fonder des communautés vouées à l’approfondissement de cette « force de vérité » qu’est la non-violence gandhienne, en s’inspirant du modèle de l’ashrâm.

B. Un dialogue interreligieux noué par une vie commune

Ce qui fait toute l’originalité et, pour beaucoup de personnes, le caractère déstabilisant voire choquant de la démarche de l’Arche à ses débuts, juste quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale, est le caractère profondément tolérant de cet espace de vie en commun, qui accueille des personnes de toutes religions ou sans religion, pourvu qu’elles soient d’« authentiques chercheurs de vérité ». Cette tolérance profonde n’est pas l’expression d’une indifférence mais bien au contraire d’une recherche active d’une vérité qui, l’exemple lumineux de Gandhi en témoigne pour l’Occident chrétien, dépasse les limites des dogmes d’une religion constituée. « L’esprit souffle où il veut ». C’est donc dans les trésors de toutes les traditions spirituelles de l’humanité qu’est invité à se plonger celui qui cherche la vérité. Et c’est ce qu’expérimentent les membres de l’Arche, qui chaque matin de la semaine partagent une prière en se fondant sur les textes d’une tradition spirituelle différente.

Mais ce dialogue doit se fonder sur un enracinement profond de chacun dans sa propre tradition religieuse ou spirituelle, condition d’un vrai dialogue des différences, et non d’un syncrétisme religieux. Le dialogue ne peut qu’amener chacun à se renforcer dans sa propre voie, en en découvrant toute la richesse spécifique. Ce dernier aspect constitue la base toujours affirmée de cette démarche plurielle de l’Arche. C’est ce que n’ont pas compris beaucoup de personnes et d’Eglises qui ont été au départ souvent très distants et critiques par rapport au mouvement, ne prenant pas la peine d’approfondir la connaissance de celui-ci et en restant souvent à un a-priori de syncrétisme (en particulier avant Vatican II). Il est manifeste que le mouvement peut être considéré comme un précurseur dans le domaine du dialogue interreligieux en Occident.

Toute la force et l’originalité de ce dialogue est qu’il se base sur des personnes vivant ensemble au quotidien et amenées à définir une éthique de vie et des règles d’existence communes. Cette expérience est quasi-unique en Occident.

De fait, aujourd’hui encore plus qu’hier, la grande majorité des personnes membres de l’Arche sont chrétiennes, de tradition catholique. Cela peut s’expliquer en grande partie par l’esprit qui fonde les règles et les principes de vie à l’Arche, qui est une appropriation profondément catholique du message de Gandhi par son fondateur Lanza del Vasto. Ce dernier s’inspire de la tradition monacale pour faire de l’Arche un véritable « ordre » interreligieux non-conventionnel, dans lequel on s’engage en prononçant des « vœux ». Il est important de préciser ici que si l’Arche est en Occident le mouvement qui se rattache le plus ouvertement à la pensée et à la personne de Gandhi (il a reçu le prix Bajaj attribué à un mouvement gandhien non-indien, des mains du premier ministre indien) la question de sa fidélité à la pensée du leader de l’indépendance indienne reste discutée : certains contestent la compréhension de Gandhi par Lanza del Vasto, sous certains de ses aspects.

L’Arche est-elle un mouvement religieux ? Elle est un mouvement spirituel (et politique) au sens où est mise en avant la nécessité d’un travail intérieur de chacun sur soi, par l’enracinement créateur et ouvert dans une tradition spirituelle en particulier, et c’est en ce sens qu’un lien fort est vécu avec le religieux. Mais l’Arche est clairement un mouvement laïc, qui n’est attaché à aucune Eglise ou religion et qui se veut au service de la vérité et de la justice par la non-violence et est ouvert à chacun(e) quelles que soient ses convictions. Mais il est vrai que l’Arche, de par ses rites, son vocabulaire, ses références, est largement perçu à l’extérieur, entre autres de la part des autres mouvements non-violents, comme un mouvement religieux.

C. S’entraîner à être

La vie des compagnes et compagnons des communautés de l’Arche est rythmée par un certain nombre de rendez-vous quotidiens qui sont proposés et jamais imposés : prière commune le matin, méditation en silence, prière du soir… Plusieurs fois dans la journée sonne « le rappel », invitation pour chacun(e) à cesser un instant l’activité dans laquelle il ou elle est investi(e), à vider son esprit des préoccupations qui l’animent et à « se rendre présent au présent ». Ces rendez-vous communs participent de cet effort spirituel auquel s’engage chacun(e), d’approfondir sa vie intérieure, y compris au contact des autres, de s’entraîner à vivre en pleine conscience, et d’apprendre simplement à « être », au-delà de toute pensée ou activité. Afin de cultiver son unité intérieure au-delà de la dispersion et de l’aliénation à laquelle nous acculent nos modes de vie socio-économiques.

L’un des aspects de cette recherche spirituelle est le travail corporel, que l’Arche met à l’honneur dès son origine comme étant la clé de voûte de la vie intérieure. L’inspiration vient particulièrement des spiritualités orientales que Lanza a rencontré et des techniques corporelles de méditation qui en sont à la base, telles que le yoga. On peut dire véritablement que l’Arche contribue à porter en Occident cette dimension corporelle de la vie intérieure, qui y avait été largement abandonnée.

II. Vivre autrement : une action civique permanente

A. Une réponse positive à un état de guerre

La raison d’être des communautés de l’Arche dépasse cette seule dimension spirituelle et interreligieuse : elle réside avant toutes choses dans la volonté collective de répondre au véritable état de guerre de la société, basée sur le profit et la domination de l’homme et de la nature, en expérimentant un programme constructif et des modèles alternatifs de développement. Cette réponse positive et constructive à la société se veut être en définitive une action civique permanente : il faut entendre que les communautés sont par elle-mêmes des actions militantes, en ce qu’elles constituent un engagement de tous les jours à vivre des valeurs et un mode de vie radicalement différents de ceux proposés par les modèles dominants. Au centre de ce choix se trouve la volonté d’objection, de non-coopération avec des structures sociales, politiques, technologiques et économiques oppressives pour l’homme et destructrices pour la vie. En sens inverse, c’est par la volonté de s’opposer à et de dépasser la conception révolutionnaire alors répandue selon laquelle la révolution violente construira une société de justice pour demain, que l’expérimentation communautaire est conçue comme une « révolution permanente » qui met dors et déjà en œuvre les changements qu’elle aimerait voir apparaître dans la société. Pour promouvoir d’autres modèles de vie, le témoignage a en effet une plus grande force que la seule argumentation.

L’expérimentation communautaire est une démarche de la maturité militante, qui est précurseur parmi d’autres des recherches d’une « autre vie » et de « retours à la vie simple » et à la terre qui ont lieu durant les années soixante et soixante-dix. Mais qui est également source d’inspiration aujourd’hui pour répondre aux défis écologique et économiques de la planète, en témoigne la présence de membres de l’Arche invités à témoigner de leur expérience de vie lors d’un colloque sur « la décroissance soutenable » organisé à Lyon en Septembre 2003. C’est pourquoi Jean-Baptiste Libouban, responsable général des communautés de l’Arche, peut considérer que le terme « altermondialiste » définit parfaitement la démarche de l’Arche depuis son origine : en ce qu’elle dénonce des modes de fonctionnement économiques, sociaux, politiques, spirituels injustes et destructeurs, tout en vivant au quotidien des valeurs alternatives.

B. La vie et l’organisation communautaires

Les membres des communautés habitent sur un même lieu de vie, ils partagent le travail dans les différents secteurs (entretien, agriculture, artisanat, cuisine, accueil…), dans un esprit d’autonomie économique et de simplicité des besoins, et recherchent notamment un mode de production et de consommation d’énergie écologiques et respectueux de la vie.

Certaines communautés sont orientées sur le travail de la terre et sur l’artisanat, qui leur confèrent une large autonomie vis à vis des circuits économiques extérieurs. Elles expérimentent des méthodes d’agriculture biologique, selon des techniques traditionnelles. D’autres sont orientées sur l’accueil et sont plus insérées dans le circuit économique courant. Mais d’une manière générale, le travail manuel est essentiel. Comme l’écrit Lanza del Vasto, « c’est en faisant qu’on se fait ».

Les revenus sont partagés et redistribués en fonction des besoins entre chaque personne ou famille, un équilibre essayant d’être trouvé entre propriété personnelle et propriété communautaire. De même pour ce qui est des espaces et des temps de vie (habitation, repas du soir), la place attribuée à la vie personnelle par rapport à celle de la communauté est ajustée dans l’esprit d’un meilleur équilibre.

A l’intérieur des communautés, dans les Conseils de l’Arche, dans les commissions, l’ensemble des décisions sont prises soit à l’unanimité, soit au consensus, soit par vote, suivant l’importance de l’objet. Les postes et les fonctions des différents secteurs sont renouvelés, en principe, tous les trois ans. Pour ce qui concerne le Responsable général, élu à vie depuis le fondateur, on propose, dans la réorganisation de l’Arche, un mandat de sept ans renouvelable une fois.

Un aspect essentiel de la vie des communautés est l’importance accordée aux fêtes. Celles-ci rythment fondamentalement la vie communautaire. Elles sont partagées entre les fêtes ponctuelles (naissance, fin de la moisson…) et les fêtes annuelles : la St Jean, la St Michel, l’ Epiphanie, Pacques. C’est à l’occasion de ces dernières que sont renouvelées les charges, et que les diverses communautés se rassemblent parfois. Une attention particulière est accordée à la préparation des fêtes : elles constituent un point non pas secondaire mais fondamental de la spiritualité de l’Arche, fondée sur la paix, la force, et la joie.

Il est à noter qu’une certaine souplesse et autonomie est laissée à chaque communauté pour affirmer sa spécificité éventuelle au sein de ces cadres communs. Les communautés sont ainsi un espace et un rythme de vie organisés au service des autres et de la non-violence, autour de la valeur centrale de la personne humaine primant sur celle de l’organisation ou de l’économie. Elles constituent avant tout des espaces de rencontre et d’expérience humaine d’une richesse incomparable, tant entre compagnons qu’avec les nombreuses personnes de passage. Expérience humaine intense, avec le côté accomplissant et enrichissant ce celle-ci, mais aussi avec les souffrances engendrées par ce mode de vie, sa proximité permanente, ses inévitables conflits, etc…

C. L’évolution

La première communauté est fondée en 1948, suivie de nombreuses autres en France et dans le monde jusqu’à aujourd’hui. Nombre d’entre elles vivent quelques années avant de se dissoudre et d’« essaimer » leurs membres à l’extérieur ou dans les autres communautés. Au total une dizaine d’entre elles sont fondées en France, dont celles de la Borie Noble et de La Flayssière en 1963 qui en demeurent le socle historique ; et presque autant ailleurs dans le monde : en Italie, Allemagne, Suisse, Maroc, Argentine, Québec… Aujourd’hui il reste trois communautés en France, dont les deux citées et celle de St Antoine, en Isère ; ainsi que d’autres en Suisse, en Allemagne et en Argentine.

Après un essor important du nombre de compagnons à partir de 1960, l’Arche assiste à un effondrement de celui-ci depuis une quinzaine d’années, qui s’accompagne de la fermeture de plusieurs communautés durant cette période. C’est un tournant très difficile à vivre pour les membres de l’Arche. On peut entre autres expliquer ce déclin par la tendance à un double désengagement à cette époque : militant, et religieux. Mais aussi par l’évolution individualiste des mentalités qui tend à privilégier le personnel sur le collectif. La question de l’adéquation de l’expérience proposés par l’Arche aux attentes contemporaines, et d’une certaine capacité d’« adaptation » de celle-ci, doit se poser également. C’est ce cette crise qu’est née la dynamique de renouvellement qui sera vue plus loin.

Mais il convient de préciser que la durée d’existence de ce mouvement essentiellement communautaire est assez exceptionnelle au regard des autres expériences de ce type qui souvent n’ont pas pu survivre plus de quelques années. Les communautés de l’Arche existent depuis maintenant 55 ans, et portent toujours une dynamique et une vitalité certaines. Cette continuité inédite est sans doute due entre autres à la rigueur avec laquelle sont définies les règles de vie et à une certaine justesse des intuitions (décisions par consensus, équilibre personnel/communautaire, non-violence) qui les fondent.

D. L’engagement

Jusqu’à maintenant, l’engagement se fait par vœu, renouvelable tous les ans, dans une communauté, après y avoir vécu quelques années de probation. Dans la réorganisation de l’Arche, sera proposé aussi un engagement sur la « charte de l’Arche » (qui en trace les fondements et les orientations) distinct de l’engagement spirituel.

Les compagnons engagés forment ainsi un socle nécessaire à l’existence de l’Arche, par la stabilité qu’ils et elles apportent à son fonctionnement. A côté de cela, de nombreuses personnes viennent passer des séjours pour découvrir le mode de vie à l’Arche, et restent de quelques jours à plusieurs mois.

III. L’action non-violente pour la justice

A. Les communautés, écoles de combat non-violent

La vie spirituelle, laborieuse et communautaire expérimentée à l’Arche, ne prend sens qu’en ce qu’elle est radicalement ouverte sur le monde, non seulement par l’accueil constant de nombreux hôtes venant du monde entier, mais aussi en ce qu’elle s’accomplit dans l’engagement militant dans le monde contre les violences et les injustices et pour une société viable. La vie intérieur et religieuse, le travail de la terre, se conjuguent avec un engagement dans des luttes non-violentes souvent très radicales. Les communautés sont fondées sur le modèle des ashrâm gandhiennes que ce dernier voulait être des lieux de formation et d’entraînement pour devenir de véritables « satyagrahi », « guerriers non-violents.

Les premiers engagements des membres des communautés de l’Arche dans des actions militantes durant les années 50 ont d’ailleurs fait fuir beaucoup d’amis de ce mouvement qui ne comprenaient pas cette dimension militante et voulaient en rester à une démarche uniquement spirituelle. Mais pour les membres de l’Arche l’action non-violente n’est pas coupée de cette démarche spirituelle, elle en fait plutôt partie et la nourrit de manière essentielle, en même temps qu’elle se nourrit fondamentalement ce celle-ci. Il y a un aller-retour et une complémentarité évidents entre ces deux dimensions de l’engagement non-violent, mais également avec la dimension de vie communautaire : cette dernière est un exercice quotidien d’accueil et d’écoute de l’autre, de contrôle de soi, de respect de soi-même et d’autrui, de résolution constructive des conflits, toutes choses qui sont essentielles pour les luttes non-violentes. Il n’est donc pas contradictoire de considérer les communautés comme des écoles de combat non-violent.

B. Un engagement radical et constant dans la société et dans le monde

Les premières actions d’envergure de l’Arche se déroulent durant la guerre d’Algérie. En 1957, pour toucher l’opinion publique et faire levier sur celle-ci, ils décident d’axer la dénonciation sur un point incontestable : la torture. Lanza del Vasto fait un jeûne de vingt jours à Clichy pour dénoncer l’usage de celle-ci, qui interpelle d’autant plus que ce genre d’action est inédit en France : viendront y participer des intellectuels comme Louis Massignon et François Mauriac. D’autres comme Paul Ricoeur, Albert Camus ou Jacques Maritain, apportent leur soutien. Le mouvement figure parmi les premiers en France à dénoncer activement cette guerre. En 1960, trente hommes sillonnent la France pour dénoncer les camps d’internement, avec pour slogan : « Nous aussi sommes suspects, enfermez-nous ! ». Un soutien est aussi apporté aux réfractaires, auxquels l’Arche propose un projet constructif : l’aide aux habitants (immigrés) des bidonvilles de Nanterre. Ces nombreuses actions valent aux membres de l’Arche une sérieuse répression, certains écopant de peines allant jusqu’à deux années de prison.

En parallèle l’Arche commence à organiser une résistance au nucléaire civil et militaire, qui se prolongera jusqu’à aujourd’hui. Dès 1957, l’usine de Marcoule est envahie, suivie de nombreuses actions « coup de poing » durant les décennies qui suivent : manifestations, jeûnes de protestation, invasions de sites, blocages… L’Arche est pionnière en France du mouvement anti-nucléaire et membre-fondatrice du réseau Stop-Essais.

Un soutien constant est également apporté aux objecteurs de conscience, depuis le soutien actif au jeûne de Louis Lecoin en 1963 pour l’obtention d’un statut officiel de l’objection de conscience, jusqu’à l’accueil et l’aide à l’organisation des objecteurs et insoumis. Des formations sont organisées pour aider des objecteurs du monde entier, tels l’espagnol Pepe Beunza, à affronter la répression et à inventer des stratégies. Plusieurs d’entre eux s’engagent à l’Arche suite à cette rencontre. Aujourd’hui encore des objecteurs nombreux y sont accueillis, en particulier des membres de l’organisation allemande Eirénée.

L’un des engagements les plus marquants et les plus importants de l’Arche est le soutien à la lutte des paysans du Larzac entre 1972 et 1981 : en 1972 Lanza del Vasto jeûne 15 jours pour soutenir leur lutte, donnant un infléchissement décisif de celle-ci vers la non-violence. C’est en conséquence de ce jeûne également que naît le « serment des 103 » qui conférera aux paysans et à leur combat une force et une solidité inébranlables. Des compagnons avaient déjà en 1971 envahi un bâtiment militaire pour y fonder la communauté des Truels du Larzac, aujourd’hui transformée en GAEC.

Plus récemment l’Arche s’est engagée dans le soutien aux actions de la Confédération Paysanne, notamment en ce qui concerne les OGM, ou encore dans le domaine de l’aide aux populations immigrées, avec la CIMADE. Mais nombre de ses engagements sont reliés à la situation mondiale : soutien à des initiatives de lutte contre la misère (au Burkina-Faso par exemple, avec le soutien actif à une banque de céréales), combat pour le respect de la biodiversité, soutien à des peuples écrasés (au Proche-Orient), lutte contre les guerres surtout : en 2002, en pleine bataille diplomatique pour empêcher le soutien de l’ONU à l’intervention militaire des Etats-Unis en Irak, un jeûne d’interpellation est organisé au siège du Conseil de Sécurité de l’ONU à New-York. Il dure sept jours. Enfin des membres de l’Arche se sont engagés dans la dynamique de l’intervention civile de paix, soit en participant au fonctionnement d’associations comme EpB, soit en partant en missions avec des organismes tels que PBI.

C. De l’ACNV à la CANVA

En 1960 est créée l’Action Civique Non-Violente (ACNV), à l’initiative notamment de Joseph Pyronnet. Cette structure trouve son utilité au service de l’activité militante portée par l’Arche. Elle a deux fonctions principales répondant à deux besoins :

  • d’une part élargir le combat, en dehors des seuls membres de l’Arche, en permettant la diffusion de ses idées dans la société (via un journal) et en permettant le regroupement d’autres acteurs non-sympathisants du mouvement autour de cette seule activité militante ;

  • et d’autre part se protéger de la répression qui s’abat sur le mouvement à cause de son engagement contre la guerre d’Algérie en particulier. Outre les peines individuelles parfois très lourdes qui s’abattent sur ses membres, les autorités font peser d’importantes menaces sur la structure elle-même, notamment celle d’une dissolution sous prétexte religieux. L’ACNV, structure entièrement indépendante juridiquement et portant l’entière responsabilité des actions organisées, joue le rôle d’un tampon qui évite de nombreux ennuis aux communautés en tant que telles. Elle sera dissoute en 1969, et c’est entre autres du vide laissé par ce regroupement large d’acteurs non-violents de différentes sensibilités que naîtra le MAN en 1974.

Depuis quelques années, pour des motifs assez proches des précédents ainsi que pour des raisons organisationnelles, la Coordination de l’Action Non-Violente de l’Arche (CANVA) a pris le relais pour organiser son action militante. Cependant cette structure est en passe de disparaître dans la cadre du renouvellement structurel du mouvement qui est en cours. Outre l’engagement en réaction à l’actualité internationale, la CANVA s’est donnée 4 objectifs prioritaires pour son action :

  • La lutte contre le nucléaire civil et militaire.

  • La lutte contre les OGM et pour une dynamique altermondialiste.

  • La promotion de la Décennie pour une culture de non-violence.

  • La lutte contre l’organisation de salons de vente d’armes et pour une réglementation au niveau européen et international des ventes d’armes.

L’Arche est-elle un mouvement politique ? Il est certain qu’une dimension essentielle de son existence est cette dimension « politique » au sens large de réflexion et d’intervention dans les affaires du monde, néanmoins le mouvement a toujours refusé de s’engager dans une logique de partis sur la scène politique « traditionnelle », afin de conserver son indépendance de pensée et d’action, en dehors des logiques de pouvoir. Ce qui caractérise l’engagement de l’Arche, à la différence d’autres mouvements plus axés sur le rapport de forces et la contrainte, est sa « forme d’action politique qui est fondée sur la conversion » de la conscience de l’adversaire, comme l’explique Joseph Pyronnet.

Coordonnées :

  • Adresses :

    • Communauté de l’Arche, La Flayssière, 34650 JONCEL

    • Communauté de l’Arche de St Antoine, 38160 L’ABBAYE

  • Site web : www.canva-ass.org

Sources :

  • Entretiens avec Jean-Baptiste Libouban des 24 et 25 Juin 2003.

  • Rencontre avec des membres des communautés de la Borie-Noble et de la Flayssière du 25 Juin.

  • Entretiens avec Anna Massina et d’autres membres de la communauté de St Antoine des 9 et 10 Juillet 2003.

  • Numéros des « Nouvelles de l’Arche ».

  • Brochures de présentation de l’Arche.

  • Actes du colloque sur Lanza del Vasto.

Website

www.canva-ass.org