Analysis file Dossier : Guerre ou paix : un choix et un devoir pour sortir de la panne démocratique. Coopérations contre politiques de puissance.

, Paris, July 2009

Irak, Afghanistan, Darfour : la recherche de la paix

Selon l’opinion publique « occidentale » et « moderne », la guerre n’est plus la continuation de la politique par d’autres moyens, et encore moins un affrontement classique entre Etats tel qu’avait pu le concevoir Clausewitz…

Keywords: | | | | | Political actors. Public and military authorities. | | | | | | | | | | | Sudan | Afghanistan | Iraq

La poursuite de guerres, nous rappelle Marc Antoine de Montclos, surtout civiles, est non seulement peu compréhensible mais presque exclusivement affaire des pays du Sud. Une sorte de prédisposition naturelle à s’entretuer. Quand on parle du conflit dans les Balkans, par exemple, notre imaginaire, supporté souvent par des médias « acritiques », transforme la réalité et, malgré la proximité géographique, l’horreur est repoussée très loin de chez nous. Comme si « l’être humain » ici était plus « être humain » que là-bas. On oublie mystérieusement les siècles des guerres et de tortures, les horreurs, et la violence pourtant ancrés dans notre histoire, même la plus récente. La violence que nous vivons dans notre quotidien est tout simplement éloigné du regard.

L’ouvrage de Montclos a pour objectif de réhabiliter la dimension politique des affrontements du tiers-monde et de souligner la complexité de leurs enjeux. L’auteur affirme que, au contraire de ce qu’on pourrait imaginer, les dynamiques locales l’emportent sur les logiques globales, « la globalisation n’empêche pas le village de penser d’abord à ses intérêts de proximité »… d’ailleurs comment imaginer, avec un peu de raison, que les Soudanais, pour prendre un exemple que nous présenterons ensuite, se battent pour compte des tiers lointains et puissants ? Malgré d’évidents rapports de forces économiques en faveur de l’Occident, rappel l’auteur, les raisons que se cachent derrière les conflits d’aujourd’hui ont à voire avec des enjeux politiques locaux, beaucoup plus de se que les médias nous font croire.

Le discours actuel affirme, au détriment d’une vraie analyse sur la longue durée, que les conflits d’aujourd’hui seraient plus nombreux, meurtriers, moins militaires et plus sauvages que les affrontements d’avant : « le retour du sauvage ». Cette analyse cache une réalité bien plus compliquée.

La persistance des conflits du tiers-monde sans l’aide américaine ou soviétique propre de la période de la guerre froide a tout simplement laissé les analystes perplexes face à leurs contradictions. Les conflits n’ont pas fondamentalement changé de nature quant à leur dimension informelle, prédatrice et criminelle. La multiplication des abus constatés vient, selon l’auteur, d’une plus grande sensibilisation à la souffrance, d’une vigilance accrue quant au respect des droits de l’homme et part d’une extension du droit humanitaire et donc des possibilités de violation de règles toujours plus contraignantes}}. C’est qui change est donc le regard des Occidentaux sur le conflit du tiers-monde. De plus, c’est seulement après la décolonisation et surtout après la chute du mur de Berlin que les Occidentaux découvrent pleinement la dimension criminelle et informelle des conflits armés. Voila donc que après la fin de la guerre froide, le justicier et le libérateur cèdent la place à des « vulgaires seigneurs de la guerre ».

Nous voici fasse à des réalités que l’on connaît très mal, avec des analyses superficielles qui ne nous aide pas à comprendre mais qui, au contraire, simplifient davantage là où c’est dans la complexité qu’on pourrait trouver des clés de lecture.

Prenons par exemple le cas du Darfour et de son « quasi-génocide ». Pour le monde extérieur, la crise du Darfour apparaît comme la « crise africaine » par excellence : lointaine, difficilement compréhensible, terriblement violente enracinée dans les réalités ethniques et historiques complexes dont pratiquement personnes ne connaissait les arcanes. Une fois que les médias commencent à s’y intéressent, elle devient tout simplement une « crise humanitaire », c’est-à-dire quelque chose que la plupart des politiciens considéraient comme une cause perdue… ».

Parmi les différentes thèses avancées par Montclos, une idée de fond est à retenir car explique à notre sens avec lucidité comment les clés de compréhension des conflits sont souvent fruits d’une analyse conceptuelle à la mode.

La théorie de la « dépendance » a marqué long temps les analyses du tiers-monde. Les Latino Américains sont les premiers à en avoir posé les fondements en étudiant la dégradation de termes de l’échange. Au cours des années 80, cette théorie fut remise en cause et pour les deux décennies suivantes les explications des difficultés du Sud se sont focalisées sur la corruption et la mauvaise gouvernance des Etats « défaillants ». Aux « structuralistes » donc, qui déploraient l’injustice des termes de l’échange, se sont opposés les « institutionnalistes » qu’insistaient plus sur le dysfonctionnement des appareils administratifs.

Mais voilà que, une fois évacuées les confrontations idéologiques de la guerre froide, les « dépendentistes » ont continués d’inspirer sur d’autres formes les « alermondialistes » qui dénoncent aujourd’hui la puissance des compagnies multinationales et les effets d’une globalisation marchande. Comme interpréter et sous quel angle analyser les conflits contemporains?

La panne démocratique

Aujourd’hui, par exemple en Afghanistan, la communauté internationale joue ses dernières cartes pour sauver ce Pays de l’écoulement total. La résolution du conflit en Afghanistan est une de clé les plus importantes dont dépendent la paix et la stabilité mondiales. Mais comment sortir ce pays du chaos ? comment apprendre aux afghans à se gouverner dans une démocratie ?..

Selon Montclos il faut dénoncer ce qui, à ses yeux serait la « grande illusion » dans la prévention des guerres. Selon les adeptes de la « bonne gouvernance » il faudrait renforcer la société civile et stimuler le secteur privé pour contrecarrer la dérive autoritaire des régimes du tiers-monde. L’exportation du modèle démocratique des pays riches, censé garantir la stabilité et la paix s’avère au contraire de difficile application, dans les meilleurs de cas, une catastrophe dans les pires. L’Irak et la population civile irakienne paye de sa poche cette nouvelle approche occidentale à la guerre. Les particularismes locaux résistent à l’épreuve de l’exportation du modèle démocratique. Comme expliquer cela ? Il est nécessaire pour l’auteur de réorienter les efforts de prévention des conflits là où les Occidentaux peuvent effectivement orienter le cours des événements : la médiation diplomatique, la reconstruction des sociétés ravagées par les affrontements, l’aide à la démobilisation des combattants.

Mais de fait, les politiques de prévention des conflits se heurtent à des limites intrinsèques sur le plan méthodologique : on ne peut pas en mesurer l’efficacité, seulement les échecs, lorsque l’embrassement d’un pays démontre l’inanité des efforts de la communauté internationale. « Le Darfour est un écran de cinéma sur lequel nous projetons nos rêves d’une coopération internatioanle harmonieuse en matière de gestion de crise ».

Selon l’auteur, in fine, les présupposés des Occidentaux sur leur capacité à prévenir les guerres ne reposeraient que sur des corrélations très aléatoires entre l’aide, le développement, la démocratie et la paix.

Après trois ans et demi de conflit la stratégie américaine en Irak est décevante, pour utiliser un euphémisme.

L’explication communément admise en Occident érige la religion en principal obstacle à la démocratie : l’islam serait en effet une religion qui prône la fusion des pouvoirs temporel et spirituel, ce que est clairement en contradiction avec la pensée occidentale de l’Etat moderne. Ensuite l’hétérogénéité des sociétés arabes, ainsi que la vigueur des affiliations confessionnelles et claniques, empêcherait l’émergence d’un sentiment d’appartenance à un collectif… Donc, l’Etat arabe incarnerait difficilement la légitimité ultime(Loulouwana Al-Rashid et Dorothée Schmidt). Il est clairement menacé de disparition lorsque le groupe particulariste qui en contrôlait le fonctionnement est éliminé : dans L’Irak de l’après-Saddam Hussein tout est à reconstruire. En Afghanistan nous nous trouvons dans le même cadre de figure.

Mais voilà que cela ne peut être qu’une analyse approximative d’une réalité qui pourrait être lue d’une toute autre façon. Comment expliquer alors le système politique et le fonctionnement des monarchies comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Emirats arabes unis. Ou des républiques « héréditaires » comme la Syrie ou d’autres systèmes politiques en Egypte, en Libye ou au Yemen… ?

Au final nous constatons que l’Occident a inscrit assez tardivement dans sa stratégie politique « l’impératif démocratique ». Avant c’était uniquement la « stabilité politique » qui était recherchée auprès des régimes arabes : le soutien à la politique de Saddam ou l’alliance historique entre les Etats Unis et l’Arabie Saoudite en sont une preuve.

Ce n’est que dans l’après-11 septembre que l’absence de démocratie au Moyen-Orient a été perçue comme problématique tant par les Américains que par les Européens…

On parle donc aujourd’hui plutôt du « retour à la force » dans les relations internationales, ce que vide complètement de son sens la volonté de « démocratisation » affichée. Voici alors que la victoire électorale de Hamas en Palestine en 2006, en dépit de la régularité du scrutin, se termine par un refus du « quartet » du résultat, pourtant démocratique. Le cas de l’Egypte est aussi assez emblématique, car ici le contrôle du pouvoir est assuré par une répression interne antidémocratique et cela avec l’accord et le soutien financiers des Etats-Unis et de la Communauté internationale dans son ensemble.

Comment donc pouvoir rationnellement croire à la « mission civilisatrice » de l’Occident, quand en réalité, la défense d’intérêts particuliers a tout simplement ouvert une nouvelle époque de conflit, une sorte des « croisades de la démocratie ».

Que dire alors du cas du Darfour ? Environ deux millions de personnes ont fui ce pays depuis 2003. Plus de 400.000 morts parmi les civils. Des atrocités qui sont passées sous un silence incompréhensible. Gérard Prunier s’interroge, à ce propos, sur l’existence d’une véritable « hiérarchie de l’horreur ». Est-il vrai ou pas qu’un homme mort ici ça vaut plus que là-bas ? est-il vrai ou pas que la mort est aujourd’hui davantage devenue « une sorte message publicitaire », un « sorte de business », bon ou mouvais, selon le contexte et l’actualité du moment ?

I. Le conflit au Darfour

En janvier 2008 l’établissement de la liste des conflits au sud du Sahara souligne une diminution de la quantité des crises. Cela malgré un nombre toujours préoccupant de foyers de tension. Le cas du Darfour en est un.

L’Afrique ayant perdu une part négligeable du commerce international, a également perdu la dimension stratégique qu’elle avait pendant la guerre froide. Elle se trouve alors à « vendre » sa capacité de nuisance en soulignant les divers dangers qui se présentent dans ce continent laissé à la dérive :‘

  • repaire des terroristes

  • relais de la criminalité internationale

  • vivier de migrants clandestins

  • réservoir d’épidémies

Au début du moins de novembre 2005 on décomptait selon les chiffres, au moins 305 000 morts.

Quatre types d’explications furent avancées pour comprendre ce qui c’était passé :

  • 1) La crise est une explosion de conflits tribaux causés par la sécheresse. C’était l’explication de Khartoum

  • 2) Campagne contre-insurrectionnelle qui a mal tourné parce que le gouvernement a utilisé de « mauvais moyens »

  • 3) Il s’agit d’une campagne délibérée de nettoyage ethnique au cours de laquelle le gouvernement soudanais aurait tenté d’éliminer les tribus africaines pour le remplacer par des tribus « arabes » .. ;

  • 4) À partir du début de 2004, le mot génocide commence à être utilisé de plus en plus par un éventail d’observateurs…

Génocide ou nettoyage ethnique ?, Gérard Prunier semble s’étonner, « Que trois cent mille personnes meurent dans un « génocide » apparaît comme plus grave que si ces mêmes trois cent mille personnes sont mortes sous une autre étiquette ». La réalité des choses a de moins en moins d’importance par rapport à leur capacité de provoquer des réactions…Pour mobiliser la télévision, le « génocide » est meilleur que le « nettoyage ethnique » par ce que « il évoque le label nazi, toujours très demandé, alors que nettoyage ethnique fait bosniaque, pas trop mal mais quand même moins intéressant que ce que Susan Sontag appelait la fascination du fascisme, celle du mal absolu ». « la mort au Darfour, sans le label « génocide » ne serait qu’un massacre africain de plus, c’est à dire pas grande chose.

Gérard Prunier remonte dans le temps pour expliquer ce qu’a été le Darfour, pays indépendant du Soudan jusqu’en 1916. Il apparaît clairement comme ce pays a été marginalisé sur tous les plans tant pendant la période coloniale que du fait des gouvernements qui ont suivi l’indépendance en 1956. La révolte du Darfour et la violence de la répression qui a suivi a fait exploser, selon l’auteur, le mythe de guerres « religieuse » car au Darfour tout le monde est musulman…

Prunier nous aide à comprendre le fonds, la complexité et les enjeux de ce conflit et de ce massacre quasi-génocidaire car, comme le dit l’auteur « le respect pour les morts n’exclut pas d’essayer de comprendre pourquoi ils sont morts ».

À la fin des années 1990, le Darfour demeurait un endroit marginalisé. Le gouvernement ainsi que l’opinion publique du nord Soudan étaient uniquement intéressés à parvenir à une paix avec le Sud du pays, avec qui ils étaient en guerre depuis des années. Mais, avant même de la paix avec le sud, une vrai lutte était en train de se dérouler au sein même du pouvoir.

Suite à une rébellion dans lancée dans la Province en 2001, le gouvernement central proclame l’état d’urgence au Darfour et multiplie les arrestations des personnes. Le régime décide donc de solutionner la crise militairement : une milice est mise en place, le « janjawid. « Contrairement à ce qui a souvent été écrit, ces miliciens n’étaient pas plus une expression « populaire » et « naturelle » des tribus arabes du Darfour que les terribles miliciens Interahamwe n’étaient une expression organique des Hutu au Rwanda ».

Les janjawid avait des origines très divers :

  • 1) des soldats démobilisés ;

  • 2) des bandits ;

  • 3) des membres des petites ethnies arabes

  • 4) des criminels de droit commun

  • 5) des membres fanatiques du Tajammu al-Arabi

  • 6) des chômeurs

  • 7) des étrangers venant de divers pays du Sahel

À la fin du mois de juillet 2003 les violences changent radicalement d’échelle et la province explose littéralement. Des bombardements systématiques sont suivis par des attaques indiscriminés sur le terrain par les milices. « Dans la version douce, les milices se contentaient de battre les gens, de piller et de violer des femmes. Dans la version « dure », les lieux étaient totalement bloqués, tout était pillé, les hommes et les jeunes garçons abattus, les femmes et les jeunes filles violées , le bétail tués et jeté dans les puits ».

La pratique du génocide ou du quasi-génocide au Soudan na jamais été une politique délibérée et calculée mais plutôt « un outil » employé sans freins pour maintenir la domination arabe sur un pays où ils ne sont qu’une minorité.

Le Soudan est un des derniers empires multinationaux de la planète et, du point de vue de son élite centrale, la contre insurrection au Darfour était « rationnelle ». Le fait qu’elle a fini par perdre toute mesure est due à deux facteurs : contrairement au soulèvement du Sud, celui du Darfour menaçait directement le centre du système et pas uniquement la périphérie ; il se produit ensuite à un moment très délicat pour le régime été déchiré par une lutte de pouvoir interne.

L’auteur démontre comment le régime, à partir d’un certain moment, va décider de prendre des mesures qui introduisant une dimension génocidaire dans le conflit, car, au delà des massacres, elles visaient à empêcher la survie des survivants (« …une première cargaison d’aide alimentaire arrivée des Etats-Unis (pour faire face à la crise alimentaire qui causée depuis quelques mois des centaines des morts par jour parmi la population civile) fut bloquée sous prétexte que les céréales qui al composait étaient génétiquement modifiées… ». Voici que la mort passe au niveau administratif…Le nettoyage ethnique se transforme pour devenir un conflit de basse intensité où les gens allaient mourir sous une étiquette différente.

Au milieu de l’année 2004, l’intervention étrangère provoque une nouvelle transformation des schémas du conflit.

La communauté internationale a toujours insisté pour traiter les massacres du Darfour essentiellement comme une urgence humanitaire. Les choses évoluent ensuite et à fur et à mesure qu’on découvre les faits sur le terrain. En septembre de la même année, le Parlement européen déclare que la situation au Darfour « équivalait à un génocide ». Ensuite les Nations Unies demandaient avec la résolution n. 1564 la fin des violations des droits de l’homme et la création d’une commission d’enquête pour déterminer si oui ou non il y avait eu un génocide au Darfour.

En parallèle a ça, durant l’été 2004 se constitue une campagne de mobilisation publique pour le Darfour, et au Royaume-Uni par le biais des grandes organisations non gouvernementales. Le niveau de mobilisation dépasse les attentes et les dirigeants de ces pays deviennent soucieux de manifester publiquement leur engagement…

En mars 2005 la France dépose un projet de résolution au Conseil de sécurité pour saisir la Court International de justice. En 2007 un mandat d’arrêt international est délivré contre deux officiels soudanais inculpés de crimes de guerre.

Depuis l’échec des négociations à Syrte (Libye) en octobre 2007, le conflit est tombé dans une nouvelle impasse.

Gérand Prunier reste très pessimiste quant à la solution rapide de la crise dans ce pays : « il est illusoire de penser que la crise du Darfour va être solutionnée par un espèce de combinaison aimable de bonne volonté du gouvernement central, d’aide alimentaire, de diplomatie internationale et des troupes de l’Union africaine… ».

Le complot planétaire

Pour Marc Antoine de Monteclos, les dynamiques locales l’emportent sur les logiques globales.

Dans les premiers chapitres de son ouvrage l’auteur présente les analyses qui insistent démesurément sur le rôle de l’Occident. Il faut, selon l’auteur, remettre en perspective les facteurs internes et externes d’une dynamique locale. Les études semblent confirmer que les puissances étrangères ne jouent pas de rôle significatif dans le démarrage d’une guerre civile.

Il s’agit, selon l’auteur, de la fausse théorie du complot « planétaire moderne » qui se nourrit de la théorie de l’impérialisme et de l’exploitation du tiers-monde qui dénonce des tentatives de recolonisation, notamment de l’Afrique. La théorie du complot sert à sur-dimensionner l’intérêt stratégique des pays sans gros enjeux militaires, politiques et économiques sur la scène mondiale. Il sert également, comme dans le cas du Darfour, à cacher des atrocités sur le terrain, en criant à l’invasion des étrangers et au complot impérialiste. Voici les mots qui paraissaient en janvier 2004 dans un quotidien pro-gouvernemental : « l’unité du Sudan est en danger parce que Londres et Washington veulent reproduire au Darfour l’accord de paix qui a été signé avec le Sud et qui prévoit de partager le pouvoir et les richesses, qui promet un référendum d’autodétermination et un système de contrôle international »…Particulièrement, depuis l’occupation américaine en Irak, les sentiments antiaméricains et en général anti-occidentaux se sont développés dans le monde musulman à un tel point que toute initiative européenne ou américaine est souvent perçue comme motivée par des intentions conspirations. Cette suspicion de « manipulations occidentales » a ouvert au gouvernement de Kartoum de larges possibilités de répression par rapport à son opinion publique.

L’élimination par la force des régimes dictatoriaux et la tenue d’élections « libres » sont loin de suffire à instaurer la démocratie, favorisant au contraire les rivalités ethnico-religieuse et la division de la société… le cas Afghans en est un exemple parfait.

« La démocratie est un concept abstrait qui désigne une certaine catégorie de régime politique mais qui diffère d’un pays à l’autre ».

II. Sauver l’Afghanistan

Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Afghanistan il faut d’abord comprendre le contexte géopolitique dans lequel est né l’état-nation afghan. Le pays a été délimité dans ses frontières actuelles en fonction des rivalités entre les Empires russe et britannique au cours du XIX siècle. Ils ont fait de l’Afghanistan un état tampon dont l’utilité était de séparer les puissances rivales. Dans l’histoire récente à chaque fois que l’état s’est écroulé, les puissances voisines et plus lointaines en ont profité pour intervenir au sein du pays pour faire valoir leurs intérêts en appuyant tel ou tel groupe.

Pour comprendre les enjeux à l’intérieur du pays il faut également comprendre la complexité du tissus social afghan. Ce pays a connu successivement la monarchie, le communisme, le fondamentalisme et maintenant la démocratie et compte au sein de son Parlement des islamistes radicaux, des progressistes séculiers, des communistes, des monarchistes et des seigneurs de la guerre.

Selon Barnett R. Rubin l’appartenance idéologique des élus est le critère d’identification idéologique le moins important. Les groupes parlementaires se forment plutôt en fonction des clivages confessionnels et ethniques : il y a bien sûr la différence fondamentale entre sunnites et les chiites, puis celle entre les nombreux groupes ethniques, « sans compter que les lignes de partage entre les groupes sont souvent très floues ». Si le réfèrent ethnique est très important, l’ethnicité n’est pas un référant identitaire fondamental et immutable. La religion au contraire est un élément fédérateur qui transcende tous les clivages ethniques. 99 % des afghans est musulman.

La principale raison pour laquelle les troupes internationales ont été envoyées en Afghanistan est d’éliminer les bases opérationnelles d’Al-Qaïda et de renverser le régime taliban qui les hébergeait.

Ensuite le choix qui revenait surtout aux Etats-Unis était :

  • Soit de punir les responsables des attentats du 11 septembre et partir ;

  • Soit de rester pour soutenir les efforts de reconstruction de l’Etat afghan.

La communauté internationale a décidé de rester, car « le refus d’aider l’Afghanistan à reconstruire son état et son économie créerait à nouveau un vide qui menacerait à la fois la sécurité internationale et celle des Afghans. Voilà raisons principales qui sont à l’origine de l’envoi de la FIAS (la Force internationale d’assistance à la sécurité) ». Les objectifs sont nombreux et de différentes natures : sociale, économique, politique, sécuritaire…

Le contexte régional

La reconstruction de l’Afghanistan ainsi que sa sortie de crise sont intimement liées au contexte régional et en particulière aux relations entre l’Inde et le Pakistan, sans compter l’enjeu stratégique qui se joue dans ce pays entre les Etats-Unis et l’Iran. « Tant que régnera dans les cercles du pouvoir cette idée que l’Inde est une menace grandiose pour le Pakistan, l’Afghanistan ne pourra jamais vivre en paix ».

Pour l’Etat pakistanais une seule question importe : l’Inde. L’alliance indo-afghane est une réalité depuis 1947. Afin de déstabiliser l’Afghanistan et de brouiller son alliance avec l’Inde, le Pakistan a encouragé l’arrivée au pouvoir du gouvernement intégriste pachtoune : les talibans.

L’Inde contribue aujourd’hui de façon considérable au renforcement de l’Etat afghan. Elle est devenue un donateur important, elle entraîne les soldats de la nouvelle armée afghane et a renforcé ses consulats le long de la frontière avec le Pakistan. La culture indienne en Afghanistan joue également un rôle important.

Pour l’Iran, au contraire, ce n’est pas tant l’Afghanistan qui préoccupe que la durée indéterminée de la présence des militaires américains sur son territoire

La Russie considère que les talibans constituent une grave menace à la sécurité internationale et à leur propre sécurité.

Il est vrai que la nécessité de lutter contre le terrorisme en Afghanistan est l’un des rares sujets qui mettent tout le monde d’accord. Immédiatement après l’11 septembre, Russie, Etas-Unis et Iran ont mis fin à ses relations avec le régime des talibans. Mais malgré ce consensus des rivalités et des malentendus sont vit fait apparues sur la scène afghane, notamment entre les nouvelles ambitions de Téhéran et les velléités de puissances russes, vis-à-vis d’une présence américaine qui rappelle dramatiquement la présence russe d’antan. L’Iran en particulier se demande si les Etats-Unis ne retourneront pas à leur politique qui consistait à s’allier avec les puissances et les forces sunnites de la région (Arabie Saudite, Pakistan..) afin de l’exclure des jeux…Ce scénario semble invraisemblable à l’heure actuelle, cela dit la crainte iranienne est sincère.

Un nouveau projet de société

La résolution du conflit en Afghanistan est une de clé les plus importantes dont dépendent la paix et la stabilité mondiales. On parle donc d’enjeux de long terme. Les intérêts ainsi que les objectifs initiaux des Américains en Afghanistan semblent avoir changés avec l’arrivée au pouvoir de Barak Obama. La stabilisation de ce pays dépasse donc les exigences initiales liées à la destruction d’Al Qaida. La seule chance de réussite repose dans une politique régionale efficace pour apaiser les tensions entre les pays. Les ouvertures du nouveau président américain en direction de l’Iran et de la Russie semblent aller dans ce sens. La reconstruction de l’Afghanistan restera vaine si les puissances régionales continuent d’intervenir.

La stabilisation de ce pays doit également passer par une négociation avec les talibans, après avoir coupé leurs liens avec les réseaux terroristes. Opération compliquée mais nécessaire. On ne peut pas rayer les talibans de la société afghane car ils en font partie.

Après sept années d’incurie et d’errements de la part de l’administration Bush, le nouveau président des Etats-Unis n’a guère attendu à ordonner l’envoi de 21 000 soldats supplémentaires. Mais si l’envoi de renforts est nécessaire cette décision n’aura des conséquences durables qu’a condition d’être accompagnée d’un véritable effort politique pour convaincre la majorité de combattants talibans d’abandonner les armes.

Par exemple, la Commission afghane nationale indépendante pour la paix et la réconciliation (PTS) aurait dû constituer l’outil premier pour soutenir le processus de réconciliation, mais elle s’est montrée absolument inefficace. Lancé en 2005, le programme de la commission affichait des objectifs vraiment ambitieux, notamment la réinsertion des anciens combattants au sein de la société civile.

Maintenant tout le monde semble concorder sur le fait qu’il faut replacer le processus de réconciliation au cœur du plan de reconstruction de l’Afghanistan, ce qu’il manque c’est une vraie stratégie ainsi que des outils et des moyens adaptées.

Un autre élément essentiel pour donner une chance au processus de réconciliation de réussir repose dans la nécessité de garantir la sécurité à la population.

Pour l’instant c’est le gouvernement pakistanais qui a le mandat de négocier avec les leaders talibans sur son territoire. Mais la position des talibans est claire : la négociation n’aura lieu que lorsque les forces internationales auront quitté le sol afghan.

La reconstruction

Actuellement l’Etat afghan reçoit moins d’un tiers de l’aide international ; le reste est donné directement aux organisations internationales ou aux sociétés privées (l’aide revient en gros aux donateurs à travers les ONG étrangères que sont financées). Sans compter le fait que à peu pet le 45 % du budget des ONG étrangère en Afghanistan est utilisée pour la « sécurité » des expatriées.

Barnett Rubin souligne également la manque flagrante de coordination et de transparence entre les donateurs.

Education, santé, économie, justice sont à reconstruire. Au chapitre des réussites on peut compter la Constitution afghane. Il y a des institutions qui fonctionnent mal mais qui fonctionnent tout de même : une présidence, un Parlement, une armée, une police…

« Etre optimiste au sujet de l’avenir de l’Afghanistan serait vraiment une catastrophe…par contre être pessimiste serait trop facile. Abdiquer ne présente aucun défit intellectuel et politique ». Quant aux scénarios possibles, rappel l’auteur, il y a d’abord le scénario catastrophe de l’effondrement de l’Etat afghan. Heureusement qu’au présent aucun pays n’a intérêt à voir l’Etat afghan s’effondrer complètement. Ni le Pakistan, ni l’Iran, ni les Etats-Unis…mais pour combien de temps encore.. ?

III. Sortir du chaos irakien

Après la guerre en Afghanistan en 2001, la principale implantation territoriale d’al-Qaida est remise en question. Le nouveau combat à investir pour al-Qaida se trouve donc en Irak, qui devient sa base territoriale d’où projeter sa volonté de puissance et sa stratégie de jihâd globale.

Point de rupture entre sunnite et chiite, entre les Etats-Unis et leurs opposants, l’Irak est désormais le nouveau point nodal du jihâd.

Dans son entreprise de démocratisation forcée en Irak, l’Administration américaine essaye de mettre en avant les modèles historiques de l’Allemagne et du Japon de l’après 2ème guerre mondiale. Le mot d’ordre serait : renforcement de l’Etat central. L’exemple palestinien démontre bien l’inutilité d’un agenda démocratique imposé à des institutions fragiles…

Comment expliquer qu’en quatre ans une société a glissé dans la guerre civile ? Les différences, sociales, ethniques, confessionnelles ne suffisent pas à expliquer un tel engrenage de la haine.

L’ouvrage de Fanny Lafourcade débute avec un bref rappel historique, nécessaire pour comprendre la genèse de la guerre civile en Irak.

Produit des découpages coloniaux de l’Empire ottoman, l’État irakien émerge au début du siècle dernier aux dépens d’une partie de la population, réprimée par le colonisateur britannique. Dans la seconde partie du XX siècle, l’Irak, pris dans la tourmente du nationalisme arabe, tente de trouver sa propre voie vers l’indépendance et la modernité politique et économique.

L’État baassiste, le dernier des différents régimes qui se sont succédés, dénature progressivement ses objectif initiaux de développement social et économique en laissant derrière lui une société irakienne exsangue et traumatisée.

C’est cette histoire marquée par la violence qu’hérite la coalition emmenée par les Etats-Unis en 2003. Les 4 années qui suivent se résument à une série d’erreurs accumulées faisant glisser progressivement la société dans la violence et la guerre interne.

Pourquoi l’Irak est-il dans un tel état de délabrement en 2003 ?

Après le miracle économique des années 1970, l’Irak s’est enfoncé progressivement dans la crise et la paupérisation, en raison de la guerre contre l’Iran mais aussi du système des sanctions internationales mis en place après la guerre du Golfe (1991).

Quels étaient les rapports entre les communautés avant la guerre d’Irak ?

Les entités Kurde et chiite se sont progressivement forgées au cours du XXème siècle, à partir d’un sentiment d’oppression, d’injustice et d’exclusion du pouvoir politique. Malgré cela, jusqu’en 2003, les populations irakiennes vivent en bonne intelligence et les mariages mixtes, entre sunnites et chiite par exemples sont nombreux.

L’identité chiite telle qu’elle s’exprime dans l’Irak de l’après 2003 se forge autour d’un sentiment de profonde injustice qui puise sa source dans la perception de la sous représentation de cette communauté dans les instances du pouvoir depuis la formation de l’Etat irakien et la révolution de 1920 et dans la persécution du chiisme politique de Saddam Hussein dès années 1970.

L’identité kurde se forme en opposition au pouvoir central de Bagdad et dans la revendication du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. À ses origines, la question kurde prend sa source dans le partage de l’Empire ottoman.

Quelle logique sous-tend l’intervention des Etas-Unis ?

Jusqu’à la fin des années 1990, la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient, en particulier en ce qui concerne l’Irak, repose avant tout sur la volonté de maintenir un équilibre régional. En plein guerre froide, l’Irak devient même un rempart contre l’Iran de Khomeini.

Mais le pouvoir baassiste et ses velléités expansionnistes inquiètent les Etats-Unis. La guerre du Golfe est aussi l’occasion de réduire la puissance de l’Irak amputé d’une partie de son territoire au nord, soumis à un régime d’inspections et mis au ban de la communauté internationale.

Mais pour « certains », Saddam reste une menace et il faut donc prévoir un changement de régime. C’est l’11 septembre qui fait basculer l’administration américaine vers cette théorie.

Installer un régime démocratique à Bagdad devient un des objectifs centraux de « la guerre contre la terreur ». Le changement de régime en Irak doit, de plus, produire un effet d’entraînement concernant la démocratisation au Moyen-Orient permettant de régler à terme les problèmes sécuritaires des Etats-Unis…

Après la guerre comment gagner la paix ?

La coalition victorieuse semble avoir négligé la préparation de l’après-guerre. Elle est en effet fondamentalement partagée entre un désir de désengagement rapide et la volonté de démocratisation de l’Irak et, au-delà, du Moyen-Orient. Cette contradiction sera lourde de conséquences.

Pourquoi la transition irakienne est-elle un échec ?

La période de transition en Irak s’achève officiellement avec les élections de décembre 2005.l’assemblée chargée de rédiger la constitution (à adopter par referendum avant le 15 octobre 2005) doit céder la place à un Parlement élu pour quatre ans.

Dans la pratique aucun objectif est atteint : aucun consensus national sur le partage du pouvoir et sur l’organisation du fonctionnement des institutions démocratiques en Irak. L’adoption d’une nouvelle Constitution en Irak n’as pas pu régler l’enjeu essentiel de l’Irak post-Saddam : le partage du pouvoir entre les différentes communautés.

A quel moment s’enclenche la logique de guerre civile ?

Quelle est la nature du conflit irakien ?qualifier ou non le conflit irakien de guerre civile est une question de perspective. Les autorités américaines et irakiennes réfutent ce terme, considérant que le problème s’analyse plutôt en termes de tentatives de la part de groupes armés, minoritaires et marginaux, « les terroristes », pour déstabiliser une jeune démocratie.

Le CICR qualifie le conflit irakien de « conflit armé interne internationalisé » du fait qu’à une guerre interne s’ajoute également une guerre contre des troupes étrangères d’occupation.

La guerre civile s’institutionnalise à l’occasion des premières élections en janvier 2005.

Dans quelle mesure ce conflit change-t-il la donne régionale ?

La chute du régime de Saddam Hussein et les développements politiques en Irak ont profondément modifié la donne régionale. L’effondrement de l’Irak baassiste aintroduit trois éléments nouveaux : l’émergence d’un Irak dominé par les chiites, la consolidation de l’autonomie kurde et la présence américaine au cœur du Moyen-Orient.les pouvoirs sunnite s’inquiètent de l’émergence d’un croissant chiite ; tandis que les voisins de l’Irak craignent l’éclosion de revendications séparatistes kurdes sur leur territoire. Les états qui ont une relation conflictuelle avec les Etats-Unis, notamment l’Iran et la Syrie, essayent d’influencer le jeu politique irakien à leur faveur et en opposition aux américains.

Comment survit la population ?

Les conditions de vie des irakiens dépendent essentiellement de l’endroit où ils vivent. Dans les trois gouvernorats kurdes tendent à s’améliorer. Par contre dans le reste du pays les conditions de vie de la population se sont nettement dégradées depuis 2003 et l’Irak est entré progressivement dans un état de crise chronique. L’urgence humanitaire tend à se pérenniser sous l’effet de la mise en place dune société de guerre.

Comment sortir du chaos ?

Le chaos irakien est devenu un motif d’inquiétude majeur pour la communauté internationale. Quels sont les différents scénarios de sortie de crise envisagés ? Washington met en place une solution essentiellement militaire. D’autres proposent une solution régionale plus globale passant par l’ouverture d’un dialogue avec la Syrie et l’Iran. Pour d’autres la partition de l’Irak sur des bases communautaires apparaît comme la solution à terme.

La guerre lancée par George W. Bush, n’a pas été le moteur d’une démocratisation du Moyen-Orient ni d’une sécurisation de l’ordre international. Au contraire, l’action miliaire américaine a créé le chaos. La transition démocratique n’a pas eu lieu et une véritable guerre civile s’est installée. La question du partage du pouvoir n’a pas été réglée. De plus des acteurs, avant absentes du territoire irakien, ont investit ce Pays avec leurs ambitions de puissance : la Syrie, l’Iran et al-Qaida.

Les Irakiens paient tous le prix d’un décalage entre l’idéologie et la réalité, entre la théorie et la pratique rappelle justement Fanny Lafourche. Comment donc promouvoir une vraie réconciliation capable de permettre l’émergence d’un nouveau pacte national ?

Devant cette impasse de plus en plus de voix se sont élevées pour demander un retrait des troupes étrangères…Ainsi la nouvelle administration américaine a appelé de ses vœux pour un désengagement progressif.

La partition du pays apparaît comme une option de sortie de crise. Mais sans une véritable redistribution des cartes politiques sur des dossiers centraux qui tournent essentiellement autour de la répartition du pouvoir et du pétrole, l’amélioration de la situation sécuritaire est vouée à l’échec.

En réalité aucune des solutions semble aujourd’hui véritablement convaincante. Mais toutes semblent plutôt motivées par un soucis de désengagement rapide du bourbier irakien que par la recherche d’une solution politique au conflit.

Notes

  • Thierry de Montbrianl et Philippe Moreau Defarges, Turbulences économiques et géopolitique planétaire, Ramses 2009.

  • Fanny Lafourcade, « le Chaos irakien, dix clés pour comprendre », la découverte, Paris, 2007.

  • Marc-Antoine de Montclos, « Guerres d’aujourd’hui, les vérités qui dérangent », Tchou, Paris 2007.

  • Barnett R. Rubin, « l’Afghanistan sur le point de bascule », éditions Nota Bene, 2009, Paris.

  • Gérard Prunier, « le Darfour, un génocide ambigu », la table Ronde, 2005.