Calvin MINFEGUE ASSOUGA, Cameroun, July 2014
Le conflit entre Gbaya et Mbororo à Mandjou (Est Cameroun)
Entre une autochtonie « virtuelle » et des revendications aux relents socio-économiques
Mise en contexte
Le Cameroun est généralement considéré comme un pays se caractérisant par une riche diversité ethnique et communautaire. Cette richesse culturelle donne lieu à de nombreuses interprétations et à des usages tout aussi variés. La diversité ethnique ou communautaire est très souvent au cœur d’enjeux politiques et sociaux. Elle sert régulièrement de socle explicatif (parfois à tort) au foisonnement de nombreux conflits qualifiés selon les cas de conflits communautaires ou inter-ethniques. Les oppositions entre communautés1 Gbaya et Mbororo dans la localité de Mandjou dans la région de l’Est Cameroun, constituent à cet effet un cas illustratif suffisamment pertinent pour deux raisons étroitement liés :
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La première est le caractère déflagrant des événements antagoniques entre ces deux groupes (en 2002 puis en 2011).
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La seconde est liée à une assimilation courante des oppositions entre ces deux groupes à une opposition historique entre des « autochtones » et des « étrangers ».
L’objectif de la présente note, tout en s’arrimant fortement aux violences directes entre Gbaya et Mbororo à Mandjou en 2011, est de proposer une analyse (plus) prudente de ce conflit et de sa nature. De ce fait, deux hypothèses sont posées.
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La première est qu’au regard des trajectoires migratoires historiques de ces deux groupes, les notions d’autochtonie et d’allochtonie deviennent localement relatives, voire peu pertinentes.
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La seconde hypothèse considère que les causes réelles de l’opposition entre Mbororo et Gbaya relèvent d’un agrégat de facteurs socio-économiques (tout aussi historiquement construits) et politiques aux relents parfois transnationaux.
La confrontation de ces hypothèses aux faits s’appuiera sur l’exploitation intense de données documentaires et des informations collectées sur le terrain auprès d’habitants et d’acteurs de la localité via la conduite d’une dizaine d’entretiens. A cet effet, il s’agira après une brève présentation du contexte administratif et socio-économique de la localité, de présenter et décrire les acteurs du conflit dans leurs diversités et spécificités, d’analyser les causes (profondes) du conflit ainsi que les facteurs de violence structurelle à l’œuvre et d’en proposer une analyse plus affinée en mobilisant, entre autres, l’outil du « triangle des conflits » (complété par le cadre conceptuel de l’outil « Conflits Intercommunautaires à l’échelle locale » - CIEL) ainsi que des pistes de transformation en se basant sur l’approche de l’empowerment.
Contexte administratif et physique
La localité de Mandjou, espace d’expression du conflit entre Gbaya et Mbororo étudié ici, était anciennement appelée « Bertoua rural ». Il s’agit d’une localité située dans la région de l’Est du Cameroun dans le département du Lom et Djerem. D’une superficie de 8 500 km2, la localité a été érigée en commune autonome au mois d’avril 2007.
Au plan physique, la localité est incluse dans une zone de transition entre la zone forestière et les savanes de la zone septentrionale. On y retrouve donc des savanes-arbustives. Par endroits, on trouve des îlots forestiers importants. Le climat y est chaud et humide et comporte quatre saisons (deux saisons de pluie et deux saisons sèches).
Figure 1 : Localisation de la commune de Mandjou dans la région de l’Est-Cameroun
Aperçu socio-économique
Mandjou compterait, d’après les données municipales, une population évaluée en 2012 à environ 50 000 habitants repartis inégalement entre 25 villages et quartiers. Cette structuration territoriale entre villages et quartiers reflète sa trame mixte comprenant un centre urbain et un espace rural
Tableau 1 : Villages composant la localité de Mandjou
Villages / quartiers de la localité de Mandjou | Bazzama I, Bazzama II, Ndembo , Ngamboula , Ndemnam , Sambi , Ndong Mbome , Bindia , Mandjou I , Mandjou II , Kouba , Adinkol , Gounté , Moïnam , Boulembe , Daïguene , Mboulaye I , Ndembo (Axe GB) , Grand Mboula , Koubou , Letta , Ndoumbe , Ndanga Ndengue , Kandara , Toungou. |
La localité regroupe de nombreuses communautés dont les trois principales sont les Gbaya, les Kako et les Mbororo. Les deux premiers s’investissent principalement dans des activités agricoles et commerciales. Les seconds exercent des activités pastorales et commerciales. Le niveau de vie y est très faible à l’instar des localités de la région de l’Est avec un taux de pauvreté avoisinant 50 %2.
Les acteurs-clés du conflit (acteurs de premier ordre).
Les principaux acteurs du conflit mis en exergue ici sont les communautés Gbaya et Mbororo. Ils représentent des groupes dont les trajectoires historiques révèlent l’extrême hétérogénéité de leur composition.
Aux sources fragiles d’une autochtonie de la communauté Gbaya
La communauté Gbaya est un groupe dont les origines puisent à diverses hypothèses. La première hypothèse fait état d’une origine soudanaise notamment dans une région située entre le Lac Tchad et la Benoué. La seconde hypothèse renvoie à un foyer d’origine méridionale situé vers le bassin de la Lobaye. La troisième hypothèse, qui puise abondamment dans la mémoire collective (et historique) de ce groupe fait référence à un foyer oriental situé en zone centrafricaine. Cette dernière hypothèse semble appuyée par des données archéologiques qui permettent d’après BAH, de circonscrire leur habitat originel « aux vallées inférieure et moyenne de la Lobaye, avec une extension au nord-ouest vers la Basse- Nana »3. Sous l’effet des razzias (aux motivations esclavagistes), le déplacement de ces peuples s’est orienté vers l’ouest en direction du Cameroun. Ce d’autant plus que leur mode de vie fondé sur la chasse et la cueillette appelait à une grande mobilité qui ne permettait pas toujours une stabilisation territoriale définitive. Au plan de l’organisation politique, les Gbaya constituaient une société dénuée d’autorités détentrices de pouvoirs permanents et clairement définis. Les seules autorités socialement acceptées étaient circonscrites au niveau patriclanique ou de la famille étendue.
Toutefois, la structure sociale s’est progressivement modifiée au fil de l’histoire sur l’influence notamment des Peuls. Principalement marqué par des rapports de guerre, l’impact sur le plan politique des relations entre Gbaya et Peuls a été un effort de constitution d’une communauté Gbaya assujettie à un pouvoir permanent. Historiquement, cette initiative est attribuée à Ndiba, un leader clanique qui entreprit une action d’unification des différents clans vers 1860 tout en mettant en place une organisation militaire afin d’assurer une hégémonie sur leur territoire de confinement. Cet effort poursuivi par le fils de Ndiba, Mbartoua, est à l’origine de la constitution de la Chefferie de Bertoua (dont le noyau originel fut la localité de Gaimona). Un autre élément intéressant à noter est que dans sa dynamique expansionniste faite d’alliances matrimoniales et d’assujettissement par la force, Mbartoua put négocier un statut privilégié avec le Lamidat de N’Gaoundéré. Il recevait, tout en étant astreint au tribut annuel, des dons de la part du Lamido qui lui assurait des transactions privilégiées avec le monde musulman par l’intermédiaire de commerçants Hausa et Kanouri, et des représentants du Lamido résidant à Gaimona appelés adjia. On voit déjà à ce niveau un processus d’intégration par le biais d’alliance particulières d’individus et donc de groupes d’origine « étrangère » au sein des communautés Gbaya.
Il apparaît donc que la communauté Gbaya peut difficilement, au vu de sa trajectoire migratoire et de ses particularismes socio-politiques, revendiquer une autochtonie fondamentalement « originelle » liée à leur occupation actuelle dans l’Est Cameroun. Cela en appelle à une extrême prudence dans la manipulation et l’usage de la notion de l’autochtonie. En outre, de nombreux Gbaya originaires de la RCA, viennent grossir aujourd’hui localement le groupe d’individus se revendiquant de cette culture. Toutefois, deux éléments majeurs marquent la rupture entre ces deux sous-groupes (Gbaya de Mandjou et Gbaya originaire de RCA) : au niveau structurel, la propriété foncière et au niveau courant, les subtiles différences (de ton notamment) dans le langage.
La communauté Mbororo, un groupe hétérogène et difficilement délimitable ou à mi chemin entre le nomadisme et la sédentarisation
A titre introductif, le groupe Mbororo s’inscrit dans le grand ensemble Peul comprenant, entre autres, le sous-groupe Foulbé. De nombreuses thèses ont été évoquées par des auteurs4 au sujet de l’origine des Peuls. Ils seraient originaires de la région du Haut-Nil. Leurs migrations se seraient déroulées en deux vagues.
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La première vague correspond à une phase de migrations, à la période néolithique, vers le Sahara alors verdoyant. L’assèchement du Sahara les contraint à nouveau à se déplacer vers le Sud.
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La seconde vague correspond à un déplacement vers le Sud dans la région du Tekrour. Cette région est un cadre de référence majeure de l’ethnogenèse Peul. C’est là que fut élaborée la langue Fufulde. C’est également de cette région que les Peuls s’orientèrent vers la recherche de zones propices à l’élevage dans la zone soudano-sahélienne vers le 16e et 18e siècle.
La conversion de ce peuple à l’islam est récente et remonterait au 18e siècle. En rejoignant les développements de BURNHAM sur le sujet, Il faut néanmoins distinguer deux sous-groupes : les Peuls « sédentaires » investis dans les activités agropastorales (les Foulbés) et les Peuls nomades (les Mbororo) qui se consacrent à la transhumance pastorale. L’installation des ancêtres des Mbororo dans la grande région constituée par l’Adamaoua et de l’Est du Cameroun se serait effectuée après celle des Foulbés et la consolidation des Etats de ces derniers. Les premières formes de sédentarisation qu’on pourrait qualifier de « permanente » de ces derniers dans la zone remontent à la fin du 19e siècle. Il s’agit d’un groupe hétérogène dont la composition correspond historiquement aux « modes d’incorporation différenciée » par le biais de mariages entre les membres de ce groupe et ceux d’autres communautés notamment dans le cas d’espèce les Gbaya et les Mbum ou encore par l’enrôlement d’officiers esclaves dans les formes d’organisation socio-politique des espaces conquis. Le terme « Mbororo » est donc comme le considère DOGNIN, une « épithète culturelle » qui réfère à des « réalités sociologiques et des modes de vie variés ». Les premières tentatives de sédentarisation de ce groupe nomade remonte à la période coloniale lors de phases où les chefs Gbaya furent considérés par l’administration coloniale comme les chefs de certaines zones de l’Adamaoua notamment. Les Mbororo établirent à cette période des relations pacifiques avec les Gbaya sous la forme d’échanges de produits (produits laitiers contre denrées agricoles). C’est à cette période que remontent également les premières disputes entre ces deux communautés sur le motif de la destruction des champs des Gbaya par les troupeaux des Mbororo. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui dans la localité de Mandjou, les Mbororo sont un groupe sédentaire et dont le nomadisme (adossé aux activités pastorales) n’est plus un trait caractéristique exclusif. En fait, la pratique de l’élevage bovin est une activité pratiquée par des élites Mbororo au pouvoir financier important et localement appelé « Alhadji ». Les autres membres de la communauté s’investissent dans le commerce notamment dans le centre urbain de la localité. Dans les villages où sont installés des familles Mbororo, la pratique d’un élevage de subsistance est de mise.
Les crises politiques successives en RCA ont également favorisé les déplacements des Mbororo de ce pays, notamment de l’Ouest de la RCA vers l’Est du Cameroun. Certains se sont installés d’ailleurs dans la localité de Mandjou où ils constituent une proportion importante des réfugiés et occupent des espaces situés à l’écart du reste de la communauté dans certains villages, notamment ceux de Bindia, Boulembe, Bazzama I et II. Toutefois, il apparaît aujourd’hui que certains ressortissants de RCA appartenant à d’autres communautés sont abusivement assimilés à des Mbororo du fait de leurs modes de vie.
Les acteurs de second et de troisième ordre du conflit
La posture historiquement inconstante de l’administration
Dès la période coloniale, l’administration a utilisé l’apparente opposition historique entre Bororos et Gbaya à des fins spécifiques. Comme cela a déjà été précédemment évoqué, l’administration coloniale se servit à un moment donné des Peuls (Foulbés) notamment comme relais territoriaux dans la région de l’Adamaoua avec une influence sur la partie septentrionale de l’actuelle région de l’est Cameroun. Ces détenteurs d’autorité ont été successivement utilisés par les Allemands et les Français comme des intermédiaires dans leur système d’administration. Le renforcement relatif de l’autorité de la chefferie Gbaya dans la région de Bertoua (incluant Mandjou) par l’administration coloniale conduisit à une certaine supériorité locale (pas nécessairement une domination violente) de ce groupe sur les Mbororo.
Au lendemain de l’indépendance du pays, la présence à la tête de l’Etat d’un président d’origine Peule a conduit à une sorte de regain de fierté de ce groupe mais plus précisément du sous-groupe Foulbé. Des actions telles la subdivision du grand Nord en trois grandes régions ont contribué à façonner une identité territoriale « virtuellement » propre à cette communauté. Sous le parti unique, les Mbororo ont entretenu une distance vis-à-vis de l’Etat camerounais qui semblait ne pas non plus leur accorder une attention spécifique. Le multipartisme et la compétition politique qui s’en est suivie, a remodelé ces rapports à l’Etat et plus globalement au fait politique quoique l’intensité au niveau de la localité de Mandjou soit demeurée faible. Toutefois, cette période coïncide aussi avec la création, en 1992, d’une association de promotion des intérêts des Mbororo, le MBOCUSDA. Cela a suscité un début de mobilisation extra politique.
Aujourd’hui, les Mbororo sont officiellement considérées comme des minorités indigènes faisant face à de nombreuses difficultés socio-économiques. Il s’est donc agi via des programmes et des actions spécifiques d’accroître leur implication aux affaires publiques, de renforcer leurs droits. L’administration à ce niveau s’est donc (du moins sur le plan d’un positionnement public sur le sujet) engagée dans des actions de valorisation des droits de ce groupe. Toutefois, cette posture ne doit pas être généralisée. En effet, sur certaines thématiques précises, on note une sorte d’abandon de l’administration notamment en matière foncière. L’administration et plus globalement l’Etat, semble avoir cessé d’assurer un rôle de régulateur sur cette question au vu des marges de manœuvre qui sont laissées aux acteurs locaux dans certaines régions (chefferie, leaders communautaires).
Les autres communautés de Mandjou : entre partis pris et non-alignement
De nombreuses autres communautés vivent dans la localité de Mandjou et leurs positions vis-à-vis du conflit qui oppose les Gbaya aux Mbororo se caractérisent par deux attitudes : le parti pris et le non alignement.
Le parti pris est le fait de communautés proches des Gbaya de par leur revendication commune à l’autochtonie de la zone. Il s’agit principalement des Kako dont certains membres se sont souvent directement impliqués dans les violences ayant opposé les Gbaya aux Mbororo.
Les autres communautés résidant dans la localité ne s’impliquent pas directement dans le conflit étudié ici. Du fait de leur statut d’ « allogènes », ils s’estiment peu concernés par cette opposition. Ce non alignement est également une posture sécuritaire dans la mesure où ne pas s’impliquer est l’assurance de ne pas être considéré comme un ennemi par l’un ou l’autre des groupes.
Les organismes internationaux
La localité de Mandjou abrite de nombreuses missions d’organismes internationaux investis notamment dans l’encadrement des réfugiés centrafricains et la conduite d’actions sociales. Il s’agit principalement du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la Croix rouge, l’UNICEF et Plan-Cameroun. Ces organismes interviennent dans l’encadrement des réfugiés à travers la construction de camps, l’appui à l’alimentation et plus globalement à l’insertion locale des déplacés centrafricains d’une part et l’encadrement des orphelins et enfants vulnérables d’autre part.
Des causes multidimensionnelles à l’œuvre dans la construction et la perpétuation du conflit
Il est tout d’abord nécessaire de préciser que les causes profondes sont ici à différencier dans une logique à la fois structurelle et stratégique des causes immédiates au conflit qui elles peuvent varier dans le temps et constituent très souvent des triggers (des déclencheurs) aux manifestations violentes du conflit. Dans le cas d’espèce, le déclencheur des violences de 2011 a été le meurtre, le 19 juillet de cette année, d’un jeune Gbaya par des Mbororo. Le même type d’incident avait déjà provoqué des soulèvements en 2002.
A l’analyse des informations collectées sur le conflit étudié ici, il ressort que les causes profondes du conflit entre communautés Gbaya et Mbororo sont de trois ordres : foncier, socio-économique et culturel.
L’accès à la terre : droit des premiers occupants et accès limités des suivants…
Le droit à la terre ou l’accès à la terre est l’un des principaux facteurs d’opposition entre les deux communautés. L’opposition à ce niveau s’exprime localement selon deux modalités :
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Premièrement, Les Gbaya du fait de leur ancienneté sur l’espace, en occupent la plus grande partie. Ils valorisent cet espace essentiellement à travers des activités agricoles pratiquées selon une logique extensive. Les Mbororo (une faible proportion) qui occupent une portion moins importante, la consacrent dans les zones rurales à l’élevage. Il semble que leurs troupeaux du fait de la faible étendue des territoires qui sont les leurs, détruisent très souvent les champs et autres plantations des communautés Gbaya. Cette situation est à l’origine de nombreuses oppositions entre les deux communautés. Ce type de scénario est toutefois spatialement limité à des villages précis dans la zone de Mandjou.
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Deuxièmement, l’afflux de réfugiés Mbororo d’origine centrafricaine a perturbé la distribution ethnique sur l’espace. Ces nouveaux migrants se sont très souvent installés sans avis sur des territoires trouvés vacants (au sens de l’absence d’habitats) qui appartenaient (au plan coutumier) à des groupes Gbaya. Cela a entraîné des altercations (sans déflagrations) entre les deux groupes nécessitant l’intervention des organismes internationaux en charge de l’encadrement des réfugiés notamment les représentations locales du Haut Commissariat des Réfugiés et l’ONG Plan.
Dans ces cas de figure, l’accès à la terre semble verrouillé par la main mise des premiers occupants que sont les Gbaya. La terre est donc pour les autres communautés une ressource peu accessible notamment au plan financier. En effet, les coûts des parcelles de terrain pour certains membres de la communauté Mbororo, sont prohibitifs. La proximité avec Bertoua, capitale régionale et le passage de la route reliant la région de l’Est au Nord a entraîné une flambée des coûts.
Une configuration socio-économique diamétralement opposée ?
Un examen socio-économique de la localité montre que les profils y relatifs des deux communautés sont distincts. L’essentiel de l’activité économique semble détenue par les Mbororo tandis que les Gbaya exercent des activités agricoles, artisanales et occupent subsidiairement des fonctions administratives ou relevant du service public. Le commerce vivrier est le fait des femmes Gbaya. Compte tenu de la place centrale de l’économie via le commerce dans les rapports sociétaux, les personnes qui exercent dans ce secteur dans le cas d’espèce principalement les Mbororo, bénéficient d’excellents rapports avec les autorités. Ces rapports sont assimilés à du favoritisme par les Gbaya. Il s’agit là d’un élément important de l’antagonisme entre ces deux communautés. Il convient de noter néanmoins que ce problème semble mal posé ou du moins s’appuie sur des référents factuels faussés. En effet, l’activité économique semble globalement aux mains d’individus musulmans. Ces derniers n’appartiennent pas tous au groupe Mbororo. A ce niveau, l’économie ou plus précisément le marché du centre urbain de Mandjou devient également un lieu de déportation du conflit entre les deux groupes. En effet, les commerçants Mbororo sont souvent accusés d’attitudes violentes vis-à-vis des femmes Gbaya, vendeuses de produits vivriers sur les marchés.
De la réalité d’une opposition culturelle : entre fantasmes historiques, constructions populaires et difficile cohabitation…
Il est généralement fait état de l’opposition culturelle, en l’occurrence religieuse, entre Gbaya et Mbororo comme étant la source des conflits qui les opposent dans la localité de Mandjou. Historiquement les Gbaya, animistes ont été convertis dans certaines localités notamment dans l’Adamaoua, à l’Islam par les Peuls. Certains groupes de cette communauté qui ont pu se réfugier dans l’Est-Cameroun même s’ils n’ont pas toujours échappé à l’influence des Peul, se sont convertis au christianisme dans le sillage du long processus colonial. La thèse d’une rancune historique des Gbaya, plus tard christianisés, vis-à-vis de l’ancien envahisseur Peul musulman identifié aujourd’hui au Mbororo est très souvent avancée. Cette posture semble partiellement ébranlée par l’extrême hétérogénéité du groupe Gbaya où l’on retrouve la pratique assez importante de l’islam. De ce fait, la religion ne peut être considérée comme un déterminant majeur de l’identification des individus appartenant à l’une ou l’autre des communautés.
De nombreuses récriminations sont faites par les Gbaya à l’endroit des Mbororo. Ces derniers sont accusés de vol dans les champs des communautés Gbaya. Relativement à ce point, un enseignant exerçant dans la localité rappelle que « même si cette accusation est fondée, le vol est souvent perpétué par des jeunes Mbororo n’exerçant aucune activité. Mais très souvent, il y a des exagérations dans la mesure où tout vol commis dans un champ Gbaya sera rapidement mis sur le compte des Mbororo (…)». De nombreuses autres accusations quotidiennes donnent de l’ossature à ces récriminations courantes : brutalités des commerçants Mbororo à l’endroit des femmes Gbaya au marché, le caractère hautain et méprisant des Mbororo à l’endroit des autres groupes, etc. Globalement, ces perceptions fausses et négatives de l’autre, de la part des Gbaya contribuent à polariser le conflit autour d’enjeux indistinctement subjectifs et structurels. Les Mbororo pour leur part, semblent mettre en avant la xénophobie des Gbaya, peu enclins à les considérer comme des citoyens ayant le droit de vivre dans la localité. Il semble donc y avoir une stigmatisation réciproque de chacune des communes qui voient en l’autre le « coupable » ou le « responsable » de cet état de fait conflictuel.
Une option réductrice est souvent de trouver dans la montée en puissance du conflit des causes liées à l’arrivée de « nouveaux occupants » indistinctement les Mbororo et les réfugiés venant de RCA. A cet égard, le Gouverneur de l’Est d’alors déclarait : « c’est un problème de cohabitation qui peut se générer en guerre civile (…) Ceux qui sont arrivés doivent respecter ceux qu’ils ont trouvés ! »5. L’expression « ceux qui sont arrivés » dans le contexte des propos de l’autorité renvoie aux réfugiés Mbororo mais attribue aussi une allochtonie certaine à la communauté Mbororo déjà fortement sédentarisée. On est là dans la construction de « l’étrangéité » d’une partie au conflit qui devrait être considéré avec une extrême précaution dans les efforts de compréhension de cette opposition.
Analyse de la violence structurelle en présence dans le conflit
Au plan structurel, les membres du groupe Mbororo sont en marge d’un certain nombre d’institutions, de norme sociales. Cet état des choses peut être systématiquement associé à un déficit d’action étatique ou à une instrumentalisation (au niveau politique) par des acteurs locaux. Ce groupe en lui-même semble souvent développer des pratiques qui le mettent en marge du système social (notamment en matière de valorisation de l’éducation). Trois éléments nous paraissent à cet égard important : l’accès à la terre, l’éducation et la participation politique. La violence structurelle en présence dans le conflit se structure autour de ces points.
Un accès à la terre limité
On l’a très bien vu, les Mbororo sont présent depuis longtemps dans la localité de Mandjou. Leur sédentarisation, toutefois, ne leur a toujours pas permis d’avoir un accès à la terre. L’essentiel de la terre, étant selon des modalités de possession coutumière, aux mains des Gbaya. Le système d’appropriation de la terre ici leur est donc préjudiciable. A l’exception des membres de la communauté ayant un pouvoir financier important, l’accès à la terre passe par des stratégies informelles d’accaparement direct des terres trouvées vacantes. Une terre vacante, dans des localités rurales, n’étant pas sans propriétaire, cela conduit mécaniquement à des conflits. Toutefois, ce genre de situation a été souvent aussi le fait de Mbororo réfugiés d’origine centrafricaine. Le mode d’attribution de la terre basé sur la coutume et qui prédomine ici semble donc défavorable aux Mbororo.
Une communauté localement sous-alphabétisée
Les Mbororo s’avèrent être l’un des groupes peuplant Mandjou au sein duquel le taux d’alphabétisation est le plus faible. Deux raisons semblent justifier cette situation. D’une part, l’éducation ne constitue pas culturellement (au sens des valeurs) une priorité pour les familles Mbororo. L’enfant étant plus utile s’il s’investit directement dans une activité génératrice de revenus comme le commerce ou le petit élevage. D’autre part, des contraintes financières réelles empêchent les familles d’envoyer leurs enfants à l’école. L’essentiel des revenus disponibles au sein de la cellule familiale étant prioritairement orienté vers les besoins de base (nutrition notamment) ou vers le développement d’activités commerciales ou de petit élevage selon les cas. Cette contrainte financière est flagrante au niveau des études secondaires notamment. Ces problèmes ont mobilisé l’attention de programmes étatiques et du MBOCUSDA. Cette dernière mène des actions de recensement des enfants Mbororo et leur inscription dans des établissements scolaires. Un suivi est ensuite fait pour s’assurer de l’effectivité de la fréquentation de ces établissements par les enfants. Le but étant de sensibiliser et d’accompagner l’insertion scolaire des membres de ce groupe. Toutefois, les positions culturelles sus-évoquées en limitent parfois la portée sur la durée.
Une participation politique non enclenchée et ni favorisée
A l’instar de la problématique de l’accès à la terre, les Mbororo sont très peu représentés dans les instances de pouvoir local. Deux éléments majeurs caractérisent cette faible participation politique des Mbororo :
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une insuffisante conscientisation politique des Mbororo : elle est adossée sur la faible alphabétisation des Mbororo. Celle-ci ne favorise pas toujours le développement de leur culture politique et partant de leur participation à ce niveau ;
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une configuration politique locale entièrement animée par les Gbaya : l’autochtonie admise des Gbaya associée à leur importance démographique en fait localement le groupe stratégique au plan politique. Cette communauté anime de fait la vie politique de la localité avec l’action d’élites qui n’hésitent pas à se servir de la fibre ethnique à des fins de mobilisation politique.
On a très souvent noté une absence de représentants Mbororo au sein du conseil municipal. Les élections municipales et législatives de 2013 n’ont pas apporté un changement majeur sur ce plan.
Une analyse par le triangle des conflits
Le triangle du conflit est un outil conceptuel d’analyse qui repose sur le postulat selon lequel chaque conflit est structuré par trois éléments : le comportement des acteurs du conflit (comportements), les mécanismes et les instituions qui structurent leurs relations (structure) et les représentations qu’ils portent (perceptions). Ces trois éléments interagissent entre eux, s’alimentent les uns les autres contribuant à renforcer la trame à la fois complexe, processuelle et dynamique du conflit.
Figure 2 : Modèle graphique du Triangle des conflits
Il est donc intéressant ici d’analyser les comportements, les perceptions et les aspects structurels à l’œuvre dans la construction et l’expression du conflit opposant les deux communautés.
Des comportements marqués par l’hostilité mais pas toujours généralisables à l’ensemble des deux communautés
Les deux communautés ont développé un antagonisme flagrant qui au fil du temps s’est perpétué. Cet antagonisme se traduit par les comportement violents se manifestant, dans le registre de la violence directe, par la destruction et le vol de biens, des altercations physiques aboutissant même à des meurtres. Dans le registre des formes de violence moins directes, on peut évoquer le déni de l’accès à la terre aux Mbororo. Même si ces comportements reflètent très bien l’opposition entre les deux communautés, ils ne devraient pas être généralisés. En effet, des cas de comportements coopératifs sont décelables au sein de la société. Un habitant de la localité résume cette situation ainsi : « les mauvais actes sont souvent commis par certains Mbororo ; pourtant nous voyons certains d’entre eux qui ont des bonnes relations avec les Gbaya. Certains sont même de bons amis… ».
Des perceptions inscrites dans des dynamiques de criminalisation de l’autre et de victimisation de soi
Les perceptions que chacune des communautés a de l’autre constituent un facteur d’envenimement constant du conflit qui les oppose. Ces perceptions s’inscrivent dans un processus de construction de l’ennemi doublé d’une dynamique de victimisation de soi. Elles sont donc ici constantes. Il semble y avoir une stigmatisation réciproque de chacune des communautés qui voient en l’autre le « coupable » ou le « responsable » de cet état de fait conflictuel. Ces perceptions se traduisent par une série de préjugés. Les Mbororo sont considérés par les Gbaya comme des personnes « méprisantes », « fermées » et « hautaines ». On voit en eux des personnes à la cohabitation difficile et dont le seul but serait de perpétuer et d’imposer leurs modes de vie. Le Mbororo est donc perçu comme un individu à la cohabitation impossible. Les Gbaya à leur tour sont considérés par les Mbororo comme une communauté, des individus « peu ouverts » et qui s’accaparent des terres en les empêchant d’y avoir accès. Ils sont accusés également d’avoir peu de considération à leur endroit. Parallèlement, les Gbaya estiment que les autorités administratives ont une posture de favoritisme à l’endroit des Mbororo du fait de leur pouvoir économique. On est à la fois, dans chacun des cas, sur des « perceptions fausses et positives » de soi, des « perceptions fausses et négatives » de soi (victimisation) et des « perceptions fausses négatives » de l’autre (construction de l’ennemi).
Des structures de marginalisation tridimensionnelle
Les institutions et mécanismes politiques, économiques et sociaux qui déterminent la distribution des ressources et la satisfaction des besoins primaires semblent enclins à favoriser les inégalités ou du moins l’inégale répartition du pouvoir entre ces deux groupes. Cela est perceptible au niveau de l’accès à la terre, de l’éducation et de la participation politique. Ces trois éléments constituent des axes sur lesquels reposent l’ensemble des facteurs de consolidation, voire de perpétuation du conflit. Ces éléments se structurent autour de l’accès difficile à la terre pour les Mbororo, de la sous-alphabétisation et de leur marginalisation de la vie politique au niveau local.
Tableau 2: Répertoire générique des comportements, des perceptions et des éléments structurels caractérisant le conflit entre Gbaya et Mbororo à Mandjou
Comportements | Comportements d’hostilité (violence directe): destruction des biens, vols de biens, meurtres Violence moins directe : déni de l’accès à la terre. |
Perceptions | –Identification de l’ennemi en l’autre. –Victimisation de chacune des communautés. |
Structures | –Faible accès des Mbororo à la terre. –Sous-alphabétisation des Mbororo. –Exclusion de la vie politique au niveau local. |
En se fondant sur l’approche psycho-sociologique, développée par l’Institut pour la Gouvernance en Afrique Centrale (IGAC) dans la conceptualisation de l’outil CIEL (Conflit intercommunautaire à l’échelle locale)6, les données collectées sur le terrain permettent d’établir certaines relations logiques avec les hypothèses développées dans le cadre de cet outil. La mémoire instaure ici une violence non seulement symbolique mais d’abord historique qui s’adosse à des références passées lourdes. La première référence usuelle est l’opposition entre Peuls (incluant les Mbororo) et Gbaya lors des expéditions expansionnistes islamiques7. L’image du Mbororo est par conséquent associée à celle de l’envahisseur violent et est entretenue au fil des générations. La culture valorise des comportements agressifs ou du moins des attitudes agressives. Ici, le port d’armes légères et la détention de couteaux sont normaux au sein de la communauté Mbororo. A ce titre, il est intéressant de relever que les violences de 20118 sont parties du meurtre d’un jeune Gbaya dont la gorge avait été tranchée au couteau par un Mbororo. Cela justifie aussi l’idée de la soudaineté de l’élément déclencheur à l’origine de l’escalade de la violence.
Il est possible de repérer dans les événements de 2011, l’ensemble des étapes de montée de la violence. Ces étapes, conformément à l’approche CIEL sont modélisées dans la figure ci-dessous.
Figure 2 : les étapes de la violence dans le cadre du conflit Gbaya–Mbororo à Mandjou (Adapté de l’outil CIEL)
Le différend isolé au départ et concernant un nombre restreint d’acteurs, aboutit par des mécanismes d’imputation, de stigmatisation identitaire (communautaire) et de diffusion des tensions, à une violence généralisée aux manifestations diverses déjà évoquées.
Une transformation du conflit par une approche basée sur l’empowerment : des pistes d’action…
Les conflits reposent généralement sur une distribution déséquilibrée du pouvoir entre les acteurs, parties prenantes au conflits. La correction de ce déséquilibre semble donc un préalable incontournable à l’instauration d’une paix durable. La répartition du pouvoir entre les acteurs du conflit peut leur conférer un caractère « asymétrique » (répartition inégale du pouvoir) ou « symétrique » (répartition égale du pouvoir entre les acteurs, situation peu commune).
Le terme empowerment renvoie à des pratiques, mieux à des actions, qui consistent à donner aux parties en conflit davantage de poids dans le but de rééquilibrer les rapports de force. Généralement, c’est à la partie la plus faible que l’on donnera du poids notamment en lui permettant d’avoir accès à des ressources ou encore de renforcer ses capacités de négociation, d’action.
Dans le cas du conflit qui oppose Gbaya et Mbororo à Mandjou, on est clairement dans un conflit asymétrique à trois principaux niveaux.
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Au niveau économique, les Mbororo semblent localement disposer du pouvoir économique. Ils détiennent l’essentiel des commerces de la localité.
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Au niveau politique, les Gbaya détiennent l’’essentiel des poste politiques et animent le conseil municipal local. Ils contrôlent de ce fait toutes les décisions politiques relatives à la vie de la cité. Les Mbororo restent sous représentés dans ces instances de décisions locales.
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Au plan socio-culturel, les Gbaya détiennent l’essentiel des terres de la localité. Même si le taux d’alphabétisation des Gbaya reste globalement bas comparativement aux moyennes nationales, il est largement supérieur à celui des Mbororo.
Une action d’empowerment devrait donc nécessairement être multidimensionnelle. Celle-ci devrait être dans une perspective « bourdieusienne », axée sur les agents et les structures. Les agents faisant référence (dans une conception simpliste) aux niveaux de liberté des capacités des acteurs, des individus vis-à-vis du contexte social dans lequel ils s’inscrivent. Les structures, par contre, peuvent renvoyer aux institutions sociales qui déterminent, voire fondent le fonctionnement des sociétés et leurs actions. La posture « bourdieusienne » consiste donc à considérer l’influence des structures sur les individus, leurs comportements (voire leurs perceptions) et en retour àexaminer comment les individus remodèlent, modifient celles-ci.
Les actions envisageables dans le cadre du conflit étudié peuvent mécaniquement porter sur les aspects structurels relatifs aux dimensions économique, politique et socio-culturelle des déséquilibres préalablement relevés.
Au plan économique : travailler à une valorisation des activités conduites par les Gbaya notamment l’agriculture et le commerce vivrier. Cela peut donc passer par la promotion ou du moins l’intensification (vu qu’il existe déjà des programmes dans ce sens) des initiatives visant une modernisation de l’agriculture locale et des circuits de commerce vivrier.
Au plan politique : la sensibilisation des communautés Mbororo à une implication à la vie politique devrait être intensifiée afin de les intéresser aux processus y relatifs. Cela suppose également une action de la part des partis politiques à intégrer et à valoriser ce groupe. Sur un autre plan, les lois et règlements juridiques devraient mettre en avant la valorisation de tels groupes localement « minoritaires ».
Au plan socio-culturel : le système de distribution des terres semble peu favorable à l’accès à la propriété de la communauté Mbororo. Il faudrait définir de nouvelles modalités (formelles) de distribution des terres en vue de corriger ce déséquilibre. A ce niveau, l’Etat est un acteur majeur, seul à-même de conduire ou du moins faciliter une telle réforme. Des actions en vue de favoriser une plus grande alphabétisation des Mbororo sont nécessaires. Cela passe par une sensibilisation des familles Mbororo sur l’utilité et la portée stratégique de l’éducation des membres de leur famille. Ce groupe devrait donc bénéficier d’initiatives publiques de priorisation de leur éducation. Des initiatives allant dans ce sens ont été menées par le MBOCUSDA ou le HCR.
Dans une optique stratégique, il serait intéressant de développer au niveau local de véritables « infrastructures de paix » qui doivent, comme l’indique Tongeren, inclure deux éléments essentiels :
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L’adoption d’une approche coopérative orientée vers la recherche de solutions aux problèmes, basée sur le dialogue et la non violence et favorisant la participation de toutes les parties prenantes au conflit ;
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Le développement de mécanismes institutionnels appropriés au contexte local en vue, dans le cas spécifique de la présente étude, de manager une telle infrastructure9.
Une telle infrastructure pourrait prendre dans le contexte de Mandjou la forme d’un cadre de concertation inclusif et être orientée vers l’établissement d’un dialogue permanent entre les parties prenantes (même celles qui ne sont pas associées aux violences directes) et la discussion des problèmes, mieux des facteurs autour desquels se développe le conflit. Autre élément essentiel, ces cadres devraient accompagner l’émergence et la maturation de solutions, de perspectives locales au conflit. Cette fonction est qualifiée d’« indigenous perspectives and solutions »10. Il s’agit là d’offrir des perspectives endogènes à la recherche des solutions au conflit et partant à l’instauration d’une paix durable. Une telle orientation s’inscrit dans la perspective développée par BELLINA et al pour qui un « soutien aux espaces et mécanismes de dialogue et de négociation entre acteurs représentant des intérêts et des sources de légitimité divers s‘avère important pour faciliter les processus d’apprentissage tendant à l‘instauration du consensus, de partenariats constructifs entre différents types d’acteurs et d’un sens de l’interdépendance et du civisme ».11 Toutefois, un tel dispositif devrait s’arrimer systématiquement à un dispositif similaire au niveau national.
Notes
1Nous faisons le choix d’utiliser le terme de communauté au lieu de celle d’ethnie car elle nous semble mieux correspondre à la caractérisation de ces deux groupes.
2INS, (2008). Troisième enquête Camerounaise auprès des ménages (ECAM III, 2007) : Rapport principal, Yaoundé, Cameroun.
3BAH T. M., Le facteur Peul et les relations inter-ethniques dans l’Adamaoua au XIXe siècle.
4Il s’agit notamment de Cheik Anta DIOP, Aaron SU NEBA et Robert CORNEVIN.
5Voir Mutations du 21 juillet 2011. Article disponible sur cm.telediaspora.net/fr/texte.asp?idinfo=54016
6MBOWU, C.R. et MOUAFO, H. (2011) Analyse d’un conflit intercommunautaire. Un étude de cas : le conflit Kotoko et Arabes Choa au Cameroun, IGAC/Modop.
7Il convient de noter que la soumission à l’Islam n’était pas la motivation exclusive de l’expansionnisme Peul dans l’Adamaoua et L’Est Cameroun. Elle a juste servi d’alibi stratégique à la dynamique impérialiste, expansionniste de ce groupe à la recherche de nouveaux territoires, de nouvelles ressources.
8Evénements de juillet 2011 : Le meurtre d’un membre de la communauté Gbaya, le 19 juillet 2011, a déclenché une réaction de la communauté Gbaya. Il s’en est suivi des affrontements directs faisant 30 blessés de part et d’autre, des destructions de biens appartenant aux membres des deux communautés notamment des commerces, des comptoirs du marché de vivres local. On note l’utilisation d’armes blanches : machettes, couteaux, gourdins. La mobilisation des autorités avec notamment l’intervention du Bataillon d’intervention rapide (BIR) en provenance de Letta, (localité située à proximité), du groupement mobile d’intervention (GMI) n°7 de la ville de Bertoua, de la gendarmerie, du commissariat central de Bertoua et de la brigade routière, a permis de ramener l’ordre. Les blessés ont été évacués vers l’hôpital régional de la ville de Bertoua (capitale régionale) par les forces de sécurité et le HCR.
9TONGEREN, P. V. (2011). Increasing Interest in Infrastructures for Peace in Journal of Conflictology, Volume 2, Issue 2.
10Idem.
11BELLINA, S., DARBON D. , SUNDSTOL S. et Al, (2010). L’Etat en quête de légitimité, Ed. Charles Léopold Mayer, Paris.