Ficha de análisis Dossier : Le droit à la ville

Morgane COHEN, Grenoble

Voyage du film Une autre Montagne à travers la France et un peu plus

Réalisation du film et textes: Noemi Aubry , Anouck Mangeat Cartographie Morgane Cohen Le film Baska bir dağ - Une autre montage a été projeté dans le cadre des Rencontres. Cette carte est une superposition de plusieurs cartes, celle de la France, celle de la Turquie. C’est une invitation à suivre le voyage du film à travers les lieux où il a était projeté entre 2017 et 2018. Cette carte fait référence à une scène du film, celle où Ergül dessine le parcours de sa vie à travers la Turquie. Nos corps voyagent, se déplacent, et nos histoires également, ici c’est le film qui nous permet de voyager.

Keywords: Lucha ciudadana por la justicia social | Respeto de los derechos de las mujeres | Construcción y utilización de la identidad cultural | Asociación local de Mujeres | Actores sociales. Ciudadanos y sus organizaciones. | Periodista | Enriquecer los intercambios sociales | Desarrollar una conciencia de seguridad y defensa | Francia | Turquía

Synopsis du film

Sur les terres d’Anatolie, un dicton dit « Si l’un de tes yeux pleure, l’autre ne peut rire ».Burcu et Sinem vivent à Istanbul avec cet œil qui pleure en entendant que l’est du pays, le Kurdistande Turquie, est sous couvre-feu, blocus, occupé par l’armée turque depuis plus de 40 ans. Sur les traces des luttes des femmes, elles vont rencontrer Ergul à Safranbolu, ancienne activistedes mouvements révolutionnaires de la fin des années 70 étouffés par le coup d’état militaire de 1980. Les époques se mêlent et c’est toujours la guerre, la répression et une violence au quotidien. Kurdes, mères, féministes. Il y a de la résistance et de la solidarité dans leurs mots, dans leurs pas, dans leurs cris, dans les rythmes des « erbané́ » (percussions) contre le nationalisme, la guerre, le patriarcat. Pendant que là-bas, au Kurdistan, des femmes prennent la montagne, comprenez le maquis, c’est Une autre montagne / Baska bir dağ, que Burcu, Sinem et Ergul gravissent chaque jour.

Bese, Bese, Bese, Assez assez assez !

Le film sortira en DVD au printemps 2019,pour le commander ozhonaaye@yahoo.fr, ainsi que le lien vers le site www.ozhonaaye.com

UNE AUTRE MONTAGNE HISTOIRES DE PROJECTIONS

Noemi Aubry , Anouck Mangeat

Les textes qui suivent ont été réécrits par les réalisatrices à partir de leurs carnets de notes pendant leurs déplacements pour accompagner leur film, Une Autre Montagne, ici et là. Les réactions des unes, des autres, les rencontres, les partages. Ils racontent que le voyage commencé dans l’écriture, la production et le tournage d’un film continuent ensuite à la diffusion et permet de faire sens, d’inspirer, de questionner.

26 Avril 2018 - Montpellier, La Tendresse, 30 personnes

La Tendresse c’est une coopé́rative culturelle à̀ Montpellier, un lieu d’expé́rimentation sociale. C’est un ami, Vincent qui nous invite à̀ faire une projection dans son lieu. C’est un espace de travail et de diffusion dont les bureaux hé́bergent plusieurs compagnies, associations, cré́ateurs, dé́veloppeurs, activistes, ingé́nieurs, ré́unis par l’envie d’infuser la Tendresse collective à̀ rebours de l’hyper-compé́tition contemporaine.

8 Mars 2018 - Saint-Claude, Cinéma La Fraternelle (Maison du peuple) - 40 personnes

La Maison du peuple a ouvert ses portes en 1910. Elle y hé́bergeait des organisations ouvriè̀res; mutuelles, politiques, syndicales ou culturelles. C’est un petit bijou de l’architecture du dé́but du siè̀cle avec son bar en zinc et sa tapisserie d’é́poque aux fleurs peintes. Aujourd’hui, devenue La Fraternelle, elle conserve un fond d’archives sur les luttes ouvriè̀res de la ré́gion. Elle est é́galement un ciné́ma, un café́, une salle de concert, une librairie, des salles de ré́pé́tition et d’activité́s… Nous y avons é́té́ invité́e dans le cadre d’une semaine spé́ciale de carte blanche à̀ Sté́phanie Barbarou, cheffe du C(h)oeur ouvrier. Nous y avons projeté́ Une Autre Montagne mais aussi notre pré́cé́dent film documentaire sur les migrations Et Nous Jetterons la Mer Derriè̀re Vous. La semaine s’est terminé́e par un concert d’Aman Aman qui a aussi crééé la musique originale de Une autre montagne.

Eté 2018

Le temps d’un é́té́ et d’une petite tourné́e qui a commencé́ en Ariè̀ge et qui se termine par un tour de Bretagne. Une tourné́e comme celle-ci, ça nous prend 2 ou 3 mois pour la mettre en place, envoyer les DCP1, faire que d’une salle à̀ l’autre, il s’envoie le film, suivre les lettres suivies de La Poste pour savoir où le DCP est parti, etc… Né́gocier les droits du film, le partage des entré́es, les dé́fraiements. On devient distributeur ! A retenir, l’é́quipe transgé́né́rationnelle du Ciné́-club du P’tit Seize qui nous accueille avec un bon repas, la superbe mini-salle de ciné́ma à̀ l’inté́rieur du Café́ Thé́odore tenu par le trè̀s chouette Denis et son calva breton maison et une projection hors du commun entre asters et pimprenelles dans le magnifique Jardin de Mé́ridoul du jardinier-paysagiste Sylvain Antoine. A retenir aussi, les dizaines de galettes avalé́es, à̀ la seiche, aux champignons, châtaignes, bleu, etc…Les verres de vins locaux, jus de framboise, de pomme, gnaules diverses. Des accueils du film tellement gé́né́reux. Une femme qui dira : « pour moi qu’elles soient en Turquie ou ailleurs n’a pas d’importance, je me reconnais dans chacune de ces femmes, leurs luttes sont les miennes ici et celles d’autres femmes dans le monde ».

25 Mars et 2 Avril 2018 - Paris, Cinéma le Brady, Festival des cinémas de Turquie 35 personnes // 100 personnes

L’avant-premiè̀re d’Une Autre Montagne s’est dé́roulé́e à̀ guichets fermé́s au ciné́ma Le Brady, vieux ciné́ma de quartier des anné́es 50 de films de genre fantastique aux films de charme, puis racheté́ par Jean-Pierre Mocky avec des films de sé́rie B. L’association ACORT, Assemblé́e Citoyenne des originaires de Turquie y organise chaque anné́e son Festival des Ciné́mas de Turquie avec une programmation trè̀s chouette dont des films iné́dits sont projeté́s avec la traduction française. Une Autre Montagne fut projeté́ pour la soiré́e de clôture du Festival en pré́sence de nos chè̀res amies, les trois protagonistes du film; Sinem, Burcu et Ergül que nous avons ré́ussi à̀ faire venir de Turquie pour l’occasion. Ce qui n’é́tait pas gagné́ car deux d’entre elles n’é́taient jamais sorties de Turquie et n’avaient ni passeport ni visa. Pour la petite histoire, Sinem a eu son visa la veille de son dé́part en avion ! Nous avons tremblé́. La projection é́tait extrêmement é́mouvante.

Nous avons beaucoup pleuré́. Nous é́tions toute l’é́quipe du film au complet au devant de la scè̀ne aprè̀s la projection ; Sinem, Burcu et Ergül mais aussi Laura Dupuits, qui nous a assisté́ pendant le tournage et l’é́criture du film, Yasemin Akinci, la monteuse, Gurkan, un des musiciens d’Aman Aman qui a é́crit la musique originale du film, Noé́mi, Anouck et Zeynep, la programmatrice du Festival. Sinem, d’habitude plutôt timide en public, a pris la parole pour dire qu’elle avait enfin ré́ussi à̀ voir comment on la voyait et qu’elle se sentait forte, Ergül a dit que le cri au gé́né́rique du film ré́sumait trè̀s bien pour elle ce qu’elle ressentait en tant que femme en Turquie. Le film est dé́dié́ à̀ la tante de Burcu, Zeynep, car elle est dé́cé́dé́e pendant le montage du film dans son appartement à̀ Paris, juste quelques mois avant. Dans la salle, il y avait toutes les amies de Zeynep et elles ont offert à̀ Burcu un bouquet de fleurs et ont rendu hommage à̀ sa tante. Une femme kabyle a pris la parole pour dire que notre film é́tait comme une toile qui tisse les histoires entre les femmes.

3 Mars 2018 - St Julien Molin Molette, dans le cadre de Cinémolette - 90 personnes

Ciné́molette, une asso pour un ciné́ma de proximité́ qui fait de la programmation de films dans le village de St Julien-Molin-Molette, nous invite pour pré́senter Une Autre Montagne dans le cadre des Semaines anti-coloniales et antiracistes. Comme à̀ leur habitude et dans une perspective d’accessibilité́ des salles de ciné́ma pour tous.tes, ils proposent à̀ un groupe de femmes du centre social de la ville voisine d’Annonay de venir partager un buffet en amont de la projection. Trè̀s vite, on se rend compte qu’elles ne savent pas que le film qu’elles vont voir parle des luttes des femmes en Turquie contre une socié́té́ conservatrice. Or, plusieurs femmes de ce groupe sont d’origine turque. Pendant le repas, nous discutons. Elles nous testent, nous demandent si « on aime la Turquie », depuis combien de temps on y va etc… On ré́pond que bien sûr, nous aimons cette terre où nous allons depuis presque 10 ans, que nous y avons de nombreux ami-es que l’on visite à̀ chaque voyage, des lieux où l’on se sent comme dans nos propres foyers. Mais on comprend vite que la question. est « Aimez-vous la Turquie? » avec un grand T, la puissante, celle d’Erdogan. On est vite toutes embarrassé́es, en comprenant qu’effectivement, ce n’est pas la même Turquie que nous aimons. Elles assistent à̀ la projection. Nous sommes mal à̀ l’aise mais, elles sont là̀ et puis nous assumons que nous avons fait ce film pour toutes les femmes, aussi diffé́rentes qu’elles soient et qu’il dé́fend une forme de liberté́ pour toutes. A la fin du film, elles repartent, sans un mot.

Quelques semaines plus tard, nous recevons un mail par une des ré́fé́rentes du groupe. Suite à̀ la projection, elles ont eu une discussion, une discussion violente. Elles nous reprochent d’avoir montré́ et lé́gitimé́ des femmes kurdes en lutte, alors que pour elles, les Kurdes ne sont que des terroristes, des barbares. Est-ce qu’on aurait pré́fé́ré́ en discuter de vive voix ? Pas sûr. Et finalement, la question qu’on se pose c’est « Est-ce qu’on a vraiment fait ce film pour toutes? ». Peut-être que non, et nous l’assumons.

C’est la premiè̀re, et quasiment la seule diffusion, où nous avons fait face à̀ une ré́action aussi violente.

5 Sept 2018 - Crest, Cinéma L’Eden, soirée d’ouverture des Rencontres Ad Hoc -400 personnes

Projection devant une salle de ciné́ma de 400 personnes pleine à̀ craquer. Noé́mi est toute seule pour cette projection, elle pré́sente le film en remerciant la salle de ciné́ma d’accueillir des documentaires dans une salle si grande et au Festival de se donner les moyens de la remplir. La salle est comble, Noé́mi dit «en é́tant comme ça devant tant de monde, dans une salle ciné́ma, j’ai l’impression d’être la ré́alisatrice de Batman!».

Automne 2018

Une petite tourné́e dans le Grand Est, là̀ où Noé́mi et moi avons nos histoires familiales et là̀ où nous nous sommes rencontré́es il y a 18 ans à̀ l’Université́ de Metz. Nous sommes accueillies dans des lieux bien diffé́rents; Ridouane Atif, pré́sident de l’association Diwan en Lorraine nous accueille dans la MJC Lillebonne dans la vieille ville de Nancy. Deux jours aprè̀s plus de 120 spectateurs dans un local autogé́ré́ à̀ Strasbourg, le Molodoï. À Mulhouse un collectif antifa nous invite à̀ faire une projection à̀ l’ACOTF, l’Association Culturelle des Ouvriers de Turquie en France. Devant un public composé́ à̀ 90% de femmes de Turquie, ce fut une projection trè̀s é́mouvante. Elles nous diront « Tout ce que vous avez mis dans le film est vrai, car nous l’avons vé́cu. »

28 Sept. 2018 - Salé, Festival International du film de femmes de Salé (Maroc) -160 personnes

Nous avons é́té́ sé́lectionné́es en compé́tition officielle documentaire de ce festival de la vieille ville de Rabah, Salé́, «sous le haut patronage du Roi Mohamed VI». Arrivé́es sacs à̀ dos et baskets dans un grand hôtel, l’organisatrice Hassania Raho et le directeur artistique Hicham Falah nous ont tout de suite surnommé́es les aventuriè̀res. Pas trè̀s habitué́es au tapis rouge, on s’est plutôt glissé́es dans les salles climatisé́es de ciné́ma pour y regarder tous les films en compé́tition (fictions et documentaires). Nous avons vu de trè̀s beaux films et fait la rencontre avec de nombreuses ré́alisatrices dont les films ou les parcours nous sont trè̀s proches. Parmi elles, Yesim Ustaoğ̆lu, la grande ciné́aste turque qui a eu autant de mal que nous à̀ s’inté́grer au protocole festivalier malgré́ sa renommé́e. Une actrice turque Defne Halman, a pris la parole sur la grande scè̀ne en dé́nombrant toutes les personnes incarcé́ré́es par l’État turc depuis la tentative de coup d’é́tat. Tout cela entre un pré́sentateur « omettant » de traduire une partie de ses propos, et le dé́filé́ de l’actrice de sé́rie B é́gyptienne Rogina habillé́e pour l’occasion d’une robe de marié́e improbable. Nous avons beaucoup ri de nous retrouver là̀.

Notre film a reçu une Mention Spé́ciale. Nous avons eu beaucoup de retours trè̀s positifs de femmes comblé́es d’avoir partagé́ le quotidien de ces femmes en lutte en Turquie.

Notas

1. Digital Cinema Package