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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, République Centrafricaine, janvier 2014

Les conflits armés en Centrafrique, causes et conséquences.

Durant les neuf derniers mois, ce qui restait de l’Etat centrafricain s’est effondré avec de graves conséquences humanitaires (400 000 personnes sont déplacées et presque la moitié de la population a besoin d’aide humanitaire). Le gouvernement de transition et la force de sécurité régionale ont été incapables de freiner la chute dans l’anarchie aussi bien en zone rurale qu’en zone urbaine et notamment à Bangui.

Mots clefs : Travailler la compréhension des conflits | Défense militaire de la paix | Sécurité et paix | Lutte contre la pauvreté | Démobiliser et désarmer des anciens combattants | Travailler pour la démocratisation du pouvoir | Centrafrique

I. Introduction

L’histoire politique de ce pays d’environ 3,5 millions d’habitants, est jalonnée de soubresauts politiques, entraînant une instabilité institutionnelle et conjoncturelle défavorable à son développement.

La République Centrafricaine couvre une superficie de 622 000 km2, caractérisée par l’usage de la langue sango et ayant pour voisins, le Cameroun à l’ouest, la République du Congo et la République Démocratique du Congo au sud, le Soudan à l’Est et le Tchad au nord. Sur le plan externe, la RCA vit dans un environnement marqué par l’instabilité, tous ces voisins sauf le Cameroun, ayant connu un conflit armé. Sur le plan interne, elle a subi pendant une dizaine d’années des crises militaro-politiques à répétition qui ont affecté le tissu socio–économique et les forces de défense et de sécurité.

Aujourd’hui, le Centrafrique affiche le visage d’un pays politiquement instable, économiquement faible, et dans lequel le niveau d’insécurité dans l’arrière pays reste une source de préoccupation.

II. Les causes et les principaux facteurs de conflits en RCA

Le lien de sang qui unit les Centrafricains entre eux et l’usage unique de la langue sango qui caractérise la RCA, sont autant de facteurs déterminants qui devraient favoriser le règlement des crises et la réconciliation nationale. De ce point de vue, la situation conflictuelle qui perdure dans ce pays depuis des années, relève d’un paradoxe étonnant et trouve ses causes plutôt dans une situation socio-économique difficile.

Les causes et les facteurs de conflits en RCA sont divers et variés. Parmi les plus importants figurent :

  • La fragilité des institutions étatiques ;

  • L’échec des efforts de démocratisation ;

  • L’exploitation et l’instrumentalisation des différences ethniques ;

  • La prolifération de groupes armés et des armes légères ;

  • Le manque de dialogue et de coopération entre le pouvoir et l’opposition ;

  • L’intransigeance et le manque de flexibilité des acteurs sociaux et politiques ;

  • Les arriérés de salaires et/ou le non-paiement des salaires à terme échu ;

  • La pauvreté et la misère.

Il convient de noter que, même pris isolément, chacun de ces facteurs constitue en soit une source indiscutable de conflit, mais leur combinaison totale ou partielle a rendu davantage explosive la situation en République centrafricaine.

L’accumulation excessive des arriérés de salaires et le non-paiement régulier des salaires courants, ont contribué au dénuement des fonctionnaires et autres agents de l’Etat et, par voie de conséquence, à la paupérisation d’une grande partie de la population, dans la mesure où, en RCA, les fonctionnaires constituent les seuls soutiens de leurs familles respectives prises dans leur sens le plus large. La pauvreté est donc considérée comme l’une des causes principales de la crise centrafricaine mais aussi l’une des raisons fondamentales de sa perpétuation.

III. Evaluation des menaces

Les crises internes, sur fond d’instabilité régionale ont sérieusement dégradé la situation sécuritaire à travers plusieurs types de menaces qui pèsent actuellement sur le Centrafrique. Au nombre de celles-ci, ont peut citer :

3.1. Les Zaraguinas ou coupeurs de route

Sévissant principalement dans l’Ouest, le Nord-Ouest, le Nord-Est et dans le Centre, ils s’attaquent aux populations en les dépossédant de leurs biens. Les cibles privilégiées de ces bandits de grand chemin sont les convoyeurs de fonds, les commerçants et les éleveurs. Leurs zones de prédilection étant les axes routiers, ils perturbent systématiquement la libre circulation des personnes et des biens à l’intérieur même du pays, et par conséquent le ravitaillement de la RCA qui est pays enclavé. Cela se ressent par conséquent dans le panier de la ménagère qui est désespérément vide à cause des pénuries artificielles ainsi créées et de la cherté de la vie.

3.2. Les Braconniers

A cause de la perméabilité des frontières, les braconniers venant majoritairement de certains pays voisins, pénètrent sur le territoire et se livrent à un braconnage aveugle. Ils créent une insécurité réduisant le nombre de touristes qui désirent se rendre dans le Nord-Est. Ce qui constitue d’importants manques à gagner financiers pour l’économie centrafricaine.

3.3. Le trafic illicite d’armes

En dépit de la normalisation progressive de la situation sécuritaire dans certains pays voisins dont la plupart ont connu des conflits armés, la Centrafrique à cause de la porosité de ses frontières, continue de subir les effets néfastes de la prolifération et de la circulation illicite d’armes de guerre.

3.4. Le non règlement définitif de la situation des réfugiés militaires revenus d’exil et des « Libérateurs »

Malgré les efforts de réhabilitation faits par le gouvernement, bon nombre de réfugiés et de libérateurs ne sont pas totalement réintégrés. Ils sont disséminés sur toute l’étendue du territoire et peuvent être facilement recrutés pour une action de déstabilisation du fait de leurs conditions de vie très précaires.

3.5. Les faiblesses du système de défense

Les crises récurrentes ont accentué les carences structurelles des Forces Armées Centrafricaines et détruit les moyens déjà limités de cette Armée. En effet, ces Forces de Défense et de Sécurité se trouvent dans un état de dénuement très avancé avec des effectifs vieillissants, manquant de moyens et ne bénéficiant pas de formation.

IV. Les mesures prises et les réformes envisagées

Les Etats Généraux de la défense avaient recommandé certaines dispositions telles que, le pré-positionnement des unités des FACA et de la Gendarmerie. Cette recommandation a connu un début d’exécution, quoi qu’insuffisant dans certaines localités essentiellement dans le Nord et l’Est du pays. La faiblesse des moyens en personnel, matériel et finance a entravé la conduite efficiente des missions de défense et de sécurité sur le terrain.

L’appui des troupes de la CEMAC et de la coopération française, a renforcé les dispositifs de sécurité qui s’installent progressivement. Cependant, beaucoup reste à faire avec l’apparition de nouvelles formes de violences commises notamment par les coupeurs de route et autres bandes armées. La paix et la protection des personnes et des biens ne sont pas encore totalement acquises.

La situation sécuritaire demeure encore une préoccupation en République centrafricaine. Sa maîtrise est un préalable incontournable au fonctionnement normal de l’Etat, au bon déroulement de la transition et à l’organisation des prochaines consultations démocratiques.

Ainsi, les solutions doivent être envisagées à moyen et à court terme en raison de l’imminence des échéances électorales devant conduire au retour à la légalité constitutionnelle mais aussi en vue d’assurer les meilleures conditions pour la relance économique.

4.1 Solutions à court terme

Les mesures à prendre à court terme sont les suivantes :

  • La poursuite des actions menées par la France dans le cadre de la restructuration des Forces de défense et de sécurité. A cet égard, elle a déjà formé et équipé deux bataillons et devrait poursuivre son action en formant deux autres bataillons. Un escadron de gendarmerie mobile de 120 hommes a été formé et est opérationnel. Un concours de recrutement d’un second escadron a été lancé et la formation va démarrer prochainement.

  • Poursuivre le pré-positionnement des unités pour une couverture judicieuse du territoire national ; l’axe d’effort principal devra être mis sur les zones d’insécurité. Ce pré-positionnement permettra de rapprocher les troupes des zones sensibles et ainsi de réduire les délais d’intervention en cas de crises. Par ailleurs, il limitera les incursions transfrontalières, tout en favorisant le retour des réfugiés centrafricains en toute sécurité.

  • Il faudrait assurer la montée en puissance des détachements pré-positionnés en augmentant les effectifs et en leur fournissant des moyens adéquats y compris logistiques.

  • Le renforcement de la Force Multinationale en Centrafrique (FOMUC). Compte tenu de l’étendu du territoire centrafricain, et du mandat de la FOMUC, il faudrait procéder à une montée en puissance de ces Forces CEMAC.

4.2 Les solutions à moyen terme

La restructuration des Forces de Défense et de Sécurité est nécessaire afin de donner à la République centrafricaine une Armée professionnelle, opérationnelle et républicaine. Dans ce cadre un accent particulier doit être mis sur :

  • La réorganisation des Forces de Défense et de Sécurité ;

  • Le rajeunissement des effectifs des Forces de Défense et de Sécurité ;

  • L’équilibre ethnique des Forces de Défense et de Sécurité ;

  • L’amélioration des conditions de vie et de travail ;

  • La dotation en équipements organiques ;

  • La formation du personnel ;

  • La réhabilitation des infrastructures existantes notamment des casernes;

  • La mise en place d’une cellule de prévention et gestion des crises ;

  • Le renforcement de la coopération bilatérale et sous-régionale.

V. Les mesures de Désarmement, de Démobilisation et de Réinsertion (DDR)

Les conflits régionaux et la perméabilité des frontières sont à l’origine des flux et reflux incontrôlés d’armes de guerre sur le territoire centrafricain. Ce trafic illicite favorise incontestablement la création des milices qu’il alimente, suscite et entretient la violence au sein des groupes de jeunes aux conditions de vie précaire et des militaires centrafricains en rupture de ban avec leur hiérarchie.

En considération de ce qui précède, la maîtrise de la situation sécuritaire passe aussi par le désarmement de ces milliers de gens à travers la mise en œuvre d’un programme de Désarmement, de Démobilisation et de Réinsertion (DDR).

A cet égard, le Projet de Réinsertion des ex-combattants et d’Appui Communautaire (PRAC) s’inscrivant dans le cadre du Programme Multi bailleurs de Désarmement et de Réinsertion (PMDR), qui vient de démarrer, est un atout majeur.

VI. La dimension régionale

Il convient de rappeler que, depuis plus de dix ans, la RCA subit les effets négatifs des guerres qui se déroulent dans la région des Grands Lacs, en accueillant des milliers de réfugiés de la RDC, du Burundi et du Rwanda mais également des conflits armés des pays voisins comme le Tchad et le Soudan. Ces guerres, combinées aux rebellions internes en RCA ont accentué la prolifération transfrontalière d’armes de guerre. En outre, les conflits centrafricains qui étaient internes au départ, ont fini par revêtir un caractère régional.

A cet égard, le 10 janvier 2002, le Président du Conseil de sécurité, dans sa déclaration faite à la presse, avait souligné que : « les membres du Conseil de sécurité restent profondément préoccupés par le fait qu’il existe une interdépendance entre la crise persistante qui sévit en République centrafricaine et la situation dans les Etats voisins en particulier, et dans la sous-région en général ».

Cette inquiétude du Conseil a été renouvelée le 28 octobre 2004, suite à l’examen de la situation en République centrafricaine. A ce propos, le Président du Conseil de sécurité a fait au nom du Conseil la déclaration suivante : « le Conseil exprime une nouvelle fois sa préoccupation quant aux conséquences potentielles que peuvent avoir sur la République centrafricaine les crises qui affectent la sous-région. Aussi accueille-t-il avec satisfaction l’initiative du Secrétaire général visant à demander au BONUCA d’évaluer les implications de la situation dans les pays voisins sur celle prévalant en République centrafricaine et vice versa ».

VII. Conclusion

Malgré les efforts des autorités de transition et les progrès réalisés, on assiste encore, à la persistance de certains facteurs du conflit tels que décrits plus haut, notamment : l’insécurité dans certaines zones, la pauvreté, les arriérés de salaires.

En définitif, la situation sécuritaire de la RCA demeure précaire et mérite d’être assainie en vue de la reprise des activités socio-économiques dans un climat social plus ou moins apaisé et viable. Cela pourra contribuer au bon déroulement des prochaines échéances électorales, étape nécessaire au retour à la légalité constitutionnelle et à la mise en place des Institutions Démocratiques.

Compte tenu de la dimension régionale, il est donc important de mener la réflexion sur une stratégie consistant à avoir une approche concertée et une vision globale de la résolution des conflits quelle que soit la formule envisagée ou adoptée. En effet, si les menaces, les crises et les conflits ignorent les frontières et revêtent un caractère transnational, les mécanismes de gestion devraient, tout aussi bien, s’appliquer à la fois, et en même temps, à un ensemble sous régional ou régional. A cet égard, les mécanismes sous-régionaux de prévention et règlement tels que le Conseil de Paix et de sécurité (COPAX) de la CEEAC et le récent « Pacte de Non-Agression, de Solidarité et d’Assistance Mutuelle » de la CEMAC, doivent être privilégiés.

La situation actuelle en Centrafrique est un véritable test pour l’architecture de paix et de sécurité. Si les organisations africaines ont été capables de déployer une force, celle-ci n’est pas en mesure d’assumer pleinement sa mission. Il convient donc d’inventer un partenariat ad hoc et novateur avec les Nations unies, l’UE, les Etats-Unis et la France pour compenser dans l’urgence ce déficit de capacité. Plus de dix ans après la création de l’architecture de paix et de sécurité, force est de reconnaître qu’en Centrafrique la solution africaine que chacun appelle de ses vœux ne pourra se passer d’un appui extérieur plus intense et plus rapide.

Les causes des conflits armés en Centrafrique s’expliquent par l’échec des efforts de démocratisation depuis la chute de l’ancien président Jean Bédel Bokassa, la prolifération des groupes armés et des armes légères à la suite de multiples coups d’Etats, le manque de dialogue franc et sincère entre le pouvoir et l’opposition depuis 1992, la centralisation et la concentration du pouvoir de l’Etat par l’exécutif et la porosité des frontières centrafricaines.

L’autre aspect est la pauvreté et la misère des populations, le tribalisme et le recrutement sur la base de critères obscurs dans les forces armées centrafricaines, l’impunité de certains auteurs présumés de graves violations de droits de l’homme et l’insuffisance et la détérioration des infrastructures de base.

La piste pour la résolution pacifique de ce problème se résume en six axes qui sont entre autres, la vulgarisation des instruments relatifs à la protection des populations vulnérables, le renforcement du rôle de la justice dans la sanction des personnes qui ont commis des crimes, de rendre les crimes imprescriptibles et renforcer le bénéfice de l’armistice, encourager le travail des historiens, commémorer les évènement dans un esprit de réconciliation et travailler pour la promotion des valeurs démocratiques.