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, Paris, 2002

Le rôle de la coopération civilo-militaire dans la reconstruction de la paix

Les Actions civilo-militaires : le concept, les enjeux, les défis.

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I. Introduction

L’une des évolutions constatées au sein des relations internationales contemporaines est l’émergence de thèmes transversaux, de problèmes transcendant les clivages traditionnels qui existent entre les acteurs (Etats, Organisations non-gouvernementales, entreprises) ou entre les secteurs d’activité (politique, économie, associatif). Qui, aujourd’hui, oserait prétendre que les questions du développement, du désarmement ou de l’environnement s’arrêtent aux frontières et ne concernent qu’une catégorie d’intervenants sur la scène mondiale ?

La résolution des conflits et la construction de la paix participent ainsi de l’émergence d’une conscience mondiale de l’existence de défis transnationaux. Au cours de la décennie 1990, l’on a assisté périodiquement à la remise en cause des principes fondateurs de l’ordre international, tel celui de la souveraineté étatique. Que cela soit pendant la guerre du Golfe (1990-91) ou bien en ex-Yougoslavie (1992-99), pour ne citer que ces deux exemples, l’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays a été pratiquée, à des fins humanitaires, politiques et sécuritaires. Bien que critiquée, cette pratique traduit un changement dans les rapports internationaux. En effet, après la fin de la Guerre froide, l’on a pu constater une dissémination de la violence et la multiplication des affrontements locaux (en Afrique, dans les Balkans ou dans le Caucase). Sans qu’ils représentent une menace directe pour les pays occidentaux, ces conflits constituent un enjeu majeur à la fois pour la stabilité de la zone dans laquelle ils se déroulent et pour la sécurité internationale. L’heure n’est plus à la bipolarisation du “système-monde” ni à l’équilibre de la terreur mais à la prise en charge multilatérale de la question de la paix. Ce qui signifie explicitement que la résolution d’un conflit n’est plus uniquement affaire de puissance armée. Il s’agit également d’agir, au plus près du terrain, dans les domaines socio-économiques. Un nouveau mode de gestion des crises s’instaure progressivement, sous l’impulsion notamment des anglo-saxons, qui s’est traduit en France par le concept des actions civilo-militaires (ACM) (Civil Military Cooperation, CIMIC, en Anglais). Partant du principe que la paix se construit aussi bien sur les plan diplomatique, politique et militaire qu’humanitaire, économique et industriel, elles visent à mobiliser les expertises publiques et privées dans le but de participer à la restauration de la société du pays concerné par la période de crise ou de conflit.

II. Quels types de réponses les ACM apportent-elles aux questions sécuritaires actuelles ?

Il faut d’abord comprendre plus précisément ce qu’on entend par ce concept et lui donner corps. Pour ce faire il convient d’en dégager les aspects ou les modalités, et surtout de cerner les enjeux et les défis ainsi soulevés.

A. Le concept d’“ACM” (Acions Civilo-Militaires)

Saisir que les interventions en faveur de la paix relèvent de moins en moins exclusivement du rôle de l’armée est indispensable pour comprendre les nouvelles modalités de gestion des crises, dont les actions civilo-militaires font partie. Alors qu’auparavant la césure entre la guerre et la paix était nette, on assiste aujourd’hui à une sorte de restructuration des cycles conflictuels. Il n’est plus possible d’analyser de manière linéaire la chronologie d’une crise, ce qui amène à penser que la paix commence à se bâtir le plus en amont possible du conflit. En quelque sorte, la façon la plus efficace d’aider la dynamique de la paix est de préparer et de lancer des opérations préliminaires de reconstruction, alors que l’on pourrait penser que celle-ci est au contraire tributaire du retour à la paix. Lorsque la communauté internationale intervient dans un pays confronté à la guerre, son objectif n’est pas uniquement de remporter une victoire “diplomatico-militaire” mais aussi de se mettre en quête de la paix. Ainsi, les mandats du Conseil de sécurité des Nations unies ne se limitent plus au déploiement d’une force d’interposition. Ils y ajoutent une dimension civile :

  • Restaurer l’Etat de droit ;

  • Réformer le système politique et administratif ;

  • Aider à la reconstruction des infrastructures et à la reprise de l’économie…

Nécessairement, cette palette élargie de responsabilités suppose l’implication d’autres acteurs que les seuls militaires. Cette nouvelle manière de gérer les crises suppose d’imaginer des modes d’action susceptibles de maintenir la conflictualité à son plus bas niveau tout en préparant un processus de rétablissement durable de la paix.

Il s’agit donc de faire en sorte que la situation de crise ne s’installe ni dans la durée ni dans l’espace. A travers les actions telles que la restauration d’une école, la réhabilitation d’un centre de soins ou bien la construction d’une route, on contribue à recréer du lien entre les gens et à installer un environnement susceptible de supporter et de faciliter l’effort de paix. La mise en œuvre de cette dernière est devenue l’affaire de la nation toute entière, qu’il s’agisse des dirigeants politiques, des responsables économiques ou des membres de la société civile.

Jusqu’à maintenant, le concept des ACM fait surtout référence aux actions civiles menées par les armées sur les théâtres extérieurs. Au-delà, il suppose un réel effort de coopération entre les acteurs, une nouvelle forme d’intelligence collective entre militaire, diplomatie, entreprise et humanitaire. Le retour à la paix dans un pays frappé par la guerre est un processus long qui débute avant même que les armes ne se taisent. En intervenant par le biais de réalisations concrètes, on crée des conditions favorables au dialogue. L’on ne peut pas demander à des populations de se projeter dans l’avenir si en l’état actuel des choses elles ne sont pas sûres de pouvoir se nourrir correctement, d’être en capacité de se soigner ou de se déplacer. Ainsi, en répondant aux besoins de l’urgence, aux demandes les plus essentielles, les actions civilo-militaires contribuent à ce que les perspectives de la paix et du développement redeviennent possibles et envisageables aux yeux et dans l’esprit des gens. Rétablir les bases d’une vie publique, sociale, économique, est ainsi une mission de première importance dans le processus de résolution d’un conflit. Les ACM y contribuent selon plusieurs modalités.

B. Les aspects des ACM

Si l’on devait retenir une définition de ce que sont les actions civilo-militaires, on pourrait les présenter comme l’ensemble des interventions menées par les forces armées sur leur théâtre d’opérations, au profit de l’environnement civil, dans le but de faciliter la réalisation des objectifs (militaires et civils) nécessaires à la résolution d’une crise ou d’un conflit. Il s’agit donc avant tout d’une interaction entre des domaines habituellement séparés. En entrant davantage dans le détail, il est possible d’en distinguer trois sortes :

  • Les actions au profit des forces elles-mêmes en vue de faciliter leur mission. Elles passent par un dialogue auprès des autorités nationales et locales du pays d’intervention, afin d’aboutir à une plus grande marge de manœuvre, et surtout en vue d’acquérir une légitimité d’action en sachant où, quand et comment le faire. Dans cette perspective, les relations entre les autorités militaires et les autorités civiles, l’appui apporté au maintien de l’ordre et de la sécurité, le soutien juridique des forces, l’utilisation des ressources locales comme support logistique, sont autant de modalités qui contribuent au bon déroulement des opérations.

    Par ailleurs, il est aussi important de valoriser et de promouvoir cette présence auprès des populations, qui ne doivent pas la ressentir comme une occupation de leur propre territoire. Il convient donc d’insister sur l’aspect informatif, de mettre en place des structures d’accueil qui soient des points de contact privilégiés avec les populations, de manière à favoriser la rencontre, le dialogue et la coopération. D’une bonne connaissance de l’environnement civil naît, pour les militaires, une plus grande capacité à agir avec justesse et de façon opportune.

  • Naturellement, les ACM entreprises pour servir les intérêts des forces sont conçues pour être bénéfiques aux acteurs de la reconstruction, que cela soit les populations, les organismes internationaux, les ONG, les structures étatiques ou encore les opérateurs économiques. Ces interventions au profit de l’environnement “sociétal” concourent notamment au rétablissement des fonctions vitales (eau, alimentation, soins) et des besoins essentiels (assainissement, électricité, éducation) du pays sinistré.

  • L’objectif implicite est de restaurer les conditions de la paix, tant du point de vue institutionnel que social, et de rétablir un climat de confiance général. La remise sur pied des institutions politiques et administratives, la reconstruction d’infrastructures, participent de cela.

  • Le dernier type d’actions civilo-militaires relève à plus proprement parler d’une dimension humanitaire. Selon l’Etat-Major des armées françaises, « ces actions ont pour but de permettre aux organisations internationales et aux organismes caritatifs de réaliser leur mission d’assistance et de secours aux populations en détresse, en contribuant notamment à la sécurité de l’opération ». On perçoit là qu’il ne s’agit pas pour les militaires de participer de manière directe aux missions humanitaires, mais seulement de les faciliter en en sécurisant l’environnement et en y apportant un soutien logistique. Il n’entre pas dans la vocation des forces armées d’installer un camp de réfugiés ni d’apporter une assistance sanitaire et médicale. En revanche, elles ont tout intérêt si elles le peuvent à favoriser l’action des organisations humanitaires.

  • L’essence même des ACM est ainsi d’établir une relation dynamique entre les militaires et l’environnement civil au sein duquel ils ont à intervenir. Elles représentent donc un enjeu pour la sortie de crise.

C. Les défis des ACM

Déterminer quel est l’objectif premier des actions civilo-militaires revient à dire la chose suivante : le but ultime est de parvenir à retrouver une situation de paix. Dès lors se présente un double défi :

  • La restauration d’un cadre de vie normalisé pour le pays et pour sa population ;

  • La prise en compte de l’intérêt économique de la reconstruction.

Il est important de comprendre cette double dimension :

  • D’un côté la prévention et la gestion de la conflictualité ;

  • De l’autre le repositionnement en matière culturelle et économique, caractérisent l’approche contemporaine de la construction de la paix.

Tout d’abord donc, les actions civilo-militaires ont pour ambition de tirer vers le bas le niveau violence qu’atteint une crise ou un conflit. C’est en mobilisant les énergies militaires et les énergie civiles, puis en les combinant, que les ACM aspirent à y arriver. Dans ce sens, l’un des défis importants est de parvenir à introduire auprès des belligérants la notion d’intérêt : il faut leur faire apparaître qu’ils retireront plus de bénéfices à s’engager dans un processus pacifique qu’à recourir à la force. C’est là un travail à mener dans trois directions :

  • l’économique : l’argent reste un moteur déterminant pour l’action. Les parties au conflit tendront d’autant moins vers la lutte armée que les perspectives offertes en la matière par le combat seront faibles.

  • le droit : c’est de lui que dépendent les règles d’exercice du pouvoir. Un meilleur équilibre concernant les attributions et les responsabilités de chacun peut contribuer à faire baisser les tensions.

  • le culturel : les mentalités, les schémas mentaux sont les barrières les plus difficiles à franchir. Ne plus considérer l’autre comme un ennemi suppose un travail d’apprentissage, de dialogue et de connaissance mutuels.

En agissant sur ces différents plans, auprès des populations, sur le terrain, au contact des réalités quotidiennes, les ACM participent réellement d’une gestion de la conflictualité.

Il faut aussi évoquer le prolongement économique de la guerre. La période de la reconstruction est une phase où s’ouvrent des marchés sur lesquels il est possible de prendre pied : transports, bâtiment, génie, énergie… De plus en plus, les Etats prestataires d’une aide extérieure intègrent dans leur démarche cette volonté de rentabiliser, en quelque sorte, leur implication militaire, matérielle ou financière.

Il s’agit là d’un sujet à débats, certains jugeant ces préoccupations déplacées, d’autres au contraire les estimant justifiées. Toujours est-il que l’on peut simplement considérer qu’il y a une aspiration légitime à vouloir, une fois la paix revenue, participer à la compétition économique dans un pays où sont intervenues ses forces armées. Il n’y a de toute façon pas de paix durable sans développement économique, sans restauration d’un cadre politique et institutionnel stable. Les actions civilo-militaires peuvent donc contribuer à la fois à l’établissement d’un système social équilibré et répondre aux intérêts économiques et culturels des intervenants extérieurs.

Il n’est aujourd’hui pas possible d’affirmer que ces défis sont conciliables (ni qu’ils ne le sont pas d’ailleurs) et éthiquement neutres. En revanche, il est certain que ce sont des éléments qui entrent en ligne de compte dans la gestion contemporaine des crise.

III. Conclusion

La carte conflictuelle contemporaine révèle à l’échelle internationale une large dispersion de la violence. “Qualitativement”, il est plus complexe aujourd’hui d’en cerner les causes et les ressorts qu’à l’époque de la Guerre froide, durant laquelle nombre de conflits s’expliquaient par la structure bipolaire des rapports internationaux. La géopolitique traditionnelle n’est plus suffisante en elle-même pour comprendre ce qui motive les acteurs sur la scène mondiale. Il faut y ajouter les intérêts économiques, culturels, identitaires… afin de saisir la nature de l’évolution des relations internationales. Dans ce contexte de violence fragmentaire, la paix apparaît comme une construction difficile, supposant la mobilisation de l’énergie et de la compétence d’une multitude d’intervenants, certains classiques, tels les Etats, les militaires, la diplomatie, d’autres plus inédits comme les organisations humanitaires ou les entreprises du secteur marchand. Il n’existe pas de réponses qui conviennent à toutes les situations ni de solutions toutes faites qui s’appliquent dans tous les cas. Néanmoins, certains outils se mettent en place, certains protocoles sont établis avec l’ambition de couvrir le champ le plus large possible de la résolution des conflits. Les actions civilo-militaires, dans leur triple dimension armée, humanitaire et économique, ont par exemple fait leurs preuves dans les Balkans durant les années 1990.

Elles posent en tout cas, par extension, une question fondamentale pour l’avenir des relations internationales : comment les acteurs politiques, économiques et de la société civile peuvent-ils se coordonner ? Et quelles sont les limites de leur coopération ?

Elles visent par ailleurs à compléter l’action humanitaire, déjà menée sur le terrain par les organisations non-gouvernementales, en rassemblant davantage de moyens opérationnels, matériels et humains, et en vue d’une plus grande efficacité et durabilité des interventions.

Elles soulignent enfin l’importance des “portails d’intérêts” qui vont pousser un Etat, une entreprise, à s’impliquer dans un processus de gestion et de sortie de crise, et rendent ainsi compte du fait que derrière la dynamique de la reconstruction s’effectuent des repositionnements importants d’influence économique, politique et culturelle.

C’est finalement, à travers elles, la question de la responsabilité de la communauté internationale qui est mise en avant : dans quelle(s) mesure(s) celle-ci est-elle partie prenante de la résolution d’une situation de crise touchant l’un de ses membres ? Là encore, c’est en effet elle qui est interpellée, dans la mesure où elle est souvent amenée à agir. Elle doit ainsi avoir pleinement conscience de ses prérogatives, de ses droits et de ses devoirs.

Les actions extérieures menées ces dernières années, en ex-Yougoslavie par exemple, constituent une première indication : la paix et le développement sont des variables dépendantes l’une de l’autre. Elles impliquent une palette d’acteurs élargie, et sont donc pluri-factorielles et pluridisciplinaires. Les actions civilo-militaires forment un exemple de réponse à ces critères, parce qu’elles participent à la consolidation du tissu social et économique et au rétablissement de la paix dans le pays ou la région où elles s’effectuent. L’enjeu est aujourd’hui de définir le système le plus efficace dans ce domaine. Au-delà, c’est le défi contemporain de la paix qui se pose. Il serait inepte et sans fondement de prétendre que l’éradication de la guerre est possible. A l’inverse, il serait regrettable de ne pas tout faire pour mettre en œuvre les moyens d’une construction durable de la paix. Aujourd’hui, l’on connaît, en théorie, ce qu’il est nécessaire de faire pour résoudre une crise ou un conflit ; la réalité des faits rappelle néanmoins que la paix, le développement, ne peuvent être des fabrications artificielles.

Restaurer ou établir les conditions permettant à des communautés d’inscrire leur devenir sur une voie civile et économique pacifique est essentiel. Par-delà la “technique”, une attitude éthique doit s’imposer.

Notes

Sources :

  • Documents de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale;

  • Actes du colloque organisé le 17 décembre 1997 à l’école militaire: « La gestion des sorties de crise: actions civilo-militaires et opérations de reconstruction »