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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, juillet 2009

Le Darfour, un génocide ambigu.

Depuis février 2003, le Darfour, province orientale du Soudan, est le théâtre de massacres épouvantables suivis d’une famine largement programmée par l’action des autorités gouvernementales. Génocide ou pas, la communauté internationale s’interroge, mais, en attendant, la population meurt.

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Réf. : Gérard Prunier, « Le Darfour, un génocide ambigu », la table Ronde, 2005.

Langues : français

Type de document : 

Dans les premiers chapitres, Gérard Prunier remonte dans le temps pour expliquer ce qu’a été le Darfour, pays indépendant du Soudan jusqu’en 1916. Il apparaît clairement comme ce pays a été marginalisé sur tous les plans tant pendant la période coloniale que du fait des gouvernements qui ont suivi l’indépendance en 1956. La révolte du Darfour et la violence de la répression qui a suivi a fait exploser, selon l’auteur, le mythe de guerres « religieuse », car au Darfour tout le monde est musulman…

Les chapitre 4 et 5 de l’ouvrage nous aident à comprendre le fond, la complexité et les enjeux de ce conflit et de ce massacre quasi-génocidaire car, comme le dit l’auteur « le respect pour les morts n’exclut pas d’essayer de comprendre pourquoi ils sont morts ».

La peur du centre : de la campagne contre insurrectionnelle au quasi-génocide (2003-2005)

À la fin des années 1990, le Darfour demeurait un endroit marginalisé. Le gouvernement ainsi que l’opinion publique du nord Soudan avaient une seule préoccupation : parvenir à une paix avec le Sud du pays, avec qui ils étaient en guerre depuis des années. Mais, avant même la paix avec le sud, une vraie lutte était en train de se dérouler au sein même du pouvoir.

Suite à une rébellion lancée dans la Province en 2001, le gouvernement central proclame l’état d’urgence au Darfour et multiplie les arrestations. Le régime décide donc de solutionner la crise militairement : une milice est mise en place, le « janjawid ». Contrairement à ce qui a souvent été écrit, ces miliciens n’étaient pas plus une expression « populaire » et « naturelle » des tribus arabes du Darfour que les terribles miliciens Interahamwe n’étaient une expression organique des Hutu au Rwanda ».

Les janjawid avait des origines très diverses :

  • 1. Des soldats démobilisés ;

  • 2. Des bandits ;

  • 3. Des membres des petites ethnies arabes ;

  • 4. Des criminels de droit commun ;

  • 5. Des membres fanatiques du Tajammu al-Arabi ;

  • 6. Des chômeurs ;

  • 7. Des étrangers venant de divers pays du Sahel.

À la fin du mois de juillet 2003 les violences changèrent radicalement d’échelle au Darfour et la province explosa littéralement. Des bombardements systématiques étaient suivis d’attaques sur le terrain par les milices. « Dans la version douce, les milices se contentaient de battre les gens, de piller et de violer des femmes. Dans la version « dure », les lieux étaient totalement bloqués, tout était pillé, les hommes et les jeunes garçons abattus, les femmes et les jeunes filles violées , le bétail tués et jeté dans les puits ».

La pratique du génocide ou du quasi-génocide au Soudan na jamais été une politique délibérée et calculée mais plutôt « un outil » employé sans freins pour maintenir la domination arabe sur un pays où ils ne sont qu’une minorité.

Le Soudan est un des derniers empires multinationaux de la planète et, du point de vue de son élite centrale, la contre insurrection au Darfour était « rationnelle ». Le fait qu’elle ait fini par perdre toute mesure s’explique par deux facteurs :

  • Contrairement au soulèvement du Sud, celui du Darfour menaçait directement le centre du système et pas uniquement la périphérie ;

  • Il se produit ensuite à un moment très délicat pour le régime, déchiré par une lutte de pouvoir interne.

L’auteur démontre comment le régime, à partir d’un certain moment, va décider de prendre des mesures qui introduisent une dimension génocidaire dans le conflit, car, au-delà des massacres, elles visaient à empêcher la survie des survivants (« …une première cargaison d’aide alimentaire arrivée des Etats-Unis - pour faire face à la crise alimentaire qui causée depuis quelques mois des centaines des morts par jour parmi la population civile - fut bloquée sous prétexte que les céréales qui la composaient étaient génétiquement modifiées… ».} Voici que la mort venait de passer au niveau administratif… Le nettoyage ethnique se transformait pour devenir un conflit de basse intensité où les gens allaient mourir sous une étiquette différente.

Au milieu de l’année 2004, l’intervention étrangère provoquait la transformation des schémas du conflit.

La communauté internationale avait toujours insisté pour traiter les massacres du Darfour essentiellement comme une urgence humanitaire. Les choses allaient évoluer ensuite et au fur et à mesure qu’on découvrait les faits sur le terrain. En septembre de la même année, le Parlement européen déclarait que la situation au Darfour « équivalait à un génocide ». Ensuite les Nations Unies demandaient avec la résolution n°1564 la fin des violations des droits de l’homme et la création d’une commission d’enquête pour déterminer si oui ou non il y avait eu un génocide au Darfour.

La crise du Darfour et le reste du monde

Pour le monde extérieur la crise du Darfour apparaissait comme la « crise africaine » par excellence : lointaine, difficilement compréhensible, terriblement violente enracinée dans les réalités ethniques et historiques complexes dont pratiquement personnes ne connaissait les arcanes.

Une fois que les médis s’en furent saisi, elle devint une « crise humanitaire », c’est-à-dire « quelque chose que la plupart des politiciens considéraient comme un cause perdue… » dans le monde qui a succédé à la guerre froide, les causes perdues appartiennent de droit aux Nations Unies….

Au début du moins de novembre 2005 on comptait selon les chiffres, au moins 305 000 morts..

Quatre types d’explications furent avancées pour comprendre ce qui s’était passé :

  • 1. La crise est une explosion de conflits tribaux causés par la sécheresse. C’était l’explication de Khartoum.

  • 2. Une campagne contre-insurrectionnelle qui a mal tourné parce que le gouvernement a utilisé de « mauvais moyens ».

  • 3. Il s’agit d’une campagne délibérée de nettoyage ethnique au cours de laquelle le gouvernement soudanais aurait tenté d’éliminer les tribus africaines pour le remplacer par des tribus « arabes ».

  • 4. À partir du début de 2004, le mot génocide commence à être utilisé de plus en plus par un éventail d’observateurs…

L’auteur poursuit son analyse

Génocide ou nettoyage ethnique ?, Gérard Prunier semble s’étonner, « que trois cent mille personnes meurent dans un « génocide » apparaît comme plus grave que si ces mêmes trois cent mille personnes sont mortes sous une autre étiquette ». La réalité des choses a de moins en moins d’importance par rapport à leur capacité de provoquer des réactions… Pour mobiliser la télévision, le « génocide » est meilleur que le « nettoyage ethnique » parce qu’« il évoque le label nazi, toujours très demandé, alors que nettoyage ethnique fait bosniaque, pas trop mal mais quand même moins intéressant que ce que Susan Sontag appelait la fascination du fascisme, celle du mal absolu ». « La mort au Darfour, sans le label « génocide » ne serait qu’un massacre africain de plus, c’est-à-dire pas grande chose."

Commentaire

Environ deux millions de personnes ont fui le Darfour depuis 2003. Le Tchad voisin est déstabilisé par l’afflux de deux cent vingt-cinq mille réfugiés. En quatre ans, le conflit aurait fait quatre cent mille morts.

Voilà la réalité des atrocités qui sont passées dans un silence incompréhensible.

Nous trouvons les observations de l’auteur qui s’interroge sur l’existence d’une véritable « hiérarchie de l’horreur » particulièrement marquantes. Est-il vrai ou pas qu’un homme mort ici vaut plus que là-bas ? Est-il vrai ou pas que la mort est aujourd’hui davantage devenue « une sorte message publicitaire », une « sorte de business », bon ou mouvais, selon le contexte et l’actualité du moment ?

L’auteur répond oui à ces questions. La complexité et le sens même de la mort cèdent alors la place à des considérations uniquement sémantiques ou l’horreur se dilue petit à petit pour devenir inoffensif à nos yeux et à nos esprits.