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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Guatemala, 2004

Les liens entre protestantisme, capitalisme et culture de la négociation sociale : un facteur de construction de paix depuis l’arrivée du protestantisme en Amérique latine.

Dès leur arrivée en Amérique latine au XIXe siècle, les premiers protestants latino-américains, bien qu’étant toujours minoritaires dans tous les pays, se sont intégrés dans l’univers des élites libérales locales. C’est grâce à une rencontre d’intérêts des uns et des autres que les gouvernements libéraux latino-américains du XIXe siècle et les Églises protestantes européennes et nord-américaines ont pu établir des alliances à profit mutuel en vue de participer à la construction de sociétés moins violentes.

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Après cinq siècles de catholicisme officiel, l’Amérique latine a entamé à la fin du XXe siècle un mouvement d’ouverture religieuse se manifestant, entre autre, par la conversion au protestantisme de nombreuses populations traditionnellement catholiques.

D’où vient le protestantisme latino-américain ?

À la suite de la double entreprise de « conquête/christianisation » et de « colonisation/évangélisation » réalisée par les espagnols en Amérique latine, tous les pays latino-américains étaient officiellement catholiques lors de leur indépendance politique. D’une part, les religions traditionnelles des populations autochtones avaient été interdites via la répression non seulement symbolique mais aussi militaire, d’autre part, les nouveaux mouvements de réforme ont été aussi interdits via la délégitimation et la fermeture des frontières.

Ce n’est qu’au XIXe siècle que le protestantisme a pu pénétrer l’Amérique latine catholique. Un mouvement réformiste s’est développé dans presque tous les pays d’Amérique latine. Il s’agissait d’un mouvement d’émergence de nouvelles élites voulant remplacer les élites traditionnelles très alliées au statu quo. Celles-ci ont su capitaliser les demandes sociales fondamentales ainsi que mobiliser les populations en faveur d’une dynamique de réforme sociale, politique, économique, religieuse.

Dans le domaine social, une effervescence associative se déployait, notamment dans les villes. Les gens voulaient participer activement à la construction de leurs sociétés par le biais de clubs sportifs, d’action sociale, de comités civiques, de groupes de réflexion philosophique, politique, etc. Ces réseaux d’associations ont permis l’émergence et la formation d’une nouvelle élite opposée à l’élite dirigeante. Il s’agissait d’une minorité libérale et laïque, sinon anticléricale.

Dans le domaine politique, les nouvelles élites ont adopté les valeurs libérales, elles ont su prendre le pouvoir dans la plupart des pays en instaurant des gouvernements libéraux chargés de modifier les structures politiques et sociales de leurs pays, mises en place auparavant par les conservateurs.

Dans le domaine économique, une fois le pouvoir pris, les nouvelles autorités se sont investies dans l’introduction de réformes importantes dans l’économie de leurs pays, allant dans le sens de la privatisation et de la libéralisation d’un système économique contrôlé presque totalement par l’État, autrement dit, par les dirigeants conservateurs.

Dans le domaine religieux, les libéraux se sont trouvés face à un pouvoir très puissant : celui de l’Église catholique. Celle-ci s’opposait fortement aux réformes politiques et économiques mises en place, car elles mettaient en danger le statu quo et, par là même, la position privilégiée de l’Église. Les nouvelles autorités politiques n’ont pas voulu affronter frontalement l’Église catholique. Ils ont fait appel au mouvement protestant bien développé surtout en Europe et aux États-Unis. Les nouveaux gouvernements ont favorisé l’arrivée de missionnaires protestants, leur ont fourni de l’aide pour réaliser leur mission et ont préparé les communautés locales à leur accueil.

Ce fut particulièrement le cas au Mexique, au Guatemala, au Brésil, en Argentine et au Chili, où les gouvernements ont été les plus accueillants des nouveaux protestants. C’est là que se sont formées les premières communautés protestantes, notamment luthériennes, formées notamment par des immigrants allemands, et presbytériennes (réformées) formées par des missionnaires venant des États-Unis.

Les premiers protestants latino-américains, bien qu’étant toujours minoritaires dans tous les pays, se sont intégrés dans l’univers des élites libérales locales. Ils ont eu une certaine influence dans l’économie, notamment dans l’agriculture pour l’exportation et dans les finances. Ils se sont aussi investis en politique, spécialement dans le domaine du droit, où par le biais de leur participation au pouvoir législatif, ils ont élaboré de nouvelles lois. Dès leur arrivée au XIXe siècle, les protestants latino-américains ont constitué une minorité possédant richesse économique et influence politique.

En raison de leur culture de la négociation sociale ainsi que de leur refus de la guerre et de la violence, ces protestants sont venus enrichir les pratiques des sociétés latino-américaines dans plusieurs sens : celui de la disqualification de la violence comme moyen de gérer les rapports sociaux et celui de l’investissement personnel rationnel pour produire de la richesse grâce à l’effort, de la participation à la construction de liens sociaux et, enfin, de la responsabilité dans la construction de sociétés prospères et pacifiques.

À la fin du XXe siècle, le protestantisme latino-américain a entamé une ouverture importante vers les campagnes et vers les populations démunies. Des analyses actuelles mettent en avant l’affirmation selon laquelle la conversion actuelle au protestantisme de vieilles communautés catholiques répond à une stratégie internationale, venant notamment des États-Unis, ayant trois objectifs : lutter contre la théologie de la libération et contre l’engagement social et politique des chrétiens, diviser les communautés locales, réduire le pouvoir de l’Église catholique dans la région, notamment des Évêques et du Vatican.

Il me semble important de se référer aussi aux sources du protestantisme latino-américain. Il serait une erreur d’affirmer que celui-ci est d’origine uniquement exogène, qu’il a été imposé par les États-Unis aux populations latino-américaines catholiques. Des phénomènes propres aux sociétés latino-américaines peuvent aussi aider à expliquer le succès du protestantisme en Amérique latine, aussi au XIXe siècle qu’à l’aube du XXIe siècle.

C’est grâce à une rencontre d’intérêts des uns et des autres que les gouvernements libéraux latino-américains du XIXe siècle et les Églises protestantes européennes et nord-américaines ont pu établir des alliances à profit mutuel.

C’est grâce à une autre rencontre de nouveaux intérêts entre des communautés latino-américaines vivant des situations de pauvreté, d’exclusion ou de discrimination, et des mouvements charismatiques et pentecôtistes, que le protestantisme latino-américain devient de plus en plus une force sociale, voire politique.