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, Paris, 2005

Cuba ou l’île de l’autoritarisme tropical

Rappel de l’histoire cubaine précédant la Révolution en 1958-1959 comme préalable à la compréhension d’une dictature encore en vigueur de nos jours.

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Cuba est la dernière colonie espagnole de la région des Caraïbes à obtenir, non sans mal, son indépendance en 1898. Mais aujourd’hui la rancœur contre l’ex-colonisateur est pratiquement oubliée ou, tout du moins, largement compensée par la haine grandissante à l’égard des Américains et de leur embargo contre Cuba.

Privée des subsides du grand frère soviétique et menant un bras de fer continuel avec l’oncle Sam, le délabrement de l’économie cubaine apparaît au grand jour. Borné dans sa volonté de tout régenter, de tout contrôler Fidel Castro n’eut d’autre choix que d’accepter une timide ouverture pour sauver son pays de la banqueroute. Encerclé par l’embargo américain, l’île tente depuis quelques années une difficile réinsertion dans l’économie mondiale.

Quant au rêve d’une voie cubaine vers le socialisme, plus humaniste et conforme à ses idéaux de générosité, il s’est évanoui pour laisser place à un régime policier, militarisé à outrance, où une poignée de bureaucrates et de généraux décident seuls du sort de tout un peuple largement réduit au silence.

I. Processus d’indépendance

Le 27 octobre 1492, Christophe Colomb, parti à la recherche de la route des Indes, arrive dans la région d’Holguín.

Les premières villes de colons espagnols apparaissent en 1514, dont San Cristobal de La Havane, future capitale de l’île. Les Indiens sont réduits en esclavage dans les mines d’or et les plantations, avec une rare violence : en moins de deux générations les Espagnols ont exterminé les deux principales tribus de l’île (les Taïnos et les Siboney).

Pauvre en gisement aurifère, Cuba n’intéresse guère, au départ, la Couronne espagnole, si ce n’est pour sa position stratégique sur la route des convois de métaux précieux en provenance d’Amérique du Sud : La Havane devient ainsi un port de transit capital.

Mais à partir du XVè siècle, la culture du tabac et de la canne à sucre va marquer durablement l’histoire de Cuba.

La première guerre d’indépendance cubaine éclate en 1868. En 1869, la République de Cuba est proclamée pour la première fois. Mais en 1878 les insurgés sont battus par l’armée espagnole au prix d’une mobilisation sans précédent.

En 1895 commence la deuxième guerre d’indépendance conduite par le patriote écrivain et poète José Martí, tué au combat le 19 mai 1895. Les généraux Antonio Maceo, Clixto García et Máximo Gómez prennent la relève. L’Espagne répond à cette nouvelle insurrection par l’envoi massif de troupes (112 000 hommes pour la seule année 1895). Cette guerre qui se prolonge jusqu’en 1898 est d’une extrême violence : environ 400 000 morts, soit un cinquième de la population.

C’est finalement, en 1898, l’intervention des Etats-Unis qui précipite la défaite espagnole. Le traité de Paris est signé entre l’Espagne et les Etats-Unis, en l’absence de Cuba. Les Etats-Unis obtiennent Puerto Rico, Guam et les Philippines ainsi que la constitution d’un gouvernement militaire à Cuba, chargé d’instaurer l’indépendance. A la suite de ce traité, les troupes américaines occupent Cuba jusqu’en 1902.

La Constitution cubaine, dictée par le gouvernement militaire de l’époque, comprend une clause (l’« amendement Platt » ) qui autorise le gouvernement américain à intervenir à Cuba (pour protéger la vie, la liberté et la propriété). Dans la foulée, Washington obtient en 1903 un traité qui confie à l’armée américaine la base de Guantánamo, située à l’extrémité est du pays, et qui constitue encore aujourd’hui un point de friction permanent entre Castro et les Etats-Unis.

II. L’avènement de Batista au pouvoir

Fulgencio Batista incarnait le dictateur latino-américain typique : un mélange de populisme et d’autoritarisme. A l’origine simple sergent, il a par la suite contribué à divers soulèvements. Pendant des décennies, il participa à la vie politique cubaine et fut finalement élu démocratiquement en 1940 pour une durée de quatre ans. C’est alors qu’il fit voter une Constitution extrêmement progressiste pour l’époque et qu’il intégra des ministres communistes dans son propre gouvernement (les mêmes qui allaient ensuite occuper des postes clefs au sein du régime castriste). En 1944, après avoir perdu les élections, il se retira de la vie politique pour ne réapparaître que huit ans plus tard, soit le 10 mars 1952, dans le cadre d’un coup d’Etat dont il était à la tête. Ce putsch ne rencontra que peu d’opposition et de nouveau sur le devant de la scène, Batista développa la corruption, les jeux d’argent et les casinos ainsi que la prostitution. Mais très vite la contestation s’accentua, prenant la forme de soulèvements armés qui visaient uniquement à chasser le dictateur du pouvoir.

III. L’entrée en scène de Fidel Castro

Le premier grand avertissement sanglant eut lieu vers le 26 juillet 1953 lorsque le jeune avocat Fidel Castro (connu pour son activisme politique violent au sein de la faculté de droit), lança une attaque que l’on peut qualifier de suicidaire contre la deuxième forteresse militaire du pays, la caserne « Moncada ». L’attaque était destinée à s’emparer de la forteresse et à partir de là, à proclamer la chute de Batista. Ce fut un échec total : l’armée avait sévèrement riposté faisant de nombreuses victimes parmi les révolutionnaires et s’acharnant sur ceux qui avaient été capturés vivants pour les torturer et les assassiner sans compassion.

Lors du procès destiné à juger les auteurs de cette insurrection, Fidel Castro disposait d’une arme de propagande des plus efficaces : de par sa condition d’avocat, il avait le droit d’assumer seul sa propre défense, ce qu’il fit ; et son argumentation se transforma en réquisitoire dirigé contre Batista. Le 16 octobre 1953, il prononça le premier de ses discours qui contribuèrent puissamment à sa légende. « Son verbe devenait ainsi le complément indispensable des armes et bien plus ». Grâce à ses talents d’orateur, il parvint à faire de son échec militaire cuisant, une victoire politique. Il fut néanmoins condamné à quinze ans de prison.

Emprisonné sur l’île des Pins, le jeune avocat se remit à élaborer sa défense, et fit éditer ses écrits en brochures, distribuées à la population par ses partisans. Le texte en question s’intitulait : « Condamnez-moi, peu importe, l’Histoire m’acquittera ». Cette référence à l’Histoire avec un grand « H » allait désormais justifier toutes ses actions. Le public visé était l’ensemble du peuple cubain, le but étant d’obtenir le soutien du plus grand nombre, et donc de tous les secteurs. Le groupe sous ses ordres s’appelait désormais : « Mouvement du 26 Juillet ».

IV. Initiation aux méthodes de la guérilla et rencontre du « Che »

En 1955, après son élection officielle (frauduleuse) à la présidence de la République, Fulgencio Batista concéda - devant la pression de l’opinion publique et de la presse - une amnistie aux jeunes incarcérés suite à l’épisode de la caserne Moncada. Les insurgés passèrent ainsi seulement deux ans en prison. Inutile de préciser que ce geste de « clémence » de Batista lui sera fatal.

La plupart des prisonniers libérés partirent aussitôt en exil au Mexique, dans l’attente des préparatifs pour un nouveau combat. Pendant près d’un an et demi, les militants du « Mouvement du 26 Juillet » s’entraînèrent à la guérilla. Au Mexique, Fidel Castro, toujours accompagné de son frère Raúl, fit la connaissance du révolutionnaire argentin, Ernesto Guevara, dit le « Che ». De formation marxiste, le jeune médecin asthmatique avait atterri au Mexique après le coup d’Etat de 1954 au Guatemala mené avec l’appui des Etats-Unis contre le gouvernement de Jacobo Arbenz.

V. Le débarquement suicide de « Granma » en 1956

En décembre 1956, après une éprouvante traversée du golfe du Mexique, les quatre-vingt-deux hommes à bord du yacht Granma débarquèrent sur les côtes de la province d’Oriente, et leur combat déboucha sur un désastre militaire incontestable. Les services de renseignements de Batista avaient eu vent des projets et de l’organisation du débarquement de Castro et ses hommes, si bien que des troupes du dictateur guettaient les expéditionnaires. Nombreuses furent, cette fois aussi, les victimes. Les journaux annoncèrent immédiatement la mort présumée de Fidel Castro mais en réalité ce dernier avait réussi à trouver refuge dans la Sierra Maestra (le plus haut massif montagneux de Cuba).

La guérilla continua d’opérer pendant deux ans avant de descendre dans les villes et de s’emparer du pouvoir. A l’étranger, Castro commençait à jouir d’une popularité étonnante : il faisait la Une des grandes revues américaines et de « Paris Match », qui voyaient en lui une sorte de Robin des Bois, luttant contre une dictature cruelle et corrompue. Devant la presse et les télévisions du monde, Castro affichait ses convictions démocratiques et son désir de bon voisinage avec les Etats-Unis.

VI. Offensive finale et victoire de la guérilla

Le moment de l’offensive finale était arrivé : Fidel Castro envoya deux colonnes de guérilleros traverser l’île d’est en ouest, sous la direction de deux de ses plus fidèles lieutenants : Camilo Cienfuegos et Ernesto Che Guevara. Leur mission était de réduire la faible résistance militaire tout en obligeant les autres insurgés à se placer sous leurs ordres. Après une bataille décisive à Santa Clara (au centre de l’île), les insurgés étaient prêts à marcher sur la capitale pour prendre le contrôle des principales forteresses. L’armée était en pleine débandade. Certains généraux tentèrent d’ultimes manœuvres politiques pour éviter de devoir livrer le commandement aux révolutionnaires. Mais Castro savait que désormais la totalité du pouvoir lui appartenait. De la Sierra Maestra, il descendit vers la deuxième ville du pays, Santiago, pour y établir la capitale révolutionnaire provisoire tandis que ses hommes se chargeraient de contrôler la totalité du territoire. Il ne prit pas immédiatement le pouvoir mais, comme l’écrivit le romancier Sever Arduy, « il préparait soigneusement l’entrée du Christ à La Havane ».

VII. La fin d’une dictature et la « longue marche » de Fidel

Dans la nuit du 31 décembre 1959, Batista quittait précipitamment l’île de La Havane emportant en exil une partie des biens qu’il avait accumulés par la corruption et le vol lorsqu’il était encore au pouvoir. Cuba se réveillait dans l’allégresse de la fin d’un régime et de l’annonce de temps nouveaux placés sous le signe de la démocratie et de la lutte contre la misère et la dépendance économique.

Fidel Castro mit huit jours pour parcourir les mille kilomètres séparant Santiago de La Havane. Selon Jacobo Machover, l’idée était de « rehausser la dimension épique d’une saga révolutionnaire qui, en fin de compte, n’avait duré que deux ans et n’avait affecté qu’une petite partie de l’île, essentiellement la province d’Oriente (…). La marche sur La Havane comportait des relents de jacquerie paysanne, de revanche des campagnes misérables sur la capitale clinquante, ville dissoute, de casinos, de plaisirs nocturnes et de prostitution ».

Le but du Commandant était de pacifier la capitale et d’empêcher toute autre solution que la sienne pour succéder à la dictature déchue. Lorsque le 8 janvier 1959, Castro entra finalement dans la ville de La Havane, il fut accueilli à bras ouverts par l’ensemble de la population qui le considérait alors comme un sauveur. A plusieurs reprises, Castro avait affirmé que « son but n’était pas de prendre la place de Batista mais de procéder rapidement à des élections démocratiques ». Il désigna le magistrat Manuel Urrutia au poste de président et choisit comme Premier ministre un avocat, membre de la résistance civique à la dictature : José Miro Cardona. Quant à Fidel lui-même, commandant en chef et leader indiscutable, il s’employa, dès son premier discours, à mettre au pas les autres mouvements armés qui lui étaient réticents. Castro demanda : « Des armes, pour quoi faire ? ». Ce jour-là, il se transforma en Dieu vivant aux yeux d’un peuple qui ne demandait que paix et stabilité sur sa petite île après le passage de Batista, le dictateur corrompu. En réalité, il semble que Castro n’était pas animé par un élan pacifiste mais par la nécessité de désarmer les groupes susceptibles de constituer des rivaux potentiels et dangereux. Pour ce faire, il trouva vite des alliés complaisants : les communistes du Parti socialiste. On a beaucoup spéculé pour savoir si le Líder Máximo était déjà sous l’influence de l’idéologie communiste avant d’accéder au pouvoir. Ce qui est sûr c’est que même s’il s’était imprégné d’un certain nombre de lectures marxistes, ni son programme de « L’Histoire m’acquittera » ni ses proclamations depuis le maquis n’en faisaient mention.

VIII. Fidel tout-puissant

La première année de la révolution cubaine fut entièrement consacrée à la consolidation du pouvoir absolu de Castro et à l’élimination par tous les moyens, de ses possibles adversaires.

Pour en finir avec le président de la République, Manuel Urrutia, qui affichait de plus en plus ses désaccords avec les mesures radicales prises par la révolution, Castro déclara qu’il renonçait lui-même à ses fonctions. Aussitôt le peuple accourut pour le défendre. Il revint sur sa démission mais exigea celle du président qui n’eut d’autre choix que de se plier au bon vouloir du leader et de partir en exil. Il fut immédiatement remplacé par Osvaldo Dórticos qui n’occupa qu’un poste strictement honorifique.

Ce n’est qu’en 1976, à la suite du premier congrès du Parti communiste, que Fidel Castro assuma enfin toutes les fonctions officielles : président du Conseil d’Etat, du Conseil des ministres, et Premier secrétaire du parti, tout en conservant le titre de commandant en chef. Quant à Osvaldo Dórticos, il se suicida en 1983. S’agissant des commandants révolutionnaires qui n’adhéraient pas à l’idée d’instaurer un système communiste sur l’île, ils furent condamnés à de très longues peines de prison ou disparurent mystérieusement de la scène politique.

Castro avait ainsi fait le vide autour de lui, ne conservant à ses côtés que son frère Raúl et le Che. La révolution pouvait dès lors s’épanouir pleinement sans obstacle conséquent.

IX. Cuba / Etats-Unis : des relations conflictuelles

1. Bras de fer avec les Etats-Unis

A ses tous débuts, la révolution castriste est surveillée de près par Washington, et la chute de Batista est même saluée avec une certaine chaleur.

Mais la nationalisation des firmes pétrolières (toutes dirigées par des Américains), suivie de celles de banques puis des biens institutionnels des Etats-Unis dans l’île marque le début de l’escalade : en effet, pour mesurer la perte sèche (environ 1 milliard de dollars) que représentent, pour les Américains, les réformes du castrisme, il faut savoir que les Etats-Unis possédaient 90 % des mines du pays, 50 % des terres et contrôlaient 67 % des exportations et 75 % des importations.

2. Le temps du blocus américain

Le 19 octobre 1960, les Etats-Unis décrètent un embargo partiel sur le commerce avec Cuba : une mesure de rétorsion qui aura des conséquences incalculables à la fois sur la vie quotidienne des Cubains et sur la trajectoire géopolitique de l’île.

Jusqu’alors aucun secteur de la consommation n’était indépendant des Etats-Unis.

Outre l’industrie du sucre et du tabac, tout ce que l’on consommait dans l’île était fabriqué par les Américains, que ce soit sur leur territoire ou à Cuba. Cuba importait des Etats-Unis près de 30 000 articles de la vie quotidienne. Les techniciens les plus qualifiés étaient Américains et les rares techniciens cubains cédèrent aux offres conséquentes de leurs patrons et les suivirent aux Etats-Unis.

Le blocus du 19 octobre 1960 fit brutalement prendre conscience à l’île de Cuba qu’elle n’était pas un pays distinct mais une péninsule commerciale des Etats-Unis. De nombreux opposants au régime castriste partirent en exil aux Etats-Unis. Fidel Castro renvoya une partie du personnel de l’ambassade américaine qui avait aidé au départ de ces anticastristes. La tension monta encore d’un cran.

3. Le débarquement de la baie des Cochons en 1961

Le 3 janvier 1961, le président Eisenhower rompt les relations diplomatiques avec Cuba. L’île vit dès lors dans la psychose de l’invasion. Le Che prépare au combat les milices de la province de Pinar del Rio, face aux côtes de la Floride où tout le monde s’attend à un débarquement américain. Le 15 avril, deux chasseurs B26 bombardent les aéroports de La Havane et de Santiago. Le débarquement a lieu le 17 avril 1961. Environ 1 5OO assaillants de nationalité cubaine, pro-américains et décidés à reprendre Cuba à Fidel Castro, débarquent à Playa Girón, dans la baie des Cochons. Ils arrivent de Miami, des îles de Vieques près de Porto Rico, de Puerto Cabeza du Nicaragua d’où sont également parties des troupes aéroportées. Préparée du temps d’ Eisenhower, déclenchée par Kennedy, la tentative échoue totalement. Les anti-castristes s’enlisent dans les marais et plus de 1 100 d’entre eux sont fait prisonniers. Ils sont jugés publiquement dans une école de La Havane au printemps 1962 : Castro réclame 60 millions de dollars pour leur libération et propose que cette rançon soit versée sous forme d’engins agricoles.

Mais l’issue est la suivante :

  • D’une part, les Etats-Unis isolent Cuba en accentuant le blocus. En effet, s’ajoute un blocus économique sur les produits susceptibles de contenir des matières premières en provenance de l’île. Et l’accès des ports américains est désormais interdit à tout navire préalablement entré dans un port cubain. Toute vente de denrée agricole à Cuba est également interdite.

  • D’autre part, les Américains changent la nature du troc : ils proposent des produits pharmaceutiques, financés par des firmes privées et déductibles d’impôts.

Interrompue par la crise des missiles soviétiques d’octobre à novembre 1962, la transaction n’aboutira que le 24 décembre de la même année. Il aura cependant fallu l’aide du cardinal de Boston et d’exilés cubains pour payer un solde de 3 millions de dollars.

Au niveau continental, la conséquence du débarquement manqué a été l’exclusion de Cuba de l’Organisation des Etats Américains (OEA). Cette exclusion entraîne la rupture avec les autres pays du continent, hormis le Mexique et le Canada.