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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’analyse Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

Antonio Sanchez-Andres, Grenoble, France, décembre 1996

La conversion dans l’industrie de défense en Russie

Mots clefs : Gouvernement soviétique | Reconvertir les armements

I. Les problèmes dans l’industrie de défense.

A la fin des années 80, se développe dans l’économie soviétique et dans l’industrie de défense un ensemble de problèmes qui poussent au lancement d’un processus de conversion à l’intérieur de ce type d’industrie. Ces problèmes sont de nature différente, mais la conclusion est la même.

En premier lieu, il faut souligner les problèmes liés au fonctionnement même de l’industrie de défense. Celle-ci constituait le secteur industriel le plus avancé en Union Soviétique ; cependant, elle a souffert de certaines insuffisances qui ont fait apparaître des anomalies. Après la guerre, bien qu’une reconversion du tissu industriel soviétique qui s’était orienté vers la production militaire ait débuté, la création des entreprises et des instituts de recherches scientifiques à usages militaires augmenta constamment. Malgré cela, cette croissance dans l’importance de l’industrie de défense n’a pas été accompagnée d’un changement dans les formes de gestion du secteur. Concrètement, on a continué avec une gestion centralisée cultivant le secret. Ces deux caractéristiques ont conduit à l’introduction d’un manque progressif de coordination à l’intérieur de cette industrie de défense.

En deuxième lieu, on pourrait insister sur les problèmes concernant les réformes introduites à partir de la deuxième moitié des années 80. Les premières furent introduites pendant la période Gorbachov. Dans celles-ci on a donné une plus grande autonomie aux entreprises, spécialement civiles, même si cela affecta aussi une grande partie des militaires. En tout cas, le résultat a été une altération dans les approvisionnements de l’industrie de défense, impliquant des distorsions dans la production. La deuxième vague de réformes commence à partir de 1992 et affecte pleinement la position qu’occupait l’industrie de défense dans la société soviétique, ainsi que son organisation. L’industrie de défense, à cause de la disparition de la structure institutionnelle qui a caractérisé la société soviétique, a perdu sa position privilégiée. A partir de ce moment, elle s’est vue privée des forums où elle recevait habituellement un traitement privilégié, où ses revendications étaient plus favorablement accueillies et où elle pouvait imposer plus facilement ses décisions. Le résultat le plus évident de cette situation peut s’apprécier dans l’importante chute des commandes d’armements de l’Etat russe.

La fin de la guerre froide a eu un impact très négatif sur l’industrie de défense soviétique. Les premiers pas de la fin de la guerre froide se font sentir dans la façon dont l’on a approuvé les accords successifs de désarmement. On en voit le résultat dans un excès de capacité militaire de production. L’éclatement du bloc de l’Est coïncide avec la fin de la guerre froide. Il faut souligner deux aspects de ce phénomène. En premier lieu, la perte de quelques marchés d’armes importants pour l’Union Soviétique et, en deuxième lieu, le rapatriement des armes et la démobilisation des troupes. Ces deux facteurs mettent en relief un excès de capacité productive de l’industrie de défense soviétique, soit par la perte de marchés, soit par l’apparition d’un excès d’armement en circulation.

Le dernier élément à remarquer pour son impact sur l’industrie de défense est l’altération des marchés internationaux d’armement. D’une part il faut remarquer le changement de priorité du gouvernement russe en matière d’exportation et, surtout, en ce qui concerne la vente d’armement. Le raisonnement économique a de plus en plus supplanté le raisonnement politique en la matière. Cela signifie que les pays acheteurs devront payer les armes à un prix correspondant à la contraction de la demande. D’autre part, avec la fin de la guerre froide, la nature des conflits a changé ce qui a entraîné des modifications dans les besoins d’armement, ainsi que dans la clientèle des pays traditionnellement acheteurs (Cooper, 1991).

II. La conversion directive (1988-1991)

Cette conversion apparaît inscrite dans le processus de réformes initié pendant l’étape Gorbachov. Elle a été conçue comme une contribution essentielle au triomphe de la réforme en Union Soviétique.

L’idée sous-jacente à cette conception, en termes techniques, était que l’industrie de défense disposait du meilleur niveau technologique du pays, de telle sorte qu’elle pouvait contribuer à régénérer le niveau technique des autres secteurs et à augmenter leur productivité, et par conséquent à relancer la croissance. On s’appuyait aussi sur d’autres considérations organisationnelles. De fait, on était sûr que l’industrie de défense disposait d’une bonne structuration interne qui permettait de répondre correctement aux nouvelles idées répandues par la direction politique du pays. En plus de ces arguments en lien avec l’industrie de défense, on supposait aussi que la structure politique soviétique, le PCUS, continuait à fonctionner convenablement de façon que la transmission des ordres et le contrôle de leur exécution pourrait se réaliser sans obstacles.

L’idée de la conversion dans cette période suivait les caractéristiques traditionnelles de fonctionnement de l’économie soviétique, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’utiliser les mécanismes de la planification centralisée pour développer la conversion. Concrètement, on élaborerait un programme général de conversion qui déterminerait les lignes principales des nouvelles productions civiles. A partir de ce moment on transférerait les nouvelles responsabilités aux divers ministères qui prendraient en charge les engagements de conversion et les répercuteraient aux diverses unités de production. Celles-ci réaliseraient les tâches correspondantes et, avec elles, les objectifs de la conversion.

En 1988, on appliqua diverses mesures de conversion, mais d’une façon isolée et sans aucune espèce de coordination. L’idée de consolider et d’élargir la conversion en Union Soviétique poussa le gouvernement à en approuver un programme. Ceci fut fait, après une longue discussion, à la fin 1990. Ce programme exposait les onze aspects de la conversion présentés comme autant de priorités (Sánchez, 1995a).

Les résultats obtenus dans cette étape de conversion ont donné, en termes micro-économiques, une augmentation, dans certains cas, du niveau de production civile. Pourtant, les résultats furent nuls sur le plan macro-économique (Malleret, 1991).

Une première explication à ces résultats négatifs peut être trouvée dans le fait que le programme de conversion n’a pas eu vraiment le temps d’entrer en vigueur, puisque l’URSS a cessé d’exister à partir de 1992. Malgré cela, d’autres explications sont à rechercher, notamment dans des projets de conversion marqués par la prétention d’améliorer les conditions techniques dans le secteur agraire et dans l’industrie légère et alimentaire. Les problèmes rencontrés sont en relation avec la planification centralisée elle même, sur laquelle s’appuyait la conversion, et qui avait de grosses difficultés pour détecter et conjuguer les divers intérêts et les besoins au niveau micro-économique. Concrètement, ces problèmes concernaient les obstacles existant au niveau des entreprises. Ces obstacles venaient, principalement, d’une mauvaise dotation en termes de ravitaillement technique-matériel et du bas niveau de stimulations associées, par comparaison avec la fabrication de produits militaires. D’autres problèmes très importants venaient du manque d’adaptation aux besoins des clients. En particulier, en dépit d’un très haut niveau technologique, les exigences des clients ne pouvaient être satisfaites ou à un prix trop élevé (Sánchez, 1994).

III. La conversion décentralisée

Elle commence à partir de 1992 et s’engage ainsi dans un contexte d’où est absent le cadre institutionnel traditionnel. C’est-à-dire que la structure de prise de décisions politiques, le PCUS, a disparu et avec lui la planification centralisée. Ces deux éléments constituaient les bases de la conversion initiée pendant l’étape Gorbachov. De plus, cette rupture de institutionnelle conduit à une désorientation à l’intérieur de l’industrie de défense et, par conséquent, affecte directement le processus de conversion. Par ailleurs, la dislocation de l’URSS est très défavorable à l’industrie de défense, puisque tous les liens existants entre les différentes parties d’une même organisation de production se brisent ; et celle-ci disposait de diverses implantations réparties sur tout le territoire de l’Union Soviétique. Tous ces éléments ont été très défavorables à la conversion en Russie.

Du point de vue de l’industrie de défense elle-même, comme des hautes institutions de l’Etat, il s’avère que pour opérer la conversion il faut mettre en place un nouveau cadre global où elle aura tout son sens. Cela signifie qu’il faut définir une nouvelle doctrine militaire pour la Russie faisant référence aux nouvelles normes de sécurité internationale, ainsi que les types de conflits armés possibles comme aux ennemis potentiels. A partir de cette perspective, on peut établir les besoins d’armement, qui doivent être fixés à longue échéance (programme d’Armement à Long Terme). Les nouveaux besoins d’armement déterminent les capacités de production véritablement utilisées dans l’industrie de défense et celles qui resteraient inemployées. Ces dernières pourraient être converties et ce processus serait réglé par une loi de conversion et par un ensemble de normes légales d’application. Et c’est ainsi que les entreprises ou les sections d’entreprises s’engageraient effectivement dans des processus de conversion.

En réalité, par rapport à cette théorie, la conversion a été très différente. En 1992, la Loi de Conversion puis un ensemble de six priorités ont été approuvées. Ces normes ont divisé l’industrie de défense en trois parties : la première qui ne serait pas convertie ; la seconde où une série d’organisations seraient converties partiellement ; enfin les entreprises dont la conversion serait totale. Le processus de conversion n’aurait pas un impact sur l’ensemble de l’industrie de défense. Par ailleurs, on remarque que la conception de ce changement au niveau de la production sera purement administrative. Par la suite, en 1993, les priorités furent portées à 13 (Cooper, 1993). Mais il faut surtout mentionner l’adoption d’une nouvelle doctrine militaire à la fin de la même année et la confirmation du Programme d’Armement à Long Terme au début de 1994 (Sánchez, 1995c).

Cette étape normative fondamentale pour la conversion en Russie a mis en évidence une mauvaise coordination dans le domaine économique. De plus, les diverses limites de ces normes légales apparaissent clairement. Tout d’abord, la Loi de Conversion a consisté en un texte général sans normes complémentaires qui puissent permettre son application à la réalité. Pour ce qui concerne la doctrine militaire, elle a pointé un ensemble d’idées générales, sans beaucoup de propositions concrètes, tandis que le Programme d’Armement ne faisait que reprendre les idées déjà exprimées dans le programme de 1991. En définitive, les priorités n’ont pas reflété une volonté d’agir dans le sens de la conversion, mais le point de vue des divers groupes de pression à l’intérieur de l’industrie de défense.

A côté de cette nouvelle législation, il faut s’intéresser aux actes politiques eux-mêmes. Le contexte est celui d’une société dans laquelle l’industrie de défense a perdu son caractère stratégique. Cette situation réduit sa capacité à se procurer des ressources propres. Dans la pratique, l’absence de ressources c’est, d’une part une chute très importante dans le financement de la fabrication d’armement et, d’autre part, une réduction des subventions et des crédits préférentiels pour l’industrie de défense, tout spécialement en ce qui concerne les activités de conversion. Ces deux éléments, dans la période de transition économique actuelle, mettent l’industrie de défense dans une situation difficile. L’absence de financement conduit celle-ci à la faillite économique, et empêche non seulement de développer ses activités, mais aussi de conserver le potentiel de production et le potentiel humain. Dans ces conditions, le financement de la conversion n’est pas orienté vers l’objectif prévu, mais vers la solution des problèmes courants qui pèsent sur les entreprises (en particulier le paiement des salaires). Ceci pose le problème de la réalité de l’affectation des financements destinés à stimuler la conversion dans l’industrie de défense.

De plus, ces fonds de conversion ont été progressivement réduits au niveau fédéral, ce qui confirme l’influence limitée de l’industrie de défense. Dans ce contexte, le gouvernement fédéral a souligné, chaque fois avec plus d’insistance, sa volonté de concentrer les ressources limitées destinées à la conversion sur des projets d’entreprises très concrets ou sur certaines régions. Les programmes de conversion au niveau fédéral restent donc, de fait, invalidés par cette attitude du gouvernement lui-même. Par ailleurs, ce dernier a insisté sur la nécessité pour les instances régionales de s’impliquer davantage dans le processus de conversion.

Les résultats de la conversion à partir de 1992 peuvent être synthétisés de la façon suivante. Au niveau macro-économique, les résultats sont nuls. Au niveau micro-économique, on peut se situer sur deux plans : celui du financement de l’Etat et celui de la conversion effective. S’agissant du financement, seul un petit groupe d’organisations ont bénéficié d’un financement notable. La plupart des entités de l’industrie de défense n’en ont reçu que très peu ou pas du tout. Le financement de l’Etat étant un facteur très important pour entreprendre une conversion effective, son absence constitue un premier indicateur de la portée limitée de ce genre de transformation industrielle (Sánchez, 1995b).

Bien qu’il soit important, le financement de l’Etat n’est absolument pas déterminant dans l’orientation de la conversion pour deux raisons : la première, parce que ce financement peut être destiné à d’autres fins que celles prévues initialement ; la seconde, parce qu’un financement d’origine non étatique mais privée, russe ou étrangère, apparaît. En définitive, les résultats obtenus au niveau micro-économique sont : une conversion totale dans très peu de cas ; une conversion partielle dans un nombre limité d’organisations ; et pour le reste, la conversion n’a eu qu’un caractère résiduel ou, simplement, n’a pas eu lieu.

IV. Conclusion

Le transfert des ressources des usages militaires aux usages civils a connu de sérieux problèmes. Ce processus rencontre des difficultés techniques telles qu’elles empêchent sa réalisation immédiate. De plus, d’autres problèmes sont encore apparus. Tout d’abord, le manque de volonté politique pour entreprendre ce genre de transformation à l’intérieur de l’industrie de défense. Ce problème est lié à la perte d’influence du lobby de l’industrie de défense dans la période de transition économique, qui s’ajoute à la difficulté de mobiliser l’importante quantité de financement nécessaire pour obtenir des résultats favorables. Le volume de financement devient ainsi le deuxième problème du développement du processus de conversion en Russie. Enfin, il y a l’absence de programmes réalistes, de systèmes de priorités qui puissent orienter les financements existants. Tous ces facteurs remettent sérieusement en question les possibilités d’une conversion de grande ampleur en Russie.

L’alternative envisageable consisterait en l’utilisation et le développement des anciennes capacités économiques des entreprises de défense qui servaient à des productions civiles. Il s’agirait d’une conversion marginale qui concernerait essentiellement des installations et des bâtiments ainsi que du personnel, avec une perte substantielle du niveau de qualification de celui-ci. Par ailleurs, la diversification pourrait utiliser, en plus de ces moyens de production, des machines et des équipements, ainsi que des matières premières et certaines technologies.

Notes

  • Traduit de l’espagnol.