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, Paris, June 2011

Paix, Prévention des conflits, alerte précoce

Il n’existe pas, en milieu francophone, d’organisation ou d’institution disposant d’un système d’alerte et pratiquant l’alerte précoce.

Keywords: | | Development of methods and resources for peace | | |

Une brève première partie introduit à quelques uns des débats des milieux politiques, académiques ou diplomatiques, concernant l’Alerte Précoce. Si la nécessité de cette dernière est reconnue dans le domaine de la prévention des conflits, sa définition et son usage ne vont pas s’en poser problème. Quels sont les indicateurs d’une Alerte précoce ? En quoi se distinguent-ils d’indicateurs de paix ? Peut-on réellement anticiper sur des conduites humaines ? Qui participe à la mise en place d’un système d’alerte ? Autant de questions qui, aujourd’hui encore, font débat.

Une seconde partie, plus substantielle, présente certains aspects de quelques uns de systèmes d’Alerte Précoce existant aujourd’hui. A ce sujet, plusieurs remarques s’imposent :

  • a) Il existe une littérature importante sur le sujet et les milieux académiques disposent aujourd’hui de connaissances étendues sur les indicateurs d’Alerte Précoce. On ajoutera que malheureusement, les milieux universitaires francophones ont jusqu’ici fort peu travaillé cette thématique.

  • b) Le fossé est important entre les connaissances utiles à l’action et leur utilisation par les acteurs concernés. Peu d’Etats, à l’exception sans doute du Canada, des Pays Bas, de la Suisse ou de la Suède, ont tenté de réorienter le cœur de leur politique étrangère autour de l’action en faveur de la paix, et ont donc introduit l’Alerte Précoce dans leurs pratiques. Au niveau des organisations internationales, si la notion est d’un emploi de plus en plus fréquent, force est de constater que les définitions de l’Alerte Précoce demeurent rares, et que les contraintes organisationnelles et politiques pèsent lourdement dans la lenteur avérée de la mise en place effective d’un tel dispositif.

Il existe un écart non moins préoccupant entre la mobilisation des O.N.G. en faveur de l’adoption de systèmes d’alerte par la communauté internationale d’une part, le recours des grandes entreprises internationales à des cabinets de consultants privés d’autre part et la réflexion des acteurs étatiques. Cet aspect renforce la nécessité d’une synergie tant méthodologique qu’entre des acteurs de nature différente.

Première Partie : les problématiques de l’Alerte Précoce

1) Définition

La notion « d’Alerte Précoce » a fait récemment son apparition dans le domaine de la décision politique et de la prévention des conflits. Jusqu’alors, son usage était réservé à des thématiques très particulières, comme celle des systèmes d’alerte dans le domaine militaire : prévention des attaques, ou encore dans les domaines sanitaire : l’O.M.S. dispose d’un dispositif remarquable, ou alimentaire, dans une perspective de prévention des désastres naturels. : la F.A.O. possède ainsi ses propres dispositifs.

Dans les dernières années, et plus précisément depuis la fin de la guerre froide, milieux académiques, politiques et diplomatiques ont plaidé pour la nécessité et la possibilité d’une extension de l’application de cette notion au champ des conflits et de leur prévention, tant entre les Etats qu’en leur sein. Bien entendu, plusieurs possibilités s’ouvrent à qui tente de décrire voire de définir la notion d’Alerte Précoce. Ainsi Lund (1) relie-t-il l’Alerte Précoce au concept de diplomatie préventive qui intègre les efforts pour prévenir ou contenir les conflits, l’idée principale étant qu’il vaut mieux intervenir avant que le conflit n’atteigne un niveau de violence difficilement gérable. Le critère principal dans cette approche préventive est ainsi l’intensité du conflit et la préconisation d’une action dans une phase de conflit de faible intensité, à distinguer des mesures à prendre dans un contexte de haut niveau de violence.

Une telle description tend à montrer que les notions de diplomatie préventive et d’Alerte Précoce ne visent pas à la prévention de la violence en tant que telle, mais à empêcher le déclenchement d’hostilités sans retour. Le problème est alors de bien distinguer l’Alerte Précoce de la notion de « Conflict Management », de gestion des conflits.

D’autres proposent une approche sensiblement différente et assimilent l’alerte précoce à la notion générale de prévention des conflits, laquelle se réfère à des situations dans lesquels l’incompatibilité des buts poursuivis par des adversaires est contrôlée afin d’éviter le déclenchement des hostilités. Selon cette approche, représentée par Rupesinghe (2), le but de l’alerte précoce est la prévention de toute forme de conflit violent. Telle est la perspective qui a notre préférence et l’on présentera à la suite la définition donnée par F.E.W.E.R. (Forum on Early Warning and Early Response) qui, aujourd’hui, fait consensus : l’alerte précoce est « la collecte systématique et l’analyse de l’information sur des régions en crise et donc la vocation est a) d’anticiper le processus d’escalade dans l’intensité du conflit, b) de développer des réponses stratégiques à ces crises, c) de présenter des options d’action aux acteurs concernés afin de faciliter la prise de décision » (3).

L’Institut italien des Affaires Internationales, dans son Rapport rédigé en 2001 « Early Warning and Conflict Prevention in the Euro-Med Area. A Research Report » (4) présente également l’alerte précoce comme la « première composante de la prévention des conflits ».

Cette définition s’accompagne de trois précisions importantes sur la temporalité propre à l’Alerte Précoce, sur ses destinataires et sur son organisation.

On rappellera ainsi que l’O.N.U., à travers son Programme P.I.O.M.M. (Programme interdisciplinaire de recherche sur les causes de violations des droits humains) a estimé que l’Alerte Précoce se situait dans un délai en amont de 6 à 12 mois pour que l’Organisation puisse entreprendre les actions requises ; qu’un délai de 6 semaines à 6 mois correspondait à une Alerte donnée à temps, et qu’en dessous de 6 semaines, le temps d’alerte était dépassé et correspondait à une situation d’action dans l’extrême urgence.

Les destinataires sont autant les victimes potentielles que les auteurs de la menace (afin de les en dissuader), les Organisations Internationales et les agences onusiennes, le Secrétaire Général des Nations Unies, les gouvernements des pays limitrophes susceptibles de proposer une médiation, les Organisations Non Gouvernementales travaillant dans le domaine de la solidarité internationale, les personnalités reconnues sur la scène internationale, les médias.

Enfin, et cela a son importance, pour qu’il y ait Alerte Précoce, il faut qu’il y ait une structure permanente d’analyse de données, répondant à un encodage et à un minimum de standardisation. Ce point est notamment soulevé dans le rapport de l’Institut Italien des Affaires Internationales. Il a son importance car, comme on le constatera dans la présentation des systèmes d’alerte de différentes organisations, cette structure permanente et organisée, c’est-à-dire centralisée ou plus exactement coordonnée, fait actuellement défaut à la plupart des organisations inter-étatiques, à commencer par l’O.N.U.

Cette question en soulève une autre, qui traverse les discussions actuelles sur les mécanismes de sécurité collective : à quel niveau doit s’effectuer l’Alerte ? Dans le domaine de la sécurité collective, la décennie 90 a vu monter l’espoir dans un rôle retrouvé de l’O.N.U., espoir vite assombri par le génocide rwandais. Depuis, sans que l’O.N.U. renonce à l’exécution des missions inscrites dans son mandat, les mécanismes régionaux de sécurité collective paraissent préférés. Il semble en aller de même pour les mécanismes d’Alerte Précoce. Ici encore, l’O.N.U. a fait figure de pionnier, mais la lourdeur administrative et bureaucratique de l’Organisation, ses échecs – qui ne doivent pas exonérer les Etats membres de leurs responsabilités -, ont reporté l’attention sur d’autres acteurs. Les Organisations Régionales pourraient jouer un rôle finalement plus important dans ce domaine, ce qui a été reconnu tant au niveau de l’Union européenne qu’au sein de l’Union africaine. Des organisations sub-régionales, à vocation parfois économique, ont également manifesté une volonté d’assumer leur responsabilité dans la prévention et la résolution des conflits qui menacent la stabilité et le développement économique.

Rassembler et analyser les données sur les conflits émergents

Les universitaires spécialisés sur l’alerte précoce distinguent généralement deux étapes dans l’utilisation des banques de données relatives aux conflits potentiels.

La première concerne bien évidemment la recherche et l’analyse des données qui peuvent être interprétées comme des signaux d’un conflit à venir. S’il est prouvé que le passage à l’acte violent est imminent et qu’une réponse rapide (Early Response) peut encore faire la différence, la procédure d’alerte précoce entre dans une seconde phase : un signal est transmis aux décideurs politiques qui doivent prendre la décision requise pour s’assurer de la prévention de la violence. Bien qu’il soit admis qu’une littérature importante existe concernant les conflits, les spécialistes de l’Alerte Précoce insistent sur le fait que la mise en place d’une banque de données globale et analytique sur les conflits et phénomènes associés fait encore cruellement défaut (5). Certes des informations doivent être collectées. Mais cette tâche ne peut être assumée par les seuls Secrétariats des organisations internationales ; elle relève également des O.N.G., des universitaires et des services gouvernementaux spécialisés (ambassades, militaires) et bien sûr des organisations locales. C’est insister déjà, à ce niveau, sur la nécessaire synergie entre des acteurs aux pouvoirs, aux responsabilités et aux légitimités variés. C’est également préconiser, comme le fait Rupesinghe dans son étude, l’obligation d’un travail en réseau et donc comme nous l’avons déjà remarqué, à la fois décentralisé dans sa phase de collecte mais coordonné pour permettre de toucher les différents destinataires.

Plusieurs Banques de Données sont aujourd’hui utilisées. On en citera ici quelques unes pour mémoire : La US National Science Foundation dispose de deux modélisations d’Alerte Précoce (Projet G.E.D.S et Projet K.E.D.S.) L’Institut International de Recherche sur la Paix, de Stockholm, (le S.I.P.R.I.), publie annuellement un « Rapport sur les conflits dans le monde », qui constitue une référence. Le S.I.P.R.I. travaille avec le réseau suisse International Relations and Security Network (6) (I.S.N.) sur le projet Integrating Fact Databases in the Field of International Relations and Security, dont le but est de créer une Banque de Données accessible de tout endroit. Le Ministère de la Défense du Canada a développé plusieurs systèmes d’Alerte Précoce. Le premier d’entre eux, G.E.O.P.O.L., a donné lieu à un développement qui est considéré aujourd’hui comme un modèle : le projet C.I.F.P. (Country Indicators for Foreign Policy) (7). On mentionnera également le projet F.I.R.S.T (Facts on International Relations and Security Trends). Comme on le constate, les milieux académiques francophones sont absents de ce panorama.

L’analyse des informations collectées est, bien sûr, vitale pour le fonctionnement de tout système d’alerte. A ce sujet, plusieurs théories existent. Il n’y a pas d’accord parmi les universitaires pour savoir quelles notions ou quels modèles permettent au mieux d’expliquer, sinon de prévoir – prédire ? – l’irruption, sous ses différentes formes, d’un conflit violent.

2) Typologie des systèmes d’alerte

Les modèles de système d’alerte diffèrent souvent dans leurs objectifs, leur structure, leur manière de récolter l’information et le mandat des autorités qui en assurent la gestion. L’Institut Clingendael des relations internationales définit ainsi trois modèles de prévention des conflits.

Le modèle corrélatif se concentre sur les indicateurs et les causalités structurelles du conflit et cherche à expliquer comment ceux-ci contribuent à l’émergence des conflits (analyse qualitative, veille permanente). Une telle approche utilise l’histoire et tend à mettre en évidence des tendances lourdes postulant des séries factuelles de causes à effets. Ces théories sont dites post-prédictives, ce qui signifie qu’elles utilisent des informations et des événements du passé. Gurr a ainsi identifié des facteurs structurels qui déterminent la nature des désaccords et les demandes des différents groupes communautaires, et qui résultent de l’historique de l’antagonisme entre les groupes dominés et dominants, la façon dont le groupe dominé a perdu son autonomie, les inégalités politiques et économiques qui existent entre les groupes ainsi que les mesures inégalitaires prises à l’encontre des groupes dominés. Au moins l’un de ces aspects doit être remarqué à un niveau « moyen » ou « élevé » pour que l’on estime qu’un groupe présente une attitude et une conduite conflictuelles (8). Ces conditions sont parfois appelées « facteurs accélérateurs », notion que l’on retrouve chez l’Institut néerlandais Clingendael dans son analyse régionale des causes des conflits. Ces facteurs amplifient les conditions structurelles. Ils concernent la nature, la force et la cohésion des revendications des organisations politiques et communautaires exerçant une pression et l’existence d’une haute probabilité d’un conflit communautaire entre des groupes similaires vivant dans des pays frontaliers. Ce sont finalement les conditions de la réponse qui vont déterminer si le conflit communautaire va prendre la forme d’une protestation non violente ou au contraire dégénèrera en rébellion violente.

Le modèle séquentiel privilégie l’alerte de court-terme, par l’étude de la séquence au sein de laquelle les événements déclencheurs des conflits sont apparus dans le passé (analyse quantitative, données relatives aux événements).

Le modèle conjoncturel a pour but d’identifier les moments dans le cycle du conflit durant lesquels une intervention stratégique a les meilleures chances de déboucher sur un résultat. Les universitaires qui s’en réclament analysent la façon dont une situation de crise évolue dans le temps. Ils privilégient la recherche des conjonctures permettant une intervention d’une tierce partie modératrice. Les modèles conjoncturels spécifient des scénarios alternatifs. Ils étudient les différentes combinaisons de conditions débouchant sur des issues différentes.

Rappelons néanmoins que beaucoup d’analystes estiment qu’aucun modèle ne peut empêcher, avec certitude, le déclenchement d’un conflit (9). L’une des raisons en est que fréquemment, le facteur clef dans le déclenchement d’un conflit est le changement de tactique et de stratégie d’un gouvernement ou de groupes dans leur perception d’une opportunité d’action.

Outre les systèmes d’alerte « généralistes » qui surveillent un ensemble des indicateurs, il existe des organisations et des programmes qui s’engagent à veiller sur une thématique spécifique, telle que la situation des minorités, les migrations des populations, ou la faiblesse (au sens de défaillance) de l’Etat (State Failure). Le programme « Minorities at Risk » de l’Université de Maryland dirigé par Ted Robert Gurr, est un système quantitatif qui exerce une veille et analyse particulièrement la place au sein de l’Etat des groupes minoritaires (ethniques, nationaux). La Banque Mondiale développe une réflexion intéressante sur les causes économiques des conflits.

En tout état de cause, quel que soit le modèle choisi, plusieurs points semblent acquis : la plupart des systèmes d’Alerte Précoce portent sur les conflits internes, intra-étatiques. C’est signifier qu’ils insistent sur la prédominance des conflits dits ethniques et se concentrent sur les actions des acteurs non étatiques. Second point : il semble important que les mécanismes d’Alerte Précoce reposent bien évidemment sur des données fiables, ce qui signifie, et cela importe, sur une recherche standardisée de la collecte d’informations et sur un usage similaire et rigoureux des indicateurs de conflits. La coordination de l’information et de sa recherche est donc d’une grande importance (10).

3) De l’Alerte Précoce à l’Action Préventive

Les procédures d’alerte précoce atteignent une seconde phase lorsque l’on perçoit que le conflit est imminent et qu’un signal à ce sujet est adressé aux décideurs politiques avec la demande d’une décision d’action. A ce sujet, les spécialistes pointent trois problèmes. Il existe déjà un désaccord entre ceux qui estiment que l’Alerte Précoce doit se contenter d’émettre des signaux aux décideurs, et ceux pour qui cette Alerte doit s’accompagner de recommandations d’action, c’est-à-dire ceux pour qui le système d’alerte comporte deux volets : l’analyse de la situation sur le terrain et l’élaboration de propositions pour agir et désamorcer la crise. Dans cette perspective, le système d’alerte n’est pas que force de proposition, elle est aussi pouvoir d’action.

Dès lors, il est évident que l’alerte perd de son intérêt si elle n’est pas entendue puisque l’alerte suppose l’action. Elle s’inscrira dans le cadre local d’abord, considérant que les premiers utilisateurs des informations doivent être les acteurs locaux, connaisseurs de la situation de leur pays et seuls aptes à faire pression pour faire changer les choses. Puis, une fois l’information remontée au niveau régional voire à l’échelon international, des actions pourront être entreprises pour éviter que la situation conflictuelle ne dégénère en conflit. Toutefois, rien ne garantit que ces actions seront effectivement entreprises.

C’est dans cette optique que certaines O.N.G. ont décidé de mettre en place un système d’alerte. L’idée majeure est de se voir reconnaître une capacité d’expertise et une forme de notoriété en termes d’alerte et de prévention des conflits. Ce faisant, les O.N.G. cherchent à s’assurer que leur message sera entendu par les autorités locales mais surtout par la communauté internationale. Dès lors, l’action devrait suivre. Le but est bel et bien de donner plus de crédibilité et de clarté aux missions de veille et d’alerte réalisées auparavant par les O.N.G. pour qu’elles soient entendues et faire en sorte que l’inertie de la communauté internationale prenne fin.

Parmi ceux qui privilégient une telle perception extensive de la notion d’Alerte Précoce, deux problèmes sont pointés : d’une part, les experts soulignent que trop fréquemment, les informations adressées sont trop complexes pour être utilisées rapidement par les décideurs politiques. Ainsi, selon un membre du Canadian International Peacekeeping Training Center, le système d’alerte ne permettrait pas toujours aux décideurs politiques d’apporter les réponses efficaces. Alors que les acteurs en présence seraient conscients de la nécessité d’agir rapidement, le système d’alerte ne leur permettrait pas de savoir comment agir, pourquoi le faire et avec qui.

De plus, comme les informations sont souvent complexes et difficiles à comprendre, le message d’Alerte Précoce doit être présenté dans un « format » accessible aux décideurs politiques. Ainsi Alker estime que la présentation d’ « histoire narrative » vaut mieux que celle de concepts (11). Le développement de scénarios alternatifs peut également sensibiliser les décideurs aux évolutions constatées et les encourager à répondre plus rapidement à la montée de la violence. D’autre part, les spécialistes estiment que les messages d’alerte entrent en compétition avec d’autres messages qui atteignent également les décideurs. Il est alors important de présenter les avertissements sous la forme de messages répétés. Les théories de la communication estiment qu’ils sont alors plus assimilables que lorsqu’ils se présentent sous la forme de rapports isolés.

4) Indicateurs d’Alerte Précoce et Indicateurs de Paix

On le constate, les indicateurs d’Alerte Précoce participent, quelle que soit leur définition, des mécanismes de prévention des conflits incluant la compréhension des phases des conflits et des différentes fenêtres d’opportunités qu’elles offrent pour des actions de médiation, prévention et interposition. Dès lors, il semble normal de constater que beaucoup d’auteurs (12) s’accordent pour estimer que l’efficacité d’un système d’Alerte Précoce repose sur son intégration dans une procédure plus large de prévention des conflits, d’encouragement aux processus de paix, bref dans une politique de sécurité non pas seulement militaire mais qualifiée aujourd’hui, dans le prolongement lointain des travaux de Burton, de « sécurité humaine » (13). On retrouve là les débats déjà évoqués dans la présentation des problématiques. Il ne s’agit pas là d’une posture intellectuelle. Sont en effet en jeu plusieurs impératifs : une culture politique commune aux acteurs étatiques considérés reposant sur la prévention des conflits et le maintien de la paix ; des mécanismes éprouvés de travail en commun ; une capacité à mettre en place des synergies entre acteurs étatiques et non étatiques ; une culture commune et des compétences partagées en analyse des conflits. C’est aussi en fonction d’une politique de ressources humaines en analyse des conflits, en raison d’un soubassement intellectuel partagé, d’infrastructures et en fonction d’une réelle capacité logistique, que le système d’Alerte Précoce, qui doit lui-même présenter ces composantes, peut véritablement prouver son efficacité.

Cette conception intégrative repose encore sur un autre constat. Les systèmes d’alerte et de veille ne se limitent pas seulement à la surveillance des situations de pré-conflit. Quand un conflit passe dans une nouvelle phase de recours aux armes par une ou plusieurs des parties en présence, les systèmes d’alerte et de veille ont un rôle important dans l’analyse du conflit afin de permettre l’élaboration des stratégies et des solutions permettant d’éviter l’intensification des violences. Cette fonction inclut notamment l’identification des opportunités à saisir pour la construction de la paix, autrement dit la veille tant sur les facteurs potentiels de la paix que sur les facteurs déclencheurs des violences. Une fois un cessez-le feu signé, les systèmes d’alerte continuent une veille et une analyse systématique de la situation post-conflit afin d’éviter un nouveau déchaînement des violences, et peuvent également être utilisés pour comprendre les enjeux structurels et les dynamismes en présence dans les processus de construction ou de consolidation de la paix. C’est dire que les indicateurs d’Alerte Précoce sont susceptibles d’applications variables. N’est-ce pas là néanmoins trop demander à ces indicateurs ?

Afin d’éviter les confusions, certaines approches distinguent les indicateurs d’Alerte Précoce et les indicateurs de paix. Tel est le cas du Life and Peace Institute d’Uppsala. Les temporalités visées par ces deux types d’indicateurs sont différentes. L’Alerte Précoce est proche, temporellement et donc dans sa méthodologie sous-jacente, de la notion de crise et de basculement dans le conflit ouvert.

Il est indéniable qu’à l’analyse, des similitudes apparaissent. La veille et la reconstruction de la paix reposent donc sur des référentiels proches. Le système d’alerte est donc un élément parmi d’autres d’une stratégie de paix plus globale, développée au sein des O.N.G. comme des Organisations Internationales ou des Etats. Toutefois, il ne s’agit pas de décrédibiliser les indicateurs d’Alerte Précoce. Les suivis réalisés par les systèmes en place sont de très grande qualité et permettent de connaître de manière plus précise la situation des pays les plus concernés par l’imminence de conflits. Le point le plus positif est sans doute la mise en place de partenariats que la notion de système d’alerte implique. En effet, dans le cas de F.E.W.E.R notamment, ce sont les O.N.G. mais aussi les autorités locales, les universitaires, les décideurs politiques régionaux comme internationaux qui sont mobilisés.

Seconde Partie : Présentation de systèmes et d’indicateurs d’Alerte Précoce

Sur quelle base peut-on définir des signes d’alerte ? Comment les appréhender et les

évaluer de manière objective ? La question est ouverte. Ces interrogations n’ont pas de réponses évidentes. Comme il a été dit précédemment, les Organisations Internationales ont essayé, avec plus ou moins de succès, d’établir des systèmes d’alerte.

Nous nous attacherons quasiment exclusivement dans cette partie à la présentation de la définition de l’alerte précoce et à celle de ses indicateurs.

De plus, il nous a semblé inutile d’entrer dans la présentation détaillée de chacune des organisations choisies et plus pertinent de focaliser notre attention sur des aspects propres à chaque système d’alerte. On a ainsi insisté sur la thématique centrale des droits humains pour l’O.S.C.E., sur la dilution des responsabilités et l’éparpillement des systèmes d’alerte pour l’O.N.U., sur l’approche strictement économique de la Banque mondiale, sur la collecte d’information et sa diffusion par International Crisis Group.

1) L’OSCE

Les concepts de sécurité, de prévention des conflits et d’alerte précoce

L’intérêt de l’O.S.C.E. pour les mécanismes d’alerte précoce provient d’une conception large de la sécurité. La Déclaration du Sommet d’Helsinki en 1992 stipule que l’approche de l’O.S.C.E en matière de conflit est fondée sur une « compréhension large du concept de sécurité comme l’énonce « l’Acte Final », adopté à Helsinki en 1975. Cette approche, que l’on peut référer à ce que l’on appelle aujourd’hui la « sécurité humaine », articule le maintien de la paix au respect des droits humains et des libertés fondamentales, aussi bien que la coopération et la solidarité économique et environnementale.

La protection et la promotion des droits de l’Homme, l’insistance sur des institutions démocratiques sont perçues comme des bases vitales pour la sécurité élargie. L’idée sous-jacente est que la violation des droits humains conduit souvent à des tensions et des conflits internes aux Etats ou inter-étatiques. C’est également la thèse de la paix démocratique qui accompagne cette approche.

Prévention des conflits

La prévention des conflits suppose dès lors que l’O.S.C.E. prête attention à une grande variété d’aspects dans la vie politique interne de ses Etats membres (14). L’insistance de l’O.S.C.E. porte sur la prévention. Lors du Sommet de la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe, qui s’est tenue le 21 novembre 1990 à Paris, les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats participants ont établi un Centre de Prévention des Conflits (C.P.C.) A l’origine, son rôle était d’assister le Conseil dans la réduction des risques de conflit et son activité se résumait pour l’essentiel à des mécanismes de consultation et de communication dans le domaine militaire.

Avec l’institutionnalisation de la Conférence, devenue par la suite Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, et surtout avec les missions en Bosnie et au Kosovo, le Centre de Prévention des Conflits a été réformé et élargi. Depuis le Sommet d’Istanbul de 1999, il agit, entre autre, comme un système d’alerte. Pour assurer cette mission, il dispose de plusieurs organes :

  • une « Chambre Situation/Communication » qui est en contact permanent avec les missions et les activités de terrain pour collecter des informations mais aussi pour aider lors de situations d’urgence, comme par exemple en cas d’évacuations.

  • Un « Centre d’opération », mis en place en 2000, qui a pour tâche d’identifier des zones présentant un risque de conflit et de déployer le personnel nécessaire.

Outre ce Centre de Prévention des Conflits, l’O.S.C.E. a mis en place en 1992 le Bureau du Haut Commissaire sur les Minorités Nationales, une institution dont le rôle est d’identifier et de chercher des solutions rapides à des tensions ethniques pouvant mettre en danger la paix, la stabilité ou les bonnes relations entre les Etats membres de l’O.S.C.E.

Alerte Précoce

L’Alerte Précoce est un aspect de la prévention des conflits mais figure néanmoins explicitement dans des documents de l’O.S.C.E. Le terme a été introduit en 1992 sans être défini précisément. Le troisième chapitre des Décisions d’Helsinki évoque seulement l’objectif de disposer d’alerte précoce sur les situations à l’intérieur de la zone C.S.C.E. qui présentent la possibilité de dégénérer en crise voire en conflit armé. Dans ce contexte, rien n’est dit sur la nature des faits et des développements qui peuvent être interprétés comme signaux d’un conflit émergent. Le second chapitre mentionne l’alerte précoce dans le mandat du Haut Commissaire sur les Minorités Nationales. On y évoque l’Alerte Précoce comme la réaction la plus rapide possible dans les tensions relatives aux problèmes liés aux minorités ethniques.

Le premier Haut Commissaire, Van Der Stoel, a présenté ainsi sa définition opérationnelle de l’Alerte Précoce : l’alerte précoce doit « fournir aux institutions compétentes de l’O.S.C.E. les informations concernant les processus d’escalade [de la violence], qu’ils soient lents ou graduels, rapides et soudains, suffisamment à l’avance afin de les aider à réagir à temps et avec efficacité, et si possible en leur laissant le temps d’utiliser la diplomatie préventive et d’autres mesures préventives non coercitives et non militaires ». Influencé par le Ministre des Affaires Etrangères australien Evans, cette définition distingue les objectifs de la diplomatie préventive précoce qui est d’encourager et de soutenir les efforts des parties engagées dans un conflit (encore non violent) afin de rechercher un accord, de ceux de la diplomatie préventive tardive qui tente de les persuader de ne pas utiliser la force alors que la violence semble imminente.

Indicateurs d’alerte précoce

Conformément à leur vision large de la sécurité, les Etats membres de l’O.S.C.E., dans la Déclaration du Sommet d’Helsinki, insistent sur le déclin économique, les tensions sociales, le nationalisme agressif, l’intolérance, la xénophobie et les conflits ethniques. Ultérieurement, l’O.S.C.E a intégré dans son approche le racisme, l’antisémitisme, et l’hostilité à l’égard des étrangers. Différents documents mentionnent également le traitement réservé aux minorités, le déplacement ou la migration des populations, les violations des droits humains et l’exaspération instrumentalisée par les gouvernements, via les médias, des la haine et des tensions ethniques.

Les droits de l’Homme et leur réalité : une préoccupation majeure de l’OSCE

L’O.S.C.E. réunit 54 Etats européens au sein d’une structure régionale légère ayant pour but de renforcer la paix, la démocratie et la sécurité dans la zone concernée. En ceci, l’O.S.C.E. est une institution en accord avec les principes de la Charte des Nations Unies et complémentaire à l’O.N.U. Les questions relatives au droit de l’Homme et à la prévention ou à la condamnation des violations de ceux-ci sont réunies dans le vocabulaire de l’O.S.C.E. sous le vocable de « dimension humaine » (alternative au concept de « droits de l’Homme », refusés par l’ancien bloc de l’Est).

Devenir membre de l’O.S.C.E. suppose l’adhésion et le respect d’un certain nombre d’obligations relatives aux droits de l’Homme et définies précisément dans les trois textes fondateurs de l’Organisation (en particulier celui dit de Moscou, en 1990).

2) L’Union européenne

A la suite du traité de Maastricht, signé le 7 février 1992, marquant la première concrétisation effective de l’objectif pour l’Europe de se doter d’une politique étrangère commune, l’Union Européenne s’est engagée dans une série de réflexion et d’initiatives concernant le concept de « prévention des conflits ». Un réseau conceptuel et opérationnel a ainsi commencé à se mettre en place, avec l’objectif d’améliorer d’une part les capacités d’analyse européennes et d’autre part la connaissance des possibilités et limites de l’Union en ce domaine, notamment en matière d’alerte précoce et de réaction rapide.

Documents de référence

  • l’article J-1 (titre V) du traité de Maastricht définit les objectifs de l’Union Européenne en matière de politique étrangère et de sécurité commune, entre autres « le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale, conformément aux principes de la charte des Nations Unies, ainsi qu’aux principes de l’acte final d’Helsinki et aux objectifs de la charte de Paris ».

  • la déclaration n°6 additionnelle au traité d’Amsterdam, intitulée « Prévention des conflits : rapport du Secrétariat général/Haut représentant et de la Commission », précise en juin 1997 :

    • « 1) qu’une unité de planification de la politique et d’alerte rapide est créée au secrétariat général du Conseil et placée sous la responsabilité de son secrétaire général, Haut représentant pour la P.E.S.C. Une coopération appropriée est instaurée avec la Commission de manière à assurer une totale cohérence avec la politique économique extérieure et la politique de développement de l’Union ;

    • 2) que cette unité a notamment pour tâche : a) de surveiller et d’analyser les développements intervenant dans les domaines qui relèvent de la P.E.S.C. b) de fournir des évaluations et des intérêts de l’Union en matière de politique étrangère et de sécurité (…) c) de fournir en temps utile des évaluations et de donner rapidement en cas d’événements ou de situations susceptibles d’avoir des répercussions importantes pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union, y compris les crises politiques potentielles, d) d’établir, à la demande du Conseil ou de la présidence, ou de sa propre initiative, des documents présentant, d’une manière argumentée, des options concernant la politique à suivre et de les soumettre, sous la responsabilité de la présidence, comme contribution à la définition de la politique au sein du Conseil ; ces documents peuvent contenir des analyses, des recommandations et des stratégies pour la P.E.S.C. ;

    • 3) que le personnel constituant l’unité provient du secrétariat général, des Etats membres, de la Commission ;

    • 4) que tout Etat membre, ou la Commission, peut soumettre à l’unité des suggestions relatives aux travaux à entreprendre ;

    • 5) que les Etats membres et la Commission appuient le processus de planification de la politique en fournissant, dans la mesure la plus large possible, des informations pertinentes, y compris des informations confidentielles. »

  • la note de transmission du Secrétariat général au Conseil de l’Union, le 30 novembre 2000, réaffirme que « la prévention des conflits est l’essence même de l’Union Européenne », qu’il convient « d’assurer une meilleure coordination des sources d’informations mises à la disposition de l’Union » et « veiller à utiliser au mieux l’ensemble des instruments dont elle dispose »

  • le rapport fourni le 18 juin 2002 par la présidence au Conseil européen concernant la « mise en œuvre du programme de l’UE pour la prévention des conflits violents » stipule qu’il faut à l’Europe « rechercher une plus grande cohérence en matière d’actions préventives » et que, pour ce faire, « le Conseil a décidé d’adopter, en matière de prévention des conflits, une approche systématique qui doit permettre d’intervenir rapidement ».

  • par ailleurs, depuis le milieu des années 1990, une série de documents et de résolutions politiques : Conclusions on « Preventive Diplomacy, Conflict Resolution, Conflict Resolution and Peace-Keeping in Africa » (General Affairs Council, 4 décembre 1995) ; Communication from the Commission to the Council on « The European Union and the Issues of Conflicts in Africa : Peace-Building, Conflict Prevention and Beyond » (6 mars 1996) ; Resolution on coherence of the EC’s Development Cooperation (included within the Council Conclusions to the Dutsch Presidency in June 1997); E.U. approach to Peace-Building, Conflict Prevention and Resolution (included in the Development Council Conclusions of December 1998); Report presented at the EU Summit, Nice, “Improving the Coherence and Effectiveness of E.U. Action in the Field of Conflict Prevention”.

Acteurs, outils, mécanismes

L’information est évidemment un des éléments clefs du mécanisme d’alerte précoce. Son acquisition et son traitement constituent les préalables nécessaires à la prise de décision visant l’action. L’Union Européenne travaille ainsi à se doter des instruments de collecte et de gestion d’un ensemble de données concernant la prévention des conflits, ce qui passe par l’interaction entre une pluralité d’acteurs :

  • la Commission européenne a ainsi élaboré une série d’indicateurs dont le but est de constituer un système d’alerte à partir d’informations portant sur la légitimité de l’Etat, sur la conduite de la loi, le respect des droits fondamentaux, la société civile et les médias, les relations sociales, la situation économique, le contexte géopolitique. La Commission tient donc un jour une liste de pays à surveiller en priorité, à partir d’une analyse des risques de conflit portant sur plus de 120 pays ;

  • le Secrétariat du Conseil de l’Union, de son côté, a établi pour le Comité politique et de sécurité (C.O.P.S.) une procédure d’alerte rapide fondée sur des rapports de synthèse et des analyses du risque. Celles-ci sont prises en charge conjointement par l’Unité de planification de la politique et d’alerte rapide (P.P.E.W.U. = Policy Planning and Early Warning Unit, créé en 1997), la division “renseignement” de l’Etat-major de l’Union Européenne (E.M.U.E.) et le centre de situation conjoint. Des mesures ont également été prises pour intensifier la concertation avec des partenaires extérieurs

  • l’Union Européenne s’appuie sur une variété d’instruments pouvant servir à la prévention : missions d’information (parfois menées conjointement par le Conseil et la Commission), missions de surveillance (E.U.M.M.), la présence de médiateurs ou d’observateurs pour les droits de l’homme, des missions d’observation d’élection, des représentants spéciaux. Dans la mesure où l’alerte précoce n’a de cohérence qu’intégrée dans un schéma amont (acquisition de l’information)-aval (décision/action), il faut souligner la création, à la suite du Conseil du 26 février 2001, d’un mécanisme de réaction rapide maintenant opérationnel. E.C.H.O. a également un rôle à jouer, dans la mesure où, d’un côté, son réseau d’informations et de partenaires fournit des indications fructueuses pour la prévention des conflits, et de l’autre qu’il travaille précisément au développement d’outils d’alerte précoce.

  • l’idée, par ailleurs, avancée de façon récurrente, consiste à souligner l’importance de la concertation et du partage d’informations avec toute une série d’acteurs hors institutions européennes : les institutions internationales, notamment l’O.N.U., l’O.S.C.E., le Conseil de l’Europe, l’O.T.A.N., mais aussi les organisations non gouvernementales, de plus en plus reconnues comme une source particulièrement précieuse d’informations, les médias, les universitaires et les experts indépendants… Les coopérations existent et la volonté de l’Union de collaboration au sein d’un réseau d’acteurs est clairement exprimée. Le “Conflict Prevention Network” (C.P.N.) constitue à cet effet une source spécifique pour l’évaluation du risque conflictuelle : il met en lien la Commission et le Parlement européen avec une trentaine de centres de recherche extérieurs, et avec le secteur des O.N.G. (de façon moins directe).

3) La Banque Mondiale

En octobre 2001, la Banque mondiale a organisé un séminaire sur l’alerte précoce en matière de conflit. Son approche fut centrée sur les racines économiques des conflits (Economic Roots of Conflicts) et sur la recherche de biens comme source première de ces conflits.

Dans cette perspective, la Banque mondiale a proposé les indicateurs suivants :

  • taux de corruption,

  • niveau de circulation d’ « argent sale »,

  • capacité de financement d’une rébellion,

  • coût d’une rébellion,

  • capacité militaire de la rébellion (en lien avec les opportunités offertes par la géographie physique et la distribution spatiale de la population),

  • inégalités sociales,

  • répression politique, fragmentation ethnique ou politique,

  • taille de la population.

4) L’Institut Woodrow Wilson

Ce Centre de Recherche Académique a publié en 2003 un intéressant document « Preventing the Next Wave of Conflict – Understanding Non-Traditional Threats to Global Stability », dans le cadre de son programme « Conflict Prevention Project ». Les conclusions de ce rapport sont intéressantes dans la mesure où elles s’inscrivent dans une perspective non prise en compte par la plupart des autres organisations évoquées dans ce travail : celle de l’émergence de nouvelles menaces (Non Traditional Threats), traduites en indicateurs d’alerte précoce.

L’Institut Wilson a retenu quatre domaines spécifiques : le secteur économique et les disparités sociales ; la gouvernance politique et économique ; les changements démographiques ; les ressources naturelles et l’environnement.

Nous présenterons succinctement quelques unes des principales caractéristiques de chacun de ces domaines.

Secteur économique et social - Indicateurs d’alerte précoce :

  • la pauvreté,

  • l’insuffisante attention aux inégalités de genres,

  • le manque d’attention aux aspects micro-économiques dans les politiques de développement,

Gouvernance politique et économique - Indicateurs d’alerte précoce :

  • Les « Etats faibles » comme sources d’instabilité,

  • Une trop grande importance accordée aux élections dans les processus de transition vers la démocratie

Changements démographiques – Indicateurs d’alerte précoce :

  • La croissance de la population urbaine a des impacts négatifs sur l’environnement, la santé publique et la croissance économique des pays en voie de développement,

Ressources naturelles et l’environnement - Indicateurs d’alerte précoce :

  • La rareté de ressources naturelles est cause de conflit,

  • Compte-tenu des tendances environnementales, le nombre d’intervention humanitaire va s’accroître,

  • Les menaces environnementales sur la sécurité et la stabilité nécessitent une effort accru de coopération inter-étatique.

5) Le C.E.R.T.I ( Linking Complex Emergency Response and Transition Initiative)

Ce réseau qui travaille en Afrique est soutenu par quelques unes des grandes universités nord-américaines : George Washington University, Harvard University, Johns Hopkins University, University of Maryland. Il se propose la mise en place de mécanismes régionaux d’Alerte Précoce, la synergie entre acteurs différents incluant les O.N.G. et les militaires, la formation de stratégies africaines à la prévention des conflits.

Très académique, l’approche du C.E.R.T.I. est également complexe, fondée fréquemment sur une approche couplée de sciences humaines et de mathématiques des probabilités.

Ses indicateurs utilisent et complexifient trois problématiques hérités de l’Université de Maryland (T. Gurr) : la fragmentation sociale ; la faillite de l’Etat ; les facteurs structurels.

Définition des différents groupes sociaux et des possibilités de conflits :

L’objet de ces indicateurs est d’identifier et de décrire les groupes composant la population à la fois par leur disposition géographique mais aussi sur la base de leurs identités : géographique, ethnique, politique, partisane. Une attention particulière est portée aux groupes socio-économiques et à la pertinence éventuelle des questions de genre. L’idée soutenue est d’établir, par l’entrecroisement de ces variables, une carte des conflits.

Risques structurels des conflits

Cette seconde série d’indicateurs repose sur l’approche développée par la Banque Mondiale, qui divise les risques en trois grandes catégories :

  • les opportunités de gains de la part d’une rébellion,

  • les chances de succès de la part d’une action menée par une rébellion,

  • les opportunités de recrutements pour les forces rebelles.

Cette approche repose sur le postulat que lorsque l’action violente offre des opportunités de bénéfices, les groupes (qu’ils reposent sur une identité culturelle, politique ou sociale) sont plus enclins à passer à l’action.

Tension sociale et fragmentation

Cette thématique vise à identifier les sources et l’intensité d’un conflit potentiel entre les composantes d’une société ou entre des groupes sociaux et l’Etat. Deux types de conflits ont été identifiés :

  • les conflits qui émergent à partir d’une compétition entre des groupes – généralement formés sur une base nationale, ethnique, religieuse, ou linguistique – compétition à l’égard de laquelle les élites politiques soit prennent position soit sont trop faibles pour renforcer la paix,

  • les conflits entre des groupes et les élites politiques pour prendre le contrôle de l’Etat.

L’analyse de la fragmentation sociale repose sur les indicateurs ou postulats suivants : différentes « nations » cohabitent au sein d’un même Etat ; la division ethnique et linguistique est forte et perçue comme telle ; les divisions religieuses sont fortes et perçues comme telles ; constat de l’absence d’une culture politique commune, de normes et de valeurs identiques au sein de la population; les mariages entre les membres de groupes ethniques ou religieux sont exceptionnels ; la société civile est faible comparée au contrôle social exercé par l’Etat.

L’analyse des inégalités sociales et économiques repose : sur les différences régionales de croissance économique ; sur les positions dominantes durables d’un groupe dans la sphère politique et / ou économique ; sur la discrimination dont sont victimes certains groupes ; sur le paternalisme et le népotisme exercés au détriment du travail et du mérite individuel ; sur des divisions sociales exacerbées et perçues comme telles.

L’analyse de la politisation des différences et de la répression des groupes porte sur : les clivages linguistiques, religieux, ethniques ou autres qui finissent par s’assimiler à des clivages politiques ; la montée de la haine dans les discours politiciens ; l’incapacité de l’Etat à réguler les intérêts de la majorité et de la minorité ; le soutien populaire accordé à des groupes sécessionnistes ; le soutien populaire accordé à des groupes racistes ; l’internationalisation du soutien accordé à des groupes ayant des revendications à l’égard d’autres groupes ; l’existence d’un support légal à des revendications de vengeance.

L’analyse de la viabilité de l’Etat : les indicateurs reposent sur 4 items : historique de la formation de l’Etat (ancienneté, reconnaissance non contestée ; tracé non conflictuel des frontières, etc.) ; dépendance de l’Etat (à l’égard d’un soutien militaire qui assure sa souveraineté par exemple) ; légitimité de l’Etat (fonctionnement, régime, stabilité, équilibre des pouvoirs…) ; capacité de l’Etat (dans l’exercice de ses fonctions régaliennes) ; abus du pouvoir d’Etat (corruption, non respect des droits humains, terrorisme d’Etat…)

Capacité à contenir un conflit émergent : cette thématique repose notamment sur les indicateurs suivants : rapport aux abus du pouvoir d’Etat : capacité ou non à les gérer ; taux de personnes disparues ; taux de circulation d’armes ; taux de déportation de personnes ; taux de migration et de réfugiés ; taux de destruction des infrastructures ; niveau des tensions civils vs militaires ; victimisation des étrangers perçus comme causes des problèmes politiques et sociaux ; présence de leaders idéologiques et religieux ; impact du dernier conflit ; niveau de la crise économique ; décès des principaux leaders politiques.

Capacité à gérer les tensions : cette thématique analyse le comportement des gouvernements et insiste notamment sur les indicateurs suivants ; le gouvernement a contraint le législatif à des changements constitutionnels en sa faveur ; le gouvernement a contraint le judiciaire à des changements constitutionnels en sa faveur, les militaires ont contraint le gouvernement à l’octroi de bénéfices ; rumeurs de coup d’Etat ; fraudes électorales, changements fréquents de chefs d’Etat ; menace d’un Etat voisin.

6) International Crisis Group

I.C.G. a été créé en 1995 en réponse à la défaillance de la communauté internationale dans sa réaction face aux crises de Somalie, Bosnie et Rwanda. Son but principal réside dans la prévention et la résolution des conflits par la sensibilisation des autorités capables de modifier le cours des événements. Depuis sa création, I.C.G. a étendu ses activités aux cinq continents, où il mène une vingtaine de programmes régionaux. Basée à Bruxelles, cette structure est financée par des gouvernements, des fondations caritatives et des sociétés de donateurs privés du monde entier.

Les trois éléments de base de la méthode de travail de l’I.C.G. sont ceux communs aux autres systèmes d’alerte : recherche, analyse et diffusion des informations. La spécificité de l’I.C.G. réside dans le haut niveau professionnel de ses analyses, et le fait que sa structure de diffusion de l’information comprend un mécanisme de plaidoyer afin d’inciter les décideurs à prendre des réponses rapides face aux situations des crises.

a) Recherche des informations

I.C.G. effectue une veille permanente des situations dans des zones de conflit potentiel, analysant tant les causes structurelles des conflits que les événements susceptibles de déclencher des conflits. L’environnement du pays en question est également pris en considération, son impact sur un conflit latent ainsi que son éventuel rôle dans la résolution du conflit. Les analystes de terrain d’ I.C.G. sont des anciens diplomates, journalistes, universitaires, ou membres du personnel des O.N.G., qui ont acquis une expertise dans leur domaine. Ils sont basés sur le terrain et ont ainsi développé des relations avec des acteurs locaux des gouvernements, de l’opposition, chefs militaires et paramilitaires, fonctionnaires, académiques, journalistes et leaders de la société civile. Ceci facilite l’acquisition d’une information diversifiée.

b) Analyse des informations

I.C.G. s’engage également dans l’élaboration de propositions en réponse aux situations identifiées afin de prévenir, contenir ou résoudre les conflits. Ces propositions peuvent impliquer la mise en œuvre des outils diplomatiques, juridiques, économiques, ou dans le cas ultime, militaires, applicables en certains cas par le pays même, et en certains autres, par les acteurs externes, tels que gouvernements ou organisations internationales. L’objectif est toujours de proposer des recommandations, impartiales, ciblées et réalisables. En plus des recommandations pour des actions urgentes de réponse, I.C.G. s’engage à transformer les causes structurelles du conflit par des programmes de long terme pour leur éradication.

c) Diffusion de l’information et sensibilisation des pouvoirs politiques

Afin que ces propositions et recommandations puissent être adoptées et mises en œuvre rapidement et efficacement par des pouvoirs compétents, I.C.G. pratique un plaidoyer auprès des pouvoirs politiques et des organisations internationales, et par ceux qui peuvent les influencer (notamment les média).

L’organisation publie un bulletin mensuel, « The Crisis Watch », qui synthétise les développements d’environ 60 situations de conflit potentiel, évalue si l’évolution de chaque cas (les Tendances). Ces rapports sont diffusés par courrier à 3200 décideurs politiques et à ceux qui les influencent, incluant les média, et par courrier électronique à environ 9500 personnes identifiées comme ayant une influence. I.C.G. organise également des conférences et des ateliers spécialisés, ainsi que des briefings avec des fonctionnaires des organisations internationales, tels que l’O.N.U., l’Union Européenne, la Banque Mondiale, l’O.T.A.N. Les bureaux de New York et de Paris sont chargés d’assurer le lobbying auprès des autorités politiques onusiennes et européennes.

Programmes thématiques

En plus de ses programmes régionaux, ICG produit des rapports thématiques réunissant des informations de terrain avec le travail de son unité de recherche basée à Bruxelles. Parmi les thèmes abordés, on notera notamment les capacités de l’Union Européenne dans la prévention et gestion des crises, le V.I.H./S.I.D.A. comme enjeu de sécurité, la méthodologie de la prévention des conflits et le terrorisme international

7) HRW : une Organisation Non Gouvernementale à visée globale

Human Rights Watch est une Organisation Non Gouvernementale fondée en 1978 afin de contribuer à la participation de la société civile à la surveillance du volet des accords d’Helsinki relatifs aux droits de l’Homme. Initialement dédiée à l’examen des violations des droits de l’Homme dans le bloc de l’Est, Human Rights Watch, en 1988, a affirmée sa vocation mondiale.

Réduire globalement l’impunité des auteurs de violation des droits de l’Homme.

Human Rights Watch a pour objet, non de prévenir au cas par cas les violations graves et massives des droits de l’Homme, mais, en établissant systématiquement la lumière sur ces violations et leurs responsabilités, de rendre globalement coûteuses ces violations.

A la différence des diverses organisations ou conférences internationales, Human Rights Watch ne semble pas disposer de processus de saisie juridiquement organisée face à des violations graves et massives des droits de l’Homme.

Organisation et composition.

Human Rights Watch est actuellement composée de 189 permanents, chercheurs, enquêteurs et consultants. Ceux-ci sont répartis en bureaux chargés chacun soit d’une thématique (peine de mort, droit des femmes, réfugiés, …), soit d’une aire géographique (Moyen-Orient, Europe/Asie Centrale, …).

Un Conseil composé de personnalités a pour mission d’augmenter les capacités de pression de l’Organisation sur les divers Etats concernés et sur l’opinion publique.

De même, des bénévoles participent aux diverses campagnes de sensibilisation et de pression de l’organisation.

1- Processus d’alerte et de pression relatif aux violations des droits de l’homme

Une observation permanente et professionnalisée

Les différents bureaux de l’organisation exercent chacun, en permanence, une surveillance des événements ayant lieu dans leur zone ou leur domaine de compétence. Cette observation se conduit entre autres, en cas de soupçons de violations des droits de l’Homme, par :

  • la recherche constante de faits et leur établissement avec certitude par des missions d’enquêtes constituées de chercheurs ;

  • la visite des lieux d’abus potentiels et des entretiens avec des témoins ;

  • la publication en temps réel des informations et leur rendu à plus long terme au sein de rapports thématiques.

Le cas échéant, cette observation et ce rendu donnent lieu à des campagnes de sensibilisation et de pression en direction des Etats et institutions économiques et culturelles, campagnes qui impliquent des bénévoles.

Trois paramètres essentiels d’observation

Du fait de son relatif manque de moyens, ainsi que de la spécificité de sa mission, Human Rights Watch se voit obligée d’établir des paramètres d’observation permettant de faire la différence entre ce qui est simplement signalé et ce qui est étudié et pris plus lourdement en considération. Ces paramètres sont essentiellement au nombre de trois:

  • la gravité des violations ;

  • le nombre de personnes affectées ;

  • la possibilité d’influence de Human Rights Watch.

A ces trois paramètres, se rajoutent deux éléments influant sur la prise en considération et le degré d’implication de l’organisation :

  • une tentative d’équilibre entre les pays à forte et récurrente tradition de violation des droits de l’Homme et ceux au sein desquels ces événements font figure d’événement grave et inhabituel.

  • la possibilité pour Human Rights Watch de mener ou non des enquêtes efficaces et d’obtenir des informations vérifiées et abondantes.

C’est à partir de la prise en compte de ces divers paramètres que Human Rights Watch peut décider ou non de lancer un processus d’enquête et de médiatisation plus approfondi.

Notes

  • (1) : Preventive Diplomacy and American Foreign Policy : A Guide for the Post-Cold War Era. Bibliothèque du Congrès, 1994. Draft manuscript.

  • (2) : Early Warning and Preventive Diplomacy », in The Journal of Ethno-Development, 1994, n°4, pp.88/97

  • (3) : in Thesaurus and Glossary of Early Warning and Conflict Prevention Terms, by Alex Schmid – PIOOM – Synthesis foundation (Erasmus University, may 1998 – FEWER. Traduction personnelle.

  • (4) : Auteurs : Aliboni R., Guazzone L., Pioppi D.

  • (5) : Cf. Lund, déjà cité.

  • (6) : Ce réseau d’universités et de Centre de Recherches est représenté en France par le Centre de Recherche sur la Paix de l’Institut Catholique de Paris.

  • (7) : Cf. annexe.

  • (8) : Conceptual, Research, and Policy Issues in Early Warning : An Overwiew ‘, in The Journal of Ethno-Development, 1994, n°1, pp3/14.

  • (9) : Early Warning : Preventie of Pretentie ? Anvers, 1995. Pax Christi International.

  • (10) : Gurr, déjà cité.

  • (11) : ‘Early Warning Models and / or Preventive Information Systems ?’ In The Journal of Ethno-Development, n°1 1994, pp.117/123.

  • (12) : Entre autres exemples, on citera ici le document de FEWER et International Alert : Promoting Development in Areas of Actual or Potential Violent Conflict : Approaches in Conflict Impact Assessment and Early Warning, de Manuela Leonhardt et David Nyheim, 1999.

  • (13) : Voir ce sujet l’étude de synthèse de Rioux ( J-F), La sécurité humaine. Une nouvelle conception des relations internationales. Paris : L’Harmattan, 2002.

  • (14) : Van Der Stoel. ‘Key Note Speech to the Seminar on Warning and Preventive Diplomacy’, in C.S.C.E O.D.H.I.R. Bulletin, 1994, n°2, pp.7/13.